Se réveillant, Davvy profita des fruits présents dans la barge, pour remplir son ventre affamé. Il devait avoir dormi plusieurs heures, le soleil allait se coucher à l’horizon. Il regarda vers la Terre, et vit nulle trace de terre, seul l'océan bleu, vert par endroit, calme. Et ce qui lui avait semblé, comme un gros nuage au loin, se révélait petit à petit comme formé de rocher volant. La barge avançait vers la cité, portés par les quatre anges, et lui impuissant en son milieu.
Davvy regarda plus attentivement les anges, sa famille n'appartenant pas à la Nouvelle Église, il avait rarement eu l'occasion de les approcher de si près. C’étaient des Convoyeurs, la classe d'ange qui visitaient le plus les hommes, ils étaient immenses, entre quatre et cinq mètres de haut. Il y avait une ressemblance troublante entre les quatre anges. Ce n'était pas tant une ressemblance physique, qu'une même chaleur qui se dégageait d'eux. Une même façon de tenir la barge, de battre des ailes simultanément.
Davvy pouvait maintenant distinguer la cité des Anges. Les bâtiments immenses ressemblaient à des Églises ou des temples. Volants dans le ciel, ils formaient entre eux des rues, des boulevards, dans tous les sens.
« Mathieu, où devons-nous déposer la barge ? ». C'était un des anges de derrière qui avait parlé. Celui situé à l'avant droite, répondit qu'ils devaient amener la barge sur la grande place. Avec amusement Davvy se dit qu'il n'avait jamais pensé que les anges aient des noms. Jusqu'à présent, pour lui, un ange était un ange, cela n'allait pas plus loin. Ce qui, il reconnaissait, était un peu simplet, il leur fallait bien un nom, comme les humains. Peut-être n'étaient-ils d'ailleurs pas si différents ?
Ils s'engouffrèrent dans la cité. Des milliers d'Anges volaient aux alentours, accompagnant la barge, l'acclamant, comme on acclame un cadeau. Davvy se fit petit pour ne pas être vu, redoutant d’autant plus le moment où il serait découvert.
Puis il y eu un silence, une accalmie, comme un prélude à une fête. Accroupi, plié en quatre, Davvy ne voyaient rien, il n'aurait pu dire si la barge bougeait encore. D'un coup, la barge se renversa. Il s’agrippa de toutes ses forces à un anneau d'amarrage. Les anges avait repris leurs chants assourdissants, et tournaient autour des fruits qui tombaient.
Tandis qu'il tenait l’anneau de toutes ses forces, s’efforçant de ne pas regarder en bas, vers la chute sans fin, les anges déversaient des dizaines, puis des centaines de barges. Les fruits tombaient, et les anges volaient autour. Davvy était subjugué par ces fruits qui tombaient vers l'eau des kilomètres plus bas, gâchis incompréhensible. Le bruit des ailes contre le vent, celui des cris de joie strident, des chants dans une langue inconnue le remplissaient totalement, le rendant incapable de penser. Il était paralysé devant ce spectacle. C'est dans, et grâce, cet état de torpeur qu'il restât accroché à la barge, malgré le froid, le vent, le vertige.
* * * * * * *
Un choc le surpris. Les anges venaient de déposer les barges sur une grande place. Comme en transe, sans faire attention à ce qui les entouraient – et encore moins à Davvy – ils retournèrent voler avec les autres anges. Tandis que tous continuaient la fête, Davvy pu sortir de la barge.
Des centaines d'autres barges étaient posées sur la place. Un demi-cercle de colonne en pierre l'entourait tandis qu'au fond un bâtiment fermait la place. Celui-ci était composé de quatre clochers, et d'une coupole de verre au milieu. Le coucher du soleil et les autres bâtiments de la ville – les fameux stoës – se reflétaient dessus. Derrière la coupole, une gigantesque pointe dominait le bâtiment, elle semblait faite de bois lisse.
En voyant le bâtiment, Davvy sentit le respect, l'humilité et le recueillement que celui-ci lui imposait. Il lui semblait que chaque pierre, chaque dessin avait été conçu pour créer ce sentiment de bonheur et de paix intérieur. Des pierres nervurées d'or, aux quatre statues d'anges immense, chaque partie du bâtiment façonnait ce silence.
