Au fil du temps qui passait, je pensais et repensais aux événements qui avaient précédé le changement de tournure de ma vie : ma dispute avec mes parents, ma petite crise de folie, mon retour à OldTown. Peut-être que ces événements n’étaient pas tous aussi anodins que je le pensais. Peut-être même qu’ils étaient intimement liés, les uns aux autres, et, je dirais même, guider par une main invisible pour parvenir à donner naissance à une situation particulière.
Dans un certain sens, si j’analyse bien les faits, selon l’hypothèse de la providence, il fallait que je sois dans une situation où je ne vivrai plus avec mes parents ; où je me serai découvert un côté fou qui serait enfin sorti de l’ombre – et apparaîtrait aux yeux de tous comme étant une réalité qui ferait inéluctablement partie de mon existence – pour me dire qu’elle serait dorénavant à mes côtés ; et qui m’aiderait à revenir dans un ancien lieu comme une manière de revenir à mes anciens sentiers, laissant sous-entendre que j’aurai oublié un peu trop précocement un point de mon passé enfoui dans les méandres de ma mémoire et qu’il fallait impérativement que j’y revienne pour prendre un nouveau départ de manière plus consciencieuse.
Quand on coince quelque part, il faut parfois effectuer un petit retour en arrière pour mieux retrouver le fil afin d’avancer avec plus de clairvoyance.
Il se puisse donc que ces événements, que d’autres pourraient appeler incidents, ne puisses en réalité qu’être les légitimes rejetons d’un monticule de pièces éparses appartenant à un puzzle de mon passée dotée d’une taille monumentale et destiné à régir mon futur. D’ailleurs, qui sait ? Peut-être qu’il fallait que ma fugue se produise pour que je comprenne quelque chose, une leçon… oui, c’est ça… une leçon fondamentale que la vie voudrait m’enseigner pour que je puisse la mener en assumant réellement mon d’identité.
Mais, qu’elle est cette fameuse leçon ?
Je suis troublé !
…
Un matin un peu différent des autres, j’avais passé quelques appels pour me ré-imprégner de la vie à l’extérieur, car je comptais me reprendre en main. Ça faisait déjà trois semaines que je glandais chez ma grande sœur à ne rien faire et, ce jour-là, j’étais bien décidé à ce que cette situation de break cesse.
Pour effectuer mon premier pas, J’avais eu une longue conversation avec Jonathan Stones, l’un de mes meilleurs amis. Il n’était pas au courant de la situation que j’avais traversé et on avait convenu de se voir pour en parler. Pourtant, en attendant, je lui avais déjà demandé de me trouver un appartement vu qu’il travaillait dans l’immobilier. Jonathan m’avait dit qu’il pouvait m’héberger quelque temps si c’était le fait de continuer à vivre avec ma grande sœur qui me dérangeait. Selon lui, pendant cette petite période d’attente, j’aurais pu mieux réexaminer l’hypothèse de retourner vivre au domicile familial.
Mais… quelle folie !
Je lui avais clairement répliqué que ce n’était pas une de mes options et qu’avant de dire « réexaminer », il faudrait d’abord que j’eusse, à un moment donnée, « examiné » cette « fameuse hypothèse ». Chose qui n’avait jamais été le cas et qui n’était pas prêt de changer.
En quittant la maison de mes parents, je savais parfaitement que je ne voulais pas y retourner. Ce n’était pas une question de gêne, de honte ou d’entêtement. Ce soir-là, en sortant de la maison, le destin avait déjà effacé l’issue que je puisse y retourner dans l’éternité des destinées.
Du coup, vous l’aurez bien compris. L’univers avait fait son choix pour moi. Je n’y pouvais rien et ne voulais rien y pouvoir faire.
…
Plus le temps passait, plus je mourais d’envie de revoir Danny. Je venais de m’apercevoir que le jour où on n’était tombé l’un sur l’autre, on n’avait pas échangé nos numéros. Je songeais alors à ressortir de OldTown pour aller à Clinton Land et rôder dans les environs du lieu de notre rencontre jusqu’à ce que je tombe sur elle à nouveau. Je devais le faire cette même soirée, car le lendemain, j’avais un rendez-vous avec Jonathan et je ne voulais pas le voir avant d’avoir revu Danny. Quelque chose me disait qu’elle avait peut-être la réponse à mes questions. Donc, je pensais que j’allais être plus fixé avant ma conversation avec Jonathan si l’hypothèse que je croyais être en lien avec Daniela était avérée.
Quand on s’apprête à avoir une discussion avec un grand sophiste et manipulateur comme Jonathan Stones, il vaut mieux avoir toutes les cartouches de son côté.
