Une sorcière de Hongoria tue cinq apprentis peintres
Le cœur explosé, les victimes ont été retrouvées dans l’enceinte d’une crypte où la meurtrière leur donnait rendez-vous. L’horreur dans toute sa laideur.
L’hypnotiseur
Un jeune sorcier de Hongoria hypnotise deux hommes de son quartier et les incite à se jeter de leur toiture.
Le roi de cœur
Le sorcier et tueur en série a enfin été capturé après trente ans de cavale. Demain, il n’y aura plus de vieillards baignant dans leur sang et dépouillé de leurs organes !
À bas les sorciers suppôts du chaos !
De nombreuses personnes en appellent à la tuerie de ces monstres aux pouvoirs malsains. Une marche revendiquant l’abolition de la magie est orchestrée dans la journée du 1er octobre 1901. Les milices anti-sorciers se multiplient.
J’analysais les articles dans le journal, la bouche de travers. En face de moi, ma petite-nièce en tenue de nuit. Elle ne savait que penser. Je l’avais trouvé quelques minutes plutôt, les bras croisés. Elle soupirait. Ses yeux passaient d’une émotion à une autre et son visage mettait en évidence sa frustration.
— Tu n’arrives pas à dormir ? avais-je demandé.
Elle avait secoué la tête avec une légère obsession à ne point quitter du regard le journal. Elle s’était crispée, avait gardé la pause pendant un long moment, comme figée par sa lecture.
La folie reprenait ses marques. Un vent de panique s’installait à nouveau à Francessia, comme quarante ans auparavant. Quand la chasse aux sorciers était bien plus sordide et que les gens en pleines démences entraient dans les maisons, tuant des familles entières pour de simple rumeur. Qui avait des comptes à rendre faisait courir le bruit qu’un tel était sorcier. Et la force des ragots détruisait tout sur son passage. Un souvenir ignoble se rappela à moi, levant sur ma peau un frisson de ténèbres. Je n’avais que douze ans, mon frère m’avait fait sortir de notre prison dorée de bourgeois. Nous étions allés chez un ami à lui, dans un quartier populaire, je découvrais un autre monde plus chaleureux, plus festif, mais en l’espace d’une soirée tout avait basculé et la joie qui régnait sur la grande tablée de voisins avait cédé sous des hurlements atroces. Deux familles avaient été accusées d’être nées sorcières, un groupe d’hommes et de femmes en blanc était arrivé et le sang avait coulé. Une bataille féroce s’était jouée sous mes yeux, des gens s’étaient battus m’entrainant dans leur agitation. Perdue entre la masse informe des corps rougis de colère, j’avais vu une fillette retirée des mains de son père et transportée de bras en bras pour disparaitre. On avait mis une corde au cou du père et des gens lui hurlaient de dévoiler son pouvoir répugnant. Il n’y avait que des larmes, de l’incompréhension et de la terreur dans ses yeux noisette. Mon corps s’était élancé vers lui, mais une main m’avait tirée en arrière. Mon frère m’avait retenue et portée, tout en poussant la foule en délire. Son ami, nous avait tirés de là, aussi effrayé que nous l’étions.
Chez nous, mon frère m’avait toute dévêtue et tremblant, il avait rempli la baignoire d’eau chaude. Ils m’avaient débarbouillée oubliant l’âge que j’avais et il avait frotté mes vêtements à s’en rapper les mains.
Aujourd’hui, ça recommençait. La violence retrouvait ce chemin qui m’avait longtemps fait cauchemarder.
Que penser de ces articles ? Ils n’étaient qu’un ramassis de haine. Tous les jours, les sorciers étaient à la une, montrés comme des êtres destructeurs et mal éduqués. Nous savions que cette haine était créée pour anéantir la magie, pour mettre en pièce ceux qui avaient été touchés par la grâce. Bien entendu, il y avait toujours les minorités, les sorciers sombres. Ceux qui aimaient la terreur.
Relevant les yeux sur la chambrée, je me creusai l’esprit. Mes prunelles rencontrèrent celles de Lananette. Elle semblait attendre un mot, une parole, quelque chose qui lui permettrait de comprendre pourquoi les sorciers de Hongoria étaient si mal aimés.
Nous nous fixâmes, recherchant quoi nous dire, afin de rendre l’analyse des lignes moins effrayante. Nous baissâmes la tête, la relevâmes dans un effet miroir et sans trouver une réponse dans nos esprits ou dans la chaleur du foyer, dans lequel une bûche flambait.
