En arrivant au palais de son époux, Kaelis fut immédiatement frappée par le contraste qu'il formait avec sa demeure natale. Là où le palais Solmire s'élevait dans la lumière, baigné de transparence et de clarté, celui de la Maison Velmarn semblait émaner d'un crépuscule éternel. Ce n'était pas un lieu froid - c'était un lieu silencieux, chargé de présence, habité par une magie qui ne cherchait pas à briller, mais à envelopper.
Le carrosse s'arrêta devant une cour intérieure pavée de pierres sombres aux reflets violets, miroitantes comme des ailes de corbeau. De hautes lanternes de verre fumé diffusaient une lumière douce et mouvante, entre le bleu pâle et le gris perle. Les murs, construits en blocs d'obsidienne veloutée, semblaient absorber les bruits, laissant flotter dans l'air une impression d'intimité presque surnaturelle. Autour de la cour, des arches élancées formaient un écrin élégant, leurs lignes dessinant des motifs secrets à peine perceptibles. Les vitraux, dans des teintes d'améthyste et d'encre, diffusaient des halos colorés qui jouaient doucement sur les dalles. Même les statues anciennes qui bordaient l'entrée - des silhouettes drapées de capes de pierre - semblaient garder des secrets, non pas avec menace, mais avec cette gravité bienveillante que l'on prête aux gardiens silencieux.
Ce lieu n'était pas froid. Il était feutré, introspectif, comme une pensée qu'on aurait sculptée dans la pierre. Et pourtant, en descendant du carrosse, Kaelis eut un mouvement de recul presque imperceptible. Elle se demanda si elle pourrait s'habituer à cet endroit. Si, un jour, elle pourrait s'y sentir chez elle.
Le palais n'était pas dénué de beauté. Bien au contraire. Il portait une élégance discrète, raffinée, presque confidentielle. Mais tout ici semblait chargé, comme si les murs murmuraient des choses que l'on n'était pas censé entendre. Cela n'avait pourtant rien d'étonnant. La Maison Velmarn était la Maison des Ombres. Sa magie, ancienne et subtile, reposait sur les forces invisibles : le contrôle mental, l'influence, les illusions, l'effacement de la vérité. Les Velmarn n'élevaient pas des flammes. Ils éteignaient les certitudes. Leur pouvoir agissait dans les regards, dans les silences, dans les rêves. Ils savaient voir sans être vus, tordre une pensée, suggérer une émotion sans jamais la nommer. Dans les hautes sphères de l'Empire, on les redoutait autant qu'on les écoutait.
Kaelis n'ignorait rien de cette magie. Elle l'avait étudiée, observée, décryptée. Elle savait qu'ici, dans ce palais, le danger n'était pas fait de lames, mais de sourires, de rumeurs et de sorts qui n'avaient besoin d'aucun mot pour frapper. Elle savait qu'elle était une étrangère. Et que, même préparée, elle pouvait se laisser surprendre.
La haute porte du palais s'ouvrit sans bruit. Deux silhouettes encapuchonnées s'inclinèrent sans prononcer un mot. Un majordome à la voix grave lui souhaita la bienvenue avec une formule courte, puis la guida à travers un long couloir tendu de tapis en velours brodés de fil d'argent.
Le silence régnait. Les serviteurs glissaient dans les ombres comme des spectres bienveillants. Kaelis avançait lentement, entourée de pierre sombre, de verreries teintées, de boiseries sculptées représentant des scènes qu'elle ne reconnaissait pas - des silhouettes sans visage, des masques ailés, des visages fendus en deux. Son escorte la mena jusqu'à ses appartements privés. Ici, comme dans toutes les grandes Maisons, les époux vivaient séparément, chacun ayant ses propres quartiers.
Une fois seule, Kaelis se laissa tomber sur le bord du lit. La chambre était vaste mais enveloppante. Le plafond voûté, traversé de nervures noires, laissait filtrer la lumière d'un puits de verre opalescent. Les tentures, d'un bleu nuit profond, tombaient jusqu'au sol. Le mobilier était d'un bois clair, sobrement orné, et tout ici respirait le secret et la retenue. Quelques chandelles projetaient une lumière douce sur les murs, et l'air était imprégné d'un parfum subtil - entre la myrrhe et le bois de cèdre.
Elle était épuisée. Les festivités, les tensions, le voyage, tout pesait sur ses épaules. Elle pris pourtant le courage de se lever, et défit lentement les attaches de sa robe de voyage pour enfiler la tenue que l'on avait préparée pour elle : une robe longue et ajustée aux reflets d'acier et d'encre, orné discrètement de la branche stylisée des Velmarn, faite d'un tissu sombre qui changeait de teinte selon la lumière. Les couleurs de sa nouvelle Maison.
Elle noua ses cheveux en une tresse haute, prit une inspiration, puis jeta un dernier regard dans le miroir. Son reflet lui sembla différent. Plus distant. Comme si la lumière elle-même s'était tenue à l'écart de son visage. Elle redressa les épaules. Vaeren l'attendait sans doute.
