Bizarre comme un petit moineau
(Armel)
Au n°9, rue des Lys, Armel s’impatientait. A dix ans, il lisait Camus, écrivait des alexandrins et parlait une langue étrangère: le silence. Le Mythe de Sisyphe devant lui, il réfléchissait à son contenu: « Penser, c’est avant tout vouloir créer un monde ».
Dans le chapitre consacré à Kirilov de Dostoïevski, Armel grimaça en lisant: « L’existence est mensongère ou elle est éternelle ». L’absurdité de l’humanité, de la vie, un suicide logique. A la fin du chapitre, on résume: « L’existence est mensongère et elle est éternelle ».
Créer au creux de l’absurdité, créer pour l’éternité. Armel se créait un monde à lui. En niant celui qui l’entourait, il finirait bien par ne plus exister. Il l’espérait.
Il referma son bouquin et le jeta sur son lit. Il avait l’impression de prendre conscience du bien, du mal, tout ce dont il ne pouvait juger. Il repoussa les limites vers une autre réalité. Il rêvassait.
La rumeur d’une discussion s’élevait depuis la cuisine. Malgré la distance qui séparait les pièces et sa porte fermée, Armel entendait distinctement les reproches que s’envoyaient ses parents à tour de rôle. M. et Mme Lorency, un couple ordinaire. Trop ordinaire sans doute.
Au premier étage, Armel plongea la tête sous l’oreiller. Il soupira. Il se dégagea de son refuge pour voir l’heure: 18h. 18 heures ?! Que le temps est long quand on attend !
Le menton appuyé sur le bord de la fenêtre de sa chambre, il observait les nuages dégager le ciel. Ses cheveux couleur de blé recouvraient le front de son visage. Ses grands yeux verts-gris balayaient la rue, se préparaient à une surprise. Ses petits doigts d’enfant pressaient ses joues qu’il rentrait vers l’intérieur de sa bouche aux jolies lèvres pleines. Il s’amusait à imiter un poisson.
Armel oublia ses parents. La pluie avait cessé. Les nuages s’étaient enfin effacés sur le passage du vent. Il entrouvrit la fenêtre. L’atmosphère avait quelque chose d’apaisant et sentait bon le printemps.
Les voix du rez-de-chaussée s’évanouirent. 18h30, toujours rien. Dieu ce qu’il se sentait seul !
« La solitude est pesante », il entendait souvent sa mère prononcer cette phrase. Selon lui, elle n’y comprenait rien. Aujourd’hui elle le disait, un jour elle l’éprouverait peut-être. Un jour, aussi, elle ne le traiterait plus comme un attardé mental qui serait condamné à passer ses heures au sein d’un centre spécialisé.
18h35. Le vent poussa la fenêtre. Il faisait un peu chaud. Armel avait froid. Qu’allait-il devenir si on le laissait quelques minutes de plus dans cet état ? Il ne pouvait pas sortir, il ne pouvait que rester là même si sa raison de vivre était ailleurs.
18h36, 18h37… elle n’était toujours pas là. Qu’on lui donna espoir ! Un bruit venant de la rue, un grincement de porte, la sonnerie du téléphone, peu importe mais quelque chose qui l’aurait réanimé tant il se languissait de l’attendre. Il ne pouvait en supporter davantage !
Armel attrapa son réveil matin et le balança au dehors. Par malchance, il atterrit sur la voiture du voisin. L’alarme se déclencha et ne sembla embêter personne.
–– Trop fort, je vis dans un quartier de crétins, pensa Armel, on assassinerait quelqu’un, ils n’y prêteraient pas la moindre attention !
Néanmoins, Armel appréhendait la réaction de ses parents quand ils apprendraient que leur fils avait abîmé une voiture. La solution: récupérer le réveil.
Il faudrait sortir sans être vu, se cacher derrière les plantes, les meubles, ouvrir la porte avec délicatesse, courir jusqu’au véhicule en faisant escale derrière un arbre, une poubelle, s’être préalablement camouflé sous une casquette, un gros blouson, des lunettes de soleil et le tour serait joué ! On reprend le réveil, on refait le chemin inverse, ni vu ni connu.
Armel lisait Camus et écrivait des alexandrins mais il n’en restait pas moins un enfant.
Cela prendrait cinq minutes tout au plus. La stratégie d’évasion se construisait. Il trépignait intérieurement. Et si on le voyait descendre dans cet accoutrement ? Ses parents comprendraient le stratagème. Mieux valait passer inaperçu. Rien de plus facile pour lui, il n’avait qu’à rester tel quel.
C’était parti ! Il enleva ses pantoufles, descendit précautionneusement les escaliers deux à deux et resta à l’afût du moindre mouvement.
Assis sur l’appui de fenêtre, Salem l’observait, les yeux hagards. Il s’élança vers lui en miaulant. Il avait donné l’alerte ! Armel entendait des pas. Il était paniqué. Il secoua la tête et agita les mains faisant mine de lui ordonner d’arrêter.
Ouf ! Rien à l’horizon. Il contourna le porte-manteau, se faufila derrière un canapé, courut jusqu’à la table, se cacha sous une chaise et trembla d’excitation en voyant les chaussures de son père devant son nez. Les pas s’éloignèrent. La voie était libre.
Il reprit sa course, le sourire aux lèvres. C’était un jeu d’enfant ! Il rampa comme un guerrier dont la fierté n’est pas le but de son combat mais tous les efforts qu’il déploie.
D’ordinaire, Armel ne jouait pas au petit soldat mais, cette fois, l’ennemi était parfait: ses parents. Ils ne s’apercevaient de rien. Armel jubilait. Il se complaisait dans leur ignorance. Il attendait avec gourmandise qu’un des deux passe, s’arrête devant lui et reparte sans remarquer sa présence.
L’idée provoqua un fou rire intérieur. Dans un état euphorique, il savourait l’orgueil délectable qui bouillait au creux de son ventre. Il suait d’exaltation. Elle lui grimpait aux poumons comme des bulles de gaz montent dans une bouteille secouée.
Sa victoire le nourrit d’un sentiment narcissique au goût amer. Un goût amer, en effet. A le délester, à le vomir. Atteinte une certaine température, l’eau s’évapore, la frénésie aussi.
Le visage déconfit, Armel rebroussa chemin.
Parce qu’il était incognito de toute façon, Armel ne voyait aucune raison de se réjouir. Pendant un instant, il l’avait partiellement oublié. Il se blâma de naïveté. Rien à voir avec ses efforts pour se cacher, sa mère ne le voyait pas, tout simplement. Non qu’elle était aveugle mais c’est lui qui lui était invisible. Il ne pourrait pas cacher la preuve. Il serait donc jugé coupable.
Mais, après tout, c’était peut-être mieux comme ça. Narguer la colère de ses parents. Les décevoir, les mettre en rage. Et garder le sourire ! Un travail de maître ! Avec un peu de chance, recevoir une gifle. Ce serait la cerise sur le gâteau ! Armel se traita d’idiot: « Les décevoir ? Prétentieux, je suis ».
Il sursauta: la pendule donna sept coups. Armel soupira.
Au moment où il atteignait le porte-manteau, il heurta un obstacle. Sa mère le dévisageait sévèrement, les mains à la taille, un pied tapotant le parquet. Les pieds et les mains cloués au sol, il guettait chacune de ses mimiques.
–– J’ai nettoyé, merci !, broncha-t-elle. Tu cherches quelque chose ? Bon ! Monte dans ta chambre au lieu d’écouter les conversations d’adultes, je parie que tu n’as pas fini de faire tes devoirs. Allez ! Ne reste pas planté là comme un idiot ! Armel ! Tu comprends ce que je dis ?
–– Liliane ! intervint son père.
Armel n’attendit pas. D’un bond, il s’exécuta. Il remonta droit au camp, heureux d’avoir reçu quelques mots de sa mère.
–– Laisse le gamin, tu veux ?
–– Ton fils devient de plus en plus bizarre !
–– Laisse-le j’te dis ! Et écoute donc ça:
« A l’hôpital Sainte-Elizabeth ! Une patiente se réveille après un coma de plusieurs années »
–– Il est mal foutu le titre ! reprit-il. L’article explique qu’elle est morte un peu plus tard.
–– Oui et ? Que veux-tu que cela me fasse ?
Là-haut, Armel avait claqué la porte. Il y colla son dos et se laissa glisser, essoufflé. Face à lui, un moineau était perché sur sa lampe de chevet. Il paraissait très jeune. Un léger duvet recouvrait son ventre décharné, ses ailes étaient si frêles qu’on se serait demandé comment il parvenait à voler, ses pattes étaient presque inapparentes tant elles étaient fines, son plumage entièrement gris souris était d’une maigreur déconcertante.
Armel le trouvait magnifique. Il n’osait pas s’approcher trop vite par peur de l’inquiéter et avança à petits pas, du mieux qu’il pouvait. L’oiseau ne manifestait aucune crainte. Armel était enfin parvenu à bonne distance. Quel animal splendide ! Il incarnait la misère du monde. Le bec cornu, le regard creux, il semblait implorer la pitié.
Au milieu de la tête, un détail lui faisait défaut: une tache. Une tache blanche créait un contraste avec le reste du plumage. Elle venait gâcher sa laideur. Sans elle, il était attendrissant mais sa présence au milieu de tout provoquait une réticence.
D’après Armel, le pauvre moineau avait dû être chassé du nid, sûrement sa vilaine mère l’avait-elle éjecté, ce qui aurait expliqué son aspect squelettique. « Il a été abandonné », se dit-il. Toutefois, dans l’abandon, on trouve une certaine liberté. Etre abandonné, sans Dieu, ni maître, le rendait peut-être libre.
Au fond de lui, Armel souhaitait être un oiseau. Un moinillon tombé du nid, écrasé au pied d’un arbre, ignoré de tous tel un chien que l’on abandonne sur la rue parce qu’on ne lui donne plus de raison d’exister. Un oiseau, un chien, un animal libre donc, sans maître, sans rien. Une bête, mieux: une bestiole qui aurait pour philosophie le plaisir de la liberté absolue. Une créature étrange, bizarre, comme disait sa mère, dont personne ne voudrait parce qu’une tache vient tout gâcher…
Armel aurait voulu être ce drôle d’oiseau et pas un autre, avec sa perception délirante, sa vérité éclatante et, surtout, avec cette tache sur la tête. Il se serait laissé emporter par le vent, plus haut que les nuages, au-delà de la raison, plus loin que tout. Il aurait survolé le monde et traversé le temps. Cela aurait été un voyage sans fin, une course éperdue vers un but indécis, un élan péremptoire vers un ciel interdit.
Et là, ivre d’apesanteur, asphyxié d’air, si petit à l’intérieur de ce tout, à l’étroit dans cette immensité, l’espace aurait été étouffant à en perdre les ailes. Il errerait la nuit, quand l’univers appartient aux insomniaques.
Armel colla ses mains au front, retint sa respiration et pensa qu’il ne voulait plus penser. Mais comme ne plus penser signifierait ne plus exister, il commença à composer:
Minuscule moineau monstrueusement maigre
Ta membrure mirifique, d’une mine aigre
Minore l’or merveilleux de tes yeux où vit:
Le Miroir mirobolant d’une âme meurtrie
Mortelle métaphore ou rêve mensonger
Mirage ou messager, ange minéralisé
Vole aux cieux, miséreux, vole, miraculeux
Mendie de ton mieux la pitié de ton Dieu
Simultanément, l’oiseau prit son envol. Armel se rua vers la fenêtre. Le moineau avait quitté la chambre pour passer dans celle à côté.
Oubliant la règle imposée par sa sœur, stipulant qu’il était formellement défendu de pénétrer dans son domaine sans son autorisation, Armel fonça droit en zone interdite. L’excitation était telle qu’il ne remarqua pas que, pour une fois, la porte de cet autre monde était ouverte.
Ce n’est que lorsqu’il mit le pied en terre étrangère qu’il se rendit compte de son erreur. Il était trop tard, ce qui est fait est fait. Il observa ce paradis: le lit trônait au milieu de la pièce, la bibliothèque était pleine à craquer, des coupures de presse se comptaient un peu partout sur le bureau, des bouquins s’amassaient au pied de la table de nuit, un mouchoir jaune était plié sur l’oreiller et la poubelle était constamment vide comme s’il n’y avait rien à jeter.
L’horloge accrochée au mur indiquait 19h10. Armel se souvint du réveil, un frisson lui chiffonna la peau. 19h10 ! Mais que faisait-elle ?
Le moineau s’était agrippé aux rideaux. Il fixait Armel. Celui-ci remarqua une trace visqueuse sur la moquette. Pris de colère, il se mit à pourchasser son nouvel ami, le priant de partir. Le moineau déploya instantanément ses ailes et tournoya au-dessus de son agresseur.
« Vole aux cieux, miséreux », pensa Armel, brandissant le poing. Armel poussait des cris muets en courant de part et d’autre de la pièce.
« Vole, miraculeux », il sauta sur le matelas, renversa quelques romans, éjecta un vase.
