“ Somehow with,
I don’t feel alone.
You’ll always be
my home, my heart.
I’ll be with you
wherever you are.
I feel you with me when
we’re worlds apart.”
Myles Smith, My home.
Aujourd’hui, Soline n’avait fait qu’attendre.
Attendre qu’on la remarque. Attendre qu’on l’autorise à accéder à sa division. Attendre qu’on trouve son nom sur la liste des caporaux. Attendre qu’on lui attribue une unité. Attendre qu’on lui donne un rôle. Et ce soir, à la fin de cette première longue journée, elle attendait encore, en vain, pour toutes ces choses et pour tout un tas d’autres. Elle était assise sur un des bancs de l’Arena, là où on l’avait reléguée, et elle regardait les nouvelles recrues s’entraîner après le coucher du soleil. Elle n’avait rien à faire d’autre que les observer ; rien de plus intéressant, en tout cas.
Une caporale sans escadron à mener.
Une instructrice sans cadet à former.
Soline avait l’impression d’être de trop, de déranger, de ne pas être à sa place, dans l’académie qui avait pourtant été sa maison pendant les cinq dernières années. Et pour cause, personne n’avait cru qu’elle pourrait un jour guérir de ses blessures ou qu’elle voudrait revenir… Du moins, pas aussi tôt. Néanmoins, six mois après l’accident qui avait tué neuf de ses compagnons, elle était bel et bien là, au milieu des Bermudes, sur la terre sacrée des Gardiens. C’était d’ailleurs étonnant qu’elle ait pu entrer sur l’île et qu’on lui ait accordé des insignes, lors de la Lune Pourpre. Elle s’était préparée à l’idée d’être rétrogradée ou destituée, mais non, elle était de nouveau une soldate active de la Garde Divine. Une sous-officière, même. Dorénavant, elle devait se réadapter à la vie en communauté et patienter. Encore et encore… jusqu’à ce que les autres, eux aussi, se réadaptent à elle.
Soline n’avait cependant plus le sang-froid nécessaire pour rester inerte une minute de plus, dans cet amphithéâtre qui grouillait d’activités. Entendre le bruit des armes s’entrechoquer, ainsi que les essoufflements et les cris de ses camarades, tout en ne pouvant pas participer à leur entraînement était un supplice. Alors, elle remit son attente à demain. Elle quitta l’Arena et se dirigea vers les lieux communs, placés plus loin sur l’île, au centre de la base.
Quand Soline dépassa un groupe de premières années, elle distingua leurs chuchotements dans son dos. Des murmures trop bas pour être compréhensibles, mais pas assez discrets pour être inaudibles. La situation se réitéra plusieurs fois, avec d’autres équipes, sur le chemin de l’Agora — immense espace où se déroulaient la plupart des activités sociales et récréatives de la Garde. Ça ne pouvait pas être une coïncidence. Les gens parlaient forcément d’elle. Son cœur se serra encore plus aux abords du réfectoire, lorsqu’elle salua respectueusement des supérieurs, qui ne lui adressèrent même pas un regard en retour.
Soline était tantôt une bête curieuse, tantôt un fantôme.
Et puisqu’elle ne souhaitait pas vérifier laquelle de ces deux abominations elle préférerait être, lors du dîner de ce soir, elle bifurqua vers la Caserne au lieu d’aller manger. Son ego était plus puissant que sa faim. À cette heure-ci, elle serait à contresens des soldats qu’elle croiseraient, mais ça lui était égal : elle avait vraiment besoin de se retrouver seule pour reprendre ses esprits. Son dortoir, placé au dernier étage de l’aile ouest, serait parfait pour ça.
Au fur et à mesure qu’elle s’approchait de sa destination, Soline sentait un nœud remonter le long de son estomac et s’immiscer dans sa gorge. Sa respiration tressautait à chaque virage. Gravir les escaliers en colimaçon qui menaient aux quartiers résidentiels la rendait nerveuse. La dernière fois qu’elle était venue ici, Morgan l’accompagnait. Elles avaient préparé leurs paquetages ensemble, avant de partir au Mont Cargos.
Maintenant, elle devait pénétrer dans la chambre seule.
Devant la porte, elle hésita un instant. Hier, elle n’avait pas réussi à monter les marches, tant l’angoisse la secouait ; elle avait dormi à la belle étoile, après la cérémonie, sans que personne ne le sache. Ce soir, elle prit son courage à deux mains. Elle inspira longuement, puis posa son pouce sur le lecteur d’empreinte. La porte se déverrouilla, lui montrant qu’ici, au moins, elle avait sa place.
