Enfermé dans la salle de bains, je braille à tue-tête du Justin Bieber*. J’avoue faire exprès de chanter faux, j’adore bousiller le répertoire de ce mec. Il me tape sur le système. Tout le monde trouve une ressemblance entre nous, perso je n’en vois aucune. Mes cheveux châtain clair à la rigueur et encore. Mes yeux sont bleu foncé et je mesure un bon mètre quatre-vingt, je suis sûr d’être plus grand que ce type. Je sais qu’il y a pire comme comparaison, mais j’en ai plus qu’assez qu’on me les casse en m’appelant Justin, personne ne se souvient jamais de mon prénom !
Comme je prends tout mon temps pour me préparer, ça énerve mes potes.
La voix d’Elijah s’élève à travers le mur.
— Kyle, si tu ne te dépêches pas un peu, je te vire de là !
— C’est bon, j’ai presque fini.
Ce soir, on va Chez Mario pour fêter la victoire d’Elijah et pour le moment, je suis le seul à être passé sous la douche. De son poing, il cogne contre la porte.
Derek, qui n’a jamais su la fermer, en remet une couche.
— Ouvre ! Tu n’as pas besoin de te faire belle, chérie. T’auras toutes les femmes à tes pieds de toute façon !
Ils sont tous derrière cette fichue serrure, ma parole !
— Ouais, je sors !
Je me pointe avec une serviette autour de la taille. Elijah soupire et me contourne pour aller se laver. Au même moment, Marlène longe le couloir. Par réflexe, je place mes mains devant le linge, mais elle n’y prête aucune attention.
— Ah ! Les garçons, vous tombez bien, je vous demande de ne pas ramener de filles comme la dernière fois. Ce n’est pas une maison de passe ici. Les voisins se sont plaints. Alors, si vous souhaitez continuer à vivre dans ce quartier, modérez vos ardeurs.
Elle nous regarde tour à tour.
— Suis-je bien claire ? Pas de poulettes, pas d’alcool, pas de drogues.
— Eh, pourquoi t’attends pas qu’Elijah soit là pour nous dire ça ? Après tout, ça le concerne aussi ! rétorque Derek en pointant un doigt vers la porte de la salle de bains.
— Parce que, même si vous avez tous les trois 19 ans, j’ai plus confiance en lui. Au fait Kyle, qu’as-tu fait du questionnaire ? Je dois le signer avant ton rendez-vous.
Merde, au lieu d’agir sur un coup de tête, j’aurais mieux fait de garder ce foutu document ! Je me frotte la nuque, mal à l’aise.
— C’est-à-dire qu’il a malencontreusement rencontré la poubelle de monsieur Baker.
— Vraiment ?
Son regard de braise se plisse, essayant de trouver ce qui peut bien se passer dans ma caboche. Elle pousse un gros soupir.
— Écoute, je sais que tu en as assez de répéter toujours les mêmes choses et je te comprends. Mais s’il te plaît, mets-y un peu du tien, sinon on va finir par avoir des problèmes. Bon… Ce n’est pas si grave, on va se débrouiller autrement.
Elle pose une main sur mon bras d’un geste affectueux.
— Tu n’as qu’à aller sur le site officiel et imprimer un nouvel exemplaire, je t’aiderai à le remplir. Pour la peine, tu vas aller me faire la vaisselle, j’ai tout laissé dans l’évier.
J’acquiesce, soulagé qu’elle le prenne aussi bien.
— Et qu’est-ce qu’on fait pour les paragraphes qui avaient été ajoutés ?
Elle fronce les sourcils un bref instant avant de me répondre.
— Je trouverai bien quelque chose. N’y pense plus, d’accord ?
— Ok, cool !
Comme elle tourne les talons, je l’interpelle.
— Marlène, j’aimerais m’excuser d’être parti sans te parler tout à l’heure, mais j’étais en pétard. Je n’ai pas été correct envers toi et je m’en veux.
Elle me sourit, indulgente.
— J’ai bien compris ce qui te passait par la tête, ne t’en fais pas pour ça.
Elle jette un coup d’œil à sa montre avant d’ajouter :
— Cela dit, on ne me paie pas pour rester avec vous. J’ai cuisiné des lasagnes, elles sont chaudes et au four, je file à l’hôpital.
Elle me plante un baiser sur la joue, ainsi que sur celle de Derek et lance un « soyez sages », assez fort pour alerter le quartier, tout en tirant sur ma serviette.
