— Repose cette baguette immédiatement si tu veux avoir la chance de continuer à respirer.
La voix d'Adalynn claqua dans l'air comme un coup de fouet, impérieuse et implacable. Elle ne leva même pas les yeux de ses ongles qu'elle inspectait soigneusement, s'assurant qu'aucun d'eux n'avait été cassé jusqu'à maintenant. Blake, en face d'elle, soupira bruyamment et leva les mains en signe de reddition, ses épaules retombant légèrement.
— Très bien, dit-il en rengainant sa baguette d'un geste lent et mesuré.
Adalynn releva alors la tête, ses yeux brillants d'une satisfaction tranquille, et lui offrit un sourire éclatant, triomphal. Elle se tourna ensuite vers Elvera, la petite sœur de Blake, qui regardait la scène avec des yeux ronds avant de pouffer de rire, incapable de se contenir.
— Tu vois, ma puce, voici comment l'on se fait respecter en tant que femme, déclara Adalynn avec un clin d'œil complice. Ne crois pas tout ce que disent ces humains fanatiques : nous sommes toutes des reines.
Elvera, les yeux pétillants d'admiration, acquiesça vigoureusement, buvant les paroles de son aînée comme un élixir de sagesse. Blake, quant à lui, serra les dents en silence, ses yeux lançant des éclairs de frustration. Malgré tout, il ne pouvait nier l'autorité naturelle d'Adalynn et la manière dont elle captivait son auditoire, y compris lui-même.
— Très impressionnant, Adalynn, murmura Blake avec un sarcasme à peine voilé, en croisant les bras sur sa poitrine. Mais, nous savons tous que la véritable force ne réside pas seulement dans les mots et les menaces.
Adalynn arqua un sourcil, un sourire moqueur jouant sur ses lèvres.
— Oh, Blake, tu as tellement à apprendre sur le pouvoir et la subtilité. Le vrai pouvoir, c'est de faire plier les autres à ta volonté sans même avoir à lever la main.
Blake sentit une vague d'irritation monter en lui, mais il la réprima avec effort. Adalynn avait cette capacité exaspérante de le faire sentir comme un enfant, malgré toute son expérience et ses compétences.
Le rire d'Archibald résonna dans la pièce, interrompant la dispute naissante entre ses deux meilleurs amis. Blake et Adalynn se connaissaient depuis toujours, et ils avaient une façon bien à eux de montrer leur affection, souvent par des frictions bon enfant. Pour Archibald, ces escarmouches étaient presque un spectacle réconfortant, une preuve d'amitié. S'approchant de lui, Archie lui donna une tape énergique dans le dos, ce qui fit grimacer le blond une nouvelle fois.
— Allez, les enfants, cessez de vous chamailler, lança-t-il en riant. On dirait deux vieux mariés.
Blake, essayant de masquer sa grimace, jeta un regard exaspéré à son ami, mais un sourire finit par apparaître sur ses lèvres.
— Un jour, Archibald, tu comprendras que nous avons une relation complexe, répliqua Blake avec un soupçon de malice dans la voix.
Adalynn, quant à elle, croisa les bras et haussa un sourcil, un sourire en coin.
— Complexe ? C'est ainsi que tu qualifies notre amitié ? Tu manques vraiment d'imagination.
Levant les yeux au ciel, Blake alla délicatement prendre les robes d'Adalynn, celles-là mêmes pour lesquelles il venait de se faire menacer si éhontément. Il prit soin de ne pas les froisser, ou pire. Avec le temps, il avait appris que son amie avait la fâcheuse tendance de s'emporter lorsque ses vêtements ou accessoires étaient abîmés. Et bien souvent, elle seule voyait ce qui n'allait pas.
Blake tentait désespérément de se changer les idées en aidant son amie à déménager. Oublier, ne serait-ce qu'un instant, cette fiancée qu'on lui avait imposée. Il marmonna quelques mots à l'attention d'Archibald, qui s'amusait à porter manuellement les malles contenant les livres d'Adalynn, exhibant ostensiblement ses biceps dans l'espoir d'attirer son attention.
— Tu pourrais utiliser un sort de lévitation, tu sais ? commenta Blake en levant un sourcil moqueur.
