- Aïe ! J’ai… Ha…
- Sa… Salut. Oh ! Désolé ! Je ne vous avez pas vu.
- Ce n’est pas grave, vous…
- Mais… je vous connais, vous… Oui, je te connais, toi…
Il me semble que moi également…
- Tu… tu es le fils du Maître Frost, Ethan. Tu es Ethan, n’est-ce-pas ?
- Da… Danny, si je ne me trompe ?
- Oui, c’est bien moi. C’est incroyable de voir combien tu as grandi.
C’est étrange que tu aies préféré utiliser le verbe « grandir » alors qu’on n’a le même âge.
- Toi, pareil ! Mais, en quand-même plus jolie.
J’aurai pu utiliser le mélioratif « plus belle », mais ça aurait fait trop direct et potentiellement engendré un malaise.
- Ah ! Merci !
- Pas de quoi.
- Eh ! Mais, c’est drôle de te voir ici. Qu’est-ce-que tu fais à ClintonLand ? Tu as décidé de venir faire un tour dans ton ancien quartier ou quoi ?
- Disons… ça.
- Ah ! Je suis bête. J’ai oublié de te demander comment vont tes parents.
- Ah ! Eux… je… euh… ils vont bien, je pense.
- Tu penses ? T’es marrant, toi. Tu ne vis pas avec eux ?
- Si… disons que oui… en quelque sorte.
- Ok !
- Bon, je ne te dérange pas plus longtemps. Passe une bonne…
- Bah ! Moi, je vais devoir le faire, si.
- Pardon ?
- Pour me faire pardonner de t’avoir presqu’écrasé le gros orteil, je voudrais que tu acceptes de venir chez moi. Je pourrai cuisiner quelque chose de pas mal délicieux pour que tu t’en remettes. Qu’en dis-tu ?
Daniela Chesterfield était la fille du meilleur ami de mon père. Le sien et le mien s’étaient connue depuis la fac et étaient ensemble au barreau. Elle et moi ne nous étions plus vus depuis la réorientation professionnelle de son père. Et moi, au cours d’une soirée barbante, j’avais revu par coïncidence la fille d’un homme pour lequel j’éprouvais énormément de respect. Une fille avec qui j’avais partagé un très bon passé.
Il est très probable que vous ne compreniez pas ce qui se passait réellement, mais je ne suis pas sûr que votre confusion continue avec l’explication que je m’apprête à vous fournir par la suite.
Alors, voilà, Daniela Chesterfield et moi nous connaissions depuis des tas d’années. À vrai dire, nous avions cessé de nous voir l’année de mes dix ans après que mes parents et moi avions quitté ClintonLand. Cette fille a joué un rôle très important dans ma vie. Pour le dire plus directement, c’est l’une des filles qui a fait chavirer mon cœur lors de ma période préadolescente. Et, c’est également la première fille… la première femme… qui m’a appris qu’on pouvait tomber amoureux de son amie. Elle m’a montré un côté des relations entre garçon et fille que je ne soupçonnais même pas. Et ce, sans même qu’elle ne s’en rende compte, non plus.
Mais bon, ça, ça fera l’objet d’un autre chapitre… un chapitre entier…
Je vous le promets.
- Alors, tu acceptes ou pas ? Je pourrai même te faire un gâteau en désert si tu veux.
Dany avait toujours fait preuve d’un courage monstre face à moi… face à tout le monde, d’ailleurs. Ça m’avait toujours fait flipper. Cette jeune femme était pleine de cran et de courage.
- Je ne pense pas être en mesure de refuser à ce stade.
- Euh… Si, tu peux refuser, crois-moi. Tu n’es pas obligé d’accepter si tu ne veux pas.
Hein ! Quoi ?
- Bon sang ! Danny, tu es en train de m’inviter et moi, je suis en train d’accepter ton invitation. Alors, on continue à discuter du concept où on se bouge ?
- !?
- Attention à ce que tu vas répondre, tu… tu risquerais de devoir te faire pardonner pour une seconde fois.
Fais gaffe. J’ai déjà fait une crise de folie, moi.
- Le gâteau, tu le veux à quoi ?
