Chapitre 2 : Au Billie's Diner

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

 

Playlist Charlie :

Hit the Road Jack – Ray Charles

 

 

***

 

 

Le trajet jusqu’au Billie’s n’était habituellement pas long. En hiver il ne me fallait en général que quelques minutes pour y parvenir – à pied comme en patins. Aujourd’hui, en revanche, je mis plus d’un quart d’heure à traverser le centre-ville jusqu’à la grand-rue commerçante où il s’était établi. Mais le combat en valait la peine, car lorsque je découvris enfin sa devanture vintage aux couleurs vives, j’eus tout de suite un grand sourire.

Le Billie’s était un diner rétro comme on pouvait en trouver aux États-Unis dans les années 80 – les meilleurs années du monde, vous dis-je ! Son enseigne au néon rose et bleu électrique ne brillerait pas avant ce soir, et une petite pancarte à la porte indiquait qu’il n’était pas encore ouvert. Sans y prêter la moindre attention, je poussai la porte et roulai à l’intérieur.

Je m’immobilisai presque aussitôt sous le souffle des climatiseurs et fermai les yeux en soupirant d’aise. Voilà une bien belle récompense après l’enfer que je venais de traverser. La fraîcheur qu’ils diffusaient dans tout le restaurant me redonna vie et, après quelques délicieux instants à en profiter, je finis par ouvrir les yeux, promenant un regard sur la grande salle vide à la recherche de mes meilleurs amis.

 Le Billie’s était vraiment mon endroit préféré à Bellamy – après ma chambre, bien sûr. Un sol en damier noir et blanc s’étendait à perte de vue sous mes patins. Des banquettes rétro turquoise et rose sur base en métal s’alignaient contre les murs décorés de posters vintages et les grandes baies vitrées. Un bar se dressait sur plusieurs mètres devant moi, bordés de tabourets de vinyle rouge tandis que derrière lui, entre les réserves de serviettes, les machines à café et à granité, on pouvait admirer ces présentoirs à gâteaux en verre où attendaient des délices qu’il me tardait de goûter. Une ouverture dans le mur donnait sur les cuisines où je pouvais entendre des bruits de vaisselle qu’on empilait tandis que juste à gauche se trouvait une grande porte à double battants donnant sur les cuisines et la réserve.

Entrer au Billie’s c’était comme voyager dans le temps.

Un silence reposant régnait dans le restaurant, à peine troublé par les quelques bruits provenant de la cuisine et les éclats de voix de mon trio préféré que je repérai à notre table habituelle au fond de la salle côté vitre. Un large sourire aux lèvres, je roulai tranquillement vers eux, savourant leur vue. Qu’est-ce qu’ils m’avaient manqué !

Alex souriait sereinement, plongé dans l’écriture d’une nouvelle chanson, quelques brouillons de partitions étalées autour de lui. Juste en face, sa jumelle Max tapotait avec énergie le rebord de la table avec ses baguettes tout en expliquant à Romy, assise timidement à ses côtés, comment s’était déroulé son dernier concert à l’Adonis, notre bar préféré. Quand elle me remarqua approcher, elle s’arrêta tout net et bondit sur ses pieds en s’exclamant avec entrain :

— Et voilà notre super star ! T’en a mis du temps. Wouah, j’adore tes cheveux ! C’est nouveau, ça te va trop bien !

Ainsi en allait-il avec Max, elle passait plus rapidement du coq à l’âne que n’importe qui d’autre et avait le débit de parole le plus rapide que je n’avais jamais vu avant notre rencontre.

Évidemment, face à un tel spectacle, les deux autres se retournèrent bien vite vers moi pour me sourire, mais leur accueil resta nettement moins effusif que celui de Max.

Alex et Romy me souhaitèrent la bienvenue alors que je me laissais lourdement tomber sur le siège à côté d’Alex. Ce dernier poussa ses notes pour me faire de la place tandis que je retirais mes patins, sans toutefois mettre mes chaussures. Après tout, je devrais partir dans quelques heures, autant laisser à l’air libre ces superbes chaussettes verte à imprimé pastèque ! Sans compter que le carrelage en damier était si frais sous mes pieds… un vrai régal.

