Quelques jours plus tard, Lyran quitta le Sanctuaire à l’aube, armé d’un simple bâton de voyage et de quelques provisions. Celia lui avait donné le nom d’une ville lointaine où Maeril avait été aperçu pour la dernière fois mais il savait que le retrouver ne serait pas chose facile. Son voyage l’amena à travers des paysages aussi variés que grandioses : des collines baignées de lumière dorée, des forêts denses où le silence semblait peser, et des villages où les habitants parlaient à voix basse de légendes oubliées. À mesure qu’il avançait, il sentit l’influence de l’Arbre s’affaiblir. Les souvenirs qu’il portait, si clairs dans le Sanctuaire, semblaient moins distincts, comme s’ils s’effaçaient petit à petit. Était-ce un effet de la distance, ou un signe que l’Arbre s’éteignait plus vite qu’il ne l’avait imaginé ?
Lyran arriva enfin dans la ville que Celia lui avait indiquée. Elle se trouvait au cœur d’une forêt de sapins, l’odeur de la pinède flottait dans les airs. La ville n’était pas très grande mais elle était très animée. Lyran passa devant de nombreuses échoppes et quelques commerçants le hélaient pour lui faire découvrir leurs marchandises. Ce fut l’occasion pour lui de mener son enquête afin de trouver Maeril. Il questionna les commerçants et les villageois pendant des heures puis les heures se transformèrent en jours. Personne n’avait entendu parler du gardien. Fatigué moralement et physiquement, il était allongé sur son lit dans l’auberge du village. Il n’arrivait pas à croire qu’il avait fait tout ce chemin pour rien. Il était pourtant tellement sûr de pouvoir le trouver et de pouvoir guérir l’Arbre. Mais il devait se rendre à l’évidence, Maeril avait bel et bien disparu. Résigné, il empaqueta ses affaires et descendit pour payer ses nuitées auprès de l’aubergiste. Il le remercia et reprit le chemin du Sanctuaire, la mort dans l’âme.
Une nuit, dans une taverne poussiéreuse non loin de la ville qu’il avait quitté peu de temps auparavant, il entendit parler d’un ermite vivant dans les montagnes au nord, un homme que certains appelaient le porteur des ombres. On disait qu’il connaissait des secrets sur la mémoire et qu’il refusait de parler à quiconque. Lyran sentit son cœur s’emballer. Était-ce Maeril ? Il suivit les indications des villageois et atteignit une grotte creusée dans la roche, où une lumière vacillante brillait. Il entra, prudemment, et trouva un homme assis près d’un feu. Son visage était marqué par les années, mais ses yeux, d’un bleu perçant, brillaient d’une étrange lueur.
— Qui es-tu, jeune homme, pour venir troubler ma solitude ? demanda l’ermite sans lever les yeux.
Lyran s’inclina légèrement.
— Je m’appelle Lyran. Je suis un gardien, et je viens pour comprendre pourquoi vous avez quitté le Sanctuaire.
Un rictus amer apparut sur le visage de l’homme.
— Voilà qui a le mérite d’être clair. Alors, ils t’ont envoyé pour me ramener, n’est-ce pas ?
— Non, répondit Lyran avec fermeté. Je ne suis pas là pour vous forcer à revenir. Mais l’Arbre faiblit. Si nous ne faisons rien, il mourra, et avec lui, les souvenirs de notre peuple.
L’ermite le fixa longuement, comme s’il cherchait à sonder son âme. Puis il détourna les yeux vers le feu.
— Et si l’Arbre méritait de mourir ?
Ces mots glacèrent Lyran.
— Que voulez-vous dire ? demanda-t-il, sa voix tremblante.
— L’Arbre est un piège, murmura Maeril. Un moyen de contrôler les souvenirs, de choisir ce qui doit être préservé et ce qui doit disparaître. Lorsque je l’ai compris, j’ai refusé de participer à cette mascarade.
Lyran sentit son monde vaciller. Était-il possible que l’Arbre ne soit pas le symbole de pureté qu’on lui avait décrit ?
Maeril se leva, s’approchant de lui avec un regard intense.
— Si tu veux comprendre la vérité, retourne au Sanctuaire et regarde au-delà des illusions. Mais sois prêt, garçon. Certains souvenirs doivent rester enfouis.
Lyran quitta la grotte le cœur lourd, les paroles de Maeril résonnant encore dans son esprit : « L’Arbre est un piège… Certains souvenirs doivent rester enfouis. »