…
D’aussi loin que je m’en souvienne, Daniela a toujours eu la réaction appropriée pour aller directement à l’essentiel. Moi, j’ai toujours été un peu lent à la détente - et ce, en tout – Donc, forcément, quand c’était elle qui prenait les rênes comme ça, ça marchait toujours. C’était une fille qui avait un fort caractère. Je finissais toujours par m’extasier devant son courage et la manière prodigieuse dont elle savait faire tourner les choses à son avantage. J’espère qu’un jour, j’aurai le cran de briser les barrières du possible comme elle savait si bien le faire. Comme pouvait le dire un philosophe, « il faut dissocier l’utile de l’inutile pour arriver à l’essentiel ». Je suis souvent si lent à la détente que je finis parfois par me perdre dans les détails que je décide, moi-même, d’évoquer.
Ça en est presque risible.
~~~
- Hum ! On est arrivé, Ethan.
- Tu… tu as de plus longs cheveux, non ?
- Oui… euh… oui, je crois. Haha !
~~~
Je suis capable, comme ça, de m’évader d’une discussion ou d’une situation pour aller me perdre aussi loin dans le foin de ma pensée. Peut-être que c’est ça mon côté fou. A moins que mon côté fou ne réside en réalité dans le fait qu’il m’arrive de disparaitre… de m’effacer… d’annihiler complètement l’attention que les gens portent sur moi pour pouvoir me retrouver avec moi-même et mon existence *remise en doute*.
Faudrait d’ailleurs que je songe un jour à « décrocher le combiné ». Histoire de prendre les véritables appels et laisser les SMS.
Désolé pour les expressions trop lourdes et incompréhensibles. Ça arrive souvent quand je suis confus.
- Tu sais que tu es vraiment étrange ?
- Euh… Pardon. Je ne t’ai pas suivi, tu disais ?...
- Bah ! C’est justement ça.
- Ça !? Ça, quoi ?
- Ça, le fait que tu ne sembles n’avoir rien suivi de tout ce que je te raconte depuis tout de suite. Ni, d’ailleurs, d’avoir remarqué qu’on ait marché pendant près de dix minutes avant d’arriver chez moi.
- Ah ! Je… je ne t’avais pas suivi, en effet. Dé… désolé !
- C’n’est pas grave. Je… je te pardonne.
- Hum ! Tu sais quoi ?
- Eh bien…
- C’est d’ailleurs ça…
- Ça !? Ça, quoi ?
- Ça, le fait que tu te sois fait pardonner. Et puis… euh… ce n’est donc plus la peine, du coup…
- Que quoi ?
- Que tu m’invites…
- Hein ?
- Oui, je… je veux dire… tu t’es déjà assez faîtes pardonner pour mon gros orteil, ce… ce n’est plus la peine. Vraiment !
- Ethan… Humph ! S’il ne s’agissait juste que de ton orteil, on n’en serait pas forcément arrivé là, tu en es quand-même conscient ? Là, je suis en train de t’inviter à dîner chez moi.
Mais, c’est justement ça le problème.
- Je veux te faire une bonne petite bouffe et... et…
- On pourrait faire ça une autre fois ?
- Hein ? Pardon ? Mais… mais, pourquoi une autre fois ? Pourquoi pas maintenant ?
- Il… il faut que j’aille refaire mon bandage.
- Je peux te le refaire ici. C’est vrai que je n’ai pas de talent particulier comme soignante, mais je sais à peu près comment faire un bandage correct.
- Non… non, vraiment pas la peine. Claire, ma grande sœur, c’est une vraie experte dans ce domaine. Elle… elle est médecin.
Rien de mieux que la témérité du mensonge dans une telle situation de stress !
- Ah… Ok !
- Mais, si tu veux, on peut se revoir une autre fois.
- Mais, tu n’as même pas…
- Ah ! Trêve de bavardages. Il faut que j’y aille. À plus.
J’ai… j’ai vraiment paniqué, là ? Bon, tant pis ! Il fallait que ça cesse, de toute façon.
Je ne suis pas sûr de savoir ce qui allait se passer là-bas.