Bon, faisons un petit récapitulatif, vous voulez bien ?

Alex Carlier, présentement assis à mon côté le nez replongé dans ses notes, était le seul gars de notre bande. Grand, mince, il avait une peau presque aussi claire que la mienne et des cheveux qu’il s’amusait à décolorer depuis le lycée, passant d’un joli brun à un blond platine qui, bien que surprenant au début, lui allait à merveille. Il arborait un style assez discret, la plupart du temps avec des t-shirt amples et des boots New Rock beaucoup trop stylées que sa sœur avait tendance à lui piquer. Certains lui prêtaient un petit air de chanteur de K-pop qui lui valait les regards et l’attention de pas mal de filles. C’était un garçon doux et gentil mais qui pouvait se montrer polaire quand on s’en prenait à lui ou à ses proches. Surtout à ses proches. Et il avait aussi les yeux bleus les plus beaux que je n’aie jamais vu !

À cause de son tempérament posé, sa fascination pour le maquillage et son manque d’intérêt flagrant pour le sport et autre activité dite « virile », on l’avait souvent traité de pédé. Mais Alex était de ceux qui ne répondaient jamais aux injures. En fait, il n’en avait même strictement rien à faire alors que Max bouillonnait littéralement de rage à chaque fois qu’elle les entendait. Un jour, elle avait fini par demander pourquoi il ne réagissait pas – après avoir manqué de casser le nez du crétin qui l’avait insulté. Il lui avait alors répondu d’un ton incroyablement calme :

— Quel intérêt ? Je sais qui je suis et ce que je vaux, je n’ai pas besoin de me justifier pour quelque chose qui ne les regarde de toute façon pas. Puis, même si je réagissais, tu crois vraiment qu’ils m’écouteraient ? Ces imbéciles ne cherchent que la provocation, que je leur réponde ou non ils continueront tant que ça les amuse, alors pourquoi me fatiguerai-je à leur donner la moindre attention ?

Max en était resté coite. Romy et moi en avions été très fières. Parce qu’Alex était comme ça, il ne cherchait pas le conflit et n’avait que faire de l’avis des autres.

Max, en revanche, était très différente, que ce soit au niveau caractère ou physique. Si Alex arborait un style soigné, elle était une pure rockeuse-métalleuse avec ses bas-résilles, ses jeans déchirés, ses nombreux piercings aux oreilles et ses cheveux bruns méchés de bleu électrique. Certaines de ses chansons préférées m’assassinaient les oreilles, si bien que je ne comprenais pas comment elle pouvait écouter une chose pareille. Mais comme le disait si souvent Nick : « on ne discute pas les goûts et les couleurs ». Et je l’aimais énormément quand même.

Niveau caractère, elle était nettement plus bruyante et remuante que son frère. Leur père s’amusait à dire qu’elle avait le sang chaud, comme sa mère, mais cette passion qui l’animait lui attirait souvent des problèmes. Le moindre mot de travers pouvait la faire vriller, en particulier quand lesdits mots étaient adressés à l’un de nous. Combien de fois avait-elle déclenché des bagarres qu’Alex et moi avions dû gérer ? Une chance que notre grand blond décoloré soit plus fort qu’il n’en a l’air !

Puis il y avait Romy. Ah… que dire de notre petite Romy ? Romane Desjardins, de son vrai nom, était l’incarnation de l’innocence et de la gentillesse. Elle était l’image même de la charmante jeune fille bien éduquée, à des années lumières de nous. Assise en face de moi, légèrement recroquevillée sur elle-même, elle était un peu le cliché de la bonne élève de bonne famille super timide avec ses grandes lunettes qui lui mangeaient le visage et ses mèches blondes derrière lesquelles elle se cachait. C’était une fille adorable avec le cœur sur la main et une mordue de littérature, en particulier de romans à l’eau de rose qu’elle dévorait avec tant d’appétit que ç’en était parfois même effrayant.