Le moineau se posa sur le lustre, l’horloge, la bibliothèque, la garde-robe, le bureau, partout où il pouvait. 19h12, Armel le poursuivait toujours. Le pauvre animal était terrifié, il sentait son corps perdre le peu de force qu’il contenait pour laisser place à l’effroi.
Il savait que bientôt, il ne pourrait plus échapper à son prédateur. Son cœur battait très vite, tellement vite qu’on aurait pu croire qu’il essayait de s’enfuir lui aussi. S’enfuir de cette armure trop faible pour supporter les coups atroces d’un cœur à court d’espoir. L’oiseau semblait ne pas se souvenir de la manière dont il était entré.
Il aperçut le ciel et vola de tout son courage vers la vie. Un courant d’air avait fermé la fenêtre. 19h13, il s’écrasa sur la vitre. Il s’écroula.
Armel était immobile, pétrifié devant cet horrible spectacle. Le petit moineau, étourdi, remuait imperceptiblement. Il se redressa, s’envola et fonça à nouveau.
19h14, il s’écrasa sur la vitre. Il s’écroula. Il se releva et, dans une ultime tentative, il se précipita vers la sortie. Il se heurta de plus belle et comprit qu’il ne restait plus rien à faire. C’était fini.
Il devint comme fou et survola le domaine interdit. Des objets tombèrent et se brisèrent. Une aussi minuscule créature créait un tel chaos comme une étincelle provoque un incendie.
A 19h15, l’endroit était devenu une cage sans porte, sans barreaux, sans trous pour respirer. L’oiseau gisait sur la moquette, inerte. Armel se dit: « Il est en train de mourir ». Il était lourd de sanglots mais il ne parvenait pas à verser une larme car cela lui faisait plus mal qu’il ne pouvait le pleurer. Il aurait voulu se déverser comme on le fait, parfois, quand la tristesse explose, se plaindre avec sa voix, crier sa colère, parler tout bêtement. Soit ! Parler déforme la pensée, voilà ce qui rassurait Armel…
L’enfant était confronté à l’impuissance. Que pouvait-il faire ? Il avait peur. Le minuscule moineau monstrueusement maigre s’était péniblement remit sur ses deux petites pattes, toutes frêles, tremblantes. Son ventre était pris de spasmes comme prêt à vomir, à mourir.
Armel s’assit près de lui, quelques minutes. Il pria de toute sa foi, en serrant les yeux à en avoir la migraine. L’animal semblait reprendre connaissance. Armel se plut à croire qu’il ressuscitait. Une joie exaltante se glissa en lui mais la joie ne peut être qu’éphémère. L’oiseau était retombé, paralysé mais toujours vivant. Armel avait-il rêvé ce moment d’espoir ?
Ce serait tout ou rien. La paix ou la guerre, sans drapeau blanc, sans armistice. C’est la vie ou c’est la mort. Il souffrait avec lui. Il aurait pu abréger son agonie. Il aurait suffi de le poser sous le pied et de l’écraser d’un geste précis et radical ou de le taper contre le mur, lui tordre le cou, ou encore lui trancher la tête, tous les moyens sont bons quand il s’agit de mourir. C’était impossible à réaliser.
Il l’analysa. Il n’était pas question de curiosité malsaine mais d’une observation. En effet, selon lui, cette souffrance était parfaite: le corps suffoquant, les yeux mi-clos, les petites pattes serrées contre sa poitrine, son bec entre-ouvert aspirant la vie, expirant la mort ; sa petitesse parce qu’il était plus petit que tous les oiseaux jamais connus d’Armel.
Cette innocence extraordinaire, transcendante. Ses sifflements doux, calmes, réguliers, ponctués par le mouvement du torse. Et ce qu’il y avait de plus parfait dans son calvaire, c’était sa constance, son endurance.
Subitement, Armel bondit en arrière ! Le moineau avait miraculeusement décollé. Il se cognait la tête contre le carreau, encore et encore. Cela parut interminable.
Pour Armel, il n’y avait aucun doute: il se suicidait. Ou plus précisément, il s’achevait.
Grelottant, il s’effondra. De ses yeux ronds et abîmés, il fixa Armel qui était resté impuissant du début jusqu’à la fin. Il aspirait à ce courage dont il avait été amputé pour le secourir. Il en venait d’ailleurs à se demander s’il n’était pas le complice d’un tel désastre. A présent, il était trop tard.