Il descendit de sa barge et s'approcha de l'entrée du bâtiment. Poussé irrésistiblement vers les grandes portes en bois, il ne fit pas attention au soir qui tombait, ni aux bruits qui se calmaient. Arrivé devant la porte, il ne put se résoudre à l’ouvrir, préférant caresser le bois réchauffé par le soleil. La porte était finement gravée, et quelques pierres précieuses brillaient sous le soleil couchant. Cinq anges étaient représentés sur chaque panneau, quatre d'entre eux entourant le dernier. Celui-du milieu était assis les mains ouvertes, tandis que chacun des autres portaient un objet : tantôt un parchemin, une épée, un livre ou une roue.
Il dû arrêter là sa contemplation. Une ombre s'était soudainement formée sur la porte. Davvy se retourna et vit trois anges planant vers lui. Son cœur se mit à battre plus fort. Il recula, s'efforçant de rester calme, cherchant quoi dire, quoi faire, quand son dos se cogna contre la porte. Tiède, mais implacable, elle lui interdisait toute fuite en arrière. Alors que les anges se rapprochaient de plus en plus, il se mit à courir vers l'avant pour se cacher derrière les barges. Le cœur battant à tout rompre il écoutait les ailes fouetter le vent. Espérant qu’aucun ange ne l'aient vu.
Quand ils passèrent au-dessus de lui, Davvy les entendit parler. « Calme toi, Urielle, je n'ai rien vu moi. » une voix grave et puissante sortait du premier des anges.
- J'ai vu quelque chose près de la porte, c'est aller se cacher entre les barges. La voix bien que plus aiguë était plus ferme.
- Sûrement un oiseau perdu. Tu prends trop ton rôle à cœur, personne ne se risquerait à les déranger.
- On dépose les paniers, et on fait un tour de la place. »
Le ton de la voix d’Urielle ne laissait aucune place à la discussion, et Davvy sût qu'il lui fallait se trouver une autre cachette rapidement. Il ne pourrait remonter dans une barge, il avait dû sauter de plus de deux mètres pour descendre tout à l'heure. Incapable de bouger il regardait les anges déposer des paniers de fruits devant la porte. Ils s'inclinèrent, et entamèrent une douce mélodie.
Davvy comprit que c'était le moment de bouger, le temps qu'ils chantaient. Il se mit à bouger vers le centre de la place, où toutes les barges étaient concentrées. Mais à peine avait-il fait trois pas, que le chant s'arrêta et il entendit Urielle crier « Là ! ». Et les anges d'un coup d'ailes s'envolèrent, à sa recherche.
Il zigzaguait entre les barges tournant à droite à gauche, dans tous les sens. Il espérait les semer, trouver une cachette. Mais toujours une ombre ailée passait sur lui, et un cri indiquait sa position. Il continua à courir, le sang contre ses tempes, sa respiration faisait tant de bruit qu'il n'entendait rien autour. Et les anges qui essayaient de l'attraper. Ils s’agrippaient pendant quelques instants ses vêtement et parfois ses bras avant d'être obligé de le lâcher. Perdu entre les barges, les colonnes, il s'arrêta de justesse sur le bord de la place. Celle-ci s'arrêtait nette sans rambarde, un pas de plus et il aurait chuté droit vers l'eau, des kilomètre plus bas.
Les trois anges l'avaient retrouvé, et fonçait sur lui. Les ailes déployées, ils ne lui laissaient aucune issue. A part la chute vers l'océan, des kilomètres plus bas. Debout quand les anges arrivèrent, il s'allongea au dernier moment. Les trois anges passèrent au-dessus de lui, arrachant ses vêtements, le griffant pour l'emporter avec eux, sans y parvenir. Ils ne tombèrent pas mais s'envolèrent soudainement, un courant d'air, les envoyant loin dans le ciel. Sans prendre le temps de réfléchir, Davvy se remit à courir entre les colonnes protégées de la vue des anges par le toit.
Il arriva près de la grande porte en bois, sans que les anges l'aient retrouvé. Elle était entrebâillée, l'ouvrant légèrement, il entra dans le bâtiment, et ferma la porte promptement. Le bruit qu'elle fit le glaça d’effroi, mais les anges ne tentèrent pas de rentrer. Les paniers que les anges avaient apportés étaient posés par terre à l'intérieur de la pièce.