— Oh ! Mon Dieu, Kyle, je crois que t’as vraiment pris froid, mon petit, s’exclame-t-elle avant de partir sans même regarder.
Hyper surpris, je place mes mains devant mes parties, mais Derek, lui, est mort de rire.
— T’inquiète, vieux. Ça ne va pas durer, j’en suis sûr, me dit Elijah d’un air narquois en ouvrant la porte.
Puis, sans me calculer, il surgit du sauna qui nous sert de salle de bains, soulève Derek, toujours hilare dans ses bras, et l’emmène jusque dans la baignoire pour l’aider dans ses ablutions.
**
Un soir en sortant de son travail, ma mère a été agressée. Elle s’est défendue en plantant un tesson de bouteille dans le cou du mec. Il s’est vidé de son sang. Résultat : vingt ans de prison ferme pour l’avoir laissé mourir sans appeler les secours.
Mon paternel ? Très bonne question, je ne sais pas qui il est, et de toute façon, je ne suis pas sûr de le savoir un jour. Mais c’est devenu comme un jeu pour moi, alors je le lui demande à chacune de mes visites, certainement pour la punir de m’avoir abandonné. C’est ainsi que j’ai été placé chez les Campbell, Marlène et Declan, les parents de Derek. Elijah avait été accueilli deux ans avant mon arrivée. Au fil du temps, j’ai appris à les connaître et à les apprécier. Bien sûr, mon histoire n’est pas plus triste qu’une autre, comparée à toutes celles de mon quartier, du coup je garde pour moi mes états d’âme, sans rien attendre en particulier.
Au début, j’allais voir ma mère en prison avec Declan. Mais ça, c’était avant l’accident qui l’a envoyé six pieds sous terre, expédiant par la même occasion Derek dans un fauteuil roulant. Seule Marlène s’en est sortie sans une égratignure.
Ce jour-là, les Campbell partaient faire des courses. Un chauffeur de camion a perdu le contrôle de son véhicule, les faisant valser dans le décor. Nous n’étions pas avec eux. Elijah et moi avions fumé de l’herbe, ce qui nous avait rendus malades à crever. Madame Lewis, notre voisine la plus proche, nous l’avait vendue, nous menaçant de nous faire disparaître si on caftait. Pour ce que j’en sais, elle n’aurait eu aucun scrupule. Elle avait trouvé l’excuse d’une indigestion de gâteaux faits maison. Son âge avancé et son sourire à moitié édenté l’avaient lavé de tout soupçon. Elle nous a certainement sauvé la vie, mais sous ces airs inoffensifs, cette grand-mère s’avère être une dealeuse et une rabatteuse redoutable, et tout le monde est au courant ! Mais dans notre quartier, personne ne dénonce personne, à moins de vouloir mourir.
Entrer dans un gang, vendre de la drogue, faire la manche, être boxeur ou toucher les aides sociales, voilà les options offertes par le quartier sud. Vivre ici nous vieillit avant l’âge, c’est certainement pour cette raison qu’on agit tous, plus ou moins, comme des gamins, un exutoire avant de passer l’arme à gauche. Nous ne sommes pas des anges, juste des jeunes qui essayent de trouver leur place, si possible en dehors d’un cimetière. Seule une minorité d’entre nous travaille légalement. Après tout, la respectabilité n’a pas totalement disparu, contrairement aux rumeurs lancées sur notre quartier. Du haut de leur tour d’ivoire, les plus riches ont peur de nous, et la plupart d’entre nous les méprisent. La seule différence notoire à mon sens, c’est leur façon de vivre en toute sécurité, derrière les murs de leur propriété. Contrairement à ici, où, si tu tiens à la vie, il te faut appliquer la loi du silence, et te mêler de tes affaires. À une exception près : les enterrements. Tout le monde doit y assister. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en ai pas la moindre idée. Alors quand le père de Derek est mort, autant vous dire que tout le quartier s’est ramené pour lui rendre hommage.
Après les funérailles, ils ont rappliqué chez nous, apportant de quoi bouffer pour des semaines. Les SDF ont squatté devant notre baraque jusqu’à ce qu’il ne reste rien. Marlène a fait comme si tout allait bien, puis elle s’est effondrée, sombrant peu à peu dans une profonde dépression, consommant de plus en plus de médocs pour dormir et s’engourdir l’esprit. Elle se ravitaillait la plupart du temps sur son lieu de travail.