« Il n’est jamais trop tard ! », on le dit souvent. C’est faux, Armel venait de l’apprendre. Quand la mort, physique, spirituelle, une évidence aussi destructrice, se dresse devant nous, on se rend compte qu’il est trop tard.
Le courage peut prendre alors des formes herculéennes pour changer les choses. Une volonté, frôlant parfois les bornes de la foi, habite notre être et on croit dans notre obstination qu’on y arrivera, qu’il n’en est possible autrement parce qu’on le veut vraiment.
L’esprit se fixe un but, prépare intuitivement le prévisible, selon lui, et on s’imagine vainqueur de ce qui n’était qu’une épreuve de plus dans notre laps de temps.
Cependant, ce que l’esprit pensait possible n’était autre que ce qu’il acceptait de prévoir, de connaître. C’est donc quand il se trouve obligé d’admettre que son existence et encore moins celle de l’autre ne suit pas les caprices de sa naïveté que l’esprit sait: il est trop tard !
Armel fit un état des lieux: tout était sans dessus-dessous. Sa tristesse avait atteint son paroxysme et se mua en rage. Comment aurait-il pu le sauver ? En ouvrant la fenêtre bien sûr ! Mais dans ces cas-là, on n’y pense pas ! Ca va trop vite, on ne comprend pas, on est désarmé et on subit sans rien faire.
Il voulut tout balancer, ainsi il ne resterait rien de ce malentendu.
Il étudia cette chambre devenue un lieu de terreur qui garderait la couleur de l’innocence. Un huis-clos où les âmes perdues viendraient gaspiller leur reste d’espoir. Il tapota la couette, recouvrit l’oreiller, replia le mouchoir jaune, ajusta les rideaux, ramassa les coupures de presse, replaça quelques cadres, rassembla les morceaux de verre et attrapa les romans tombés de la bibliothèque.
Il tenta de les ranger à leur place mais quelque chose le gênait. Armel inspecta l’étagère et y décela une bosse sur la paroi. De nature très curieuse, il ne put s’abstenir d’y passer la main.
Il y avait une ouverture. Armel était sur le point de découvrir la clé d’un monde parallèle: Jardin des secrets gardés à l’abri de la curiosité, de l’intelligence et de nos sens. Il s’efforça d’attraper la chose que ses doigts frôlaient mais elle semblait lui échapper. C’était un livre.
Un livre dont l’apparence était très étrange, presque indescriptible. Ses couleurs suivaient le même principe et ne cessaient de changer.
Armel était partagé entre l’émerveillement et la consternation. Il avait conscience qu’il avait un secret devant lui. Si ce livre aux allures fantastiques était caché, il devait y avoir une, voire plusieurs bonnes raisons.
Selon lui, la meilleure des décisions était de ne violer aucune intimité. Mais, paradoxalement, ce livre contenait sans doute les pensées de sa sœur et cela l’intéressait par-dessus tout. Sa sœur qui savait tout de lui mais dont il ne connaissait que la douceur et la beauté incomparables. C’était l’occasion rêvée !
Sa sœur, mystérieuse, énigmatique. Un être dont la présence comblait toutes les absences. Il l’aimait sous tant de formes: compliquée, simplifiée, hargneuse, tendre ; parfois déchaînée puis amadouée par son sourire.
Il aimait son intelligence, son assurance, sa contenance, ses erreurs, ses lapsus. Elle, parfaite à en mourir et imparfaite à en vivre un peu plus chaque jour. En effet, elle puisait la perfection dans son imperfection désordonnante.
Sa sœur qu’il aimait bien plus que les mots pouvaient l’exprimer était la personne la plus étrange de l’univers. Pour lui, elle était un ange aux doux murmures car elle parlait comme on respire et se taisait comme on soupire.
Elle se levait toutes les nuits, il l’entendait marcher dans sa chambre. Parfois, elle parlait. Seule?
Par moments, il en était horrifié. Il ne savait pas quoi penser. Les hypothèses se bousculaient dans sa tête, en vain. Il avait déjà même cru entendre des voix qui parlaient dans une langue nouvelle. Des voix intraduisibles qui semblaient témoigner du doux mal dont on souffre en vivant. Sa sœur recevait des visiteurs nocturnes, peut-être.
Armel en était troublé à tel point qu’une fois, il en avait fait pipi au lit. Après quoi, sa mère l’avait grondé à n’en plus finir.
