Une rue animée. Les boutiques se succèdent, les passants défilent. L’air sue la joie, la paresse, le consumérisme. Et le soleil, pendant dans le ciel, qui plaque ses rayons gluants sur la peau.
Il y a des cheveux roux dans mon champ de vision, un sourire. Ma chevelure me chatouille le dos, un jean moule mes jambes. Moi aussi je sourie, je me sens bien.
Non, non, ce n’est pas moi. C’est elle. Cette vision est mauvaise, je dois l’oublier.
Soudain, un homme débouche d’une ruelle adjacente. Mon cœur bondit. C’est lui, c’est le M….
Mais je mets à courir en sens inverse, bousculant la foule. Le monde est flou.
D’un coup, tout s’arrête, un crissement de pneus jaillit dans l’air. Je ne vois plus rien, le décor bascule.
Je me redresse avec un cri dans le noir moite de ma chambre. Je suis trempée de sueur, j’ai l’impression que ma tête va exploser. Mes yeux secs sont exorbités.
Et voilà, encore un cauchemars. J’en fais souvent. Mais ce n’est pas grave, ce ne sont que des cauchemars. Rien de plus.
Elle n’existe pas.
J’avise mon réveil, il est quatre heures du matin. On est samedi.
J’ai envie de sourire à ce constat. C’est le week-end, le Maître sera là toute la journée.
Je me rendors l’esprit tranquille.
~
La routine se met à gouverner mes gestes quand le réveil sonne. La seule différence, c’est que je me lève plus tard.
Le Maître apparait à dix heures pile dans la cuisine. Il me fait un magnifique sourire, j’oublie mon cauchemar. Pourquoi fuirais-je une telle perfection ?
- Eri, je vais m’absenter toute l’après-midi.
Je tente de cacher ma déception, sans grand succès.
- Ne fais pas cette tête, je reviens ce soir.
- Bien, Maître.
- Tu resteras malheureusement cachée, puisque je ramènerai avec moi une femme - normalement.
Je grince des dents.
- Bien, Maître.
Il s’esclaffe doucement.
- Je veux que la maison soit impeccable à mon retour.
- Oui, Maître.
- Si tu es sage, tu auras un cadeau.
Je frémis, laissant l’espoir teinter mon expression. Le Maître m’ébouriffe les cheveux et s’en va.
Je m’active dans la journée. Le matin, je fais exprès de nettoyer le salon pour mieux l’entendre jouer du piano. C’est magnifique. Mais c’est bizarre, ça me rend triste.
Enfin, c’est vrai que Mondshein, ce n’est pas très gai.
- