Chapitre 3 - Révélation

Lise ignorait depuis combien de temps elle se trouvait là. Probablement pas beaucoup car la soif, bien qu’existante, n’était pas intolérable non plus. Elle avait réussi à dormir un peu. Assise contre un mur, elle attendait sans bouger.

La porte s’ouvrit. Elle ne bougea pas. Elle ne comptait pas lui donner quoi que ce soit, surtout pas la possibilité de la voir pleurer ou se rabaisser. Elle ne jouerait jamais à son jeu.

- Si tu veux quelque chose, il te suffit de le demander poliment, rappela le nécromancien. Demande, et tu obtiendras. Je te consacre volontiers une partie de mes pouvoirs.

- Je veux retourner chez moi, gronda Lise.

- Tout d’abord, les gens qui vivent là-bas ne veulent pas de toi. Ensuite, tu n’as pas demandé poliment.

- J’ai soif.

- Grand bien te fasse, répondit-il.

Il était clair qu’il s’en fichait totalement. Lise ne comptait pas devenir polie. Il referma la porte. Lise se retrouva seule dans le noir. Elle s’en moquait. Il ne la laisserait pas mourir de soif et de faim. N’était-elle pas son trésor inestimable ?

La porte se rouvrit. Il apparut dans l’encadrement. Bien que son corps fut toujours masqué par son grand manteau noir, sa contrariété suintait.

- Soit, dit-il comme s’il répondait à une conversation.

Il entra dans la cellule et attrapa de nouveau Lise par le bras. Cette fois, consciente de l’inutilité de le faire, Lise ne se débattit pas. Il l’amena au centre de la pièce principale souterraine, se saisit d’entraves en acier qu’il referma sur les poignets de sa prisonnière.

Lise n’avait même pas eu le temps de dire « ouf ». De toute façon, sans ses pouvoirs, Lise ne pouvait pas faire grand-chose. Il avait prouvé être largement supérieur à elle physiquement.

Un crochet descendit du plafond, se planta dans un maillon et remonta. Lise se retrouva accrochée par les poignets, obligée de se tenir sur la pointe des pieds.

- Je te remercie de me donner l’occasion de faire cela, lui susurra-t-il à l’oreille.

Lise ne comprenait pas. Elle lui avait donné quand l’occasion de faire quoi ?

- Tu as raison. Tu es bien trop précieuse pour mourir. En revanche, ta souffrance n’est pas un obstacle à la bonne réalisation de mon objectif.

Lise se tendit. Sa souffrance ? Comment ça ? Elle se contorsionna pour constater qu’il se saisissait d’un fouet.

- Qu’est-ce que vous faites ? s’écria-t-elle.

Le fouet s’abattit en sifflant sur son dos. Sa robe se déchira sous l’impacte et les chairs s’ouvrirent. Lise, tétanisée par le choc, ne hurla même pas. La douleur était au-delà de ça.

Le deuxième coup lui vrilla le cerveau. Elle vit des points noirs apparaître devant ses yeux. Il n’y allait pas de main morte.

- Pitié, arrêtez ! bredouilla Lise.

- C’est un peu mieux, mon trésor, mais pas encore suffisant.

Le troisième coup frappa les cuisses.

- Non ! Non ! s’époumona Lise.

- Demande poliment, mon trésor, dit-il d’une voix amusée.

Il semblait passer un excellent moment. Lise avait envie de lui arracher les tripes et de les lui faire bouffer. Elle lutta contre ses liens, tirant à s’en faire mal aux poignets. Le quatrième coup visa le ventre. La magicienne ne surnageait qu’en surfant sur sa colère.

- Arrêtez, salopard ! hurla-t-elle.

- Demande-le moi gentiment.

- Allez vous faire foutre !

Le fouet tomba au sol. Le nécromancien vint se camper devant elle, la déshabilla des yeux puis sourit.

- C’est une bonne idée, dit-il.

De quoi ? Qu’il aille se faire foutre ? Lise se douta qu’il s’agisse de cela. Elle ne comprenait pas. Il semblait totalement fou. Il s’approcha d’elle, attrapa le col de la robe et la déchira comme on le ferait d’une feuille de papier. Nul doute qu’il utilisait ses pouvoirs pour obtenir un tel résultat.