Livrés à nous-mêmes, on s’était mis à voler dans les magasins, à se battre dans les rues. Heureusement pour nous, on ne s’est jamais fait choper, ni par les flics, ni par les services sociaux, ni par Marlène qui était bien trop occupée à se shooter. Les bandes ont bien essayé de nous séparer en nous recrutant. Mais avec Derek en fauteuil roulant, on a vite appris à faire face à l’adversité. Forcément, ça a resserré nos liens, faisant de nous une famille atypique, mais soudée. Avec le temps, ils sont devenus mon nouveau foyer.
Notre rencontre avec Mickaël Wallace allait changer la donne. Ce jour-là, calé contre un mur, Elijah regardait impassible, l’un des quatre mecs qu’il venait d’étaler, se remettre debout, tout en protégeant Derek. De mon côté, je me trouvais face à deux brutes me rouant de coups. Je ne sentais plus mes poings ni mon corps meurtri. Dans ce genre de quartier, c’est la loi du plus fort. Si on ne sait pas se défendre ou s’imposer, on est mort. Je n’ai peut-être pas la force inouïe d’Elijah, mais je suis une vraie teigne et j’aurais préféré crever au lieu de les laisser gagner. Mike a débarqué et a mis fin au pugilat. Ses mains aussi larges que des battoirs nous ont fait valdinguer loin les uns des autres. Il a regardé autour de lui, et d’une voix sévère et pleine de colère, nous a demandé qui était responsable de ce merdier. Comme personne n’a répondu, il a dit : dans mon bureau sur le champ. Il était tellement impressionnant, on l’a suivi sans discuter, en aidant au passage nos adversaires encore à terre. Seul Derek a osé suggérer que c’était peut-être un flic. Ce fut le tout premier regard noir de la part de notre coach.
Nous avions quatorze ans quand cette altercation aurait pu mettre fin à notre vie chez Marlène. Après tout, nous étions juste des gosses, et c’était bien la première fois que l’on se faisait prendre. Nous ne le savions pas encore, mais après avoir étudié nos dossiers, le juge Walker Clark allait décider de nous laisser chez les Campbell, et ce, malgré la situation précaire de notre famille d’accueil. Selon les rumeurs, Wallace serait allé lui parler, beaucoup racontent qu’ils ont été élevés ensemble. Je ne sais pas ce qu’il a pu lui dire pour le convaincre, encore moins si sa supposée intervention a pesé dans la balance, mais nous sommes toujours là.
Perso, je me contrefous de savoir comment ça s’est passé, la seule chose qui compte à mes yeux c’est d’être ici, dans ce quartier où les junkies et les sans-abris côtoient les gangs et les prostituées. L’endroit le plus malfamé de notre ville, là où j’ai fini par trouver ma place.
**
Beaucoup de gens circulent Chez Mario, enfin je devrais dire au « Calypso », mais puisque tout le monde connaît Mario, le patron du lieu, on a fini par l’appeler comme ça. Bref, c’est un lieu branché, où on peut manger, boire, danser et acheter toutes sortes de produits illicites. Et bien sûr, il y a des filles, elles viennent faire la fête, ou plus si affinités.
Ce soir, je suis à bloc, j’ai juste envie de m’éclater pour faire redescendre la pression. Tout comme Elijah, j’ai le rythme dans la peau. Mon corps bouge au rythme de la musique assourdissante et la chaleur sur la piste fait monter en moi l’envie de… une rouquine s’approche et commence à me coller, ses ongles passent sur ma nuque. D’une torsion du bassin, elle se tourne et frotte ses fesses contre mon bas-ventre. Mes mains se posent sur ses hanches et remontent vers ses seins, elle se cambre en émettant un gémissement. Je ne sais pas qui c’est et je m’en fous, je veux juste m’envoyer en l’air. Je lui glisse à l’oreille que j’ai envie d’elle. Elle me fait signe de la suivre et m’entraîne vers un endroit sombre. Je parcours son corps de caresses, à moitié dénudé par un top et une jupe ultra courte. Je m’égare vers le bord de son string, et m’empresse de trouver son clito, je le masse du pouce alors que j’enfonce deux doigts en elle sans cesser de l’embrasser. Un râle remplace ses halètements de plaisir, sa jouissance m’enserre dans son intimité humide et brûlante. Comme elle défait les boutons de mon jean, j’attrape un préservatif, qu’elle place avec agilité, je glisse mes mains sous ses fesses et la soulève contre moi. Ses jambes s’enroulent autour de ma taille, je me positionne et la pénètre d’une seule poussée. La pression accumulée pendant les matchs revient en force, je me retiens et m’assure qu’elle ait pris son pied avant de jouir vite et fort. Quand nous retournons dans la salle, elle me chuchote à l’oreille – super pied Justin - me donne un baiser et me fait signe de l’appeler. Je me demande comment, on n’a rien échangé à part nos fluides corporels ! Et je m’appelle Kyle bordel !
Je décide de rejoindre mes frères. Derek a une fille assise sur ses genoux, il l’embrasse comme si la fin du monde était proche. Elijah parle avec un gars accoudé au bar, une bière à la main.
J’ai appris bien trop tôt qu’on ne pouvait se fier à personne, que rien n’est éternel, quoi qu’on fasse. Pourtant, Derek et Elijah sont devenus pour moi, au fil des années, des amis, des frères. Les seuls en qui j’ai vraiment confiance et pour qui je donnerais ma vie.
C'est assez touchant, le moment où Kyle exprime l'idée que, avec toutes les casseroles qu'il se trimballe, il a vieilli prématurément alors qu'il n'a que dix-neuf ans. Difficile background avec tout ce qui est arrivé à sa famille <3
J'ai tellement travaillé sur mes chapitres que parfois ce livre me sort par les yeux, mais au moins j'ai fait des progrès et la plupart des commentaires me donnent raison.
Oh oui, les scènes explicites sont très difficiles à décrire, j'ai mis pas mal de temps à la mettre en page, je ne sais jamais comment les gens vont la vivre, et souvent j'appréhende les retours.
La comparaison entre Kyle et Justin Bieber est assez drôle XD
Sinon c’est encore un bon chapitre, dans lequel on apprend pas mal de choses sur le passé de Kyle !
Juste une petite remarque :
« la chaleur sur la piste fait monter en moi l’envie de…une rouquine s’approche et commence à me coller »
> Il manque un espace devant « une »
Merci pour ton retour, je suis touchée que mon histoire te plaise.
Pour la petite histoire avec Justin Bieber n'était pas prévu au programme , mais en fait c'est devenu, au fil des pages, un running gag.
A bientôt
Un bon chapitre d'exposition qui permet d'apprendre pas mal de nouveaux éléments sur Kyle, son histoire familiale et son entourage actuel. J'aime bien le fait qu'il ne se sente pas opprimé, qu'il soit conscient que son histoire n'est pas plus terrible que la moyenne de son quartier.
Le portrait que tu dessines de sa famille d'accueil est beaucoup plus nuancé que ce que j'avais imaginé dans le premier chapitre.
Son affection pour ses frères est assez touchante, c'est un point fort de ce début de roman.
Mes petites remarques :
Bref, c’estun lieu branché, il manque un espace
parcours son corps de caresse, -> caresses
Un plaisir,
A bientôt !
Pour être totalement honnête, je ne pensais pas que tu reviendrais lire mon roman. D'ailleurs je suis toujours surprise lorsque ça arrive :) Alors merci pour ton commentaire, il me va droit au coeur.
La famille de Kyle est atypique, c'est vrai, c'est ça famille de coeur.
Merci d'avoir relevé ce qui n'allait pas, je vais de ce pas les corriger.
A bientôt
Si, je compte bien lire ton roman, si ma lecture est un peu hachée c'est parce que je lis pleins d'histoires en même temps par ici xD
Je poursuis donc ma lecture, et j'ai juste une petite remarque à te faire : au vu de la scène épicé, je te suggère de mettre une limite d'âge sur ton roman, ça permettrait de ne pas heurter certaines sensibilités, ou alors signale le dans tes notes personnelles (certains lecteurs n'aiment pas forcément les scènes explicites). Ça reste un petit conseil, à prendre ou à laisser bien sûr 😅
Sinon mis à part ça, j'ai trouvé aussi quelques répétitions de "que", "qui" et "quoi" dans ce petit paragraphe "Comme personne n’a répondu, il a dit qu’il voulait nous voir dans son bureau sur le champ. On ne savait pas de quoi il parlait, mais il était tellement impressionnant qu’on l’a suivi sans discuter, en aidant au passage ceux qui étaient à terre. Seul Derek a osé suggérer que c’était peut-être un flic." --> ça casse un peu le rythme mais peut-être n'as-tu pas eu d'autres choix que de le formuler comme ça ?
En tout cas, j'aime toujours autant la lecture, et je vais poursuivre ! Au plaisir de te lire :)