Je la connaissais depuis si longtemps que je ne me souvenais même plus de notre première rencontre. Pour moi, Romy avait toujours fait partie de ma vie. Elle était un peu la petite sœur que je n’avais jamais eue. Nous étions inséparables. Puis les jumeaux avaient débarqué pendant une année en primaire et notre groupe s’est agrandi. Bien que Max soit un peu givrée, carrément aux antipodes de Romy, elles s’entendaient extraordinairement bien. Et Alex… Disons qu’il était impossible de ne pas s’entendre avec Alex. Il était un peu perché, souvent dans la lune, mais comment lui en vouloir ? Il était tellement adorable.

— C’est nouveau ce rose, lança-t-il justement avec un sourire en coin. C’était voulu où t’as foiré ta colo ?

— Ris tant que tu veux, lui répondis-je avec effronterie, j’aime ce rose bonbon.

— Il va finir par dégorger, m’apprit-il en examinant une mèche de plus près. Je prédis un rose pastel d’ici quelques shampoings.

— Parfait ! J’aime encore plus le pastel.

— Comme d’habitude les enfants ? demanda soudain une voix à ma gauche.

Nous nous tournâmes comme un seul homme vers elle et j’eus tout de suite un sourire en croisant son regard. Margaux Carlier, gérante du Billie’s, serveuse et accessoirement mère des jumeaux, était la femme la plus merveilleuse que j’avais jamais rencontré. Après ma mère, bien entendu. Elle ressemblait beaucoup à Max, que ce soit côté physique ou caractère. Des cheveux bruns ondulés, un grand sourire, une peau de pêche. La seule différence avec les jumeaux était ses jolies yeux marrons qui nous scrutaient avec bienveillance. Alex et Max tenaient leurs beaux yeux bleus de leur père, ce grand brun qui se cachait dans sa cuisine. J’avais toujours trouvé fascinante la ressemblance des jumeaux avec leurs parents.

— Oui madame ! m’exclamai-je.

— Merci maman, sourit Alex en relevant le nez de ses notes.

— S’il vous plait, merci madame, répondit poliment Romy.

— Je pourrais avoir une part de tarte au citron avec mon Coca ? demanda Max.

Margaux fit la moue.

— Tu n’en as pas déjà avalé une avant l’arrivée de Charlie ?

Max piqua un phare.

Une autre petite particularité maxienne : impossible de rater le moindre petit détail de ce qu’elle ressentait. En plus d’être incapable de mentir, on lisait en elle comme dans un livre ouvert.

— Ce sera donc, résuma Margaux pour qui le chapitre était clos, un milkshake à la fraise pour Romy, une glace au chocolat pour Charlie, un Coca Cola pour Max et une limonade pour Alex.

Nous opinâmes de concert et elle repartit derrière le bar. Quelques instants plus tard, elle revint avec un plateau bien garni et déposa devant nous nos commandes. Mon regard s’illumina en découvrant la jolie coupe de glace au chocolat avec ses petits biscuits fait maison. J’en salivais d’avance ! Et cette première bouchée, je la dégustai avec délice.

— Mmh… soupirai-je en fermant les yeux. C’est la meilleure glace de tout l’univers.

Romy gloussa en sirotant son milkshake. De son côté, Max ne pouvait s’empêcher de grimacer en regardant son frère siroter son verre de limonade.

— Mais t’as dix ans ou quoi ?

— Si c’est le cas, toi tu ne dois pas en avoir plus de six, lui répondit-il très calmement.

Max grogna avant de shooter dans le tibia de son frère. Impulsivité plus mauvaise visée et ce fut moi qui reçus le coup. Ce dernier me fit bondir en l’air et je manquai de renverser ma précieuse crème glacée.

— Aïe ! m’écriai-je.