Il n'entendait plus le bruit extérieur, ni le vent qui soufflait, ni les chants des anges, auxquels il s'était habitué. Ses pas résonnaient dans la grande salle vide. Seuls deux escaliers, à droite et à gauche meublaient la pièce. Ils se rejoignaient sur le mur du fond, pour donner sur une autre porte de bois. Il s'avança sur la pointe des pieds, pour rester le plus discret qu'il pouvait.
* * * * * * *
Arrivé en bas des escaliers, il commençait à monter les marches quand il entendit des bruits qui venaient du couloir vers lequel il se dirigeait. Précipitamment, il se cacha en dessous de l'escalier. Il s’apprêtait à courir vers une autre cachette, quand il se rappela que la pièce était désespérément vide. Les bruits furent soudain plus nets, et Davvy sût que quelqu'un était rentré dans la pièce. Des bruits de fer, frappant le fer ou la pierre, retentirent.
« Tu crois pouvoir t'en tirer comme ça ?! »
La voix qui venait de retentir était pleine de rage, de haine. Et Davvy se rappela les paroles des anges qui l'avaient cherché : « Personnes ne se risquerait à les déranger ». Tout à ses émotions, il entendit à peine le murmure qui venait d'être prononcé :
« Tu vas mourir maintenant ! ».
Le bruit qui suivit, glaça le sang de Davvy. Lui n'avait rien, personne ne l'avait encore trouvé. Mais une goutte rouge tomba du haut de l'escalier juste devant lui, suivi de plusieurs autres.
« Michaël ! que fais-tu donc ? »
Une autre voix avait retenti, claire, avec un soupçon de rire.
« Je me bats en duel, comme il se doit – c'était la même première voix, mais elle n'était plus déformée, elle paraissait presque douce.
- En duel, contre un fruit ! Ce n'est même pas du vrai sang qui salit ta lame, mais du jus !!! Vraiment le monde doit être bien beau, si tu n'as plus d'autre ennemi que des fruits.
- Et toi, Ratziel, le monde est-t-il tellement sage que te voilà contraint de philosopher sur moi.
- Effectivement, ce doit être dur pour lui de n'avoir que toi, Mickaël, comme sujet de réflexion. »
C'était une troisième voix qui était intervenue, et, Davvy s'en rendit compte avec stupeur, il s'agissait d'une voix de fille. Il n'avait jamais entendu parler d'un ange féminin.
« Assez parlé, allons aux fruits ! » Tout en parlant, le dénommé Ratziel, était monté sur la balustrade pour s'élancer dans les airs. Il fit un salto avant, et se retrouva d'un coup devant Davvy.
Il ne bougea pas, pas un cri, pas un mot. Seul un regard, rempli de curiosité. Ratziel paraissait surpris, qu'un humain puisse se trouver dans la Cité des Anges. Et le trouver ici même, dans ce bâtiment, semblait un problème qu'il avait du mal à résoudre. Il frottait ses mains noires tantôt contre son menton, tantôt sur son front, tandis que les pointes de ses ailles n'arrêtaient pas de taper l'une contre l'autre, à la manière d’un métronome L’expression de son visage d'adolescent, ses mimiques avec ses mains, lui donnait un air assez idiot, mais quand Davvy regarda ses yeux pour essayer de le comprendre : il s'y perdit. D'un coup il comprit. Il comprit la Vérité, pourquoi le ciel et la terre, la lumière et les ténèbres … mais dès qu'il essayait d'y mettre des mots il perdait tout, invariablement. Il regardait alors de nouveaux ces yeux, et s’y perdait encore une fois.
Il s'égara de nombreuses fois dans ces yeux, avant que la voix de Mickaël vienne rompre le charme :
« Que fais-t-on Ratziel ? Je m'occupe de lui ? »
En disant cela, l’ange dénommé Mickaël avait levé son épée, et la passa sur le cou de Davvy, un sourire légèrement sadique entre les lèvres. L'épée se mit à brûler, des légères flammes prenaient naissance sur le métal même de l'épée. Les deux anges, quoiqu’encore des adolescents tous deux, étaient plus grands que Davy. Ils le dominaient d’une bonne tête, rendant sa position inconfortable, et légèrement désespérante.
« Attends, il faut Le prévenir – c'était la fille-ange qui avait parlé. Que dira-t-Il, quand Il saura qu'un humain est rentré ici.
