Chapitre 2

Par Eyram

Kaelis se réveilla seule dans le grand lit aux draps couleur nacre. Un instant, elle ne sut plus où elle se trouvait, avant que les souvenirs ne reviennent. La veille, tout s'était déroulé comme prévu. La cérémonie avait été parfaitement orchestrée, du moindre détail aux gestes étudiés des invités, grâce à sa famille et à tous ceux qui s'étaient investis, jour après jour, pour faire de ce moment une réussite éclatante.

Les jardins suspendus avaient été décorés de bannières mêlant les couleurs des deux Maisons. Des musiciens jouaient une mélodie ancienne tandis que les convives affluaient sous les portiques de marbre, les bras chargés d'offrandes et les regards curieux tournés vers elle. Kaelis, dans sa robe ivoire brodée de fils d'or, avait descendu les marches du Grand Escalier comme on entre en scène. Elle s'était sentie belle, forte, à sa place. Le serment avait été prononcé devant les membres des Sept Couronnes, et le banquet qui suivit fut somptueux. Elle avait souri, échangé des mots légers, trinqué. 

Le soir venu, après les festivités - où elle avait soigneusement feint de s'amuser tout en gardant le contrôle de chaque mot, de chaque sourire -, elle s'était couchée aux côtés de son nouveau mari. Leur nuit de noces, pourtant, n'avait rien eu de particulièrement excitant.

Quand elle était apparue devant lui, les cheveux détachés coulant en cascade le long de son dos, vêtue d'une chemise de nuit en soie blanche laissant deviner ses formes, il l'avait à peine regardée. Elle n'aurait su dire s'il s'agissait d'une forme de pudeur et de respect, ou d'un total désintérêt de sa part. Elle avait pourtant ressenti du soulagement lorsqu'elle avait compris qu'il n'attendait rien de trop intime lors de leur première nuit commune, non pas qu'elle n'éprouvait pas une forme d'attirance pour son nouveau mari, mais elle ne se sentait pas tout à fait à l'aise en sa présence.

Kaelis avait toujours su qu'elle plaisait. Tous les grands seigneurs du continent auraient rêvé de l'avoir pour épouse - ou pour amante. Elle n'était pas seulement belle ; elle était l'héritière d'un nom puissant. 

Elle et Vaeren avaient dormi côte à côte, sans même s'effleurer, si bien qu'elle n'avait pas remarqué quand il s'était levé à l'aube.

 

La tradition voulait qu'après la cérémonie de mariage, l'épouse quitte le palais de sa Maison pour s'installer dans celui de son mari. Aujourd'hui, Kaelis devait donc partir. Quitter ce lieu qui l'avait vue grandir. Ce palais qu'elle aimait. Le palais Solmire avait été son univers depuis l'enfance. Ses tours d'ivoire, ses jardins en terrasses, ses couloirs baignés de lumière… Tout ici portait la mémoire de son passé. Les leçons dans la salle des Arcanes, les promenades dans la roseraie avec sa mère, les discussions politiques en retrait des banquets, les disputes avec son père dans le Grand Salon. C'était un lieu de souvenirs, de racines, et de contradictions. Elle l'aimait autant qu'il l'avait enfermée.

Kaelis repoussa les draps et se leva. Elle se sentait calme, mais un peu vide.

Derrière le paravent en bois sculpté, sa suivante l'attendait. On la lava avec des parfums doux, on brossa ses cheveux dorés, puis elle enfila une robe de voyage bleu ciel, brodée simplement au col. Elle tressa elle-même ses cheveux, comme elle le faisait lorsqu'elle voulait se sentir en contrôle. Son reflet dans le miroir lui renvoya l'image d'une femme digne, prête à quitter l'enfance. Une femme mariée. Une héritière.

 

Kaelis descendit lentement les marches de pierre blanche menant à la grande cour intérieure. Ses pas résonnaient faiblement dans l'air du matin. Le soleil n'était pas encore haut, et une fine brume flottait au-dessus des jardins, comme si le palais refusait lui aussi de s'éveiller pleinement à ce jour de séparation.

