Le couple se trouvait au marché où ils avaient passé un moment à négocier avec l'un des Purrekos, ces chats humanoïdes avec un fort penchant pour l'argent qui géraient la Guilde des Marchands. Après un marchandage acharné, Ezarel avait finalement réussi à obtenir tous ses ingrédients à bon prix. Rena l'aida à porter ses achats jusqu'au QG. Dès qu'ils furent arrivés, ils se rendirent au laboratoire pour y déposer les affaires d'Ezarel. L'Ombre jeta un regard autour d'elle.
— Tu as libre accès au labo ? demanda sa petite amie avec curiosité.
— Oui, la cheffe m'a confié un double des clés et m'a autorisé à l'utiliser quand je voulais.
— Elle doit vraiment te faire confiance, nota Rena impressionnée.
— Je crois surtout qu'elle en profite pour que je fasse toutes les potions à sa place, soupira Ezarel. Elle va finir par me tuer à la tâche.
— Tu exagères, Ez' ! Séraphina a beau être sévère, elle n'est pas si cruelle ! répliqua Rena en rigolant.
— On voit que ce n'est pas toi qui la subis tous les jours, se lamenta l'elfe, dépité.
— Dis-toi qu'un jour tu prendras sa place, plaisanta Rena en lui faisant un clin d'œil.
Ezarel sourit. Il avait un peu honte de l'admettre, mais s'il se plaignait autant c'était parce qu'il aimait que Rena l'encourage de la sorte. Après avoir rangé les derniers ingrédients, ils s'étaient mis d'accord pour aller manger un bout avant de s'atteler à la confection des potions.
***
Prenant la direction du réfectoire, ils entraient dans la grande salle à manger lorsqu'ils croisèrent Nevra qui en sortait. Celui-ci s'arrêta dès qu'il les vit à son tour. Les deux hommes se regardèrent avec une hostilité non déguisée, puis l'animosité laissa place à la froideur. Ils avaient visiblement décidé de s'ignorer mutuellement.
— Rena, tu n'as pas encore mangé ? demanda Nevra en faisant fi de la présence d'Ezarel.
— Non, j'y allais justement.
— Je te préviens, le repas d'aujourd'hui est particulièrement infâme.
— Arf... mais j'ai tellement faim qu'à ce niveau-là, je mangerais n'importe quoi.
Ezarel se racla la gorge, visiblement agacé.
— Qu'est-ce que t'as l'elfe, tu t'es étouffé avec ta propre suffisance ? se moqua Nevra avec un sourire narquois.
— Nevra ! s'exclama Rena en lui jetant un regard noir.
— Tu n'es pas suivi par ta cour d'oies gloussantes aujourd'hui, je suis étonné, répliqua Ezarel sur le même ton sarcastique.
— Ne t'y mets pas toi aussi... soupira la pauvre gardienne en se prenant la tête, consternée par l'attitude puérile des deux hommes.
— Tu ferais mieux de l'écouter, l'Elfe. Elle fait vraiment peur quand elle se met en colère, c'est à glacer le sang ! railla Nevra en faisant mine de réprimer un frisson. À plus tard, Rena !
Le vampire s'éloigna à pas vifs, sa silhouette longiligne disparaissant au détour d'un couloir tandis qu'Ezarel fulminait.
***
L'elfe et sa compagne étaient assis l'un en face de l'autre. On leur avait servi un gruau informe qu'ils avalaient en silence. La tension était palpable.
— Tu es allée voir Nevra aujourd'hui, n'est-ce pas ? lâcha alors Ezarel abruptement.
— Oui, mais ce n'est pas quelque chose qui devrait t'inquiéter, répondit calmement Rena en levant les yeux vers lui.
— Je sais bien, mais rien que de sentir son odeur sur toi, je ne peux pas m'empêcher d'être énervé, marmonna Ezarel en évitant son regard.
— Nevra est mon meilleur ami, on est dans la même garde et c'est mon supérieur direct. C'est normal qu'on soit amenés à se côtoyer souvent.