- Il ne faut pas L’interrompre. Il doit se reposer. Je m'occupe de lui, repris le dénommé Mickaël. »
Pendant ce temps, Ratziel n'avait pas changé, il semblait réfléchir. Et aucun d’eux ne semblait s’intéresser à ce que Davvy aurait pu dire. Quand Ratziel parla ce fut d'une voix calme qui contrastait avec celles légèrement paniquées de ses deux compagnons.
« Il est déjà au courant. S’Il ne voulait pas qu'il rentre, cet humain ne serait jamais arrivé jusqu'ici. Emmenons-le à l'intérieur nous verrons bien. » En disant cela, Ratziel était partis vers l'entrée principale, il y prit les paniers de fruit qui traînaient. Puis ils remontèrent tous ensemble l'escalier, la pointe de l'épée de Mickaël frôlant l'arrière du coup de Davvy, pour le guider, où l'empêcher de s'enfuir.
Une petite faute :
"Accroupis, pliés en quatre, Davvy ne voyaient rien" -> Accroupi, plié en quatre, Davy ne voyait rien."
Merci pour la coquille
Ton univers est très intéressant. On entre avec plaisir dans la Cité des Anges. La course poursuite est enlevée, dynamique, pleine de suspense.
J'ai aimé plusieurs passages :
- Le calme, l'apaisement du début du chapitre.
- La description des quatre anges qui portent la barge, précise et belle.
- La fascination qu'exerce Ratziel sur le héros.
- « Il est déjà au courant. S’Il ne voulait pas qu'il rentre, cet humain ne serait jamais arrivé jusqu'ici. (ce passage qui suggère que Davvy n'est peut-être pas là par hasard et qui crée du suspense)
- "pour le guider, où l'empêcher de s'enfuir" (le lecteur se demande encore pourquoi Davvy est dans la cité, on a envie de lire la suite).
Quelques remarques stylistiques si je peux me permettre :
- "Et ce qui lui avait semblé, comme un gros nuage au loin, se révélait petit à petit comme formé de rocher volant." (je ne visualise pas vraiment la forme...)
- Expressions un peu familières, ou très courantes qui contrastent avec le reste du chapitre au style très travaillé : "dans tous les sens". "un peu simplet". "C'est dans, et grâce, cet état de torpeur", "sortait du premier des anges."
- "Davvy comprit que c'était le moment de bouger, le temps qu'ils chantaient." pendant leur chant ou pendant qu'ils chantaient ?
- "Précipitamment, il se cacha en dessous de l'escalier." sous l'escalier ?
- "un sourire légèrement sadique entre les lèvres" sur les lèvres ? aux lèvres ?
Quelques remarques orthographiques :
- "de paix intérieur" intérieure
- "Des pierres nervurées d'or, aux quatre statues d'anges immense, chaque partie du bâtiment façonnait ce silence." immenses
- "aucun ange ne l'aient vu." ait
- "Les trois anges l'avaient retrouvé, et fonçait sur lui." fonçaient
- "repris le dénommé Mickaël. » reprit
-" l'arrière du coup de Davvy" cou
Bonne continuation !
Merci encore,
Arnaud
Il me parait incongru qu’une personne ayant vécu dans ce monde dominé par les Anges puisse se dire cela… Les Anges ont jusqu’à présent été présenté comme presque divin, aussi le fait de juste avoir la pensé qu’ils puissent être pas si différent des humains, me semble inapproprié ici
Ce détail mis à part, je suis toujours aussi intéressé par cette histoire !
Davvy, en rentrant dans la cité apprend plus de chose sur eux que n'importe qui d'autres. Dans ce chapitre je réduis peu à peu la distance entre les hommes et les anges. des noms, des anges sexués, puis des anges-adolescents.
Mais cette remarque 'pas si différents' arrive peut-être trop tot dans le chapitre. Il ne vient, en effet, que de découvrir que les anges ont des noms, pas de quoi remettre en cause leurs statut non plus.
J'y réfléchirais en enlèverais peut-être cette phrase.
Merci pour tes commentaires.
J'adore le passage où il regarde les Anges dans les yeux, et comprend le sens même de l'univers, pour l'oublier dès qu'il essaye d'y mettre des mots. Très beau.
Toujours aussi agréable à lire !
Je connaissais pas Fruit Ninja, C'est un peu ça effectivement.
Au plaisir