- Que faites-vous ? chouina Lise dont le corps en feu se plaignait à chaque mouvement.

Bientôt, Lise fut entièrement nue sans qu’il ne lui eut fourni la moindre explication. Il n’avait jamais semblé intéressé par son corps. Ce changement brusque la prit totalement par surprise. Allait-il la violer ? Pourquoi ?

- Le monde d’Esteban et le tien ont choisi deux voies radicalement différentes, indiqua le nécromancien.

Mais qui était cet « Esteban » à qui il se référait pour la deuxième fois ?

- Sur le tien, la magie est à l’honneur. Sur le sien, c’est la technologie. Ce qui est intéressant est que nous pouvons obtenir à peu près les même choses avec l’un, et l’autre, continua-t-il.

Lise l’écoutait, les yeux écarquillés, tremblante de terreur. Elle était aux mains d’un déséquilibré mental. Elle commença à avoir froid, nue, le corps en extension, blessée, dans cette cave humide et fraîche.

- Ça, c’est sur ton monde, continua le nécromancien en levant sa main gauche.

Elle était parcouru d’éclairs, comme si la foudre dansait autour de ses doigts. Lise ne put s’empêcher de claquer des dents. Elle ne désirait surtout pas qu’il la touche avec cette main-là.

- Ça, c’est l’équivalent sur son monde, indiqua-t-il en levant sa main droite.

Un bâton noir cylindrique très lisse s’y trouvait. En quelle matière était fait ce truc ?

- C’est du plastique, indiqua le nécromancien. De l’électronique se trouve cachée dedans, évidemment.

Lise ne comprenait pas un mot.

- Ces termes n’existent pas dans ta langue, précisa-t-il. Cela complexifie nos échanges.

Lise resta bouche bée. Il discutait comme s’il se trouvait au milieu d’une taverne devant un plat de ragoût et un pichet de bière.

- L’effet est le même, continua-t-il.

Un éclair scintilla soudain au bout du cylindre noir. Le bruit fit sursauter Lise.

- Évidemment, comme pour la magie, dit-il en levant sa main gauche, on est loin de la foudre, sinon, tu en mourrais et ta vie m’est précieuse.

« On le saura », pensa Lise.

- Et puis, l’intérêt avec l’électricité, c’est que ça ne laisse pas de séquelle. Du coup, je vais pouvoir y mettre tout mon cœur. Esteban a vraiment eu une excellente idée.

« Encore lui », se dit Lise qui ne pigeait pas. Il apposa l’appareil sur sa cuisse gauche. Lise cria alors même qu’elle ne reçut aucune douleur, seulement une sensation froide liée à la matière.

- Il faut que j’appuie sur le bouton pour que la déflagration se produise, dit-il comme s’il s’adressait à une demeurée. Tu vois ?

Il lui montra une protubérance sur le cylindre. Lise se demanda ce que c’était.

- Le bouton d’allumage, je viens de te le dire, dit-il.

Il lisait ses pensées, comprit Lise. Pourtant, elle ne le sentait pas du tout dans sa tête.

- Encore heureux, murmura-t-il. Il ferait beau voir que tu puisses me percevoir. Tu as du potentiel, mon trésor, mais tu es mauvaise.

- Quoi ? s’exclama-t-elle, la colère lui permettant de retrouver l’usage de la voix.

- Ce n’est pas de ta faute, mon trésor ! s’excusa-t-il d’un air contrit. Tous les magiciens sont nuls sur ton monde. Franchement, cette école, elle est pourrie. Quant aux mages des neuf royaumes, ils passent leur temps à prier. Ils auraient tellement mieux à faire de leurs pouvoirs. Enfin… c’est leur problème. Avoir la foi, c’est respectable, même si elle est tournée vers des créatures qui ne sont pas des dieux.

- Les Aar’myth sont des dieux, gronda Lise.

- Non, mais encore une fois, peu importe, continua-t-il. Que souhaites-tu, Lise ?

- Je veux rentrer chez moi.

- C’est ici, chez toi, répliqua-t-il d’une voix chaleureuse.

