Chapitre 2

L’après-midi passa dans un calme trompeur. Lyran avait essayé de se concentrer sur les parchemins que Maître Oran lui avait laissés : des instructions sur la manière d’interagir avec les citoyens, de détecter un souvenir altéré et les protocoles à suivre en cas d’urgence. Pourtant, son esprit revenait sans cesse à cette sensation étrange qu’il avait eue en touchant l’Arbre. Était-ce simplement l’appréhension du premier jour ?

En fin de journée, alors que le soleil déclinait, Lyran décida de sortir pour explorer le Sanctuaire. Les ombres des grandes colonnes de pierre s’allongeaient sur le sol pavé et le murmure du vent dans les branches de l’Arbre résonnait comme un chant ancien. Il croisa un autre gardien, une femme d’âge mûr portant une tunique verte ornée d’un symbole argenté.

— Tu es notre nouvelle recrue, n’est-ce pas ? demanda-t-elle avec un sourire accueillant.

— Oui, je m’appelle Lyran.

— Je suis Gardienne Celia. Bienvenue parmi nous. Alors, comment s’est passé ta première journée ?

Lyran hésita avant de répondre :

— C’était incroyable… mais…

Celia haussa un sourcil, attentive.

— Mais quoi ?

Il baissa la voix, jetant un regarde autour de lui comme s’il craignait d’être entendu.

— Quand j’ai touché l’Arbre avec le cristal, j’ai ressenti… quelque chose. Comme un frisson, ou une sorte de froid. Est-ce normal ?

Le sourire de Celia s’effaça légèrement. Elle sembla peser ses mots avant de répondre.

— L’Arbre est… complexe. Chaque gardien ressent les choses différemment. Mais ce que tu décris… Je te conseille d’en parler avec Maître Oran.

— Pensez-vous que c’est grave ?

— Rien n’est jamais grave tant qu’on agit avec sagesse et discernement. Ne laisse pas le doute t’envahir.

Avec un sourire réconfortant, elle s’éloigna, laissant Lyran seul avec ses pensées.

Le lendemain matin, Lyran rejoignit Maître Oran dans la salle des archives, un vaste espace creusé sous le Sanctuaire, où des rangées interminables de cristaux reposaient sur des étagères. Chaque cristal contenait un souvenir préservé, une vie figée dans le temps.

— Aujourd’hui nous allons examiner des souvenirs anciens, annonça Oran. C’est une tâche cruciale car même les souvenirs confiés depuis des siècles doivent être vérifiés régulièrement.

Ils commencèrent leur travail en silence. Lyran manipulait chaque cristal avec précaution, écoutant les murmures des souvenirs qu’ils contenaient. Pourtant, au bout d’une heure, quelque chose attira son attention. Un cristal, posé à l’écart des autres, brillait faiblement, presque éteint. Intrigué, Lyran le prit et observa la lumière vacillante.

— Maître Oran, regardez ça, dit-il en tendant le cristal.

Le visage du vieil homme se durcit lorsqu’il le prit entre ses mains.

— Cela arrive parfois, murmura-t-il. Un souvenir peut s’effacer si l’Arbre ne parvient pas à le maintenir.

— Pourquoi ? demanda Lyran, inquiet.

— Les raisons sont multiples. Parfois, c’est parce que le souvenir est trop vieux. Parfois… c’est un signe que l’Arbre lui-même faiblit.

Lyran sentit son estomac se nouer.

—Faiblir ? Mais l’Arbre est éternel non ?

Oran détourna le regard, l’air grave.

— Rien n’est éternel, Lyran. Pas même l’Arbre.

Les jours suivants, Lyran ne pouvait s’empêcher de remarquer d’autres anomalies : des cristaux qui s’éteignaient, des feuilles de l’Arbre tombant au sol, ternes et dépourvues de lumière. Lorsqu’il tente d’interroger les autres gardiens, ils semblaient mal à l’aise, esquivant ses questions ou le revoyant à Oran. Un soir, alors qu’il errait seul près de l’Arbre, il vit une chose étrange. Une lumière, différente des autres, semblait pulser faiblement au cœur du tronc. Curieux, il s’approcha, tendant la main vers l’écorce.

Un vision le frappa de plein fouet. Il se vit, plus vieux, portant la même tenue de gardien, le visage marqué par le temps. L’Arbre derrière lui était différent : ses branches étaient dégarnies, presque mortes. Des cristaux brisés jonchaient le sol.

