Chapitre 2 : Du dur labeur

       Cette journée n'avait pas commencé sous les meilleurs auspices. La Grosse Bertha, la plus productive de nos quatre vaches avait été plus revêche que d'habitude et ça avait été galère pour lui prélever le lait à ses pis. Je m'étais levé du mauvais pied, elle encore plus, Heureusement que c'était la dernière. Avec toute cette agitation, j'avais failli étaler tout le contenu du seau par terre en même temps que moi. Puis, j'avais versé le lait dans le pot de métal cabossé prévu à cet effet et je m'étais dirigé direct aux champs pour ne perdre plus de temps. Et jamais je n'aurais pu m'imaginer qu'elle finisse en plus pire que cet évènement.

 

       L’air grisant du matin d’automne me giflait le visage de ses gouttelettes de tristesse monotone pendant que j’auscultai les sillons du champ. Il fallait m’assurer que mon travail avait été fait dans les règles de l'art avant de pouvoir planter les semis pour demain. Trop occupé à regarder la terre, je n’entendis que tard le trot saccadé provenant de l’autre côté du champ.

- Endreiz ! Attention !! m'interpella une voix d'outre-champ.

       Je me retournai d’un mouvement brusque. J’étais si habitué aux sons de sabots tapotant contre la terre pendant que j'avais enchaîné les allers-retours au char à bœufs que je n’avais pas entendu le cheval arriver vers moi. La bête avançait à toute allure, faisant grincer son exosquelette de métal. La terre formait un nuage épais autour de ses sabots renforcés d’acier. Je me jetai sur le côté d’un bond pour l’éviter de justesse pour ne pas me prendre toute la masse de front. L’animal me frôla d’une dizaine de centimètres égratignant ma peau au passage. Lessy était devenu hors de contrôle. Un morceau de bride frôla mon visage. Sans réfléchir, je m’y accrochai. J’avais sous-estimé la vitesse de l’équidé qui manqua de me déboîter l’épaule en me tirant avec lui. Je roulai sur moi-même, en tenant la bride avec force. Le cheval m’emporta et avant qu'il me traîne contre la terre du champ qu'il était censé finir de labourer. Je me servis de cet élan pour me propulser sur sa croupe. Mes cuisses et mon torse se couvrirent d’éraflures à cause de l'armature , m’arrachant un grognement de douleur. J’agrippai vivement la selle et me hissai vers sa tête en haletant pour me donner du courage.

       Mon bras se tendit en direction de la tête et, me concentrant sur l'Esprit, je lui fredonnais des mots doux à l'oreille pour le calmer. L’animal émit un hennissement et s’arrêta un peu trop abruptement à mon goût, m'enfonçant l'entrejambe jusqu'à son encolure. Cela aurait dû me faire valdinguer jusqu'au sol mais j'avais tenu fermement les rênes. Un courant électrique passa dans mon bassin lorsque je sauta à terre, haletant et hagard. Je ravalais un juron de douleur.

— Endreiz ! Est-ce que ça va ? demanda Haidol, mon aide de champ.

— Oui. Ah ! soupirais-je... Ça va. C'est encore Lessy qui a paniqué pour un rien.

       Une grande silhouette dégingandée d'une blondeur candide et à la peau brunâtre s’approcha de moi. J’étais trop occupé à reprendre mon souffle pour lui prêter attention.

— Ça doit être une bestiole qui l'a embêté. Elle est vraiment trop sensible. Tu sais que maintenant il existe des bêtes robotiques bien plus efficientes pour travailler la terre. Au moins, ça te soulagerais d'un poids et tu aurais plus de temps pour t'occuper de ta mère.

— Crétin ! T'comprends pas. Pour moi, elle fait parti de la famille. Comment veux-tu que... ?

       Son sang ne fit qu’un tour et il me foudroya du regard, plein de dédain. Lorsque je me rendis compte que j'étais allé trop loin, je rougis violemment et m'excusais silencieusement. Il était déjà bien gentil de m'aider pour le peu d'argent que je lui donnais en plus du gîte et du couvert. Je secouai la tête afin de me remettre de mes émotions. Mes yeux se posèrent sur ce jeune homme de bonne famille qui avait perdu ses deux parents trop tôt lors de l'incendie du Grenier à Grains de notre village.

— Mes paroles ont dépassé ma pensée. Tu sais, je suis assez sanguin comme personne.