Passant la main sur mon visage ridé, je posai mes yeux sur l’adolescente blottie sous les couvertures.
Le nez retroussé, les sourcils froncés, Lananette tentait de comprendre comment le monde fonctionnait. Elle en comprenait quelques rouages, se fâchait quand ses pensées divergeaient de celles des autres.
Elle humecta ses lèvres, les ouvrit, puis les ferma, à la recherche de ses mots. Enfin, elle se lança, redressa la tête sur le sommet de son oreiller. Allait-elle encore me surprendre ?
— Je n'ai pas envie de me fier à ces mots ! Pas envie de croire tout ce que je lis. Si cela se trouve, ce sont des articles sans fondement, prônant la haine. Tous les sorciers ne se laissent pas aveugler par leur côté obscur. On se moque de nous, ma tante. On nous fait haïr des sorciers et leur magie. Une magie qui a toujours existé dans notre monde. C'est révoltant, gronda-t-elle, en m'arrachant un sursaut.
Sa voix avait porté haut dans la petite chambre où je la logeai. Ses poings venaient de s’abattre rudement sur les draps.
— Je ne comprendrais jamais pourquoi les gens aiment tant faire du mal à d’autre. Ça me passe au-dessus de la tête. Est-ce moi qui suis trop simplette ? Je ne rêve pas d’idéal, ma tante. Je vous l’assure. Mais soyons lucide, les sourires disparaissent. Dans les rues, je n’entends que des commérages, des gens qui veulent un peu de lumière quitte à blesser un cœur.
Elle se rassit sur son lit et contempla la fresque sur le bâtiment en face du nôtre. Une déesse des temps anciens, du nom de Darcan, y figurait. Ses traits sévères contrastaient avec la bienveillance de son regard. Cette déité apportait la chance dans les foyers et offrait aux bons cœurs des dons particuliers. Seules les personnes capables d’amour pouvaient les recevoir ; ainsi, lorsque leur bonté disparaissait, le don s’essoufflait avant de s’effacer complètement.
Je savais ce que pensait Lananette. Même si son caractère s'affinait avec le temps, j'entrapercevais toujours l'esprit de la demoiselle de quatorze que j'avais recueillie à la demande de sa mère, ma nièce. Aujourd'hui, à seize ans, sa naïveté s'enlisait sous sa lucidité. La capitale avait su lui apprendre à vieillir plus vite. Sa pureté s'envolait jour après jour, alors que ses yeux observaient la vie et ses alentours. Je l'entends encore me dire : " Les gens me terrifient bien plus que les peintures des dieux les plus cruels.".
Son visage se contracta dans une moue contrariée. Elle garda le silence, songeuse. Les miroirs de son âme me dévoilaient son combat intérieur. L'envie de croire à la candeur du monde et d'un autre côté, observer ses ténèbres.
Un soupir m’échappa. Mes doigts se crispèrent sur le papier et je mis en boule le journal pour le jeter dans le feu. Je ne pouvais pas comprendre la passion que certains avaient de faire souffrir autrui. C’était au-dessus de mes forces, loin de mes codes et de la façon dont on m’avait élevée. Tuer ? Pourquoi ?
Lananette pinça sa bouche. Ses épaules se haussèrent, puis s’affaissèrent. Elle avait encore de l’espoir, mais déjà son regard s'assombrit. Le jeu des ombres et de la lumière contrariait ses songes. Une profonde amertume semblait s’épanouir en elle. Avait-elle des soucis en classe ? Avec une nouvelle camarade ? La colère qui l’avait animé tantôt était un mélange des faits divers et d’un problème plus personnel. Je le ressentais. Elle pouvait cacher ses larmes, ses blessures aux autres, mais pas à moi. Je voyais tout.
— Qu’est-ce qui te turlupine ma Lananette ? Ce n’est pas les nouvelles qui abîment ton sage visage. Parle-moi. Quelqu’un t’a-t-il ennuyé ?
Ma petite-nièce se jeta en arrière, suivie de ses couvertures, retrouva son oreiller. Sa bouche se ferma. Elle ne parlerait pas. Comme à son habitude. Je n’appréciai pas son isolement. J’avais peur que son corps se marque de nouveaux bleus, que la tristesse envahit encore sa frimousse de jeune demoiselle.
Les flammes dans la cheminée brillaient dans ses immenses yeux verts, comme les milliers de questions et de reproches qui hantaient son esprit curieux.