Une vague d’émotions la submergea dès son premier pas à l’intérieur. Rien n’avait bougé, la pièce était exactement comme ils l’avaient laissée six mois plus tôt. Les lits vides et les étagères pleines de souvenirs semblaient la narguer. C’était les vestiges des jours heureux. Tout, autour d’elle, rappelait l’aura d’Ignacio, Flore et Morgan, du sol au plafond. Leurs couchettes étaient préparées avec soin, les draps tirés et les oreillers bien alignés, comme s’ils allaient revenir à tout moment. Mais Soline savait que cela ne se produirait jamais. Le temps s’était simplement figé, la ramenant à l’époque où ils étaient encore un quatuor indivisible. La chambre des quatre autres membres de l’unité Perseus — Sora, Evren, Zayn et Desmond — juste en face, devait être dans le même état. La Générale Noctis Sullivan, cheffe des armées magiques et directrice de la Garde, avait décidé de ne pas toucher aux effets personnels des défunts tant que l’enquête sur leurs morts ne serait pas terminée.
Soline s’assit sur son lit et son regard, nostalgique, balaya les lieux. Elle se souvint qu’Ignacio lisait chaque soir, étalé au-dessus de sa couette dans des positions improbables, avant de s’endormir comme une masse ; que Morgan laissait traîner ses affaires un peu partout, si bien que des cartes à jouer se retrouvaient souvent dans ses chaussures ; que Flore gardait précieusement une photo de famille sous son oreiller, même si elle disait à tout le monde qu’elle ne voulait plus jamais entendre parler de ses parents. Soline sentit des larmes monter au bord de son œil. Ces habitudes, qui avaient peu d’importance dans son quotidien lorsqu’elle vivait avec ses amis, étaient désormais tout ce qui lui restait d’eux. Le poids de leur absence fit apparaître une boule à l’intérieur de sa cage thoracique, si bien que son souffle s’enraya. Elle dut se lever pour ouvrir la fenêtre, afin que l’air s’engouffre dans la pièce et dans ses poumons. Appuyée sur le rebord, elle regarda le vide quelques secondes.
Que se passerait-il si elle abandonnait, elle aussi ?
Si elle sautait pour ne plus avoir mal ?
Soline se ressaisit avant que ses démons ne prennent le dessus de sa raison. Elle respira lentement, en fermant sa paupière, pour faire partir l’angoisse qui enflait en elle. Elle ne pouvait pas baisser les bras, pas alors qu’elle avait lutté pour survivre malgré la douleur dans l’unique but de découvrir la vérité. Elle était la garante de l’honneur de son unité disparue, et elle avait l’obligation de rester forte jusqu’à ce que leur mort soit élucidée. L’omniprésence de sa peine grandissait, mais l’amour qu’elle éprouvait pour eux était puissant.
Quand les battements de son cœur quittèrent ses tempes, elle se tourna vers l’étagère où étaient disposées les gratifications et les babioles de ses ex-compagnons. Des décorations, des lettres, des photos jaunies par le temps. Chaque objet racontait une histoire, un moment de joie, de camaraderie ou de courage. Soline prit une médaille et la serra dans sa main, contre sa poitrine. Leurs visages souriants lui revenaient en mémoire. Leurs voix, leurs rires… Puis, leurs hurlements et leurs corps.
Elle ne pouvait pas les laisser tomber.
Elle devait leur rendre hommage.
Elle se battrait, s’entraînerait, deviendrait plus forte.
Les larmes qu’elle retenait depuis si longtemps finirent par couler sur sa joue, en silence. Elle espérait que, d’une manière ou d’une autre, ses camarades disparus sentiraient sa détermination et son affection. Elle, en tout cas, savait qu’elle marcherait sur le chemin qu’ils avaient emprunté ensemble, même si elle était la seule à suivre cette route désormais.
Partout où Soline irait, ils viendraient avec elle.
— Pour que vos noms ne soient jamais oubliés, murmura-t-elle pour elle-même, avant de sortir de la chambre et d’arpenter l’académie jusqu’à ce qu’elle tombe de fatigue.
J'ai trouvé ces deux premiers chapitres très prometteurs. Ta plume est agréable à lire, fluide et variée, et je suis rentrée facilement dans l'histoire car la scène du refectoire est vivante, le "combat" bien décrit, les personnages bien introduit. Peut-être qu'il manque un petit quelque chose pour esquisser leurs traits de personnalité, au moins les principaux, mais ça peut arriver plus tard. J'ai trouvé sympa de découvrir Soline par un autre point de vue que le sien, mais comme elle crève un peu l'écran, à la fois par sa personnalité et par son historique, à côté d'elle Orion parait un peu fade. Sans en faire des tonnes, peut-être qu'un petit peu plus d'introspection pendant qu'il assiste à la "démonstration" de Soline permettrait de le définir dès le chapitre 1 et de le rendre attachant ?
Le prologue est intéressant sur la forme, mais j'avoue que je n'ai pas compris l'utilisation de la deuxième personne. C'est original, mais j'imagine que ce n'est pas la seule raison qui t'a amenée à choisir cette syntaxe si particulière ? Ou alors on comprend plus tard ?
En tout cas, malgré mes petites suggestions, j'ai apprécié ma lecture ! Merci !
Woww, ce chapitre est excellent, sa chute claque !
Déjà c'est trop bien d'avoir le pdv de Soline, après une introduction de personnage aussi marquante. Ce chapitre confirme sa profonde affliction mais aussi sa rage, son envie de faire lumière sur ce qui a provoqué la mort de ses proches compagnons.