— Pardon… bredouilla Max en se ratatinant sur elle-même.

— Comme je disais, sourit sereinement Alex toujours plongé dans ses notes, pas plus de dix ans.

Max grinça des dents, passablement irritée. Je la voyais déjà imaginer la raclée qu’elle lui mettrait une fois qu’ils seraient seuls.

— Du calme les enfants, intervint gentiment Romy et Max se calma aussitôt.

Pour ma part, je continuai de savourer ma glace avec bonheur.

— Et si nous portions un toast ? proposa brusquement Max en levant son verre de Coca.

— À quoi donc ? demanda Romy.

— À la fin du lycée pardi !

— Et à nos examens réussis, ajoutai-je en levant ma coupe de glace.

Bientôt Romy et Alex nous rejoignirent et nos verres et coupes tintèrent dans un grand tchin ! avant que la discussion ne reprenne.

— Au fait, demanda Max à brûle-pourpoint, nous avons tous autour de cette table réussi notre BAC…

— Un miracle en ce qui te concerne, la taquina Alex qui avait officiellement délaissé ses notes pour poser son menton dans la paume de sa main.

Max fit de son mieux pour ignorer sa pique et reprit les dents un peu serrées :

— Qu’en est-il de Tom ?

— Tom ? m’étonnai-je. Pourquoi tu veux savoir ça ?

— Pour savoir si je peux me moquer de lui la prochaine fois que je le verrai ? demanda-t-elle tout innocence.

— Désolée de te décevoir MadMax, souris-je amusée, mais il l’a eu. De justesse, je te l’accorde, mais il l’a eu quand même.

— Par tous les saints en couche culotte ! s’exclama-t-elle en tapant sur la table du plat de la main. Moi qui me faisais une joie de l’enquiquiner avec ça !

— Tu sais, à force de l’embêter comme tu le fais on va finir par croire que tu en es amoureuse, lançai-je avec un sourire en coin.

La grimace qu’elle m’offrit alors valait tout l’or du monde et nous fit éclater de rire. Max n’avait jamais vraiment aimé mon frère, surtout depuis qu’il s’était joint à ce groupe d’idiots qui nous harcelait depuis le collège.

Romy orienta la suite de la discussion sur nos projets post-lycée. Max, qui nourrissait le rêve de devenir chanteuse, songeait de plus en plus sérieusement à se lancer sur Youtube pour se faire connaître.

— Aujourd’hui c’est beaucoup plus rapide de se faire remarquer via les réseaux, expliqua-t-elle en jouant avec la condensation sur son verre.

En attendant le succès, elle continuerait à chanter à l’Adonis, le bar dansant de son oncle, où elle avait déjà une petite notoriété.

Alex, lui, n’était pas encore sûr. Il avait postulé pour une université de lettre et prévoyait de visiter une école de musique.

Le chemin de Romy, lui, était tout tracé. Amoureuse des mots et de la littérature, elle ne rêvait que de faire une licence de lettres. Son but ultime ? Devenir romancière à succès. Elle commençait à avoir du succès sur Internet et prévoyait d’envoyer son premier manuscrit à un concours très prochainement. Il nous tardait de la voir éditée.

Quant à moi… Le choix avait été rude. L’université me tentait, mais je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. Écrire me plaisait bien, mais je m’amusais beaucoup plus à créer des vêtements. J’avais eu dans l’idée de tenter une école de mode, mais je n’étais pas certaine de vraiment m’y plaire. Ce que la « haute couture » d’aujourd’hui produisait ne me plaisait vraiment pas. J’avais donc eu cette idée folle de lancer ma propre marque et d’ouvrir une boutique en ligne. Un peu à l’instar de Max, je comptais sur Internet pour percer. Puis, si ça ne marchait pas, je pourrais toujours travailler avec Nick aux Jardins d’Iris le temps de me faire la main. Si on mettait de côté l’affreuse chaleur et l’été, j’aimais beaucoup cette boutique.

Alors que le silence retombait sur la table, je me tournai brusquement vers Alex.

— Au fait, quand est-ce que tu comptes redevenir brun ? demandai-je de but-en-blanc.

— Quand j’en aurais assez d’être blond.

Et se tournant vers moi avec un sourire malicieux.

— Et toi ? À quand le retour au brun ?

Je haussai des épaules avec désinvolture, triturant entre deux doigts une mèche rose.

— Quand j’en aurais assez de ce rose.

Il eut un rire.

— En revanche, et même si j’aime beaucoup cette couleur, je ne pense pas réitérer l’expérience, avouai-je songeuse en replongeant dans ma glace.

— Pourquoi ? questionna Max en reposant bruyamment son verre de Coca.

— Moi je trouve que ça te va bien, ajouta timidement Romy.

– Merci, lui souris-je en retour et ses joues se colorèrent d’un joli rose alors qu’elle replongeait dans son milkshake. Mais elle m’abime trop les cheveux et l’opération est beaucoup trop longue et chiante pour que ça en vaille vraiment la peine, surtout pour le temps que ça tiendra. Honnêtement, j’ai bien d’autres choses à faire.

— Comme cette tenue super cool que tu me prépares ? s’enthousiasma Max en sautillant sur son siège, toute trace de scepticisme disparu. J’ai tellement hâte de la voir !

— Il y a de ça, mais je ne pense pas pouvoir me mettre à fond dans mon grand projet, pas cet été du moins, me désolai-je en m’affalant un peu plus sur la table.

— Et pourquoi pas ? s’offusqua vivement Max. Tes parents ne sont même pas là.

— C’est bien là le souci, soupirai-je en jouant avec ma glace. Ils ont demandé à Nick de jouer les baby-sitters et même si j’adore mon frère et que l’avoir de nouveau à la maison m’enchante, la corvée qu’il m’incombe de l’aider à la boutique me dépite. Heureusement qu’il y a la clim…

— Mais pourquoi il te l’a demandé à toi ? se hérissa-t-elle. Refile le bébé à Tom, ça lui fera pas de mal de travailler un peu pour changer.

— Elle n’a pas tort, fit remarquer Alex.

Je fis la moue, peu convaincue.

— Tu vois vraiment Tom réussir à sortir le nez de son téléphone assez longtemps pour accueillir et servir le moindre client ?

Tous trois grimacèrent de concert en imaginant la scène. J’eus un rire à les voir ainsi, on pouvait presque lire « message reçu » imprimé sur leurs fronts.

— Je te le concède, lança Alex, ça n’est pas près d’arriver.

— Enfin voilà, soupirai-je. Du coup Nick m’a demandé de l’aide. Le côté positif, poursuivis-je après un silence, c’est que j’ai pu négocier pour un temps partiel. Je vais d’ailleurs sûrement bientôt devoir y aller.

— Et le salaire ? releva innocemment Alex.

Un sourire mutin me vint en repensant à l’expression de mon frère au moment des négociations.

— Je lui ai fait promettre de m’acheter le nécessaire pour créer nos tenues pour la fête d’Halloween de cet automne.

Max éclata de rire alors que Romy me faisait de grands yeux. Alex de son côté, me considéra avec perplexité.

— Il est au courant que ça lui coûtera une petite fortune ? demanda-t-il, amusé.

— Hmm… fis-je en jouant négligemment avec le fond de ma glace. Pas sûre. Mais c’est lui qui l’a proposé ! me défendis-je aussitôt. Et c’était ça ou demander l’aide de Tom, alors bon.

— Oui, sourit-il en se rencognant dans son siège, entre la peste et le choléra.

— Tu as tout compris, souris-je ravie.

— Tom me semble quand même la pire des deux options, raisonna Romy tout haut. Et dans le fond, il gagne au change puisque même si ça lui coûtera cher en matériaux vu les créations que tu as prévu, je suis certaine que tu t’arrangeras pour lui fabriquer quelque chose pour te faire pardonner. Tu le fais toujours.