— Je le sais. Pas la peine de le dire. J'ai l'habitude de tes tempêtes et de tes éclaircis. Aide-moi plutôt à mener ce vieux canasson dans la droite ligne avant qu'il choit, intima-t-il.

— Eh ! Ne l'enterre pas trop vite ! Elle est encore dans la force de l'âge.

— Ouais. Comme nous deux. Et pourtant, ça ne se voit pas chez...

       Je lui donnais une bourrade à son épaule en équerre avant qu'il termine sa phrase et cueillit un sourire narquois dans la place de son visage émacié. J’époussetai mon pantalon et ma veste recouverts de terre en grommelant. Après un moment de silence, je levai la tête et le dévisageais. Il m’observait d'un air railleur sans rien dire. Il semblait attendre ma réaction. C’était perturbant de voir les petits yeux bleus de Haidol, cette force de la nature en forme de grande perche, tirer son visage ainsi. Il me rappelait ses nobliaux de parents, à la fois généreux et un peu hautains, sans atteindre l'aigreur de ces petits seigneurs de l'Intelligentzia Cybernétique qui voulaient droit sur tout, même sur nos terres.

— Arrête avec cet air d'ailleurs. Tu me fais trop penser aux Grandes Cités.

— Ah ouais ? C'est vrai que t'es un ermite des grands chemins. Tu ne t'acoquinerais pas avec la technologie de cette ère de progrès... , dit-il en lançant un regard vers la jument.

       Je m’approchai du cheval désormais immobile.  La montagne de muscles fins me tira sans difficulté hors de notre dur labeur alors qu'on était à la fin de journée. Le long bras de Haidol me saisit dans toute ma largeur et on dévala la petite pente qui encerclait le champ, droit vers le petit verger.

— C'est sûr qu'un exosquelette qui date de deux ans en arrière, c'est de la haute tek, ça ?

— Tu n'essaierais pas de me copier par exemple...? Tu sais que ce dialecte sarcastique ne te va pas du tout. Quel buté tu fais quand même à ne pas vouloir suivre le progrès, ça te faciliterait grandement la vie. Tu sais. Les Êtres Supérieurs ne sont pas mauvais, ils veulent notre bien.

       D’un coup d’œil acéré, je lui fis comprendre qu'il ne devait pas aller plus loin. Vu l'éclair de fureur qu'il lisait dans mes mirettes, il opta pour la retraite du silence tel un moine-soldat de Tyl.

       Je lui avais répété milles fois de ne pas parler de ces Êtres. Cependant, il ne cessait de me harceler en parler d'eux et du bonheur technologique qu'il procurait partout dans le pays. Me penchant pour éviter une branche de jeune prunier qu'il n'avait pas retenu assez longtemps, je soupirai de dépit. Ma tête arrivait à la hauteur des naseaux de ma jument, à l'endroit même de sa crinière. Marchant à côté et lui caressant le flanc pour l'apaiser, je portais mon attention sur sa robe baie et ses yeux noisette qui transpiraient la douceur incarnée. Il n'y avait pas à hésiter. Je préférais un être vivant bien en chair, qui broutait l'herbe tendre entre les arbres, qu'une machine artificielle qui obéirait au doigt et à l'oeil et qui ne pourrait aimer. Même si cela devait réduire notre rentabilité dans les champs et les bénéfices engrangées. Je n’achèterais jamais une de ces bêtes mécaniques auprès d’un producteur de Tyl, la capitale de notre chère pays. Il faudrait déjà que j'eus l'argent pour cela. Pas qu'on soit pauvre. On avait juste assez pour vivre et pour soigner ma mère. En effet, j'avais déjà été obligé d'aller jusqu'à la décharge d'Amburg, à plusieurs lieux de mon village de Midedal pour trouver un exosquelette et améliorer les performances de Lessy. Les relents de l’épidémie d'encéphalomyélite du siècle dernier ne l'avaient par chance pas touché et mis au ban dans les livres d’histoires naturelles que possédait ma grand-mère Heïga . Seulement, il y avait de moins en moins de vrai cheval depuis.