Devant les hautes portes sculptées, ses malles avaient déjà été chargées dans les carrosses. Le personnel se tenait en retrait, en silence, les visages baissés avec respect. Elle laissa son regard glisser sur les pierres familières du sol, sur les colonnes qu'elle avait vu restaurer enfant, sur les vitraux de la galerie du nord où elle passait des heures à observer les reflets du jour. Tout ici lui appartenait, et pourtant, rien ne pouvait rester. Ce matin, elle quittait plus qu'un palais : elle quittait un monde qu'elle avait cru immuable.

Elle entendit des pas légers derrière elle.

- Kaelis.

La voix douce et un peu rauque de sa mère lui fit tourner la tête. Lady Mereth Solmire se tenait là, drapée dans une robe en soie verte pâle, le regard voilé de fatigue. Elle s'approcha, sans un mot de plus, et prit doucement la main de sa fille. Ses doigts étaient froids.

- Tu as été parfaite hier, murmura-t-elle. Et tu le seras encore.

Kaelis soutint son regard, sans parvenir à parler tout de suite. Une boule dans la gorge l'empêchait de respirer pleinement.

- J'aurais voulu... rester encore un peu, dit-elle finalement, d'une voix basse.

- Je sais. Moi aussi.

Il y eut un silence. Mereth resserra sa main autour de la sienne.

- Là où tu vas, ne baisse jamais les yeux. Ils t'observeront tous. Mais aucun ne saura qui tu es vraiment. Je sais que tu sera à la hauteur, et quoi qu'il arrive, je serai toujours immensément fière de toi.

Kaelis acquiesça. Elle voulait lui poser mille questions, mais ce n'était pas le moment. Un serviteur s'approcha, respectueusement.

- Le cortège est prêt, ma Dame.

Elle hocha la tête. Elle lâcha la main de sa mère et étreignit respectueusement son père, qui se tenait également à son côté pour son départ. Elle se tourna une dernière fois vers le palais, puis monta dans le carrosse.

À travers la lucarne, Kaelis vit s'éloigner les hautes arches, les balcons, les tours lumineuses. Les souvenirs se collaient à chaque pierre qu'elle laissait derrière elle. Elle ne cilla pas. Elle resta droite. Silencieuse. Insondable. Désormais, sa vie se jouerait ailleurs.

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rdepuydt
Posté le 31/05/2025
le chapitre 2 est dans la continuité du premier. Tu pose le cadre avec des détails très fins et très immersifs. Le dialogue est peut-être un peu trop "attendu", "trop protocolaire" il vient rompre la description et l'introspection mais reste un peu en surface, il est un peu en dessous du reste selon moi mais en dehors de ça c'est vraiment top!
Maëlys
Posté le 24/05/2025
Coucou,
C'est toujours aussi fluide et beau à lire. Ce n'est pas un chapitre plein d'actions mais il nous en apprend un peu plus sur Kaelis. Je trouve que ça aurait été bien d'inclure un petit dialogue (flashback) entre les deux époux, qui montre que le mari ne souhaite pas consommer l'union, ça peut permettre de le présenter un peu plus. Sinon j'ai hâte de savoir comment Kaelis va s'adapter à sa nouvelle vie, quel rôle elle va jouer...
A très vite !
Eyram
Posté le 25/05/2025
Coucou, merci pour ton commentaire, je prends bien note de tes remarques !
Elly
Posté le 10/05/2025
Je prends vraiment plaisir à lire, tu arrives à bien retranscrire les sentiments de Kaelis car on compatis vraiment avec elle. Les descriptions sont belles et j'ai trouvé que le moment entre la mère et la fille en disait beaucoup malgré sa brièveté, ce qui est très fort.
Eyram
Posté le 10/05/2025
Merci beaucoup pour tes différents commentaires, je suis contente que le début te plaise !
Mattarya
Posté le 02/05/2025
Bonnes descriptions. On sent la nostalgie de Kaelis.
Son arrivée dans l'autre royaume promet....
On ne peut que se poser des questions, sur le déroulement à venir.
Eyram
Posté le 02/05/2025
Merci pour ton commentaire ! J'espère que la suite te plaira.
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