- Non, le contra-t-elle sans attendre, et ça ne le sera jamais.

Elle observa la petite pièce puant la mort. Elle ne pouvait pas considérer ce lieu comme sa maison.

- Tu n’as pas à vivre dans un environnement aussi désagréable ! s’exclama-t-il. Demande poliment et tu vivras au paradis.

Elle était à la merci d’un malade. Elle pourrait peut-être tenter de l’amadouer, faire croire, se montrer polie sans penser les mots prononcés.

- Détachez-moi, s’il vous plaît, dit-elle d’un ton qu’elle voulut neutre.

Le son suivant qui sortit de sa bouche fut un hurlement. Le cylindre avait effleuré sa cuisse et cette fois, il avait appuyé sur le bouton.

- Je lis tes pensées, mon trésor. Tu ne peux pas me la faire à l’envers. Si tu préfères vivre en enfer, ça me convient. Que tu souffres me convient parfaitement.

Il apposa de nouveau l’appareil. La décharge traversa la cuisse et remonta dans l’aine. Lise se tortillait, les épaules et les poignets douloureux. Impossible dans cette position de lui échapper. Il s’amusa à descendre sur les mollets.

- Pitié, arrêtez !

- Pas assez polie, mon trésor, ricana-t-il.

Il remontait tranquillement le long de son corps. Mollet, cuisse, ventre, côtes, bras.

- Je vous en prie !

Lise perdait de sa superbe. Son esprit faiblissait face à un adversaire bien plus fort et déterminé qu’elle. Elle comprit qu’il ne lâcherait pas. Elle lut un plaisir inouï dans son regard. Il adorait la faire souffrir. Elle sut qu’elle devait céder. Son esprit refusa de s’y résoudre. Il voulait gagner. Elle était consciente de l’impossibilité de cet objectif.

- S’il vous plaît, pleura-t-elle. Cessez, de grâce.

Ses pensées volèrent vers la dragonne de nacre qu’elle pria de prendre soin d’elle. Étrangement, le nécromancien cessa de la torturer. Le cylindre lisse s’éloigna et resta silencieux. Lise disposa d’un peu de répit au milieu de la tourmente.

- S’il vous plaît, murmura Lise. Je serai sage. Je ferai ce que vous me demandez.

- Ce que je veux, c’est que tu me respectes, Lise.

Lise en eut la nausée. Il voulait du respect ? Ce connard prétentieux ? Ce meurtrier ? Ce tortionnaire ? Comment osait-il ? Lise sut qu’elle ne pourrait jamais le lui offrir.

- C’est trop, pleura-t-elle. S’il vous plaît, laissez-moi du temps. Je vous obéirai, je vous le promets.

- Tu m’obéiras ? Vraiment ? grinça-t-il.

Lise hocha la tête. Sa docilité physique, elle se sentait capable de l’offrir. Que ses pensées soient correctes, en revanche, lui semblait inaccessible.

- Voyons ça, dit-il de son habituel ton enjoué. Je veux enfoncer ça dans ton vagin.

Ce disant, il désigna le cylindre lisse. Lise ouvrit de grands yeux horrifiés et geignit. Non pas qu’il fut d’une taille énorme ! Au contraire, il était bien plus fin qu’un pénis classique. Ce fut la perspective de cette douleur à l’intérieur qui la pétrifia.

- Écarte les cuisses pour me permettre de le faire. Tu n’es pas vierge, n’est-ce pas ?

Lise secoua négativement la tête. Elle avait déjà eu des relations sexuelles. Elle avait enfanté à deux reprises.

- Alors obéis. Écarte les cuisses. Laisse-moi t’apporter cette souffrance et tu pourras quitter cet enfer pour le paradis du dessus. J’utiliserai même mes pouvoirs pour te soigner.

Lise hoqueta de peine. Elle était consciente de n’avoir aucun choix. Il aurait ce qu’il voulait de toute façon. Elle écarta lentement les cuisses. Il déplaça le cylindre et Lise ne broncha pas lorsqu’il effleura son sexe. L’insertion fut étrangement très aisée et pas du tout douloureuse. Avait-il utilisé ses pouvoirs pour le permettre ? Lise avoua ne pas bien comprendre. Il aimait la voir souffrir mais s’intéressait à ce genre de détails ?