— Où serait le plaisir, alors ? répondit Archibald avec un clin d'œil, tout en continuant de soulever les malles avec un sourire satisfait.
Elvera, la cadette de Blake, classait la collection interminable de produits de beauté d'Adalynn avec autant de soin que s'il s'agissait de la sienne. D'un an plus jeune que Blake, Elvera partageait avec lui les mêmes cheveux blancs et soyeux, coiffés en un chignon ceint d'une tresse, dégageant ainsi son visage délicat. Cependant, le sien était plus doux que celui de son aîné, empreint d'une certaine candeur qui détonnait avec son caractère taquin et sa langue aussi tranchante qu'une dague. D'apparence, elle n'avait guère plus de vingt ans, mais, comme tous les siens, elle vivait deux fois plus longtemps qu'un humain lambda et allait fêter son quarante-deuxième anniversaire cette année-là.
— Attention à ce flacon, il est extrêmement rare ! lança Elvera à Archibald, qui venait de poser une malle un peu trop brusquement.
— Oui, oui, je fais attention, répondit Archibald, levant les yeux au ciel à son tour.
Le déménagement continua, et Adalynn semblait rayonnante, malgré les circonstances. Elle quittait le domicile familial en catastrophe alors que ses parents étaient à un bal organisé par une autre famille noble. À la suite de la dernière frasque de la jeune femme, son père avait décidé de la renier et de la chasser de leurs domaines. Ce qu'il ignorait, c'est que sa fille avait déjà un petit pied-à-terre dans la capitale, dans un quartier bien plus modeste, au milieu de la plèbe. Mais, elle serait libre, et c'était tout ce qui lui importait.
Blake était mitigé concernant son choix. D'un côté, il avait des envies de violence contre les parents d'Adalynn pour leur choix éducatif, mais de l'autre, il s'inquiétait de la savoir seule dans un logis sans personne pour la protéger. Il savait pertinemment qu'Archibald ressentait la même chose. Lui en avait parlé à ses parents, qui avaient immédiatement proposé d'héberger la jeune femme, pourtant celle-ci, bien trop fière et ivre de liberté, avait refusé. C'était à peine l'affaire de deux petits mois ; après cela, ils retourneraient tous à l'académie.
— Tu es sûre de ton choix, Adalynn ? demanda Blake en posant une dernière boîte dans le petit appartement.
— Absolument, répondit-elle en ajustant un rideau usé, mais propre. J'ai besoin de cet espace, de cette liberté.
— Et si jamais tu as des ennuis ? ajouta Archibald, l'inquiétude se lisant sur son visage.
— J'ai vécu pire, rétorqua-t-elle avec un sourire bravache. De toute façon, je ne serai pas seule. Ce quartier est rempli de vie, et j'ai déjà fait connaissance avec les voisins. De plus, le poste de garde est à quelques maisons d'ici.
Blake ne pouvait s'empêcher d'admirer son courage et sa détermination, même s'il restait inquiet. Il jeta un coup d'œil à Elvera, qui observait silencieusement la scène, tout aussi inquiète, mais préférant laisser les garçons prendre les choses en main.
— D'accord, dit-il finalement. Promets-nous de nous contacter si tu as besoin de quoi que ce soit.
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Les heures qui suivirent furent chaotiques, loin de l'organisation méticuleuse qu'adorait Adalynn. Voir quatre jeunes nobles tenter de travailler sans l'aide des domestiques avait quelque chose d'aberrant. Et, évidemment, il y eut de la casse. Des disputes aussi, et beaucoup de rire. Le personnel du manoir familial de la jeune femme ne les aida pas le moins du monde, en grande partie à cause des deux garçons qui les regardaient de haut, avec dédain et mépris.
Archibald, malgré ses efforts pour rester stoïque, finit par renverser une pile de livres précieux en trébuchant sur un tapis, provoquant un éclat de rire général. Blake, lui, s'acharnait à transporter des meubles trop lourds pour lui seul, refusant d'admettre qu'il aurait peut-être besoin d'aide. Elvera, observant ses deux amis se démener, ne put s'empêcher de se moquer gentiment tout en essayant de les guider avec plus de méthodes.
Adalynn, bien qu'agacée par le désordre, se surprit à sourire en voyant ses amis mettre tant d'efforts pour l'aider. Malgré leur maladresse, leur présence rendait cette transition plus supportable. Elle se rappelait les dîners formels et les soirées strictement encadrées de sa vie passée, et ne pouvait s'empêcher de sentir une bouffée de liberté en regardant le chaos joyeux qui se déroulait dans son nouveau chez-soi.
— Thedarin, ce n'est pas ainsi qu'on déplace une armoire ! s'exclama Adalynn en levant les yeux au ciel. Tu vas finir par te blesser.
— Oh, et toi, tu ferais mieux ? rétorqua Archibald en esquissant un sourire narquois.
— Je ferais certainement mieux que toi, répondit-elle en relevant le défi.
Blake intervint avant que la situation ne dégénère en un véritable concours de force.
— Trêve de plaisanteries ! Si nous voulons finir avant la tombée de la nuit, il va falloir s'y mettre sérieusement.
Le soleil commençait à se coucher lorsqu'ils achevèrent enfin de mettre en place les dernières affaires. Épuisés, mais satisfaits, ils prirent un moment pour contempler le travail accompli. Le petit appartement avait pris une allure plus chaleureuse, empreint de la personnalité vivace d'Adalynn.
— Mission accomplie, déclara Elvie en souriant.
De longues secondes silencieuses s'écoulèrent avant que la blonde ne se lève pour s'approcher du réchaud. Elle fouilla quelques instants dans les placards et les caisses éparpillées avant de dénicher la théière et une boîte de thé. Avec une élégance naturelle, elle sortit sa baguette, murmura "Aquaëth", et une gerbe d'eau douce s'éleva devant elle. D'un geste fluide du poignet, elle dirigea l'eau dans le récipient, puis plaça la théière en porcelaine sur le réchaud. Cet objet, un véritable bijou de technomagie, permettait aux non sensibles à l'Éther de bénéficier de certaines commodités, grâce à l'utilisation de pierres d'Éther. Cependant, leur coût exorbitant réservait ce luxe aux plus aisés de l'Empire.
Pendant que la cadette du Marquis préparait le thé en fredonnant doucement, Adalynn planta son regard émeraude dans celui de Blake, perçant le silence avec une question directe.
— Bon, vas-tu enfin nous dire ce qui se passe ? Dès qu'on te laisse le temps de sombrer dans les méandres de ton esprit, tu t'assombris. Je sais que cela n'a rien à voir avec ma situation. Enfin, pas entièrement.
Blake grimaça, détournant son visage pour offrir à ses amis un profil tendu, ses traits s'étant durcis sous l'effet de la réflexion. Même Archibald, qui s'apprêtait à le taquiner comme à son habitude, se ravisa en voyant la gravité dans ses yeux.
— Corbyn, intervint-il doucement. Pas de ça avec nous. Parle.
Le ton d'Archibald était autant ferme que bienveillant, laissant entendre qu'ils n'accepteraient pas de demi-mesures. Blake soupira, le poids de ses pensées devenant trop lourd à porter seul.
— Il a été fiancé.
La voix d'Elvera s'éleva, tranchante et claire, glaçant l'atmosphère en un instant. Blake la foudroya du regard, ses yeux lançant des éclairs de colère et de reproches. Elvera, imperturbable, haussa simplement les épaules, consciente que son frère aurait fait tout son possible pour éviter cette conversation.
Archie, figé, serra les poings, un juron s'échappant de ses lèvres serrées. Ada, elle, posa lentement une main compatissante sur le bras de Blake, essayant de lui transmettre un peu de réconfort à travers ce simple geste.
— Tu vas t'en sortir, tenta-t-elle de rassurer. Ce n'est pas la première fois que ta mère tente de t'unir à quelqu'un contre ta volonté...
— Ordre de l'Empereur en personne, coupa Blake d'une voix amère, son ton laissant transparaître une profonde frustration. Ma chère maman était ravie de me voir avec la corde au cou de cette façon !
Le silence tomba lourdement sur la pièce, oppressant et pesant, comme un voile sombre drapé sur leurs épaules. Blake bouillait de rage, sa colère trop longtemps contenue éclatant enfin, se déversant en vagues de ressentiment qu'il peinait à maîtriser.
