Ils descendirent vers la piscine vers neuf heures. Le soleil frappait déjà les dalles blanches, et une légère brume de chaleur flottait sur le sol. Le Thalassa Club s’éveillait lentement : quelques couples sirotaient un café sous les parasols, des enfants jouaient dans les fontaines du jardin central. Mais l’espace semblait toujours vaste, silencieux, comme s’il avait été construit pour les protéger du monde.
Lila portait un maillot une pièce couleur sable, élégant, presque antique, avec une longue chemise d’homme ouverte par-dessus. Maxime était torse nu, en short, une serviette roulée sous le bras. Ils marchaient pieds nus sur les lattes en bois, jusqu’à un lit balinais dissimulé sous une toile de lin.
— On dirait un autel grec, murmura Lila en s’y allongeant.
— Alors je vais t’y sacrifier, souffla Maxime en posant ses lèvres sur sa clavicule.
Elle rit, le repoussa doucement.
— Sacrifie-moi au petit déjeuner d’abord.
Il revint quelques minutes plus tard avec deux assiettes : salade de pastèque et feta, yaourt au miel, abricots grillés. Deux smoothies vert pâle dans des verres givrés. Il s’allongea à ses côtés.
— C’est ridicule, dit-elle en croquant dans un fruit. Comment ça peut exister, un endroit pareil ?
— On est peut-être morts, tu sais. Une sorte de paradis pour jeunes gens sexys et méritants.
— Tu mérites rien, Pierre Niney du pauvre.
— Tu m’aimes quand même.
— Je suis faible.
Il mordit dans son abricot, pensif.
— Tu crois qu’on peut bronzer en paix ici sans se faire hanter par nos dettes étudiantes ?
— Je pense qu’on a deux jours avant que mon banquier retrouve l’île.
Ils rirent, puis s’embrassèrent longuement.
Vers midi, ils se rendirent au spa.
Un couloir de pierre fraîche, une réceptionniste au regard doux, des linges roulés comme des rouleaux de soie. Ils se laissèrent guider dans une salle voûtée, parfumée à la cardamome et au romarin. Une lumière dorée filtrait à travers une coupole de verre.
On les allongea côte à côte, séparés par un rideau fin.
— On se retrouve de l’autre côté, dit Maxime en glissant sa main sous le rideau.
— Tu vas pas t’en sortir aussi vite, répondit Lila en l’attrapant du bout des doigts.
Le massage fut lent, enveloppant, presque hypnotique. Lila se laissa totalement faire, bercée par la chaleur de l’huile et le chant d’un bol tibétain qu’on faisait résonner à intervalles réguliers. Quand elle rouvrit les yeux, Maxime était déjà assis au bord de la table, les cheveux en bataille, l’air complètement défait.
— J’ai vu Dieu, je crois, dit-il.
— Moi j’ai vu une lumière blanche et mon dernier cours de biochimie.
Ils rirent. Puis passèrent au hammam, où ils restèrent blottis l’un contre l’autre dans la vapeur brûlante, traçant des mots invisibles sur leurs épaules mouillées.
À quatorze heures tapantes, ils rejoignirent le petit ponton au bout du domaine. Une vedette blanche les attendait, moteur ronronnant doucement. Un jeune homme aux cheveux très blonds leur tendit la main, sans un mot. Il portait une casquette beige, un short, et un sourire discret.
— Il ne parle pas ? chuchota Lila.
— Ça me va. Je veux qu’on soit seuls au monde.
Le bateau quitta le port, glissant sur l’eau turquoise comme un rêve. La mer était lisse, presque irréelle. Le vent faisait voler les cheveux de Lila, ses yeux plissés de soleil. Maxime la regardait, accoudé au bastingage, le sel sur la peau, le cœur dilaté.
— J’ai l’impression de jouer dans un film, dit-elle.
— Moi j’ai l’impression d’en réaliser un.
Ils longèrent des falaises blanches, sculptées par le temps. À certains endroits, la roche s’ouvrait en grottes profondes. Des oiseaux marins volaient en cercle, criant dans l’écho. Après une vingtaine de minutes, le skipper arrêta le moteur. Ils étaient face à une crique invisible depuis la côte. Le sable était presque rose, la mer incroyablement limpide. Aucun autre bateau. Aucun bruit, sinon le ressac et quelques insectes.
— C’est là, dit simplement le blond.
Il leur tendit des masques et un sac étanche, puis s’allongea à l’ombre de la cabine, les laissant libres.
Lila sauta la première. Un cri de joie. L’eau était fraîche, vivifiante, parfaite. Maxime plongea à son tour. Ils nagèrent longtemps, main dans la main, glissant dans l’eau comme deux animaux sans poids. Maxime plongeait en apnée, refaisant surface sous les jambes de Lila pour la faire rire. Elle imitait les poissons, secouant ses hanches avec des gestes de sirène malicieuse.
Le soleil frappait fort, mais l’eau les protégeait. Ils se laissaient porter par le courant léger, flottant à la surface, les yeux fermés, leurs corps presque collés.
— Si je reste là assez longtemps, murmura Lila, je crois que je vais disparaître.
— Alors attends-moi, répondit Maxime.
Ils s’embrassèrent, dans l’eau salée, avec la maladresse humide de ceux qui s’aiment trop fort pour calculer.
Le skipper les ramena au club vers 17h. Ils marchèrent pieds nus jusqu’à leur chambre, trempés, éclatants, bronzés d’un jour. Maxime portait le sac étanche sur une épaule. Lila portait la chemise de Maxime et rien d’autre.
Une douche rapide. Ils s’arrosèrent comme deux enfants, debout sous la pluie chaude, s’embrassant entre deux éclats de rire. Lila se maquilla à moitié — juste un peu de mascara, un peu de gloss. Maxime passa une chemise beige et un pantalon léger. Elle opta pour une robe bleue marine, fluide, qui laissait son dos nu.
Vers 19h30, ils descendirent dîner.
Ce soir-là, le restaurant proposait un buffet méditerranéen sur la grande terrasse. Les tables étaient dressées sous des lanternes suspendues, et un trio de musiciens jouait du bouzouki.
Ils s’installèrent dans un coin un peu à l’écart, face à la mer assombrie. Des assiettes de mezze défilaient : dolmas, tzatziki, pain chaud, calamars grillés, tomates confites, halloumi croustillant.
— J’ai envie de manger tout ce qu’il y a sur cette table et de faire l’amour après, dit Lila en mordant dans une brochette.
— Dans cet ordre ?
— Dans les deux sens.
Il lui versa un verre de vin blanc.
— Tu veux faire quoi après ?
Elle le regarda, un éclat dans les yeux.
— Tu t’en souviens, la crique dont on t’a parlé hier ?
— Celle qu’on peut rejoindre par le petit chemin, derrière les serres ?
— Oui. J’ai envie d’y aller. Maintenant qu’il fait nuit.
— T’es sûre que c’est une bonne idée ?
— Absolument pas.
Elle sourit. Il se leva.
— Dans ce cas, allons faire une très mauvaise idée.
Ils longèrent le jardin éclairé, passèrent par une porte discrète au fond du domaine, puis s’engagèrent sur le sentier de terre. La lune n’était pas encore levée, mais le ciel était clair, parsemé d’étoiles. Les cigales chantaient encore, mais plus lentement, comme si elles s’éteignaient doucement.
Le chemin serpentait entre des pins maigres et des herbes hautes. Lila tenait sa robe relevée d’une main, l’autre accrochée au bras de Maxime. Il éclairait le sol avec son téléphone.
— Tu crois qu’on va croiser des fantômes ? demanda-t-elle.
— Sûrement. Des Grecs morts d’amour.
— Parfait. Ils sont les bienvenus.
Ils rirent, doucement, pour ne pas déranger la nuit.
Après une dizaine de minutes, ils atteignirent l’escalier creusé dans la roche. En contrebas, la crique les attendait, exactement comme la veille — mais vide, silencieuse, profonde.
Le sable brillait légèrement sous la lumière diffuse des étoiles. La mer était d’huile, noire et miroitante. Lila se déshabilla sans dire un mot. Elle enleva ses sandales, fit glisser sa robe. Nue, elle courut jusqu’à l’eau.
— Viens ! cria-t-elle en se retournant.
Maxime la regarda une seconde. La beauté du moment lui coupa presque le souffle. Puis il la rejoignit. Ils plongèrent ensemble. L’eau était tiède, plus douce encore que dans leurs souvenirs de la veille. Le sable sous leurs pieds s’enfonçait à chaque pas, comme s’il voulait les avaler lentement. Autour d’eux, le monde semblait suspendu. Les rochers formaient un cercle protecteur, et au-dessus, les étoiles s’étaient rapprochées.
Maxime nageait à reculons, ses yeux fixés sur elle. Lila avançait dans l’eau, nue, les bras ouverts, laissant les vaguelettes lécher sa peau. La lueur des astres dessinait des éclats d’argent sur ses épaules, ses seins, ses hanches. Elle souriait, mais d’un sourire calme, profond, presque ancien. Il ne l’avait jamais vue aussi belle.
— Tu crois que quelqu’un peut nous voir ? chuchota-t-elle.
— J’espère que non, dit-il. Je veux que ce soit rien que pour moi.
Elle s’approcha de lui, lentement. Leurs corps se frôlèrent à peine, juste assez pour déclencher une onde.
— Touche-moi, dit-elle simplement.
Il posa ses mains sur ses hanches, les pouces sous l’eau, les doigts glissant lentement vers son dos. Elle passa ses bras autour de sa nuque. Il sentit son cœur battre contre sa poitrine, régulier, puissant, vivant. Elle s’agrippa à lui, les jambes entourant sa taille. L’eau montait jusqu’à leurs côtes. Il la portait sans effort, immergé jusqu’aux hanches. Elle guida son bassin contre le sien, cherchant l’angle, cherchant la chaleur, cherchant lui. Quand il entra en elle, un gémissement doux lui échappa, étouffé contre son cou.
Ils restèrent immobiles quelques secondes. Juste liés. Juste là. Juste eux.
Puis ils commencèrent à bouger. Lentement, comme poussés par la mer. L’eau se faisait complice, berçant leurs gestes, amortissant tout sauf l’intensité. Chaque va-et-vient déclenchait une petite vague autour d’eux, des cercles se propageant vers les rochers. Maxime ferma les yeux. Il voulait graver cette sensation. Cette chaleur humide, cette odeur de sel et de peau, cette présence absolue contre lui.
Lila haletait à peine, sa joue contre son épaule. Elle murmurait des mots, incompréhensibles. Peut-être son prénom. Peut-être rien. Il la serra plus fort. Ses doigts s’enfonçaient doucement dans la courbe de son dos. Elle s’arqua, tendue, ses cheveux dégoulinant entre ses omoplates.
— Encore, souffla-t-elle. Encore un peu.
Il obéit. Ils s’abandonnèrent ensemble, sans cri, sans spasme brutal. Une jouissance lente, diluée, comme si leur plaisir fondait dans la mer, dans la nuit, dans les étoiles.
Ils restèrent ainsi, un long moment. Collés. Le front contre le front. Respirant l’un dans l’autre.
Puis Lila éclata de rire.
— On vient littéralement de faire l’amour dans un tableau de Sorolla.
— Ou dans un rêve érotique d’un dieu grec.
— Je suis Aphrodite, décréta-t-elle.
— Je suis ton mortel favori.
Elle s’échappa de ses bras d’un bond, plongea, remonta plus loin.
— Attrape-moi, si tu peux, lança-t-elle.
Il plongea à son tour. La nuit ne faisait plus peur. Elle était à eux.