Il appuya sur le bouton. Lise n’avait jamais entendu un tel hurlement sortir de sa gorge. Il résonna dans la petite pièce vide, rebondissant en écho sur les murs.

Lise se retrouva tremblante sur le sol froid. Elle ne pouvait plus tenir debout. Elle sentit qu’il l’enveloppait dans une couverture chaude et la portait dans l’escalier. Elle s’endormit au moment où sa tête reposa sur un tendre oreiller.

 

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Elle fut éveillée par un rayon de soleil persistant sur son œil droit. Elle se frotta les yeux puis s’assit, pour découvrir une belle chambre aux couleurs chaudes.

Lise ne ressentait plus aucune douleur. Elle caressa son corps nu. Les marques de fouet avaient disparu. Il avait tenu parole. Elle avait toujours soif et faim mais elle était libre et soignée.

Libre ? De se lever, apparemment et de se mouvoir… pas d’utiliser ses pouvoirs. Liberté toute relative. Elle s’enveloppa dans la couverture pour ne pas se promener nue.

Pas de malle. Pas d’armoire visible. La chambre ne proposait aucun meuble. Ce n’était pas ici qu’elle trouverait des vêtements.

Elle sortit de la chambre pour tomber sur une grande pièce centrale très lumineuse. Une puits de soleil provenait du haut plafond pour baigner un bassin intérieur d’une lumière chaude et douce. Lise adora. La cage était dorée.

Elle observa l’endroit, avec ses plantes aux fleurs vives et pétillantes. Des sièges en bois, d’autres en cuir, attendaient qu’on s’en serve. Certains semblaient très confortables. Lise reconnut que son ravisseur y mettait les formes.

Elle avait soif alors elle se pencha sur le bassin et but l’eau claire qui s’y trouvait. Cela l’hydrata efficacement. Elle se releva, replaça la couverture qui avait un peu glissé et continua sa découverte des lieux.

Elle choisit au hasard une porte et se figea en découvrant son contenu. Des larmes coulèrent sur ses joues. Elle peinait à accepter qu’une chapelle en l’honneur de Baca soit présente en ce lieu. Elle entra, les yeux baissés, emplie de respect, s’agenouilla et pria sa déesse.

 

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- Loin de moi l’envie de t’empêcher de prier, dit une voix dans son dos.

Depuis combien de temps se prosternait-elle devant la statuette de la dragonne de nacre ? Lise aurait été incapable de le dire. Elle tourna un peu la tête vers son ravisseur.

- La liberté de culte, c’est essentiel, poursuivit-il. Cependant, la nature a des besoins. Tu dois manger, mon trésor. Je veux que tu prennes soin de toi. Tu peux t’habiller aussi.

Lise replaça la couverture sur ses épaules. Elle ne bougea pas. La situation la dépassait. Elle ne comprenait rien.

- Il y a des vêtements dans ta chambre, indiqua-t-il.

« Non », pensa-t-elle. « Il n’y a rien dans ma chambre. »

- Viens, dit-il de son habituel ton enjoué.

Il accompagna son mot d’un geste de la main. Lise se leva et le suivit. Dans la pièce voisine, il toucha un mur qui se déplaça pour disparaître dans le mur. Lise observa cela avec incrédulité.

- Ce n’est pas de la magie, précisa-t-il. C’est de la technologie, en provenance du monde d’Esteban. D’un genre simple en plus.

Se moquait-il d’elle ? Elle n’en fut pas certaine. Il lui désigna le renfoncement découvert. Lise s’avança, se retrouvant proche de lui. Sa proximité lui était difficilement soutenable. La terreur qui l’emplissait ne diminuait pas avec le temps.

- Je suis sûr que cette robe t’ira à merveilles, dit-il en sortant un bout de tissu rouge de la penderie.

Lise la regarda et fut certaine de ne pas pouvoir rentrer dans un habit aussi petit.

- Tout est à ta taille ici, indiqua-t-il. Regarde.

Il déchira la robe sous ses yeux.