…
ClintonLand était un quartier peuplé de personnes complètement à la masse. De véritables tarés vivaient là-bas. Néanmoins, dans toutes cette cacophonie d’humains, résidait le plus pur d’entre tous – d’entre tous les humains de la terre, d’ailleurs – J’ai cité, Daniela Chesterfield.
Quel paradoxe ! La plus saine de toutes les personnes que je connaisse réside dans un quartier rempli de purs débiles.
…
Après quelques heures à rôder dans le coin comme un vautour, je l’avais enfin aperçu. Et, c’était vraiment tant mieux parce que je n’avais plus le moindre sou sur moi. Après en avoir beaucoup dépensé dans l’alcool, il me restait à peine de quoi l’invité au resto.
Au départ, je me suis pris des shoots d’alcool pour combattre le stress de la rencontre et après, j’ai continué à enchainer les verres parce que je pensais qu’il n’y aurait justement plus de rencontre.
- Salut.
Me jetais-je sur elle, dare-dare.
- Oh ! Salut. Comment tu vas, toi ?
- Ça va.
- Cool !
- Je passais dans le coin un peu au hasard et c’est après que je me suis rappelé que j’étais dans ton quartier et que j’ai commencé à penser à toi. Et là, par pure coïncidence, tu te pointes devant mes yeux.
- Ouais ! C’est ça.
- J’suis très sérieux, en plus. D’ailleurs, là, ça me fait penser que j’aimerais t’inviter à prendre un pot.
- Ah ! Là ?... Ça ne tombe pas très bien. J’ai des tas de cours en retard et il faut vraiment que je révise pour demain.
- Ah ! D’accord ! Une prochaine fois, alors…
Et il se retourna avec toute la déception du monde sur ses épaules.
- À moins que… Ethan, attends.
Hein ?
- Oui ?
- Je pense que cette situation peut s’arranger.
- Ah bon ? Mais, comment ? Tu as des révisions à faire et je ne veux pas t’importuner davantage. Donc…
- Et tu ne le feras pas.
- Ah bon ? Je t’écoute. Qu’est-ce que tu proposes ?
- Bah… que tu viennes chez moi.
- Ah !?
- Là-bas, je pourrais te cuisiner un truc vite fait bien fait et on pourra quand même passer du temps ensemble même si je serais devant mes cahiers.
- Tu crois ?
- Et, qui sait ? Le fameux gâteau, je te le ferai peut-être.
- Haha !
- Je pense que tu ne pourras plus te défiler maintenant.
Youpi !
- Ok ! Bah ! Comme tu veux, alors.
Évidemment que je n’avais pas l’intention de me défiler cette fois-ci. La première fois, j’avais pris peur de ce qui aurait pu se passer parce que je n’y étais pas préparé – je ne sais pas comment réagir quand on me prend au dépourvu. Sauf si c’est pour une situation à laquelle j’ai déjà pensé et prévu ma réaction dans les moindres détails – mais, maintenant, je suis près. Je dirais même mieux. Je bats du fer.
Il faut vraiment que j’utilise des expressions que je maîtrise plus.
…
En fin de soirée, nous étions donc chez Danny. On avait fini de se régaler avec un dîner divinement bien fait et, pendant qu’elle me préparait un gâteau… du feu de dieu[1]… Je m’installais prestement dans son salon et j’apprêtais mon petit bidon pour la dégustation.
- Tu ne veux pas que je t’aide un peu ? C’est vrai que je ne suis pas très doué en cuisine, mais… peut-être que comme ça… euh… avec toi, j’apprendrai.
- Non, Laisse.
- Je pourrais au moins faire la vaisselle pour ne pas te donner trop de travaille.
- Non ! Pas la peine. Je préfère tout faire seule. D’ailleurs, j’ai horreur des hommes qui s’y connaissent en cuisine.
Qu’est-ce que ça voulait dire ? Je ne savais pas. Mais, en tout cas, j’adorais entendre ça.
J’étais sur un petit nuage à ce moment-là, mais quelque chose m’avait très vite fait redescendre sur terre.
« Hum ? C’est quoi cette odeur ? »
- Dan… Danny ? Ta patte, je crois qu’elle… je crois qu’elle est en train de brûler…
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[1] Cette expression est tirée de la Bible et fait référence à la foudre qui est le feu envoyé par Dieu depuis le ciel. L’expression du feu de Dieu est assez ambiguë, car elle peut totalement différer de sens selon son contexte. Elle peut ainsi renvoyer à la bénédiction divine où à la colère divine.