Sa sœur était bel et bien hors du commun, comme venue d’ailleurs. Elle venait souvent le chercher lors de ses balades nocturnes et ils parcouraient ensemble des terres infinies.
Avec elle, il communiquait. Elle seule pouvait le comprendre et bercer son enfance. Grâce à ces moments, il avait la sensation de partager une partie d’elle-même, peut-être même une partie de son secret.
Ses rires étaient un drap de soie dans lequel il se pelotait affectueusement et ses larmes étaient des sacrements. Elle était une magicienne, une fée, son ange gardien.
Ce soir, il espérait qu’elle l’emporte et il lui demanderait de le transformer en oiseau.
19h30. Armel jeta un coup d’œil aux alentours. Il se laissa, malgré tout, emporter par sa curiosité infantile et tenta de tirer le livre vers lui. Impossible de le bouger d’un millimètre mais le plus impressionnant était qu’il semblait vibrer à l’approche de ses doigts. Il essaya à nouveau mais rien.
Etonné, un peu sonné même, il préféra utiliser ses efforts pour continuer de ranger la chambre. Il avait mis de l’ordre mais il restait à nettoyer les taches.
Et le moineau ? Il l’emballerait à l’intérieur d’une écharpe ou d’une taie d’oreiller et le garderait sous son lit jusqu’à ce qu’une odeur pestilentielle envahisse la pièce et que ça pue le cadavre partout dans la maison.
Il était 19h30, des petits points recouvraient les murs, la couette, les coupures de journaux, quelques bouquins ; de-ci, de-là la mort avait laissé son empreinte rouge et Camille était sur le point de rentrer…
le suicide du moineau....
il y a trois partie
dans ce chapitre
l'attente
les parents qui même s'ils l'engueulent sont bienvenus
mais ce gamin incompris et un peu seul
est une tornade !
le moineau
puis les mémoires de la soeur
trés bien écrit encore une fois
ah oui, bien le paralléle
du il est jamais trop tard...Faux
si je me trompe
c'est une phrase en lien avec la mort de la femme de l'hopital
celle qui est restée longtemps dans le coma
pour se réveiller et mourir
Merci pour ta lecture et tes impressions donc 😊
ou alors il l'est car ses parents sont peu présents
en tout cas par ce que j'en ai lu!
qui n'est peu être qu'une partie de la réalité
celle que tu veux montrer
Non l'enfant n'est pas bizarre, mais livré à lui même
et
non, un moineau ne se suicide pas
je ne connais pas la psychologie des oiseaux
mais je ne crois pas que le suicide fassent parti de leur vision des choses...
Qu'est-ce qui t'a fait penser à cela? (autre chapitre= autre personnage)
Merci pour ta lecture et tes commentaires!!! :-D
Ton style est toujours sympa :
"La paix ou la guerre, sans drapeau blanc, sans armistice. " je trouve cette phrase super belle !
La mort de l'oiseau est super bien écrite, ça colle bien avec le style sombre.
Pas de fautes d'orthographe
Merci beaucoup pour ton commentaire très encourageant!
A bientôt
Bien a toi aussi
Matthieu
A ma connaissance, Armel n'a pas lu les Possédés... mais je ne sais peut-être pas tout mdr...
Armel aime sa soeur parce qu'ils se ressemblent et que donc elle le comprend mieux que personne, parce qu'elle l'encourage, le valorise, le faire rire, le console... parce qu'elle le voit et l'aime pour ce qu'il est et comme il est... C'est au-delà de toute science...
Pour répondre à ta question, non je n'élabore pas de plan.
Je sais de quoi je veux parler, je sais où je veux en venir, je connais les grandes lignes de chaque chapitre et j'écris ce que j'aime lire... du moins, j'essaye...
Merci infiniment Matthieu, pour ta lecture si précise et précieuse!
Bien à toi
Poignant, ce chapitre (et même assez déchirant pour une ex-enfant solitaire qui lisait Apollinaire en secret à huit ans, dans une famille intello - et pourtant violente - laquelle me trouvait "bizarre"... et partant de là, négligeable). Ce petit bonhomme si jeune et pourtant conscient du tragique de l'existence provoque de vrais sentiments... et c'est bien là, l'essence de la littérature : toucher les lecteurs au cœur. C'est aussi, à peu près, le plus difficile. Voilà peut-être pourquoi nous sommes nombreuses à nous replier vers les territoires de l'imaginaire, qui engagent moins, qui masquent mieux.
Notes :
Ses cheveux couleur de blés recouvraient le front de son visage ovale. ▶️ le "front de son visage" n'est pas très heureux, amha.
un petit moineau était perché ▶️ un moineau, c'est toujours petit, donc on a un peu l'impression de "gras"... ces mots semés au premier jet - tout le monde le fait - qui alourdissent et qui peuvent être enlevés sans rien changer au sens. Alors bien sûr, juste après, tu expliques que le moineau, justement est *spécialement* petit. Ce qui fait que la seconde occurrence de "petit moineau" un peu plus bas... passe mieux, tout simplement, parce là... on a eu le temps de comprendre. Oui, je sais, c'est tordu, mais c'est ce que j'ai ressenti 😉
Prit de colère ▶️ Pris de colère (participe passé)
Son anatomie était prise de spasmes ▶️ anatomie, c'est plus une discipline médicale qu'un synonyme de "corps", donc un peu gênant, à mon goût... mais il y a toujours moyen pour éviter les redondances, de parler d'une partie plutôt que du tout : son cou, sa gorge, ses flancs, son ventre, etc.
Répétition sensible :
Il entreprit de l’observer*. Il n’était pas question de curiosité malsaine mais d’une observation*.
Sinon, pourquoi "il entreprit de l'observer" plutôt que "il l'observa", que pour ma part je trouverais plus dynamique ? Je ne trancherai pas, cela peut relever de ton choix personnel... je me contente juste de signaler 🙂
Bisous 🐝
ton commentaire me touche profondément étant donné les sentiments que ce chapitre a pu éveiller en toi.
Comme je le dis souvent, je fais de mon mieux pour "toucher" le lecteur. Je veux faire du "psycho-fantastique", ma marque de fabrique lol.
Tes notes ont été prises en compte et je t'en remercie beaucoup beaucoup!!
A bientôt!
Voilà un second chapitre tout aussi intriguant que le premier. Le personnage d'Armel est touchant de part son innocence et sa petite part de naïveté ajouté à sa culture. J'avoue que si tu n'avais pas donné son âge au début, j'aurais eu du mal à le faire.
J'aime beaucoup la course du temps et la manière dont elle te sert ici. C'est bien amené et ça ajoute un stress supplémentaire dans la course du pauvre moineau. ainsi qu'aux restes des évènements du chapitre.
J'ai aussi beaucoup aimé le poème (bravo, vraiment, c'est un exercice souvent compliqué que je ne maitrise pas du tout).
Par contre, je dois avouer qu'il y a une phrase qui me "gêne" un peu (j'ai vu que j'étais pas la seule d'ailleurs), "Armel entendait distinctement les reproches que se fulminaient ses parents ". Se fulminait me semble étrange. Surement parce qu'on l'emploie peu sous cette forme.
merci pour ta lecture et ton commentaire!
Le poème, ce sont des alexandrins que j'apprécie lire et écrire une fois de temps en temps pour le fun.
Concernant ta remarque sur "fulminer", je te remercie aussi de me l'avoir rappelé car je l'avais changé dans ma version word mais pas sur le site ...
Bien à toi!
Merci pour ta lecture et ton commentaire !
Il faut, en effet, connaître le mythe de Sysiphe pour comprendre.
Cet essai parle de l'absurdité de la vie et d'un suicide qui serait donc logique ... Pour ensuite en arriver à penser qu'on peut donner du sens à sa vie en accomplissant nos propres choix, en créant etc. ce qui nous rendrait "éternels" d'où le travail de l'artiste qui existe dans cet art qui reste après sa mort etc. Sysiphe roule la pierre non stop et c'est absurde... mais c'est son choix...
Je t'avais, en effet, dit que tu serais perdue dans les tout premiers chapitres... C'est voulu. J'ai du mal avec ce qui est linéaire, ce qui semble évident et logique...
Le principal est de s'y retrouver aux alentours du chapitre 4... où on comprend ce qui se passe pour Camille...
Du moins, c'est ce que j'ai voulu provoquer...
Merci encore !!!
A bientôt sur ton histoire ?
D,accord , je vais lire le chapitre trois et me diriger tranquillement vers le chapitre 4 😀 au plaisir de te retrouver dans nos histoires!
