Chapitre 2 - La fronde de la pleine lune

Notes de l’auteur : Bonjour,

J'ai pas mal écrit la semaine dernière, reste à corriger tout cela...

Bonne lecture !

 

Clément posa une main contre la bouche de sa mère. Leurs respirations résonnaient dans le placard du salon de musique comme des soufflets de forge.

La horde de frondeurs risquait de les entendre.

De l’autre main, il décrocha à tâtons un tissu rêche qui pendait au-dessus sur sa tête, et la posa à leurs pieds, là où les deux portes mal jointées laissaient passer la lumière. L’obscurité tomba à l’intérieur du meuble. Le reflet jaune dans les pupilles de sa mère disparut.

Malgré la légèreté de sa chemise de nuit, une goutte de transpiration ruissella sur sa tempe, coula dans son cou. Il se força à respirer. Cala avec précautions son épée debout contre lui. Tassa les épaules pour faire de la place.

Comment le peuple en était-il arrivé là ?

Elle repoussa doucement sa main d’un geste tremblant.

– Où se trouvait votre père ? souffla-t-elle.

– A son cabinet, murmura-t-il en retour.

Le mensonge lui noua le ventre. Il n’avait pas la moindre idée d’où se trouvait le Roi au moment où les gardes les avaient réveillés. Et dans la confusion de leur fuite des appartements, il ne l’avait pas aperçu.

Il se déplaça pour libérer un genou plié inconfortablement, et le massa. Dans le dernier rapport sur l’état du pays, rien ne laissait sous-entendre que la colère grondait à ce point. Il essaya de s’en remémorer le contenu.

– Mort au Roi ! hurla une voix, à peine étouffée par la porte en bois.

Sa mère trembla.

Plusieurs gardes passèrent en trombe dans le couloir dans un fracas métallique. Clément tendit l’oreille.

Personne n’était encore entré dans le salon, mais des combats faisaient rage dans le couloir, et manifestement dans les jardins aussi.

Entre les cris des gardes, les vociférations des marnants insurgés, le choc des armes et les sifflements de flèches, le silence reprenait parfois ses droits. Dans ces moments là, montaient les râles de ceux qui agonisaient. Identiques, d’un côté ou de l’autre.

Un lourd bruit de pas entra dans le salon, cracha par terre.

Clément se pressa contre le mur du fond. Sa mère colla son visage dans son épaule de peur que sa respiration ne les trahisse.

Ses doigts se crispèrent sur le pommeau de son arme. L’homme était seul, sans armure. Une bonne feinte suffirait. A condition que ses jambes, pliées depuis trop longtemps, acceptent de se déplier.

Il secoua imperceptiblement la tête et inspira lentement pour se calmer. Mettre sa mère en danger était hors de question. Et les consignes du capitaine de la garde étaient claires : l’héritier devait rester caché.

Par sécurité, il changea de prise sur son épée et se tint prêt à agir.

Le pas fit le tour de la pièce, secoua les rideaux de velours, se pencha en grognant pour soulever la nappe de la table.

Clément ferma les yeux et pria. Dieu. Les Esprits. Sans distinction. Tant qu’ils survivaient à cette nuit, peu lui importait.

– Confluence !

Le cri de ralliement fit sursauter sa mère contre son bras. Elle trouva sa main à tâtons, la serra. Clément la serra en retour.

Une courte lutte s’engagea à quelques pas d’eux. Clément ferma les yeux pour se concentrer sur l’échange de coups. Il y eut un gargouillis. Un bruit sourd.

Les cliquetis de cottes de mailles s’éloignèrent.

Le silence revint.

Clément approcha un œil de l’interstice entre les portes. Une flaque sombre s’élargissait sur le tapis d’orient, entre les pédales en ivoire du clavecin.

Sa mère bougea les jambes, soulevant une fine poussière qu’il n’avait jusque là pas remarquée, et qui piqua son nez.

– Et si le capitaine ne revient pas ? souffla-t-elle.

– Laissez-moi réfléchir mère. 

Il passa la langue sur ses lèvres sèches. Le palais avait pourtant bien réagi aux tensions de l’hiver. Il avait lui-même assuré la distribution équitable des vivres dans les comtés les plus touchés.

Une ombre passa devant les portes. Quelqu’un au pas souple se promenait dans la pièce. Clément fronça les sourcils en entendant plusieurs séries de tintements. Un domestique volait de la vaisselle.

Voilà où les avaient menés les sautes d’humeur de Père. Leurs propres gens profitaient de la révolte populaire pour les détrousser. Il grinça des dents. L’ingratitude du peuple comme l’opportunisme du domestique n’avaient pas de limite, mais la seconde se comprenait.

Les poches pleines, le domestique s’enfuit en courant.

Clément tâtonna au fond du placard, mais ne trouva pas plus de place pour détendre ses jambes. Ses muscles avaient refroidi et se crispaient.

– Le calme revient, semble- …

L’écho d’un cri presque inhumain la coupa.

Plusieurs hommes en armure rentrèrent dans le salon. Clément chercha à les voir, mais n’aperçut qu’une paire de bottes de garde du palais entre les pieds du piano.

– Vous pouvez sortir, dit un officier à la voix familière. Nous avons un itinéraire de fuite.

Clément empêcha sa mère de pousser la porte. Mieux valait rester prudent.

Il raffermit sa prise sur son arme et quitta lentement leur cache de fortune, sur ses gardes. Deux des trois soldats saluèrent par habitude. Un geste trop spontané et naturel pour être faux. Bien que tâchés de sang, les uniformes étaient bien portés, insignes à l’endroit.

Il relâcha les épaules et laissa tomber la pointe de son épée vers le sol.