- Elle n’est pas déchirée ! s’amusa-t-il. C’est juste une fermeture éclair.

Il rassembla la robe d’un geste avant de la lui tendre. Lise se saisit du vêtement et essaya par elle-même. Un mécanisme en métal finement ciselé permettait en effet d’écarter ou de resserrer les pans de tissu.

- Mets-la ! insista-t-il.

Elle leva les yeux sur lui, gênée.

- Je t’ai déjà vue nue, sourit-il, mais si cela peut te faire plaisir…

Il se retourna, lui offrant l’intimité requise. Lise laissa tomber la couverture au sol et il ne bougea toujours pas. Elle enfila l’habit par les jambes. La robe glissa aisément sur son corps. Elle s’enroula autour de ses hanches et enveloppa sa poitrine. Aucun doute possible : le tailleur connaissait les mensurations de Lise à la perfection.

- Montre ton dos que je t’aide à remonter la fermeture éclair.

Lise obtempéra. Il agit avec douceur, sans la toucher.

- Voilà ! C’est mieux comme ça, non ?

Jamais Lise n’avait porté d’habit aussi peu couvrant. Elle avait un peu honte.

- Esteban te trouve magnifique, indiqua-t-il.

Parlait-il de lui-même à la troisième personne ?

- Esteban est mon avatar, dit-il.

Avatar ?

- Il y a une bibliothèque dans la maison. Après avoir mangé, va donc y faire un tour. Tu y trouveras toute la connaissance du monde… pas seulement du tien, hein ! De tous les mondes. Ça pourrait t’intéresser…

Lise préféra ne rien répondre.

- Pas bavarde. Soit. Je te laisse.

Il disparut. Lise n’aurait sincèrement pas su dire si elle était heureuse ou mécontente de son départ. Il s’était montré agréable et gentil. La solitude valait-elle mieux que sa présence terrifiante ? Lise ne savait pas trop.

Il avait parlé d’une bibliothèque. Lise trouva un bureau, une salle de bain puis la pièce recherchée. Elle observa les reliures : tous les ouvrages étaient rédigés dans sa langue. Elle en prit un au hasard et commença à le lire. Cela racontait l’histoire d’un jeune garçon au « collège » qui découvrait faire partie d’une « Famille », ce qui lui octroyait des pouvoirs surnaturels.

Lise reposa le livre. Elle fronça les sourcils. Elle se dirigea vers une autre étagère et attrapa un autre ouvrage au hasard. Il s’agissait cette fois-ci d’une pièce de théâtre. Lise le reposa. Il avait dit que cet endroit contenait la connaissance du monde. Il se vantait probablement. Fier de sa bibliothèque, il exagérait. Ceci dit, comment trouver un livre parlant des avatars ?

- Il te suffit de demander poliment, mon trésor, dit-il en apparaissant dans l’encadrement de la porte. Par contre, Lise, je t’avais demandé de manger avant de venir ici.

L’avait-il fait ? Oui, peut-être. Elle ne s’en souvenait pas. Elle devait admettre être désorientée.

- Je veux que tu prêtes attention à mes ordres, Lise, siffla-t-il.

Elle baissa les yeux en tremblant. Allait-il la punir ?

- Va manger ! cingla-t-il d’une voix froide.

Elle sentit qu’il perdait ses nerfs.

- Je ne sais pas où se trouvent les cuisines, bredouilla-t-elle.

- La cuisine est presque en face de ta chambre, lui indiqua-t-il en s’écartant de l’encadrement de la porte afin de la laisser passer.

Elle le suivit jusque dans cet endroit étrange. Lise resta figée un pas dans la pièce.

- Réfrigérateur, plaque de cuisson, four traditionnel et micro-onde. Tout le nécessaire pour cuisiner. Ceci dit, tu peux aussi tout simplement demander le repas tout prêt si tu préfères.

Il ouvrit une porte. Cela dévoila un petit meuble très blanc éclairé de l’intérieur par une boule brillante collée à une paroi. Des choses se trouvaient sur des étagères. Il ouvrit un tiroir et Lise reconnut des plantes, probablement des fruits et des légumes, mais dont elle n’avait jamais entendu parler.

- Oui, évidemment. C’est Esteban qui a fait ça alors forcément, ça ne va pas. Qu’aimerais-tu manger, mon trésor ?

La jeune femme haussa les épaules. Elle s’en fichait. Elle n’avait pas faim. Son corps avait besoin d’énergie mais sa tête voulait juste retourner prier.

- Assieds-toi, proposa-t-il gentiment.

Elle le fit. Une assiette pleine d’une sorte de ragoût chaud avec des morceaux marron et orange, ainsi qu’une fourchette, apparurent devant elle.

- Mange, ordonna-t-il.

Il fit mine de sortir.

- Restez, s’il vous plaît, murmura-t-elle.

Il se figea puis s’installa sur la chaise devant elle. Elle regretta d’avoir requis sa présence. Elle ne voulait pas être seule non plus.

- Je vais te laisser avec Esteban, indiqua-t-il. Tu sembles en avoir besoin.

Toute terreur s’envola. Le magicien retira sa capuche, dévoilant un jeune homme brun aux yeux marrons pétillants. Glabre, il proposait un visage doux empli d’une tristesse infinie. Il retira le manteau d’un coup d’épaule. Il portait un haut vert dans une matière inconnue de Lise. Le haut ne masquait rien des bras musclés. Il était très mignon.

- S’lut, Lise. J’suis Esteban.

Sa voix était la même mais pas du tout la manière de parler. Jusque-là, le nécromancien posait sa voix, parlait avec raffinement et en articulant. Là, il mâchait ses mots, se trouvant à la limite du bégaiement.

- J’suis l’avatar d’Mebaadia, poursuivit-il.

- Je ne comprends pas, admit Lise.

- Mange, dit-il. Sinon, il t’punira.

Parlait-il encore de lui à la troisième personne ?

- Pas b’soin d’lire tes pensées pour l’entendre, çui-là. Non, Lise, j’parle pas d’moi à la troisième personne et lui non plus.

Lise grimaça. Cela y ressemblait sacrément, pourtant. Sous son regard insistant, elle avala une bouchée. Elle aurait incapable de désigner le contenu de son assiette mais c’était très bon.

- Blanquette de veau, annonça-t-il. Très apprécié chez moi.

Lise voulait bien le croire.

- Écoute, Lise, j’suis pas l’prophète du dieu d’la mort.

- Comment ça ? Vous m’avez vous-même confirmé chercher à convertir assez de gens pour obtenir la supériorité. Les survivants de Brise-fer étaient des adeptes du dieu de la mort.

- Tu peux m’tutoyer, annonça-t-il, et j’t’ai rien confirmé du tout. Il t’a confirmé chercher à recruter des adeptes.

- De qui parlez-vous ?

- D’Mebaadia, le dieu d’la souffrance, d’la destruction et d’la mort.

Lise avala une bouchée. Son corps en réclamait davantage. Elle dut admettre que manger lui faisait beaucoup de bien.

- Vous pensez être un dieu, comprit Lise qui cette fois, fut certaine que son interlocuteur était vraiment fou.

- J’suis pas un dieu, Lise. J’suis son avatar.

- C’est quoi, un avatar ?

Il fit un bruit de bouche agacé.

- C’est plus facile chez moi. Tout l’monde sait c’qu’est un avatar.

- Je n’ai jamais entendu ce terme.

- C’est parce qu’il est prononcé dans ma langue puisqu’existant pas dans la tienne. Un avatar est une enveloppe permettant d’cont’nir aut’chose. Dans mon cas, j’suis un être humain, un magicien, et j’contiens l’essence d’un dieu.

- Vous contenez l’essence d’un dieu, répéta Lise.

- Tu peux m’tutoyer, répéta-t-il. Et là, tout d’suite, non, puisqu’il est parti afin d’nous permettre de nous parler. Il a senti que t’avais besoin d’compagnie mais que la sienne te déplaisait. Il est allé créer des routines.

- Des routines ? répéta Lise, perdue.

- C’est d’la magie, dit Esteban. Il y a des tonnes d’ouvrages sur le sujet dans la bibliothèque.