Pourtant, une part de lui criait que c'était injuste. Abyaz, son frère aîné, avait accepté son propre mariage arrangé pour le bien de la famille, et par un coup du sort, il s'en était sorti avec une vie idyllique aux côtés de la fille d'un Duc. Une chance, un conte de fées pour ce frère parfait, toujours en phase avec les attentes de leurs parents.
Il n'était pas Abyaz. Il refusait de se plier à cette même destinée. Il ne voulait pas devenir une copie de son frère, ni sacrifier sa liberté sur l'autel des alliances politiques. L'idée même d'être forcé à suivre ce chemin le rendait malade. La simple pensée de ce mariage imposé lui tordait les entrailles, et chaque comparaison implicite à son frère, chaque mot, chaque geste, semblait attiser encore davantage les flammes de sa révolte intérieure.
Le blond serra les poings, les ongles s'enfonçant dans ses paumes. Il sentait la brûlure de la rage se mêler à celle de l'injustice, son souffle se faisant court, haché, alors qu'il luttait pour contenir un cri qu'il savait inutile. Mais, les mots tournaient en boucle dans sa tête : Je ne suis pas mon frère. Je ne serai jamais comme lui.
Le Grand Créateur seul savait à quel point Blake chérissait son frère, mais cette situation était une autre paire de manches. Son désir de suivre une voie différente, celle des chasseurs, de défendre une noble cause et de protéger les innocents, se heurtait de plein fouet à la réalité cruelle de cette union imposée. Cette mascarade pour le prétendu bien de l'Empire lui semblait, pour le dire franchement, grotesque.
— Qui ? Avec qui l'Empereur t'a-t-il...?
La question d'Adalynn resta suspendue dans l'air, la réponse évidente dans son hésitation. Blake ne se fit pas prier et se leva brusquement, commençant à faire les cent pas dans le petit appartement. Sa frustration était palpable, et il se passa une main tremblante sur le visage, comme s'il pouvait ainsi effacer les pensées qui le tourmentaient.
— La petite fille de l'Archimage... Une des filles Mirwill.
Le hoquet de surprise de ses amis fut presque inaudible, noyé sous le poids de la révélation. Blake comprenait parfaitement leur réaction, il avait lui-même été abasourdi en apprenant le nom de la future fiancée. En soi, elle n'avait rien à se reprocher. La jeune femme en question était de haute lignée, d'une réputation irréprochable. Elle menait une existence discrète, se gardant bien de provoquer les attentes souvent démesurées associées à sa famille. Cette tranquillité en elle-même était surprenante, surtout compte tenu des attentes que l'on avait pour les Mirwill.
Néanmoins, peu importait la valeur personnelle de la damoiselle. L'idée qu'il soit réduit à un pion dans un jeu de pouvoir et d'influence, au lieu de suivre sa propre voie, était insupportable. La colère, le désespoir et la confusion se mêlaient dans son esprit, créant un tourbillon de pensées et d'émotions qu'il avait du mal à contenir.
— De quel droit souille-t-il nos valeurs au point de me marier avec une pâle copie d'Altérée, qui ne nous égalera jamais ? Comment ose-t-il ?!!! cracha-t-il, sa rage éclatant comme un orage, faisant vaciller les flammes des bougies.
Il sentait le sol se dérober sous lui, alors que son avenir se voyait dicté par des forces qu'il ne pouvait ni comprendre ni contrôler.
— Justement... Il en a le pouvoir. Si l'envie lui prenait de nous exterminer, car nous ne sommes pas humains, personne ne l'en empêcherait. Pas même les Shtrigues...
La neutralité de la voix d'Elvera le fit frissonner. Il détourna le regard, la colère se mêlant à une forme de résignation. Il savait que ses paroles étaient empreintes de vérité. L'Empereur exerçait une autorité absolue, capable d'écraser toute forme de rébellion ou d'opposition avec une facilité déconcertante.
Cette réalité, si amère et décourageante, était profondément enracinée dans l'histoire des Altérés. Il y a près de huit siècles, un groupe de Shtrigues, acculés et pris entre le piège de la mort ou celui de la soumission, avaient choisi de se plier à la volonté de l'Empereur de l'époque, Azoven IV. Leur décision avait été motivée non par la cruauté des Shtrigues, mais par le désir désespéré de préserver la vie de leurs enfants et des leurs. Ils avaient juré allégeance et avaient servi l'Empereur comme une force d'élite, traquant et éliminant d'autres Shtrigues à la nuit tombée, sous les ordres des Inquisiteurs. L'Histoire officielle dépeignait ces événements comme un choix motivé par la découverte des prétendues horreurs des Shtrigues, mais la vérité était bien plus sombre. Il s'agissait d'une décision déchirante entre la survie et la mort, où le sacrifice de certains avait entraîné la trahison des principes et des racines ancestrales.
Les conséquences de cette trahison avaient été désastreuses pour les descendants des Shtrigues. Les Altérés, comme Blake et sa famille, étaient devenus des ombres de ce qu'ils auraient dû être. Leur magie avait été altérée, amoindrie. Les Corbyn, jadis puissants Noctis, maîtres de la mort, se retrouvaient désormais limités à des sorts approuvés par l'Église, ne pouvant que recourir à leurs baguettes pour canaliser leur magie. Les dons héréditaires s'étaient évanouis, laissant place à des capacités affaiblies. Les anciens maîtres de la nuit étaient devenus des spectres de leur propre gloire, contraints à une servitude qui les dégoûtait.
Le silence qui suivit les paroles d'Elvera était lourd de sens, imprégné d'une tristesse et d'une résignation que seul Blake pouvait vraiment comprendre. Son avenir, son autonomie et ses désirs étaient tous sacrifiés sur l'autel des ambitions impériales, et cette réalité était d'autant plus cruelle qu'elle était inévitable. Le jeune homme, les poings serrés et la mâchoire crispée, sentait la chaleur de la colère se mêler aux brises glaciales de la désillusion.
Archibald ouvrit la bouche, prêt à exprimer ce qui le tourmentait depuis plusieurs minutes, mais il fut interrompu par Adalynn, qui s'était levée pour rejoindre la plus jeune dans la petite cuisine. Il fit la moue en voyant la jolie brune s'éloigner, un mélange d'exaspération et de résignation traversant son visage, mais il se garda bien de lui en faire part.
— Que comptes-tu faire ? Ne dis pas rien, nous savons tous comment tu as géré tes précédentes tentatives d'union. Qu'en pense ton père ?
— Tu penses bien qu'il est plus qu'heureux. Cette situation est pour lui un pas de plus vers le pouvoir. Selon lui, je ne dois pas me laisser paralyser par la peur. Mais, je n'ai pas peur ! Je suis furieux !
Le blond s'interrompit brusquement, son visage se ferma, et il se dirigea vers une petite fenêtre vieillotte, pourtant encore en bon état, qui donnait sur la rue en contrebas. Il se plaça devant le verre légèrement embué et laissa son regard errer sur la vie grouillante à ses pieds. Des familles se déplaçaient, des enfants jouaient, des étals de légumes regorgeaient de produits frais, les couleurs vives des fruits et légumes contrastants avec l'atmosphère sombre de son esprit. Ces vies, qu'il avait juré de protéger, lui semblaient étrangères dans leur tranquillité. Tout ce monde, inconscient des tumultes qui agitaient son propre cœur, continuait à tourner sans se soucier des bouleversements politiques et des complots qui se tramaient dans les hauteurs.
Il se perdait dans ses pensées, une vague de désespoir le submergeant. Son esprit en proie à une rage sourde, il souhaitait que l'empire s'embrase sous la chaleur d'un dragon déchaîné, qu'une maladie contagieuse emporte l'Empereur et ses conseillers, ou encore qu'une guerre éclate pour balayer l'ordre établi. Il espérait qu'un cataclysme quelconque surgisse, quelque chose qui pourrait détourner l'attention de l'Empereur et lui offrir une échappatoire à ce destin inéluctable qui se dessinait de plus en plus clairement à l'horizon de son avenir.