— Oui, mais ça ne me plaît pas, s'obstina l'elfe en se rembrunissant.
— Écoute, fit Rena qui commençait également à perdre patience, je sais que Nevra peut être insupportable et têtu quand il s'y met. Je ne vais pas vous demander de bien vous entendre, mais vous pourriez au moins ne pas vous sauter à la gorge à chaque fois que vous vous croisez.
— C'est plutôt à lui qu'il faudrait dire ça, répliqua Ezarel avec agacement.
— Tu es tout aussi fautif. Tu n'es pas obligé de répondre à chacune de ses provocations.
— Parce que tu crois que je vais m'écraser devant ce crétin ? cracha Ezarel. On se demande vraiment de quel côté tu es...
C'était la goutte de trop pour Rena, elle vit rouge... ou plutôt complètement blanc. Ses yeux gris virèrent au blanc immaculé et la température de la pièce chuta brusquement. Ezarel fixa son bol de gruau qui s'était transformé en bloc de glace avant de comprendre ce qu'il venait de se produire. Il le lâcha aussitôt, mais ses doigts avaient déjà commencé à geler.
— Oh ! Rena, calme-toi ! s'écria Ezarel, l'air quelque peu affolé.
— Me calmer ? Moi ? C'est le comble ! répliqua Rena férocement.
— Non, mais là, t'es en train de transformer le réfectoire en patinoire !
Rena se rendit alors compte de ce qu'il se passait autour d'elle. Ses esprits recouvrés, elle regarda autour d'elle, hébétée. La table, les chaises, ainsi que tout ce qu'il y avait dessus était complètement gelé. La glace s'était même étendue aux autres tables et le sol était couvert d'une fine couche de givre.
***
Ezarel tremblait violemment, son souffle était rauque, et de la buée s'échappait de sa bouche et de son nez à chaque expiration. Il soufflait péniblement sur ses doigts couverts d'engelures pour les réchauffer. Saisie d'horreur, elle se précipita à ses côtés et prit ses mains brûlées par la glace dans les siennes.
— Ezarel, est-ce que ça va ? Je suis vraiment désolée, je ne voulais pas... s'excusa-t-elle, la voix étranglée par les sanglots.
Elle ne put réprimer ses larmes qui se transformaient en perles de glace avant de toucher le sol.
— Arrête de grêler comme ça, il en faut plus que ça pour m'achever, plaisanta-t-il en claquant des dents.
Rena laissa échapper un petit rire. C'était bien le genre d'Ezarel de sortir une blague d'aussi mauvais goût dans un tel moment. En parlant de goût... Karuto, le cuisinier en chef, se précipita sur eux en hurlant comme une furie et en gesticulant dans tous les sens. Il fit un long dérapage sur le sol gelé, ses bras battant l'air comme une poule cherchant à prendre son envol. Il tenta désespérément de se rattraper, en vain. Il s'était écrasé lourdement par terre, les quatre fers en l'air. Ezarel éclata de rire tant la scène était cocasse, ce qui ne fit qu'attiser la colère du satyre.
— Vous deux ! Qu'est-ce que c'est que ce bazar ? hurla-t-il en se relevant précipitamment, rouge de honte et de colère.
— Désolée, Karuto, répondit Rena en affichant un air désolé. C'est de ma faute. J'ai perdu le contrôle de mes pouvoirs, je n'ai pas fait exprès.
— Vous allez me nettoyer tout ça, ordonna le cuistot en la toisant du regard. Et soyez assurée que cette affaire sera remontée à votre supérieur !
— Si vous tenez à la signaler, vous pouvez aussi me signaler, intervint Ezarel. Je suis tout aussi responsable qu'elle.
— Très bien, puisque vous n'avez pas peur de recevoir un blâme, je ne me ferai pas prier.
— On va tout remettre en ordre, ne vous inquiétez pas, mais avant cela, laissez-nous aller à l'infirmerie, répondit Rena qui savait qu'il suffisait souvent d'un regard contrit et d'une supplication larmoyante pour attendrir le cœur du satyre.
