Gallant ne s’était pas trompé. Il avait suffi d’un seul appel de Jacques Barnet, et les surveillants à l’entrée de la prison nous avait déroulé le tapis rouge. J’avais sous-estimé l’influence du commissaire, de toute évidence.
La prison était un lieu obscur. Le soleil semblait incapable de pénétrer les murs noirs de cette forteresse, entourée de quatre tours de guet. Une chose qui me frappa, ce fut le silence. A part le bruit des lourdes portes qu’on ouvrait, le silence était roi en cette demeure. On aurait dit qu’aucun prisonnier n’habitait entre ces murs. Même les surveillants ne pipait mot, se contentant de nous dévisager.
Nous traversions de longs couloirs sombres quand, à travers les grillages de la cour, je vis la fameuse serre. Plantée en plein centre de la prison, elle se dressait, imposante, détonnant avec le décor funèbre qu’elle avait choisie d’investir. Ce lieu de nature baignait dans les quartiers sombres et silencieux de la prison.
Ma curiosité fut piqué au vif, et il fallut me faire violence pour ne pas simplement tourner les talons et pénétrer dans cette maison lumineuse.
Le surveillant nous accompagna jusque devant une grande porte en bois, devant laquelle on avait installé des chaises pour patienter.
- Asseyez-vous, nous ordonna l’agent pénitentiaire. Monsieur Caron viendra vous chercher dès qu’il aura terminer.
Alors, comme des écoliers attendant la venue du maître, nous nous assîmes l’un à côté de l’autre.
Gallant me jeta un regard suspicieux quand il me vit serrer et desserrer ma cravate.
- Nerveux ? Demanda-t-il simplement.
- Comment ne pas l’être ? Une prison, ce n’est pas un endroit où l’on se sent à son aise...
- C’est vrai. Mais tu n’as rien à craindre.
- Je sais, mais cette histoire ne me dit rien qui vaille... Je sens beaucoup de ... souffrance, dans cette affaire.
Je continuai en baissant d’un ton :
- Et cette rencontre ne m’inspire pas confiance. Je crains de voir l’homme qui se cache derrière ses beaux bureaux, pendant que des détenus se font assassiner derrière leurs barreaux.
- N’avançons aucune hypothèse. A ce stade de l’enquête, nous ne possédons que les informations d’une belle-sœur éplorée. Peut-être allons-nous apprendre que William Rapin s’est bel et bien suicidé.
- Peut-être bien... peut-être pas...
Le silence qui suivit fut interrompu par des cris soudain. Je relevai la tête, aux aguets, aussitôt imité par Gallant. Le bruit provenait de l’intérieur du bureau. Les cris se transformèrent bientôt en râle, puis en simples gémissements.
Je bondis presque de ma chaise quand la porte s’ouvrit. Nous vîmes alors un agent pénitentiaire sortir du bureau, tirant par le bras un prisonnier. Ce dernier, visiblement encore un adolescent, semblait sur le point de s’évanouir. Ses yeux gris nous jetèrent un regard suppliant, tandis qu’il serrait contre lui son bras ensanglanté. Le surveillant le tira férocement loin de nous, l’entraînant au loin.
Horrifié, je m’apprêtais à crier quelque chose, quand une voix caverneuse retentit derrière moi.
- Messieurs ?
Gallant et moi nous retournâmes comme un seul homme.
Je restais estomaqué face au colosse de 2 mètres qui se dressait sur le seuil. La mine grave, le regard noir, il devait penchait la tête pour nous regarder.
Moi qui trouvait que Gallant et son mètre 90 étaient déjà bien assez grand... Le détective paraissait maintenant minuscule face à notre hôte.
- Entrez, dit simplement le directeur.
Nous le suivîmes sagement, puis nous assîmes sur les fauteuils qu’il nous désigna. Il prit place en face de nous, étalant ses longues jambes devant lui.
La pièce, bien que spacieuse, était oppressante. Malgré la vitre donnant sur la cour, je me sentais pris au piège entre ces quatre murs suintant le sang et la souffrance.
Nerveux, je n’avais de cesse de m’agiter sur mon siège, ce dont s’aperçu le directeur. Je le vis esquisser un sourire satisfait, ce qui me retourna l’estomac. Cet homme aimait infliger la douleur sous toutes ses formes, et je ressentis toutes les peines du monde en imaginant les détenus qui avaient dû passer dans cette salle avant moi.
- Alors, commença Bénédicte Caron, que puis-je faire pour vous ? Pour quelle raison le commissaire Barnet a-t-il eu la bonté de vous offrir un laissez-passer ?
- Je suis le détective Gallant, et voici mon associé, monsieur Laon. Nous sommes ici pour enquêter sur la mort de William Rapin.
Je fus reconnaissant envers Gallant de mener la discussion. Je ne me sentais capable de rien face à cet être malveillant. J’avais déjà risqué ma vie face à l’assassin de la petite Margot, près de la Seine. Puis une autre fois quand lui et Solomon Chevallier avaient pénétré chez nous. Oui, j’avais déjà frôlé le danger à plusieurs reprises. Pourtant, devant cet homme, je me sentais défaillir. En mon for intérieur, je maudis ma lâcheté...
- Ah, ce cher Rapin ! S’exclama le directeur. Laissez-moi deviner, vous pensez qu’il a été assassiné ?
- Nous avons certaines raisons de l’affirmer, oui.
- C’est Alice Durand, n’est-ce pas ? C’est elle qui est venue quémander votre aide ?
