Des arbres aux grandes feuilles longeaient le bord de la route qu'Hadvar parcourait d'un pas vif. Tenant compte du froid matinal, il portait un grand manteau confortable avec des gants. À sa taille se trouvaient deux pistolets aux crosses en noyer et aux montures en bronze pouvant être serties.
Il ne s'en séparait jamais. C'était un précieux cadeau offert par Rachel, le jour où un marchand ambulant était passé dans leur village. « Ce n'est pas tous les jours qu'on peut acquérir de nouvelles armes, en plus ces pistolets auraient appartenu à un ancien soldat. J'espère qu'ils te plairont et que tu sauras en faire bon usage. » lui avait-elle dit ce jour là.
Un son mélodieux retentit. Un feu-follet apparut près de lui et vint se poser sur son épaule. Une lueur argentée passa dans ses yeux bleus, et il esquissa un sourire. La présence de cette petite créature de Lumière procurait un sentiment de bien-être et de sérénité. Les villageois croyaient en l'existence d'un esprit de Lumière, mère des feu-follets et gardienne de la forêt, mais pour Hadvar, tout ceci n'était qu'un mythe. Personne ne pouvait prétendre l'avoir vu.
Quelques instants plus tard, il reconnut une habitation délabrée construite à l'extrémité d'une petite forêt. Un peu différente que dans ses souvenirs, mais sans aucun doute, c'était la maison de Moji.
Une enseigne en bois retenue par une chaîne menaçait de tomber. Il y était écrit dessus : Chez Moji. Artificier professionnel. Produits de la région.
La dernière fois qu'il était venu, il ne manquait pas une partie du toit de la maison, qui semblait être au hasard recouverte d'une série de planches clouées pour la garder fermée. À côté de l'entrée, plusieurs caisses en bois étaient maladroitement empilées les unes sur les autres. Un simple choc aurait suffit pour les faire tomber.
Hadvar saisit le heurtoir et frappa à la porte en tenant à l’œil l'équilibre précaire des boîtes, et de la pancarte ballottée par le vent.
— Moji, êtes-vous là ?
Il entendit du mouvement à l'intérieur, puis un bruit assourdissant suivi d'un fracas de verre.
— Bordel de... ! Un moment ! hurla une voix criarde à l'intérieur de la maison.
Soudain, la porte s'ouvrit dans un claquement devant Hadvar qui sursauta, tandis que les caisses s'écroulèrent à côté de lui.
Un homme rondelet d'une cinquantaine d'années, et de petite taille se tenait devant lui le visage couvert de suie. Il leva la tête vers Hadvar dévoilant ses yeux marrons géants, projetés et magnifiés par ses lunettes.
— Oui ?
— Bonjour, je suis Hadvar, j'habite à Bourg-d'Argent, le village voisin. Vous souvenez-vous de moi ?
— Non !
Hadvar était abasourdi. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il venait.
— C'est tout ?
— Je suis déjà venu me procurer chez vous de la poudre noire, j'espérais que vous pourriez m'en vendre de nouveau.
— Ah ! Oui, oui, entrez, s'il vous plaît ! Entrez ! dit-il avec enthousiasme.
Il fit des gestes vifs l'invitant à le suivre, puis il courut dans l'arrière boutique.
Il y avait une multitude d'étagères et d'armoires, toutes sortes de bocaux de différentes tailles étaient entreposés, ainsi que des fusées d'artifices rangées par couleur. Quelques planches en bois recouvertes de moisissure se trouvaient dans un coin de la pièce, là où le toit avait été détruit.
— Ranges-moi ce bazar Dux, et plus vite que ça ! Nous avons un client !
Hadvar pénétra à l'intérieur. Un golem de bronze nettoyait le plancher d'une pile de bois et de fragments de verres.
L'être artificiel était grand et massif. Seul un de ses yeux luisait d'une lueur argenté. Il se tourna pour saluer Hadvar et lui fit un signe, bousculant l'établi à côté de lui ainsi qu'une étagère qui s'écroula. Cela provoqua un tel boucan que la voix de son propriétaire retentit.
— Dux ! cria-t-il. Qu'est-ce que tu fous encore, hein ?