Et elle ne comptait pas lui donner la moindre raison de penser qu'elle était perdue.
Kaelis descendit les marches de marbre noir dans un silence feutré. Une atmosphère solennelle imprégnait les couloirs, comme si le palais tout entier retenait son souffle, dans l'attente de son premier mot, de sa première présence assumée.
Au bas de l'escalier, trois servantes l'attendaient. Toutes portaient des robes longues et sobres, dans des tons de cendre et d'encre, avec un voile léger recouvrant partiellement leur chevelure. Leurs gestes étaient calmes, précis, presque chorégraphiés, et leurs visages ne trahissaient aucune émotion. Pourtant, l'une d'elles - la plus jeune - osa brièvement croiser son regard avec une curiosité à peine dissimulée.
Sans un mot, Kaelis fut escortée à travers les couloirs jusqu'à la Salle du Trône. La pièce, vaste et majestueuse, s'ouvrait sous une coupole haute soutenue par des colonnes d'onyx veiné de lumière dorée. Les murs, drapés de tentures profondes aux broderies d'argent, étaient éclairés par des verrières teintées aux nuances d'ambre et de bleu, qui diffusaient une clarté douce et changeante, comme si le jour lui-même hésitait à s'y poser. Le trône, légèrement surélevé sur un large socle rectangulaire, se dressait au fond de la salle, aux côtés duquel se trouvait un second fauteuil aux armoiries stylisées. Tout ici inspirait l'ordre et le calme. C'était un lieu de pouvoir, certes, mais aussi de beauté discrète, aux accents de cérémonial ancien.
C'est là que se tenait Vaeren Velmarn. Kaelis fut saisie malgré elle par la prestance de son époux. Debout à côté du trône, il dominait la salle de sa haute stature. Il était grand, musclé sans ostentation, parfaitement droit dans sa posture, comme taillé dans un marbre vivant. Ses cheveux noirs, souples et soigneusement coiffés, encadraient son visage avec une élégante sobriété, contrastant vivement avec la pâleur noble de sa peau. Mais c'étaient ses yeux, d'un bleu nuit profond, presque minéral, qui attiraient le regard. Ils semblaient capter la lumière sans la rendre, mystérieux, impassibles. Il y avait en lui quelque chose d'intimidant, certes, mais aussi une forme de charme naturel, presque involontaire, qui émanait de sa présence. Une aura tranquille, assurée, dont Kaelis ne pouvait nier l'effet.
De part et d'autre, ses parents. D'autres personnes se tenaient en retrait, debout, immobiles - sans doute des conseillers, des mages de cour ou des figures de la Maison qu'elle ne connaissait pas encore.
Kaelis avança pas à pas jusqu'à se trouver à quelques mètres du trône.
- Soyez la bienvenue dans le Palais des Ombres, Kaelis, déclara Vaeren d'une voix posée. J'espère que vous trouverez en cette demeure un foyer accueillant. Vous êtes ici chez vous, désormais.
Ses mots étaient polis, presque chaleureux dans leur forme, mais sa voix demeurait distante, comme filtrée par une couche invisible de retenue. Kaelis les reçut avec une étrange sensation d'écho vide. À la droite du trône, Lady Seralyne Velmarn se tenait droite, le port noble, vêtue d'une robe pourpre aux reflets d'acier. Son visage, d'une beauté calme, portait les traces d'un âge élégant. Ses yeux, d'un bleu perçant, brillaient d'intelligence. Elle lui adressa un léger sourire, contenu mais sincère. À gauche, Lord Asteron Velmarn, grand et maigre, semblait taillé dans l'ombre elle-même. Il avait le regard profond et perçant, des traits marqués, sévères, mais curieusement paisibles. Son maintien était rigide, mais quelque chose dans ses yeux - peut-être une lueur d'intérêt, ou de bienveillance retenue - adoucissait sa présence.
Kaelis s'inclina avec une révérence maîtrisée, longue et gracieuse.
- Je remercie la Maison Velmarn de m'accueillir dans sa somptueuse demeure. J'espère m'en montrer digne.
- Cela ne fait aucun doute, répondit Lady Seralyne, avec un sourire plus franc. Vous n'étiez pas encore née que vos très chers parents étaient déjà amis de notre famille. L'Empire tout entier sait ce que vous valez, très chère Kaelis. Nous espérons que vous vous épanouirez dans cette nouvelle vie.
Les salutations achevées, Vaeren se leva, puis lui tendit la main pour l'inviter à le suivre. Il entreprit de lui faire visiter le palais. Les deux époux traversèrent de longs couloirs silencieux, bordés de tableaux représentant les grands noms de la lignée Velmarn. Kaelis découvrit des jardins intérieurs bercés de brumes enchantées, un observatoire circulaire où flottaient lentement des orbes de lumière noire, et des salles d'étude éclairées par des chandelles sans flamme. L'ensemble du palais formait un labyrinthe harmonieux, à la fois sobre et fascinant, où chaque salle semblait cacher un sens ou une intention.