– Fuir vers où ? s’enquit sa mère en se redressant péniblement.

– Je l’ignore, votre altesse, dit l’officier en leur tendant des manteaux de laine. Compartimentation.

 

*

La traversée du château lui laissa un arrière goût de cendres, de sang et de gâchis que les bourrasques derrière les cuisines ne chassaient pas.

Devant eux, les deux soldats ouvraient la marche. Il suivait sans réfléchir. A côté, enroulée dans son manteau comme s’il s’agissait de sa dignité, sa mère marchait le menton haut mais les yeux humides. Derrière suivait l’officier. Aucun d’entre eux n’avait prononcé le moindre mot depuis longtemps.

Ils croisaient de temps en temps des gardes postés pour sécuriser l’itinéraire, qui repartaient en courant aider leurs camarades sitôt leur groupe passé. Une stratégie bien pensée.

En-dehors de ce corridor hors du temps, Pranin-Confluence tombait.

Les écuries brûlaient dans un vrombissement tel qu’il entendait à peine les appels terrifiés des chevaux coincés à l’intérieur. Au détour des chemins cavaliers, ils trébuchaient sur des cadavres dont la nuit ne parvenait pas à cacher l’état. Ce dont les marnants manquaient en armement et en expérience, ils le compensaient par une rage qui lui retournait l’estomac.

– Par ici, indiqua l’un des ouvreurs en prenant le chemin vers les lavoirs en bord de fleuve.

Mécaniquement, Clément saisit le bras de sa mère dont le pas se faisait inégal. Elle fatiguait, et cette partie du parc avait trop mauvaise réputation pour que les chemins lui soient familiers. Des images de ses propres visites nocturnes aux “lavandières” traversèrent son esprit, irréelles.

La pleine lune se reflétait sur l’eau des lavoirs. Le vent en ridait les surfaces. Dans un coin, l’herbe dense et fleurie indiquait une fuite.

Ils longeaient le long rectangle sombre lorsqu’un cri retentit derrière eux.

– En v’la ! appela quelqu’un. Ici !

Clément plissa les yeux à la recherche des bruits de course.

– Continuez ! lança l’officier en le poussant si fort qu’il en eut le souffle coupé.

Il serra les dents, coinça le bras de sa mère sous le sien, et accéléra le pas.

Derrière les lavoirs, une barge les attendait. L’un des soldats se mit à courir. L’autre vint l’aider à soutenir sa mère.

Dans leur dos une bataille s’engagea. Deux contre un. Trois peut-être.

Le souffle court, il glissa dans la vase de la berge. Manqua d’entraîner au sol sa mère et le soldat à sa droite.

A bord de la barge, sa jeune cousine Prudence les attendait, le visage rougi par les larmes. Elle tendit courageusement les bras pour aider la reine.

Clément se hissa à bord et tira le soldat par le col. Le perchiste s’arc-bouta sur ses appuis. La barge s’éloigna du rivage.

– Lâches ! cria un marnant avec une torche, sur la berge.

Plusieurs autres le rejoignirent. Ils se mirent à braire. Un grand barbu saisit une pierre au sol. Elle s’enfonça dans l’eau avec un clap sonore juste à ses pieds.

Clément fit un pas en arrière, chercha des yeux l’officier. Sans lui, ils n’auraient jamais atteint la barge. Il ne trouva qu’une forme grise effondrée plus haut sur le chemin.

Il plissa les yeux. Les frondeurs les invectivaient, leur jetaient des pierres, qui tombaient maintenant à plusieurs mètres de la barge.

Clément se frotta le visage et s’accroupit devant sa mère. La reine leva les yeux, hocha faiblement la tête, et posa une main sur son bras.

Soudain rattrapé par le froid de la nuit, Clément resserra son manteau et chercha le regard d’un soldat, qui confirma son impression.

– Nous sommes en sécurité mère, soupira-t-il en s’asseyant dos au bord, le cœur encore rapide.

Il entendit le carreau trop tard. Ne sentit qu’une brûlure dans son dos.

La douleur ne vint qu’avec la réalisation que la pointe ressortait devant.

Les visages horrifiés disparurent. La lune. L’eau glaciale.

Puis plus rien.

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Carlarqlm
Posté le 16/09/2025
Salut,

J'ai lu tes deux premiers chapitres et j'adore ton style ! Tes descriptions sont bien faites et dans ce chapitre l'ambiance est pesante, on sent que tout peut basculer à tout moment.

Je vais lire la suite :)
Camille Octavie
Posté le 16/09/2025
Bonjour :D
Merci pour ta visite sur cette histoire et pour ton retour qui me touche beaucoup <3
Bonne lecture !
Sonia Rapoport
Posté le 10/09/2025
Vraiment bravo pour ce second chapitre ! Il est super bien écrit. C'est complet, vivant, on s'y croirait presque. Moi qui ne suis pas fan des romans de cape et d'épée, j'apprécie beaucoup l'intrigue et surtout votre style.
Camille Octavie
Posté le 10/09/2025
<3 Mille mercis !
J'espère que la suite vous plaira aussi !
adelys1778
Posté le 25/08/2025
Eh bien je ne m'attendais pas à cette fin, j'espère qu'il n'est pas blessé à mort au moins ! Effectivement, ça ressemble à une "ambiance" médiévale maintenant que tu le dis. J'ai bien aimé lire le chapitre et j'attends la suite pour savoir comment tout ça va évoluer !
Camille Octavie
Posté le 25/08/2025
Bonjour :)
Merci pour ta lecture et ton retour !
Ce genre de retours est très importants pour moi !
A bientôt pour la suite
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