Chapitre 2

   Ma grand-mère, on l'appelle Néma. Sa maison est la deuxième que j'ai connue. C'était aussi celle de mon grand-père, mais il est décédé alors je préfère dire que c'est celle de ma grand-mère maintenant. Il occupait une grande place dans cette maison, il avait créé un immense potager. Il est tombé en ruine lorsqu'il s'en est allé. Il s'agit d'une immense maison précédée de fleurs. À l'intérieur, tout est très clair et lumineux parce que ma grand-mère déteste les lieux sombres. Il y a une petite cuisine blanche décorée de papier peint fleuri. À côté, se dresse le salon, une immense pièce peinte en rouge et orange. Elle est habillée d'un impressionnant canapé rouge, et d'une multitude de bibelots. De grandes portes-fenêtres laissent passer les rayons du soleil. Proche du salon se trouve un immense couloir où sont rangées les chambres les unes à côté des autres. Elles sont toutes vêtues d'une décoration plutôt épurée, sauf la chambre des enfants. Dans cette chambre sont regroupées les montagnes de photos de famille, surtout des enfants. Toutes sont entourées par un cadre rouge. Au bout de ces chambres, il y a un escalier en béton très pentu. Ma grand-mère a tout le temps peur qu'on tombe dans ces escaliers, à chaque fois que l'on y passe elle dit « attention à ne pas tomber ! » Ces escaliers mènent au garage. Ici, mon grand-père avait fabriqué un grand établi avec tous ses outils rangés par taille, il était très minutieux. Si on lui empruntait un outil, il fallait veiller à le remettre à sa place, au risque de l'énerver. Le charme de cette maison est l'immense jardin qui l'entoure. Mes grands-parents ont donné toute leur vie pour entretenir leurs fleurs et les arbustes qu'ils ont plantés. Cette maison est une fleur gigantesque dans laquelle je me suis réfugiée tout au long de ma vie, un peu comme l'endroit secret des films où le personnage principal va pour réfléchir à sa vie. J'ai passé toutes mes vacances là-bas avec ma sœur et le reste de ma famille. Quand j'y vais, j'ai l'impression d'être à ma place, comme si c'était là que je devais être. Ce sont les empreintes de tous les sourires et de tous les rires des générations qui ont fait partie de ma famille. Quand j'étais plus petite, nous fêtions toujours Pâques ici, et même si on n'en parlait pas vraiment, on savait que c'était ici que nous fêterions Pâques. La vie est douce là-bas, cette maison s'empare de toute la tristesse de notre cœur et la transforme en joie. À mes yeux, elle ne vieillira jamais. J'ai vingt ans et j'ai l'impression que rien n'a changé, la maison n'a pas pris une seule ride. Nous ne voyons pas la maison vieillir, au contraire, ma grand-mère la remaquille de temps en temps. En revanche, elle, a vu toute ma famille grandir et changer. Elle a connu même ceux qui ne sont plus là. J'adore y aller parce que j'ai l'impression que l'âme de ceux qui nous ont quittés rôde toujours entre ses murs, un peu comme des souvenirs vagabonds. 

 

    Avant que mon grand-père ne décède, toutes les fêtes de famille se passaient dans cette maison. Ma grand-mère, Néma mettait toujours le sapin exactement au même endroit, un sapin en bois, elle dit que comme ça, il n'y a pas d'épines qui salissent le sol. Au début je n'aimais pas tellement cet arbre de Noël, et puis j'ai commencé à y prendre goût quand j'ai compris que ce sapin représentait cette maison. 

 

   Quand j'étais plus jeune on organisait toujours les fêtes d'anniversaire là-bas, celles des enfants comme des adultes. Se rassembler dans cette maison c'était comme se dire qu'on s'aimait sans avoir besoin de prononcer un seul mot. On était tous présents et c'était la seule chose qui comptait. 

 

    Cela fait quelques années que la famille s'est plus ou moins éloignée, et ces moments n'existent plus. Mais en novembre dernier, j'ai eu vingt ans, et pour mon plus grand bonheur nous fêtâmes mon anniversaire ici, tous ensemble. Ce jour-là j'ai pleuré. Peut-être parce que j'avais vingt ans, peut-être parce que j'étais heureuse, mais surtout parce que le plus beau cadeau que j'ai reçu c'était de voir ma famille à nouveau réunie. On avait tous nos problèmes, mais parce qu'on était là, ils se sont tous effacés et il ne restait plus que nous, et les souvenirs qu'on était en train de fabriquer.

 

     Cette maison est un peu comme celle dans laquelle j'ai grandi, la tristesse en moins. Elle est douce et solaire. J'ai l'impression qu'elle me sourit à chaque fois que je la vois. Je pense que c'est un de mes endroits préférés ; il agit comme un cocon, chaque parcelle du jardin est profondément douce et confortable. 

 

    Il m'arrive parfois de penser que quand ma grand-mère ne sera plus là, et tout le chapitre de mon enfance qui se refermera avec cette maison totalement avalée par les pages. Ce jour-là, quelque chose en moi se brisera, et tout le reste de ma vie ne pourra jamais réparer cette cassure en moi.

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