- Vous l’avez donc déjà rencontré ?
- Une fois ou deux... Elle m’a l’air terriblement hystérique, cette pauvre dame. William par-ci, William par-là... A croire qu’il s’agissait de son amant, et non de son beau-frère !
- Je vous saurai gré, gronda Gallant, de peser vos mots. Il s’agit d’une jeune femme endeuillée, vous devriez lui témoigner un minimum de respect.
- Du respect ? Gamin, si tu attends du respect de la part de quiconque en ce bas monde, tu attendras toute ta vie. Le respect, c’est toi qui dois l’imposer. Sinon c’est la-
- Le jeune homme qui vient de sortir de votre bureau, l’interrompit Gallant, pourquoi l’avoir battu ? Vous pensez avoir le droit de punir les détenus qui sont sous votre surveillance ?
- Il l’avait bien mérité, rétorqua Caron en souriant. Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas. Tu dis être venu ici pour enquêter, gamin ?
- Tout à fait, répondit Gallant en grinçant des dents.
- Pourtant, à part des invectives, je n’entends aucune question sérieuse. Comment espères-tu résoudre ton affaire si tu te contentes de cracher sur ceux que tu interroges ?
- Laissez-moi gérer mon travail comme je l’entends.
- Alors laisse-moi gérer le mien comme je l’entends.
Les deux hommes se défièrent du regard. Je voyais une rage inouïe percer dans les yeux de Gallant. Il semblait sur le point de sauter au cou du directeur.
- William Rapin, intervins-je d’une petite voix, est-ce que lui aussi vous aviez l’habitude de ... le punir ?
Bénédicte Caron tourna la tête vers moi. Je fis un effort pour soutenir son regard.
- Oui, dit-il simplement. Il est arrivé dans cette prison en homme qui cherche à recouvrer sa liberté. Il m’a suffi de bien peu de temps pour briser sa volonté. Un meurtrier qui a massacré sa femme et son bébé ne mérite aucune compassion de ma part.
- Vous vous avancez bien vite sur son jugement, reprit Gallant.
- Il a été déclaré coupable.
- Sur la simple base d’un couteau de cuisine, et sur le témoignage de quelques voisins.
- Pourquoi vouloir à tout prix défendre l’indéfendable ?
- Parce qu’une jeune femme éplorée est venue dans mon bureau, suppliant pour rendre justice à sa sœur et à sa nièce, ainsi qu’à son beau-frère.
- Vous voulez des informations ? S’emporta le directeur en se penchant en avant. Bien, je vais vous en donner. William Rapin est un criminel qui a massacré sa femme et son enfant. La justice a fait son travail et l’a enfermé ici, auprès de moi, afin que je m’occupe personnellement de lui. Je l’ai brisé, jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. Pris de remords, ou ne souhaitant pas finir sa vie en prison, il aura dénicher du poison dans la serre, et s’en sera servi pour se suicider. Voilà toute l’histoire !
- Pourquoi y a-t-il du poison dans la serre ?
- Ma femme est une chercheuse en botanique, et elle possède quelques poisons dans son bureau.
- Cela ne vous choque en rien ? Que votre femme laisse aussi facilement à disposition des prisonniers des doses létales de poison ?
- Et qu’allez-vous faire ? S’amusa le directeur. La dénoncer ? Nous dénoncer ? Bonne chance à vous. Nous sommes intouchables.
- Pourquoi nous dévoiler tous vos méfaits aussi facilement ? S’emporta Gallant. Ne craignez-vous pas que l’on rapporte tous vos propos à la police ?
- Ah ! Comme j’aimerai vous voir essayer ! La police, je l’ai dans ma poche.
- Vous nous sous-estimez.
- Non, au contraire, pesta le directeur. Je pense que c’est toi qui te surestime. Tu n’es rien qu’un cafard sous ma botte, gamin. Je te conseille d’abandonner cette affaire, et de rentrer chez toi la queue entre les jambes.
- Je n’ai pas peur de vous, protesta Gallant.
- Tu devrais, crois-moi.
- Il n’y a qu’un seul homme que je crains en ce monde, et ce n’est certainement pas vous.
Gallant se leva de son siège, tout en continuant à tempêter :
- J’ai appris tout ce que vous pouviez m’offrir comme information. Maintenant, je vais aller voir ce fameux Albin. J’ai quelques questions à lui poser.
Bénédicte Caron bondit de son siège, le visage rouge.
- Hors de question. Albin Nozière ne reçoit aucune visite, il est bien trop dangereux.
- Il en recevra pourtant une de ma part. Je me fiche qu’il soit prétendument dangereux. Il est derrière les barreaux, il ne peut rien m’arriver.
- Vous ne le verrez pas ! S’emporta le directeur.
- Parce qu’il sait quelque chose, n’est-ce pas ? Sourit Gallant. Il possède des informations précieuses, et c’est ce que vous craignez. Vous pouvez prendre peur, monsieur Caron, car cette vérité que vous cherchez à masquer, je la dévoilerai au grand jour ! Je vous ferai tomber de votre piédestal, directeur. Ainsi, vous verrez que vous n’êtes en rien intouchable !
Puis, sans attendre la réponse du directeur, Gallant sortit à grands pas du bureau. Interloqué par la scène qui venait de se dérouler, je mis quelques secondes avant de me lever à mon tour.
Le directeur, qui avait pâlit, me jeta un terrible regard. Rapidement, je suivis Gallant à l’extérieur.