Le sourire plein de tendresse que Romy m’adressa aurait pu faire fondre un glacier.

Cette fille était vraiment un ange.

Mais elle avait raison, je n’étais certainement pas assez peste pour ne rien donner comme dédommagement à Nick.

— C’est vrai, concédai-je. Je suis même déjà en train de lui préparer quelque chose.

— Ce sera quoi ? questionna avidement Max. Un costume pour Halloween ?

— Un pull de Noël ? demanda Romy. Celui de l’an dernier était vraiment merveilleux, sourit-elle rêveusement en repensant à la grosse tête de rêne au nez rouge que je lui avais tricoté.

— Un nouveau tablier ? proposa Alex. Il se plaint toujours du sien à la boutique.

— Comment diable fais-tu pour toujours tout savoir comme ça ? demandai-je en plissant les yeux dans sa direction. Avoue, tu lis dans mes pensées.

— Même pas besoin, s’amusa-t-il en retournant à ses notes. Tu es juste beaucoup trop attentive pour ne pas l’avoir remarqué.

Je l’observai encore quelques instants, dubitative, avant d’abandonner. Ce garçon me connaissait beaucoup trop bien ! J’allais poursuivre quand mon regard coula vers le vieux jukebox au fond de la pièce.

— Vous l’avez réparé ? demandai-je en finissant rapidement ma glace qui commençait à fondre.

Max leva les yeux des partitions de son frère pour suivre mon regard avant de sourire.

— Le réparateur est parti juste avant ton arrivée. Tu veux l’essayer ?

— Je peux ? fis-je des étoiles pleins les yeux.

Max rigola et me lança une pièce que je réceptionnai étonnement adroitement. Pour une fois !

— À toi l’honneur !

Ravie, je bondis de mon siège pour me poster devant la machine et y glisser la pièce. Tant de titres rétro s’offraient à moi… Je finis par en choisir un, le meilleur. Et quand les premières notes de Hit the Road Jack de Ray Charles résonnèrent dans le diner, je ne pus m’empêcher de sourire.

Emportée par la musique, je me mis à danser au milieu de la salle, le rythme s’emparant délicieusement de moi. Un instant plus tard, Max se joignait à moi. À cette heure il n’y avait personne dans le diner et nous pûmes nous en donner à cœur joie sous les regards amusés d’Alex et Romy qui, bien que nous leur proposâmes de nous rejoindre, déclinèrent vivement, l’une par gêne, l’autre par manque d’intérêt.

Quand la musique prit fin – c’est-à-dire beaucoup trop rapidement – Max et moi nous échouâmes à nos places, essoufflées et les joues rougies, mais ravies. Romy profita de cette accalmie pour nous parler du nouveau roman dans lequel elle s’était plongée. Une romance fabuleuse, bien sûre, Romy ne lisait que ça. Et même si Max n’était pas très versée dans la littérature et que je préférais de loin les aventures épiques et les univers merveilleux, nous l’écoutâmes tout de même avec attention.

Elle vendait d’ailleurs si bien l’œuvre qu’à la fin de la conversation, je finis même par en noter le titre, rien que pour en lire les premières pages. La curiosité avant tout. Puis, alors que Romy me proposait de me prêter son précieux sésame, m’évitant ainsi de l’acheter si je n’aimais pas, la voix de Margaux retentit.

— Maxine !

Cette dernière sursauta vivement, recrachant à moitié le contenu de son verre. Alex grimaça, dégoûté, en éloignant rapidement ses notes de sa sœur, Romy se précipita pour l’aider à tout essuyer alors que j’éclatais de rire. Voir ce geyser jaillir de ses narines fut assez impressionnant.

Une fois le débordement de Coca nettoyé, Max jeta un regard indigné à sa mère de l’autre côté du comptoir. Elle détestait qu’on l’appelle par son prénom. En fait, elle détestait son prénom tout court et l’entendre prononcer, surtout devant autrui, était pire que tout.