La scène de retour dans la chambre était vraiment réussie, la redécouverte d'un mobilier autrefois anodin et désormais lieu de mémoire confère un aspect très émotionnel au lieu. On comprend les larmes de Soline et sa rage de fin de chapitre. Ma théorie à ce stade c'est que la mort de son unité est dûe à une trahison d'un autre personnage et que la quête de vérité de Soline va bientôt devenir une quête de vengeance...
Mes remarques :
"Une caporale sans escadron à mener. Une instructrice sans cadet à former." sympa ce passage !
"comme s’ils allaient revenir à tout moment." -> comme s'ils s'apprêtaient à revenir ?
Un plaisir,
A bientôt !
Je viens par ici par rapport aux Histoires d’Or, mais je dois bien dire que ce joli titre a aussi piqué ma curiosité :P
Quelques petites remarques au fil de ma lecture du chapitre 1 :
“dans l’espoir de paraître tétanisée et donc, plus vulnérable" Alors, là on passe des pensées d’Orien à celles de Soline (avec “dans l’espoir de”...). Si t’es en narration omnisciente, c’est okay, mais il ne m’a pas semblé que c’était le cas…
“Soline ponctua sa moquerie d’un clin d’œil mesquin" Alors, euh… un clin d’œil, pour un personnage borgne… disons que ça ne se remarque pas vraiment x)
“Buchanan vous avez suffisamment sanctionné" Bah ? Elle ne s’appelait pas Barnes, Soline… ? (d’ailleurs, pas facile de s’y retrouver avec ces deux noms de famille en -b, et les prénoms en plus…)
“Orion dû (dut) avaler le contenu de son assiette”
“— Barnes est la seule survivante, alors ?" Je trouve ça un peu bizarre que la narration, soit les pensées du personnage vu qu’il me semble qu’on est en narration interne, la désigne comme “Soline”, alors que dans les dialogues ils n’utilisent que son patronyme… À moins que ce soit juste ce qu’il faut, militairement parlant, maintenant qu’elle est montée en grade, et c’est juste qu’ils la connaissent en tant que camarade de promo donc ça n’a pas encore changé dans leurs pensées… ? Si c’est le cas, il faudrait potentiellement l’expliciter ^^
Il ne me semble pas avoir d’autres remarques de forme, ou de coquillettes à signaler, par rapport aux autres chapitres (enfin, l’autre chapitre, plus le prologue), donc je passe aux remarques plus de fond ^^
Tu ouvres la danse avec une belle double mort, hopla ça s’est fait :P En même temps, quelle idée d’aller chercher la pomme de la DISCORDE à plusieurs, hein… (je plaisante) J’aime bien que ce soit à la deuxième personne aussi, ça change et ça m’a interpellé’e dès les premières phrases du coup (ce qui est un bon point pour un début !), et aussi que finalement Gabe ne se trompait pas, la déesse était bien amoureuse de lui, au moins à ce moment… Et puis, hopla, le narrateur (le lecteur ? avec le “tu” qui a d’autant plus d’impact à ce moment-là…) qui part en vrille, ça clôt ainsi un prologue bien alléchant !
Ensuite, hop, tu nous présentes tes deux personnages principaux : j’apprécie particulièrement le choix de nous en donner un en point de vue interne, et l’autre à travers ses yeux. C’est efficace ! Surtout pour un personnage qui a changé - c’est une technique maligne pour nous le faire savoir de façon naturelle ^^ Et puis on découvre Soline à travers ses yeux à elle, et ouch ! Ce chapitre 2 est peut-être un peu trop court – il ne fait pas spécialement avancer l’intrigue, quoi – mais en tous cas il ne manque pas d’émotions, j’ai presque eu la larme à l'œil quand elle se retrouve dans son dortoir tout vide… On sent réellement le silence, la poussière presque sur cet endroit qui est resté tel quel pendant six mois, et puis je visualise tellement Soline toute seule sur son lit dans cette pièce trop grande pour une personne… snif, vraiment.
Je ne vois pas encore trop ce qui va arriver exactement aux personnages (enfin, à part ce que tease le résumé ^^), ni comment le prologue se raccorde à leur(s) histoire(s)... Encore une fois avec le résumé, je me dis que le narrateur (le “tu”) du prologue a peut-être fondé les Prométhéens ? Vu qu’il a l’air bien motivé à aller tuer du dieu maintenant qu’il a vu que c’était possible… Enfin, j’imagine bien que tout ça se trouve dans la suite :P
Pour ce chapitre, je m'attendais à un petit rebondissement à la fin, soit que Soline rencontre le personnage principal du chapitre précédent, ou bien qu'on lui donne enfin une mission. L'unité du chapitre me paraît un peu légère sans cela. Je n'ai pas encore lu le chapitre suivant, mais peut-être qu'il faudrait le réunir avec ce chapitre, surtout que celui-ci est plutôt court.
Sinon, c'est toujours très bien écrit et les émotions toujours bien retranscrit. Pour autant, je ne parvient pas encore à ressentir de la sympathie pour Soline, j'ignore pourquoi. En tout cas, vivement la suite !