Lyran recula, le souffle court et le cœur battant à tout rompre. Que venait-il de voir ? Était-ce une illusion ? Une prophétie ? Il se mit en quête de Maître Oran afin de lui faire part de sa découverte, mais en traversant le Sanctuaire, il entendit des éclats de voix provenant de la salle des archives. Il s’arrêta net et se cacha dans un petit renfoncement derrière une colonne de marbre.

— Nous devons lui dire ! s’exclamait une voix qu’il reconnut comme celle de Celia.

— Pas encore, répondit Oran d’un ton sévère. Il n’est pas prêt à entendre cela.

L’échange s’arrêta là. Maître Oran partit d’un pas rapide mais Celia ne le suivit pas tout de suite. Lyran la vit méditer quelques instants au milieu du couloir avant de s’en aller à son tour. Il serra les poings. Des centaines de questions l’assaillaient. Que lui cachaient-ils ? Et pourquoi l’Arbre semblait-il si fragile alors qu’il incarnait la mémoire et l’éternité ? Il se promit de découvrir la vérité, quoiqu’il en coûte.

A l’aube, Lyran retourna près de l’Arbre-Mémoire. Il attendit que la lumière matinale effleure ses branches pour s’approcher. La vision de la veille le hantait toujours. Il tendit une main hésitante vers l’écorce, espérant revivre cette connexion, mais rien ne se produisit. Il remarqua cependant une fissure dans le tronc, fine mais distincte. Une lumière pâle s’en échappait, différente de celle des feuilles ou des cristaux. Une lumière qui semblait… vivante. Un bruissement derrière lui le fit sursauter. C’était Celia.

— Que fais-tu ici si tôt, Lyran ? demanda-t-elle d’une voix calme où perçait un soupçon d’inquiétude.

Lyran hésita, mais se rappelant qu’elle souhaitait le mettre au courant des secrets de l’Arbre, il se dit qu’il pouvait lui faire confiance.

—Je veux comprendre ce qu’il se passe. L’Arbre faiblit, n’est-ce pas ? Et vous, les gardiens, vous le savez. Pourquoi personne ne parle de ça ?

Celia détourna le regard, visiblement troublée. Elle s’approcha de l’Arbre et posa une main sur l’écorce. Son visage était marqué par une profonde tristesse.

— Ce que tu vois Lyran, c’est un secret que peu d’entre nous osent affronter. L’Arbre faiblit, oui. Mais ce n’est pas un phénomène naturel.

Lyran sentit un frisson parcourir son échine.

— Pas naturel ? Que veux-tu dire ?

Celia hésita un long moment avant de répondre.

— Depuis des siècles, l’Arbre a survécu grâce à des sacrifices. Chaque gardien, à la fin de sa vie, choisit de fusionner avec l’Arbre, offrant ses souvenirs et son essence pour nourrir ses racines. C’est ainsi qu’il a perduré… jusqu’à maintenant.

Lyran sentit son cœur se serrer.

— Alors pourquoi faiblit-il encore ?

Celia ferma les yeux, comme si prononcer les mots était un fardeau insupportable.

— Parce qu’un gardien a brisé le cycle.

Lyran recula, choqué.

— Quoi ? Mais pourquoi aurait-il fait ça ?

— Personne ne sait exactement, murmura Celia. Mais il y a environ trente ans, un gardien a refusé de se sacrifier. Il a quitté le Sanctuaire, emportant avec lui une partie de la mémoire de l’Arbre. Depuis ce jour, il n’a cessé de faiblir.

Le silence retomba, lourd et pesant. Lyran sentait une colère sourde monter en lui.

— Alors, il suffirait de retrouver ce gardien pour réparer ce qui a été fait, n’est-ce pas ?

Celia lui lança un regard empli de tristesse.

— Ce n’est pas si simple. Le gardien disparu, Maeril, était l’un des plus puissants que l’Ordre n’ait jamais connus. Mais sa décision a brisé la confiance entre l’Arbre et les gardiens. Et même si nous le retrouvions, rien ne garantit qu’il accepte de revenir.

Lyran baissa les yeux quelques instants afin de réfléchir. Une seule alternative s’imposait. Il releva la tête, déterminé.

— Alors je le retrouverai. Je ne peux pas rester là à regarder l’Arbre mourir. Si personne ne fait rien alors tout sera perdu.

Celia lui prit les mains et les serra doucement.

— Réfléchis bien, Lyran. Ce chemin est dangereux, et tu devras affronter des vérités qui pourraient te briser.

Mais Lyran savait déjà ce qu’il devait faire.

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