Karuto se racla la gorge, visiblement troublé par la détresse de la jeune femme. Il jeta un bref coup d'œil aux mains d'Ezarel. Elles avaient l'air salement amochées et l'elfe était pâle à faire peur. Le satyre était acariâtre, mais il n'était pas sans cœur. D'un geste irrité de la main, il les autorisa à quitter la salle à manger.
***
— Tu sais, c'est juste des engelures, ce n'est pas très grave, dédramatisa Ezarel sur le chemin de l'infirmerie.
— Mais ça doit faire mal, puis tes poumons ou tes bronches ont pu être touchés. Tu pourrais attraper une pneumonie... ou un œdème... ou...
— Ou rien du tout, tu t'emballes ! l'interrompit Ezarel. Les elfes sont loin d'être des êtres fragiles, tu devrais le savoir, Rena.
— C'est vrai, je le sais bien... mais je m'en veux d'avoir perdu le contrôle et de t'avoir blessé pour une raison aussi stupide.
— Tu n'y es pour rien, c'était de ma faute. Je n'aurais pas dû dire ça, je suis désolé. Je l'ai un peu mérité, on va dire, admit-il avec un grand sourire en mettant fin au débat.
Après un bref examen, l'infirmière appliqua une pommade sur ses doigts et les entoura de bandelettes qu'il devrait changer tous les jours jusqu'à la cicatrisation des brûlures. Il ne semblait pas avoir d'autres séquelles plus graves, pour le plus grand soulagement de Rena.
— Je ressemble à une momie maintenant, se plaignit Ezarel, ça ne va pas être pratique pour préparer les potions.
— Je suis vraiment désolée, s'excusa Rena en se mordant la lèvre, je t'aiderai du mieux que je peux
— Haha, l'idée de t'avoir comme assistante ne me déplaît pas, dit Ezarel le regard pétillant. Mais avant il faut qu'on aille dégivrer le réfectoire.
***
Ezarel et Rena étaient retournés au réfectoire où Karuto les attendait de pied ferme. Ils se munirent de serpillières et de seaux remplis d'eau bouillante. La glace était particulièrement tenace et il leur fallut verser plusieurs seaux pour s'en débarrasser. Le chef de cuisine, reconverti en inspecteur des travaux finis, supervisait leur travail d'un œil sévère.
— Deux officiers supérieurs qui mettent ma cuisine sens dessus dessous, on aura tout vu ! grommela le satyre en faisant les cent pas. De mon temps, ce n'était pas comme ça... Les gardiens avaient de la discipline ! De la discipline, je vous dis !
— Oui, oui, on connaît la chanson... soupira Ezarel en levant les yeux au ciel.
L'elfe ignora le regard outré du cuistot. Ils étaient enfin venus à bout du sinistre et le réfectoire avait retrouvé son état d'origine. Rena essuya son front avec sa manche. Ezarel aussi était en sueur.
— Pff, c'était herculéen comme travail, souffla Ezarel. Ça faisait longtemps que je n'avais pas fait ce genre de corvée...
— Oui, ça me rappelle mes premières années dans la Garde, quand j'étais une nouvelle recrue... C'était le genre de chose que je faisais souvent à l'époque. Je crois qu'il va me falloir une douche, je suis toute collante.
— On la prend ensemble ? proposa son petit ami avec un air taquin, les yeux pétillants de malice.
— Qu-quoi ? s'exclama Rena en bégayant, les joues en feux, ce qui était un comble pour elle.
— Je rigole ! Pas la peine de faire cette tête. Enfin, si tu le veux vraiment, moi je n'ai rien contre, ajouta-t-il avec un grand sourire. Puis Miiko serait contente de voir qu'on économise l'eau.
— Trouvez-vous une chambre ! s'exclama Karuto, scandalisé par ce flirt indécent qui se déroulait juste sous ses yeux. Sortez de là ! Allez ! Ouste ! Ouste !
Ils les auraient presque fichus dehors à coups de sabot. Ezarel trouvait la réaction du satyre hilarante et il en riait encore dans le hall. Un satyre prude, c'était un comble.