— Je ferai comme d'habitude, dit Blake avec une détermination féroce. Je vais me montrer détestable. Je briserai toutes ses attentes et ses rêves. Je vais la pousser à bout, m'afficher avec d'autres, et faire en sorte que l'Archimage lui-même supplie pour annuler cette mascarade.
Il parlait avec une telle intensité que ses mots résonnaient comme une promesse de chaos. Son visage était marqué par une résolution acharnée, les poings serrés à ses côtés. Le silence pesant dans la pièce l'obligea à se tourner vers ses amis, qui le regardaient avec scepticisme. Leur silence ne fit qu'attiser sa frustration.
— Quoi ?! aboya-t-il, sa voix tranchante.
La pièce sembla se resserrer autour de lui, le silence devenu presque tangible. Les trois amis échangèrent des regards lourds de sous-entendus. Adalynn, bien qu'habituée aux éclats de colère de son ami, ne pouvait s'empêcher de ressentir une vague de tristesse face à la détermination brisée de Blake. Elvera, quant à elle, observait en silence, son visage trahissant à peine les émotions complexes qui l'habitaient. Blake les scruta avec impatience, ses yeux durs comme l'acier, cherchant une validation ou un soutien qu'il ne trouvait pas.
— Je n'ai rien dit pour les autres, car elles avaient accepté le jeu de notre mère. Mais, cette jeune femme subit la même chose que toi. Peut-être qu'elle aussi refusera cette union, alors avant de te montrer aussi radical, essaie au moins de lui parler ! Affronte le problème avec diplomatie. Expose-lui tes raisons, écoute les siennes. Je ne la connais pas plus que ça, mais je sais qu'elle passe beaucoup de temps avec le fils Sacavar. Ne te précipite pas, ce n'est pas dans tes habitudes, Grand Frère.
Il était rare qu'Elvera sermonne ainsi son frère. D'ordinaire, Blake était un roc, imperturbable et inébranlable. L'état dans lequel cette histoire le mettait était un signe flagrant de son désespoir. Elle s'approcha de lui et déposa une tasse de thé fumante dans ses mains, non sans glisser un baiser tendre sur sa joue.
— Reprends-toi. Tout va bien se passer, dit-elle d'une voix douce, mais résolue.
— Tu dis cela comme si c'était facile...
— Ça l'est. Ignore mère pour commencer. De plus, mets ta rage à profit autrement. Ton mentor ne t'a-t-il pas proposé de passer tes vacances à t'entraîner avec le reste de son unité, afin de t'améliorer ? Va donc évacuer là-bas, tu auras l'esprit plus clair.
Un raclement de gorge fit sursauter tout le monde. Les regards se tournèrent vers Archibald, qui observait la tasse que Adalynn venait de lui remettre. La tasse était chargée de sucre, au moins quatre morceaux se dissolvant dans le liquide. Il finit par relever les yeux, une ombre d'hésitation dans son regard.
— Justement... En parlant de ton mentorat... Tu veux devenir chasseur, n'est-ce pas ?
— Oui, c'est ce qui est prévu, persifla-t-il. Pourquoi ?
— ... Ton futur patron est le père de ta fiancée. C'était dans tous les journaux de l'Empire hier. Tu ferais mieux d'écouter ta sœur, car jouer au con briserait aussi toutes tes chances d'être accepté là-bas.
Le choc fut instantané. Blake se figea, le souffle coupé, comme si le sol s'ouvrait sous ses pieds. Le poids de la révélation le frappa avec une violence inouïe.
— Attends, tu veux dire que Lazar Mirwill...
— Est le nouveau directeur du bureau des chasseurs. Il travaille désormais en étroite collaboration avec ton père et l'Empereur, indépendamment de l'Archimage. Voilà pourquoi l'Empereur a uni vos deux familles.
Le silence retomba sur eux, encore plus lourd qu'auparavant. Blake se laissa tomber contre le mur, la réalité de la situation s'abattant sur lui comme une tonne de briques. Le goût amer de l'impuissance s'installa dans sa bouche.
— Et merde.
J'espère qu'il ne va pas faire de bêtises, je comprends son désespoir et sa colère.
À sa place j'aurais réagi pareille.
J'ignore si on peut parler de bêtises… XD Il est assez buté le jeune homme ~
Merci pour le commentaire ♥