Alors que la visite touchait à sa fin, Vaeren s'arrêta devant un couloir exigu, presque invisible.
- Par ici, dit-il simplement.
Kaelis le suivit. Le couloir était bas de plafond, sinueux, éclairé uniquement par de petites lanternes suspendues qui projetaient des motifs mouvants sur les murs. Elle s'attendait à une pièce discrète, peut-être un cabinet de travail secret.
Mais en franchissant la porte au bout du couloir, elle fut saisie. Une vaste pièce s'ouvrait devant elle, plus haute que toutes celles qu'elle avait vues jusqu'ici. Au centre, une table massive en bois noir trônait, encerclée de chaises hautes gravées de runes anciennes. Tout autour, des étagères colossales formaient une spirale de savoir - une bibliothèque vivante, apparemment sans murs. Les rayonnages montaient jusqu'au plafond voûté, et semblaient ne jamais finir. Les livres étaient rangés avec soin, reliés de cuir sombre, marqués de symboles inconnus. Mais ce n'était pas leur nombre qui la troubla.
Des ombres flottaient entre les rayons.
Fines, mouvantes, à peine perceptibles, elles glissaient doucement d'un coin à l'autre, comme des fragments d'âme ou de pensée. Parfois, l'une d'elles s'arrêtait, semblait s'incliner, puis repartait. L'air vibrait d'une énergie ancienne, douce mais dense, comme si chaque souffle ici contenait une voix chuchotée. Kaelis se sentit observée. Pas avec hostilité, mais avec curiosité.
- Cette bibliothèque est un peu particulière, expliqua Vaeren. Elle renferme tous les ouvrages et toutes les archives concernant les origines de la magie des Velmarn, ses sortilèges les plus puissants, ses failles aussi. Tout ce qu'il est possible de connaître sur notre magie se trouve ici. C'est un endroit que peu de personnes connaissent. Vous êtes une Velmarn désormais. Même si la magie des Ombres ne coule pas dans vos veines, cet endroit vous appartient également.
Il fit une pause, la regarda.
- Mais je préfère vous prévenir : les ombres qui vivent ici peuvent être capricieuses. Vous ne pourrez vous aventurer dans ces rayons que si vous vous y présentez avec de bonnes intentions. Elles le sentent. Elles choisissent ce qu'elles acceptent de révéler.
Kaelis observa les ombres silencieuses onduler entre les livres. Elle se demanda pourquoi il avait tenu à lui montrer cette pièce dès son premier jour. Un lieu si secret, si intime… Était-ce un geste sincère ? Ou bien était-il en train de la tester ? Elle se souvint alors de ce que son père lui avait dit avant son départ : "Les Velmarn ne frappent jamais fort, mais toujours juste. Ce sont des ombres patientes. Et les ombres finissent toujours par entourer ce qu'elles observent."
- Cette pièce est magnifique, murmura-t-elle. Et ses mots étaient sincères. Je vous remercie de me l'avoir montrée.
- Vous êtes mon épouse désormais, et donc mon égale, répondit Vaeren. Je tiens réellement à ce que notre union fonctionne. Je sais ce que nos deux Maisons réunies sont capables d'accomplir.
Kaelis perçut dans sa voix une volonté réelle… mais pas d'affection. C'était une profession de foi politique, une alliance pensée comme un édifice à bâtir. Il n'y avait pas de place, encore, pour la tendresse. Elle le regarda droit dans les yeux et acquiesça doucement. Elle avait compris.
- Vous devriez aller vous reposer, ajouta-t-il. L'Éveil du Sang aura lieu dans une semaine. Il faut que vous soyez prête.
Kaelis sentit une tension sourde lui nouer le ventre à l'évocation du rituel - ce moment aussi attendu que redouté. Elle savait ce qu'il représentait pour sa lignée, pour son nom, pour l'Empire. On l'y avait préparée toute sa vie.
Elle s'inclina une dernière fois et quitta la pièce, les ombres silencieuses à ses talons.
Ce chapitre a de jolies descriptions et ça le rends agréable à lire. J'ai cependant quelques réserves sur les chapitres précédents dans lesquelles il y a peu d'action et beaucoup d'explosions, alors que l'histoire est très compréhensible sans. Peut être serait il plus intéressant de rentrer dans le vif du sujet plus tôt ?
C'est vrai que les premiers chapitres sont assez descriptifs, je voulais vraiment prendre le temps de planter le décor, de permettre au lecteur de se mettre dans une ambiance, d'autant plus que les chapitres sont assez courts. L'action commence surtout à partir des Chapitres 8 et suivants. Mais je prends en compte ton commentaire car c'est l'avis du lecteur qui compte ! Merci beaucoup ! ^^
Je vois ce que tu veux dire. Je suis plus de la team "on plante le décors au fur et à mesure de l'histoire". Le risque que tu prends avec ta manière de faire (et c'est un avis personnel, fait en ce que tu veux je ne pense pas avoir la science parfaite), c'est que le lecteurs risquent de décrocher assez rapidement.