— Avoue que tout ça, c'était juste pour faire criser Karuto ! lança Rena, amusée par l'attitude de son compagnon.
— Tu crois ? répliqua-t-il avec un sourire en coin. J'étais sérieux pour la douche, pourtant...
— Ezarel !
— Ne t'en fais pas, va ! la rassura son petit ami plus sérieusement. Je sais bien qu'on n'en est pas encore à ce stade de notre relation. Je n'oserais pas tenter quoi que ce soit... pour l'instant. Mais je ne me lasse pas de tes réactions quand tu es gênée. Tu es vraiment trop mignonne.
— Qu'est-ce que je vais faire de toi... ?
— Tu m'as choisi, maintenant faut assumer !
Il se pencha vers elle, mais au lieu de l'embrasser, il lui décocha une pichenette affectueuse, mais non moins douloureuse, sur le front. Fier de son coup, il s'amusait de la moue boudeuse de Rena, ce qui lui valut un coup de poing dans le bras. Parfois, Ezarel ne valait guère mieux que Nevra, mais au moins elle savait qu'il n'y avait qu'avec elle qu'il se comportait comme cela.
Un anorak, un gros manteau et un bon feu pour se réchauffer !
J'avoue l'idée de faire un satyre prude était trop drôle pour ne pas être faite ! x)
J'ai vraiment bien aimé dans ce chapitre le mélange de sérieux et d'humour, c'est bien cuisiné.
Ravie de voir que tu apprécies le coupe principal de l'histoire, heureusement d'ailleurs parce qu'on va souvent en entendre parler, le contraire aurait été embêtant. x)
Merci pour tes retours, c'est vraiment cool de voir vos réactions et votre implication de lecteur dans la lecture ! ^^
La découverte d'une histoire est toujours excitante. C'est cool en effet les retours !
Et on commence directement avec un combat de coq entre Ezarel et Nevra, j'adore. J'ai l'impression aussi que Nevra n'aime pas les elfes, ou du moins a des idées reçues sur eux…
Miiko est encore mentionnée, donc j'ai vraiment hâte de la rencontrer !
Karuto, par contre, je l'adore ! Un satyre pudique, je trouve ça hilarant connaissant leurs dispositions habituelles ahah. Tout n'est pas perdu pour eux alors !
Et un petit aperçu des pouvoirs de Rena ! C'est incroyable. Mine de rien, elle a l'air assez puissante, si elle arrive à geler une cuisine entière ! Franchement, je suis assez intrigué par ce pouvoir. Je connais pas ce monde, donc je sais pas si c'est normal pour Rena d'avoir cette capacité, mais en tout cas, elle a beaucoup de potentiel si les choses tournent au vinaigre.
Ezarel et Rena sont mignons, d'ailleurs (même si Ezarel devrait éviter de contrarier sa copine ahah). Mais cette dernière phrase, elle m'intrigue aussi ahah ! Finalement, Nevra aurait peut-être eu sa chance avec Rena, s'il était un poil plus sage ahah
Toujours aussi hâte de lire la suite !! J'ai hâte de voir Rena entrer en action, surtout avec ce pouvoir qu'elle possède.
Elle se fait désirer la générale, mais elle arrive assez tard dans l'histoire (quand y a besoin d'une intervention de la hiérarchie quoi).
Alors pour la puissance des pouvoirs, oui c'est normal (en partie, même si y a aussi une raison pour laquelle ses pouvoirs sont un peu plus puissants que la moyenne), mais pour le manque de contrôle non, mais à ce moment-là Rena pense juste qu'elle est pas douée, alors qu'il y a vraiment quelque chose qui perturbe ses pouvoirs, mais on le découvrir (biiieeen) plus tard.
Oui, après la relation entre Nevra et Rena a toujours été un peu compliquée, d'ailleurs y a un tome entier dédié à leur enfance qui développe vraiment les deux personnages et leur relation et comment ils sont entrés dans la Garde, tout ça.