— Quoi ? riposta-t-elle entre deux quintes de toux.

Ses yeux larmoyaient lorsqu’elle accepta le mouchoir que lui tendait Romy.

— J’ai besoin que tu ailles faire une course, répondit sa mère en agitant une liste au-dessus de sa tête.

— Pourquoi moi ? geignit-elle.

— Parce que tu n’as rien à faire et qu’Alexandre va bientôt prendre son tour à la plonge.

Ce dernier grimaça et sembla s’enfoncer un peu plus dans ses notes. Si Max détestait plus que tout son prénom, Alex, lui, détestait être de corvée de plonge. Je passai une main compatissante dans son dos.

— Là, là, fis-je avec humour.

Il me jeta un regard courroucé mais sembla se détendre un peu. De son côté, Max soupira et finit par se lever de mauvaise grâce.

— De toute façon je vais devoir y aller aussi, lui dis-je alors qu’elle s’apprêtait à s’excuser. Nick m’attend à la boutique.

Et un rapide coup d’œil à l’horloge me le confirma.

— Je crois que je vais rentrer aussi, annonça doucement Romy. Ma leçon de piano commence dans une heure.

Alors nous nous levâmes pour nous séparer. Alex rangea ses affaires et nous dit au revoir avant de rejoindre son père dans les cuisines. De notre côté, Romy attendit que je renfile mes patins tandis que Max retrouvait sa mère pour récupérer la maudite liste.

Avant de partir, je profitai encore un instant de l’air frais des climatiseurs, essayant de me donner du courage. Dehors, je renfilai mon casque et embrassai Max et Romy, leur promettant de leur envoyer un message ce soir.

Avant de m’en aller, j’entendis Max proposer à Romy de la raccompagner. Reconnaissante, notre petite blonde accepta, serrant plus fort la lanière de son sac à bandoulière. Le soleil tapait toujours aussi fort, mais, bizarrement, il ne me sembla pas aussi lourd et brûlant.

C’est le cœur un peu plus léger que je m’élançai dans les rues bondées en direction de la boutique familiale.

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Aliotis
Posté le 03/08/2025
Hello !
J'ai juste adoré l'intronisation de la bande de copains, c'est tellement naturel, on a l'impression d'être à table avec eux !
Ça ressemble beaucoup à ce que j'ai écrit moi-même, je me retrouve beaucoup dans ton histoire bien qu'il y ait des différences flagrantes.
J'ai trop hâte de lire la suite.
Sarabistouille
Posté le 20/07/2025
Coucou,
T'as une jolie plume continue ainsi. J'aime avoir l'impression de se sentir dans le roman, avoir l'impression d'être le narrateur. C'est ce que j'ai ressenti en lisant ce chapitre, je me serais cru au Billie's de Bellamy.

Le seul petit couac, me concernant, c'est toute la description du physique et du caractère de tes personnages. Il y a trop de description d'un coup et je me suis mélangé les pinceaux.
Vermeille
Posté le 03/04/2025
C’est une vraie bulle de confort !

La narration déborde d’amour pour ces personnages : ils sont vivants, plein de contraste, super bien caractérisés dès le départ. J’ai adoré l’énergie de Max, le calme d’Alex, la douceur de Romy, et cette voix de Charlie à la fois moqueuse et lucide, qui regarde son petit monde avec beaucoup de tendresse.

L’ambiance du Billie’s est tellement bien rendue qu’on y est vraiment : tu sens le carrelage frais sous les pieds, la glace qui fond, les rires, les piques entre potes. Le genre de scène qu’on voudrait mettre en bouteille pour les jours gris. J'ai envie d'y être !
Lunatique16
Posté le 03/04/2025
Coucou et merci pour ton commentaire !
Je suis trop, trop heureuse de voir que l'histoire te plaise, en fait j'ai même pas les mots pour te dire à quel point ton commentaire m'a fait plaisir x) j'espère que la suite sera à la hauteur !

A bientôt !
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