L'artificier revint de l'arrière boutique avec un petit baril sous le bras. Il constata le désordre créée par son golem et lui jeta un regard noir. Aussitôt, Dux remit en place les objets tombés sur le plancher.
Moji balaya du bras les rouleaux de parchemin de la table pour faire de la place, et avec précaution, il déposa le baril.
— Ça ne sera pas suffisant, pouvez-vous m'en donner plus ? demanda Hadvar.
— Je n'ai rien d'autre !
— C'est tout ce que vous avez ?
— Désolé mon garçon, tout a été vendu hier.
— Pardon ? À qui ? Était-ce une personne du village ?
Étrange. D'habitude, Moji n'avait comme clients que les habitants de Bourg-d'Argent. La pensée que quelqu'un ait pu découvrir des cristaux lui traversa l'esprit. Non, c'était impossible. Il n'y avait que Rachel et lui au courant de leur existence. Il n'en avait parlé à personne d'autre.
— Oh non, fit-il en balayant l'air d'une main, je ne l'avais jamais vu, mais je peux vous dire qu'il a été généreux ! Il m'a même laissé un pourboire ! Vous vous rendez compte mon garçon ? C'est mon premier en vingt-quatre ans !
Sans cacher sa joie, les yeux de Moji se remplissaient d'étoiles.
Malédiction ! Il devait absolument avoir ces barils pour dégager les galeries de la mine. C'était un problème s'il ne pouvait pas lui en procurer.
— Quand allez-vous être réapprovisionné ? se pressa-t-il de demander.
— C'est vrai ça ! Vous faites bien de me le rappeler. J'avais presque oublié que j'attends ma livraison depuis deux semaines !
Hadvar prit un air grave et réfléchit furieusement. Si Moji n'avait pas été réapprovisionné en poudre noire, il faudrait aller dans la ville la plus proche pour en acheter. C'était problématique. Les routes n'étaient pas sûres et il faudrait cinq jours pour y arriver. Rachel refuserait d'envoyer une dizaine d'hommes pour escorter les chariots, si cela rendait le village vulnérable aux attaques des brigands.
De plus, il aurait été suspect d'acheter une grosse quantité de poudre noire en ville. Les gardes ne les auraient jamais laissé sortir sans connaître leur intention. Et s'ils en apprenaient la raison, peut-être que l'armée voudrait s'approprier les cristaux.
Hadvar savait qu'ils convoitaient leur puissance. Alors, il devait trouver une autre solution.
— Vous semblez être contrarié mon garçon. Vous allez quand même m'acheter le baril hein ?
— Ça ne suffira pas. Nous ne pourrons qu'extraire qu'une petite partie des cristaux de psynergie de la... , il s'arrêta brusquement quand il se rendit compte qu'il pensait à voix haute.
Moji se tenait immobile les yeux médusés, tandis que Dux fit volte-face percutant une autre étagère qui s'écroulait dans un vacarme assourdissant.
— Quoi ? s'écria l'artificier en grimpant à quatre pattes sur la table. Vous avez bien dit des cristaux de psynergie ?
— Oui, mais...
— Pourquoi vous ne me l'avez pas dit plus tôt ? l'interrompit-il.
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée que je vous...
— Ça fait depuis bien trop longtemps que je cherche à m'en procurer ! S'il vous faut de la poudre noire mon garçon, je vous en donnerai autant que vous le souhaitez ! Je vous la donnerai même gratuitement s'il le faut !
Finalement, Moji aurait peut-être une solution au problème. Cependant, sa réputation ne le précédait pas, et il y avait beaucoup de rumeurs le concernant. Mais Hadvar savait qu'il n'avait pas d'autres choix, c'était le seul artificier de la région pouvant l'aider.
Alors il se racla la gorge et lui demanda :
— Je pensais qu'il ne vous restait que ce petit baril ?
Un rictus se dessina sur le visage de l'homme.
— Je sais où m'en procurer !
— Oui, à la cité de Castellum, mais les gardes ne nous laisseront jamais sortir avec une dizaine de tonneaux.
Moji ricana.
