Chapitre 2

Chapitre 2

  Fred rentra chez lui à pied. Bien qu’il soit pressé de se retrouver dans un endroit réconfortant, il marchait tranquillement, évitant autant que possible les grands boulevards jusqu’à son appartement de Market Street. Il inspirait et expirait profondément, prêtant une attention particulière à sa respiration, essayant de faire le vide dans sa tête. 
Il vivait seul et sa vie de solitaire lui convenait parfaitement. Son intimité était totalement réfractaire aux autres. La propreté irréprochable de son intérieur étant d'une importance capitale, personne ne pourrait y trouver sa place sans qu’il ne trouve quelque chose à redire. Son appartement de 200 mètres carrés occupe le troisième et dernier étage d’un charmant immeuble de pierre blanche datant de 1862. Chaque chose est à sa place et il s’y sent bien. Il n'y ramène que très peu d’amis et jamais de femmes, pour qui il choisit plutôt les hôtels dans le seul but de soulager ses envies sexuelles. Celles-ci étant terminées, il peut partir aussitôt sans avoir à feindre de passer du temps avec sa partenaire, temps qu'il estime inutile et barbant. Seul Georges, son meilleur ami, peut prendre des libertés et même venir à l’improviste. Il y a toujours chez lui les boissons et les petites douceurs préférées de Gorges. Il n’a aucun animal de compagnie qu’il considère comme des parasites sales et inutiles. La femme de ménage vient un jour sur deux pour nettoyer l’appartement à fond et préparer ses repas du soir. C’est elle, aussi, qui gère ses courses alimentaires, ayant une liste précise de tout ce qui ne doit jamais manquer dans le réfrigérateur et dans les placards. Seuls la cave à vin et les alcools sont régis par lui-même. Il se fournit chez un caviste professionnel qui livre les commandes directement chez lui et qui sont réceptionnés par Olivia, sa femme de ménage.


Son appartement fut un vrai coup de cœur. Il fit abattre quelques cloisons et fit refaire entièrement la décoration qu’il voulait à son image : sobre et épurée, lui permettant d’ajouter quelques touches de couleurs çà et là en fonction du moment. Il aime les belles choses de qualité sans rentrer pour autant dans des extrêmes qui suggèrent l’indécence. Sa résidence se compose de trois pièces : une grande pièce à vivre de 125 mètres carrés regroupant un séjour, un salon et une cuisine munie d’un îlot central donnant sur une terrasse verdoyante et luxuriante de 20 mètres carrés entretenue par un jardinier une fois par semaine. Une salle de sport tout équipé de 20 mètres carrés et sa chambre à coucher de 35 mètres carrés comprenant une salle de bain occupent le reste des lieux.
Fred ouvrit la porte et entra. Il défit ses chaussures et les rangea dans un meuble approprié. Il décida de rester nu-pieds et s’avança vers l’espace cuisine. Le regard pensif, il se servit un scotch avec des glaçons en profitant de la superbe vue plongeante sur la ville. Il ne put s’empêcher de revivre ces retrouvailles aussi soudaines que surprenantes. Il se demanda si Martine ne l'avait vraiment pas reconnu la première fois et si les filles avaient vraiment apprécié cette rencontre ou si elles avaient fait semblant, leur faisant profiter ainsi, à lui et à Carl, de leur bonne éducation. Il s’étala sur son divan en cuir, couvert en partie d’un plaid, et pensa à Nora, ce qui fit remonter en lui des sentiments qu’il avait eus pour elle il y a plus de 15 ans. Il avait l'impression de ne plus rien contrôler, d'être sous son emprise, obsédé et excité. Il l'imagina dans le cadre de son travail, comme avocate, et se demanda comment elle était avec ses clients. Il était convaincu que c’était une avouée très compétente. Il se souvint qu’elle était sérieuse et travailleuse à l'académie, ne lâchant rien et allant au bout de ses objectifs. 


Ses pensées imaginaires, qu'il dut refréner au club, se remirent en marche et il sentit le désir et l’excitation l'envahir. Il posa son verre, presque vide, sur la table basse en bois de hêtre sculpté, y allongea ses jambes et commença à déboutonner son pantalon de lin. Habitué à la masturbation, ses gestes étaient lents et précis. Il baissa doucement et avec sensualité sa fermeture à glissière, attrapa de sa main droite, tendre et attentionnée, son sexe déjà dur, tandis que sa main gauche remontait son tee-shirt afin de dégager son bas ventre. Il se souleva légèrement et fit glisser son pantalon sur ses chevilles, retirant un pied. Il reprit son sexe et le caressa, écartant légèrement les jambes. La paume et les doigts de sa main gauche allaient et venaient, de son bas ventre à l’interfessier, en passant par ses testicules. Il s'imaginait retirer la toge noire de Nora qui avait une terrible envie de lui, se montrant plus pressante et plus amoureuse que jamais, admirant en lui ses qualités et ses valeurs. Il lui voua des propos et des actes imaginaires qui l'excitaient et le plaçaient en mâle irrésistible. Sa respiration se faisait de plus en plus forte et rapide. Il serra son sexe et exerça un mouvement de va-et-vient jusqu’à l’orgasme. Il laissa échapper un râle de plaisir et décida qu'il irait au Chalet pour le week-end, avec Carl et Martine et, surtout, avec Nora.
    Nora conduisait sa voiture en direction de chez elle, pensive sur la dernière heure qu'elle venait de vivre. Elle savait, depuis le début de l'invitation de Carl, qu'elle n'irait pas en week-end au Chalet. Greg partageait sa vie ce qu'elle et Martine avaient omis de préciser à Fred. Cet aveu aurait certainement changé l’ambiance du moment et aurait mis tout le monde, sauf Carl, très mal à l’aise alors qu’elle se félicitait que cette rencontre se soit relativement bien passé. Par contre, elle souhaitait que cela en reste là.


Greg et Nora sont en couple depuis plus de quinze ans. Greg Husman était son premier et son seul amour. Ils se sont rencontrés à la faculté et, de ce fait, Greg connaît Fred. À l’époque, Greg, Martine et elle étaient devenus très amis et cette amitié durait depuis, mais, en plus l’amour était né entre Nora et Greg. Lui, était un garçon à la personnalité discrète et introvertie, ce qui avait séduit rapidement la jeune étudiante d'abord en amitié, puis en amour. Il était rondouillard et pas très dégourdi, souvent moqué par les autres. Fred et Georges prenaient un malin plaisir à lui faire de mauvaises blagues et le jeune homme complexé et fragile s’en trouva traumatisé. Par la suite, il acquit une confiance en lui qu'il attribuait volontiers à sa relation avec Nora, pour qui il voue aux yeux de tous une éternelle reconnaissance. Le sport et une attention particulière à sa nourriture ont fait de lui un bel homme, et il forme ensemble un couple comblé.
Greg Husman est à présent un avocat en droit immobilier à la tête de ses propres études à Manchester et à Londres. Ses affaires fonctionnent très bien. Des personnalités importantes de toute l'Angleterre font appel à lui. Il a la réputation d’accompagner ses clients au-delà du conseil et de la représentation. Il s’investit parfois dans l’achat ou la vente des biens. Le couple n'a pas d'enfants et cela ne leur manque pas. Leur vie professionnelle les accapare tant qu'ils doivent s'organiser des semaines à l'avance pour prévoir des congés communs. Aussi bien l’un que l’autre peut être amené à partir en déplacement en un instant, pour plusieurs jours, voir plusieurs semaines. Leur vie professionnelle trépidante ne laisse que très peu de place à quoi que ce soit d'autre qu’à eux-mêmes.


Nora choisit de ne pas parler de cette furtive rencontre à Greg. Elle voudrait se convaincre que ce non-dit n'était que protection et bienveillance et qu’elle ne souhaitait pas replonger son conjoint dans des souvenirs douloureux, ce qui était le cas. Cependant, que se passerait-il s’il finissait par l’apprendre ? Il lui en voudrait de ne pas lui avoir dit et il aurait probablement raison. Mais bien qu'elle en soit consciente, elle ne s’en sentait pas le courage, de crainte d’avoir à gérer une réaction disproportionnée.
Lorsqu'elle passa le seuil de la porte de leur jolie maison victorienne, fabriquée de briques rouges de Chorlton-cum-Hardy*, elle s’inquiéta de la présence de son bien-aimé. Celui-ci était au téléphone avec un collègue. Elle comprit qu’ils se congratulaient mutuellement sur la finalité d'une vente et d’une commission rondelette à la clé. Il était d’extrême bonne humeur et Nora se félicita de sa décision de passer sous silence quelques vérités de son après-midi. Elle attendit qu'il termine sa communication pour lui déposer un baiser sur les lèvres, le féliciter et lui montrer combien elle était fière de lui en le poussant sur le sofa, en s'asseyant à califourchon sur lui et en l'embrassant longuement, suscitant une invitation à poursuivre ses baisers de caresses et d'étreintes, mais Greg stoppa son engouement, la remercia pour ses félicitations et demanda : 
“Ta journée s'est bien passée ?” 
La jeune femme fut un peu déçue de se faire repousser ainsi, mais se reprit : “Parfaitement, le tribunal à fixer la date du procès de Connor. Il me reste 2 mois pour boucler ma défense.
– Que comptes-tu plaider ?
– L'innocence, bien sûr ! C’était un accident. La famille de la victime, quelle que soit sa douleur, doit accepter cette situation."
Greg ne chercha pas à discuter de ce sujet, n’intervenant jamais dans les décisions professionnelles de sa compagne, qu’il soit d’accord ou non avec elle. Il ne se mêle que superficiellement de ses affaires. Il continua : 
“Et ton après-midi ? As-tu vu Carl et Martine ?”
Nora aurait préféré ne pas avoir à répondre à cela. Ce n'était pas dans ses habitudes de mentir. Elle se concentra, se persuadant que c'était plus une omission qu'un mensonge, même si au fond d'elle-même, elle savait qu’omission ou mensonge, dans toute autre situation, elle aurait parlé de la présence de Fred. Du plus naturellement qu'elle pût, elle dit : 
“Oui, ils sont en forme. Nous avons bu un verre au Club, mais il faisait très chaud. Je préfère la fraîcheur de notre petit nid d'amour ! Mais toi ? Cette vente ? Je veux connaître tous les détails !”
À peine sa phrase terminée, Nora regretta d’avoir parlé du Club. Greg ne le fréquentait pas, mais le connaissait. Il savait ce lieu propice aux rencontres, car il n'était pas rare d'y croiser des collègues ou des amis éloignés, mais il ne releva pas.
Contrairement à lui, Nora voulait toujours tout savoir de ses affaires. Il lui raconta en long et en large les péripéties de sa transaction immobilière. Ils en restèrent là pour la soirée et Nora fut soulagée qu'il ne posât pas plus de questions sur sa fin d'après-midi.


    Carl Lewis et Martine Toker ne vivaient pas ensemble. Après 6 mois de relation, cette éventualité devenait peu à peu un réel projet. Mais pour l'instant, chacun occupait un appartement du centre-ville. Le couple fonctionnait bien comme ça et, même s’ils commençaient à penser à un logement commun, rien n'était vraiment décidé. Du fait de son travail, Martine s'absentait régulièrement de Manchester et, pour l'instant, se retrouver seul dans un nouvel appartement plus grand n'enchantait pas le jeune homme qui avait ses petites habitudes de vieux garçon. 
Carl était gêné d'avoir oublié de demander des nouvelles de Greg à Nora. Il s'en voulait et Martine le rassura en lui disant que c'était mieux ainsi, lui expliquant que Greg et Fred n'étaient pas de bons amis de campus. Il ne chercha pas à en savoir plus et Martine changea de sujet de conversation. Carl y revint un peu plus tard en exprimant l'envie que Greg et Nora soient là pour le week-end, mais Martine, connaissant bien sa meilleure amie savait déjà qu'ils ne seraient pas des leurs. Et que, très certainement, Nora n'avait pas mentionné à Greg leur rencontre avec Fred. Cela étant, Martine espérait secrètement que ce dernier ne viendrait pas non plus. Ce soir-là, Carl passa la soirée avec Martine et dormit chez elle.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
ABChristLéandre
Posté le 19/08/2025
On garde le temps mesuré et sérieux. C'est important de voir que le rythme est constant. Ça rassure le lecteur quant à la qualité et à la maîtrise de l'écrivain (e).
D'ailleurs, à ce propos, je suis toujours étrangement surpris(e), lorsque je tombe sur une histoire dont le protagoniste est de sexe différent par rapport à l'auteur(e). Ça qui ne me déplaît évidemment pas, même si on finit par vite tomber dans des clichés de genre.

Ravi de découvrir le nouveau personnage et de nouvelles complexités pour cette œuvre. J'ai hâte de lire la suite.
Anne Bénète
Posté le 20/08/2025
Merci beaucoup.
Vous lisez