A très bientôt
Un nouveau chapitre, un nouvel univers étrange, déroutant. Un enfant singulier, replié sur une solitude qui ne dit pas son nom. Un enfant en quête d'un but, d'une échappatoire, d'une vérité, d'un amour maternel qui lui est refusé. Tu décris très bien les sentiments, les états d'âmes, l'impuissance et le désespoir qu'illustrent la mort dramatique de l'oiseau, condamné à se heurter aux murs, à des fenêtres closes.
La mystérieuse sœur, personnage idéalisé, qui catalyse tout le manque d'amour de l'enfant et tous ses espoirs, sera-t-elle celle qui délivre, ouvre les portes...
La suite nous le révèlera peut-être car dans ces univers où la mort et la vie sont omniprésents, la recherche de sens ne fait que commencer.
Quelques remarques :
-"Le Mythe de Sisyphe devant lui," : le mythe de Sisyphe ouvert devant lui ?
- "Armel entendait distinctement les reproches que se fulminaient ses parents à tour de rôle". Je trouve que "se fulminaient" fonctionne mal. Tu veux exprimer la colère et le ressentiment donc plus que des reproches ce sont des invectives que se lancent ses parents. Invectives me semble mieux correspondre à ce que tu veux traduire.
-"lui pressaient les joues" : pressaient ses joues ?
- elle ne venait pas/un bruit venant de la rue : répétition
-" mieux vaut : mieux valait;
- Liliane ! pas de virgule après u n point d'exclamation.
- "Il n’osait pas s’approcher trop vite ?
merci pour ta lecture, ton analyse et tes remarques très intéressantes ! J'ai en effet, fait quelques changements :-)
A très vite
On passe par des émotions et des attitudes très contradictoires. Cet Armel me fait un peu penser au narrateur de "L'attrape-coeurs". Il est impertinent, colérique et désespéré, comme lui. Sa filature avortée est très drôle, on le suit dans son escapade ratée à la poursuite d'un simple réveil sous l'oeil menaçant de ses parents-geôliers.
La suite est bien plus sombre. Ce suicide de l'oiseau a quelque chose de glaçant. C'est même un peu effrayant de suivre sa progressive destruction, son irréparable démolition. C'est comme un vieillissement accéléré qui saisirait en quelques images, quelques mots, toute notre angoisse de voir la vie s'évaporer d'elle-même.
Je suis intriguée aussi par cette soeur qui se tient, là, dans l'arrière plan ou plutôt dans l'oeil amoureux (presque incestueux mais je me trompe peut-être ?) de son frère et enfin dans ce livre caché...
Tu signales très habilement que nous restons dans le même monde en plaçant le récit du chapitre 1 dans le journal ;)
Je poursuis, avec impatience !
je suis décidément inculte comparée à toi! mdr. J'adore les références vers lesquelles tu me renvoies à chaque fois, ça me touche beaucoup! même si je ne les connais pas lol, mais , sois rassurée, c'est avec beaucoup de simplicité, d'humour et sans complexe que je m'exprime sur ce point.
Je suis interpellée par ton interprétation sur le suicide de l'oiseau, comme quoi tout est relatif et c'est merveilleux. Pour moi, ce n'est pas un vieillissement accéléré, même si j'entends bien ton point de vue, mais le désespoir d'une âme qui préfère mourir plutôt que d'affronter sa peur. C'est une vraie mort dans le livre mais une mort symbolique de ceux qui baissent les bras...
Tu remarqueras d'ailleurs que je ne cesse avec les symboles et métaphores...
Alors, l'inceste... Non, ce n'est pas le cas. Tout dépend de ce qu'on entend par inceste... Un enfant en pleine admiration devant sa maman, son papa, sa grande soeur etc., "c'est maman la plus belle, la plus intelligente, qui a toujours raison, qui sent si bon, qui fait le mieux la cuisine, qui me comprend le mieux" etc. C'est le cas d'Armel avec Camille car si elle n'est pas sa mère, tu liras qu'elle est sa maman. Même à 50 ans, nombreux sont ceux qui voient leur mère un peu comme un "dieu". Est-ce de l'inceste pour autant? il y a quelque chose de cet ordre oui, quand on approche cette notion d'un point de vue psychologique analytique... Par contre, dans le langage plus courant, on ne parle pas d'inceste dans ces cas. Heureusement mdr car il y en aurait énormément!!! lol
Je te remercie encore pour ta lecture et tes commentaires!
Je profite d'ailleurs de cette réponse pour remercier toutes les personnes qui me lisent!! Merci de tout coeur! le fait que vous me lisiez me rend heureuse!!! Vous me rendez heureuse...
Au plaisir!