       Un inventeur avait construit un être cybernétique leur ressemblant. Il ne fallut que ça pour que le dirigeant de la plèbe commença alors La Grande Modernisation. L’industrialisation se faisait petit à petit autour de nous, en réponse à la politique d’expansion technologique instaurée par l'Impérator de la Fédération des Îles-Unies de Saarh. Pourtant, il faudrait encore un temps pour que certaines campagnes comme la nôtre soient totalement touchées, elles étaient encore à l'abri de cela et s’adaptaient mal à ces avancées qui pouvaient être dangereuses. La machine à mes côtés aidait la silhouette du cheval, rien de plus. Il était très rare de voir des machines dans ces environs et l’arrivée des exosquelettes d’acier avait créé l’événement à Midedal. Personne dans cette petite ville n’avait jamais vu de telles innovations. L’acier, sur l’intégralité de cette exosquelette, était ciselé d’arabesques dont les gravures s’illuminaient du violet de l’étherium qui activait leur fonction de renforcement musculaire. Heureusement que je l'avais eu pour rien en la récoltant hors des autres déchets de la décharge d'Amburg car j'aurais dû faire un prêt au notaire du village qui était le plus cupide que je n'avais jamais vu de ma vie.

       Le vent frais d'automne effleura ma tunique bleutée, elle était un peu trop légère pour la saison mais me permettait de ne pas transpirer trop au travail. En voyant le regard interloqué de Haidol, je compris que je m'étais perdu dans la contemplation de la robe de ma jument chérie et nous étions à la modeste étable, à côté de notre maison. Je laissa ma main aller une dernière fois pour flatter sa croupe. Une faible mélancolie me rappela comment l'être vivant était sensible à tous les aléas du quotidien. Je chassai le souvenir douloureux de ma tête et me concentrai sur ce que disait mon ami tout en m’attardant sur le chanfrein du cheval, entre les naseaux et les oreilles. J'appuyais sur le bouton d'arrêt. Les gravures des arabesques d’un violet surnaturel, autour, s’éteignirent, signe que l’étherium, cette fantomatique source d'énergie, cessait d'alimenter l’appareil. Les yeux dans le vague, je descellais l'harnachement et Haidol conduit Lessy dans son box.

— Bon, je te laisse, il faut que je voye comment va môman, chuchotais-je indistinctement.

       L'air inquiet, Haidol m'examinait en détail comme si j'avais une bête sur le visage, à la recherche du moindre indice permettant de lui indiquer mon état.

— C'est bon. Je vais bien, disais-je en fuyant son regard, avant que je craque, et en m'approchant de l'entrée de la maison.

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Mila
Posté le 24/06/2024
Hello !
Je viens donc de lire le premier chapitre, et on peut dire qu'il est différent du prologue. Déjà par l'ambiance, et tout ce qu'il s'y passe, mais aussi par l'écriture : j'ai remarqué un changement de style au début, comparé au prologue, mais qu'on retrouve parfois par-çi par-là.
On a eu un premier contact avec une sorte de... magie ? Je ne sais pas exactement ce que c'est, mais ça m'a tout l'air intéressant.
Par contre, il y a quelque chose qui m'a fait froncer les sourcils durant tout le chapitre : c'est les verbes. Leur conjuguaison et leur temps est assez aléatoire. Je te suggères de te repcnher dessus ( si je peux me permettre ), car c'est ça qui m'a sorti du récit quelques fois, et c'est vraiment dommage car l'histoire est intéressante. On découvre un monde qui semble tout d'abord assez moyennâgeux, puis on nous parle de technologies... plus cette histoire de magie sur le cheval. J'aime bien, c'est intriguant et bien trouvé.

Juste quelques remarques :

Le cheval m’emporta et avant qu'il me traîne contre la terre du champ qu'il était censé finir de labourer.
=> Je pense qu'il manque quelque chose dans la phrase, car elle n'a pas vraiment de sens.

J'ai l'habitude de tes tempêtes et de tes éclaircis.
=> éclaircies

Cependant, il ne cessait de me harceler en parler d'eux et du bonheur technologique qu'il procurait partout dans le pays.
=> Il me semble qu'on parle DES Êtres, donc "qu'ilS procuraiENT"

Je n’achèterais jamais une de ces bêtes mécaniques auprès d’un producteur de Tyl, la capitale de notre chère pays.
=> cher pays

Seulement, il y avait de moins en moins de vrai cheval depuis.
=> la formulation me semble étrange, je dirais plutôt "vrais chevaux", après à voir.

En tout cas je compte continuer ma lecture, je te souhaite une bonne écriture !
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