— Pourquoi aller si loin, alors qu'à un jour d'ici se trouve mon fournisseur ?
Hadvar le regardait perplexe. Peu de villages possédaient des boutiques d'artifices, et il n'avait pas connaissance qu'un autre marchand tenait un magasin en dehors de la ville de la province. Moji ne se réapprovisionnait-il pas depuis la cité de Castellum ?
— Quel est votre nom déjà ?
— Hadvar.
Un éclair passa dans les yeux de l'homme.
— Ah oui ! Je me rappelle de vous maintenant ! Hadvar ! Mais bien sûr, suis-je bête ? Comment ai-je pu vous oublier, vous et vos deux magnifiques pistolets ? De vraies petites merveilles qui se rechargent facilement et consomment peu de poudre ! Certes, le modèle date un peu, mais quelles armes ! Bon. Écoutez, si vous m'accompagnez jusqu'au village voisin, je vous fournirai ce que vous désirez. Mais en échange, j'aimerais que vous me donniez quelques cristaux. Pas beaucoup, juste quelques-uns !
Que compte-il en faire ? se demanda Hadvar. Sans doute allait-il bricoler une nouvelle invention douteuse, qui exploserait au moindre faux mouvement ? Il préférait ne pas le savoir. Leur utilisation était dangereuse entre de mauvaises mains. Mais si c'était le prix à payer, alors il lui en donnerait dans la mesure du possible.
Demain, il reviendrait avec assez d'explosifs pour dégager les galeries de la mine, et l'extraction pourrait commencer.
— Très bien. Dans ce cas je vais vous accompagner Moji. Quand partons-nous ?
L'artificier sauta de joie et manqua de tomber en bas de la table.
— Oui ! Merci ! Merci ! cria-t-il en levant les bras en l'air. Tu as entendu Dux ? Prépare le chariot, nous allons à Rivebois !
J'ai aussi bien aimé l'intrusion de créatures mythiques : le feu follet et le golem.
J'espère qu'il y en aura d'autre dans la suite de l'histoire.
En tous cas, l'intrigue avance plutôt vite, on n'a pas de problème de longueurs ni de latence, les dialogues fonctionnent bien (surtout celui qui finit par "Non.") et on s'attache facilement aux personnage, qui son quand même hauts en couleurs, ça promet. Par contre Hadvar à l'air d'une sacrée tête en l'air XD
Après, je trouve que la présentation des pistolets au tout début du chapitre fait un peu artificielle. Peut-être les avoir mentionnés vaguement au détour d'un geste anodin (par exemple les nettoyer, sans plus insister) dans le chapitre précédent et donner les précision ici ensuite donnerait moins l'air "regarde, la poudre existe dans ce monde, on en fait même des pistolets donc un maître artificier c'est pas trop anachronique !". Mais sinon c'est tout ce que j'ai à dire, et j'aime toujours autant ton style court et efficace ^^
En soi, Hadvar n'est pas réellement tête en l'air, sur le moment il était plongé dans ses pensées et il a répondu machinalement à l'artificier. D'ailleurs, cette boulette ne te semble pas un peu grosse ? Avec du recule, je suis mitigé par ce passage. Peut-être que ça serait plus intéressant de mener ça plus subtilement ?
Ce n'était pas l'effet souhaité pour les pistolets, mais plutôt de montrer que ce sont des objets importants qui tiennent à cœur le milicien. Il faudra que je réfléchisse à tourner ça d'une autre manière pour ne pas donner cette impression. ^^
En terme de longueur, je pourrais réunir les trois premiers chapitres en un seul. À partir du suivant, ils deviennent beaucoup plus longs. ( entre 4.000 et 6.000+ mots )
Et merci pour ta lecture assidue, ça me fait plaisir !
Quand à la longueur, je ne disais pas ça par rapport aux chapitres mais par rapport plutôt à la façon d'écrire, sans donner trop de détails ni trop s'attarder sur certaines choses, c'est un style plutôt efficace ^^
Contente que ça te fasse plaisir ! (parfois il y a des gens que ça saoule XD)Moi j'ai plaisir à lire tes chapitres, alors tant qu'à faire...