- L’Aar’myth m’a dit que vous serviez un dieu, se rappela Lise.

- Hé bien oui, j’suis l’avatar du dieu d’la souffrance, d’la destruction et d’la mort. J’le sers. Contre mon gré, mais de fait, j’suis bien à son service. J’suis autant son esclave que toi.

- Je ne suis pas son esclave ! gronda Lise.

- Tu d’vrais vraiment changer d’attitude. Y s’montre patient mais ça durera pas.

Lise serra sa fourchette si fort qu’elle se tordit.

- C’est l’dieu d’la souffrance. Il adore torturer les gens, chuchota-t-il. Il se saisira d’la moindre opportunité. Il m’étonne par sa sobriété, en fait. J’l’ai connu plus cruel.

Lise était maintenant persuadée d’avoir affaire à un fou. Il croyait vraiment à cette fable. Il s’attendait à ce qu’elle y adhère aussi. Lise fut soudain saisie d’une terreur indicible.

- Oh pardonne-moi, mon trésor. Je pensais que tu avais compris.

Lise leva les yeux sur lui, tremblante de terreur. Voilà qu’il parlait de nouveau avec aisance et souplesse, articulant à la perfection, d’un ton posé et charismatique.

- Je pensais que tu t’opposais, pas que tu étais dans le déni.

- Quoi ? bredouilla-t-elle difficilement.

Il se leva, la contourna, la prit par les hanches pour la faire se lever et l’emmena dans le jardin. Elle détesta le contact mais déboussolée, ne s’opposa pas.

- Normalement, je ne montre ça à aucun être humain, parce que la vision peut rendre fou. Lise, je suis le dieu de la destruction, de la souffrance et de la mort. Je vais te montrer ce que la plupart des humains appellent l’enfer.

Il passa la main devant Lise et le jardin disparut. La magicienne se trouvait dans un endroit chaotique. Des ombres passaient devant, derrière, à côté mais aussi à travers elle. S’il ne la tenait pas, Lise serait tombée, mais pas vers le bas, dans tous les sens même temps. Il n’y avait plus de gravité, plus de soleil pour se repérer, plus de sol, plus d’avant et plus d’après, juste l’immortalité dans ce néant terrifiant.

Lise se cramponna à son ravisseur dont la présence constituait le seul élément tangible, le phare, la bouée de secours. Il la serrait fort, ne refusant pas du tout le contact. Jusque-là, sa proximité enveloppait Lise de terreur. À ce moment précis, il était l’élément le moins effrayant de l’environnement.

- Maintenant, le paradis, murmura-t-il.

Lise se sentit immensément bien. La lumière, la chaleur l’entourait. Ici non plus, pas de haut, pas de bas, pas d’avant, pas d’après : une éternité de douceur, de bien-être, de sérénité, de calme, de tendresse, de bonheur.

Le jardin refit son apparition.

- Je prend soin des âmes après la mort des êtres vivants les ayant portées, de toutes les âmes, précisa-t-il. Un jour, la tienne rejoindra mon royaume. Ce jour-là, je serai à ton service. En attendant, tu es au mien.

Il s’écarta d’elle et Lise vomit sur le sol. Il lui tint gentiment les cheveux.

- Vous… Vous n’êtes pas…

Elle le repoussa. Il la saisit brutalement pour la maintenir contre lui.

- Si ! Je suis Mebaadia, le dieu de la destruction, de la souffrance et de la mort et tu es à moi.

Lise cessa de se débattre. Elle se sentait atrocement mal. Il la lâcha et elle s’écroula.

- Je vais te laisser, le temps nécessaire à intégrer ce fait.

Toute terreur disparut. Lise sut qu’il était parti. Elle pleura, tétanisée, incapable de bouger.

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Honey41
Posté le 06/10/2023
donc Lise appartient à Mebaadia qui est le Dieu de la destruction, de la souffrance, et de la mort, et en attendant qu'elle meurt, elle doit le servir ?
Nathalie
Posté le 06/10/2023
C'est ça. C'est chouette, non ?
Honey41
Posté le 07/10/2023
oui je trouve ça intéressant malgré qu'il engendre destruction, souffrance et mort.
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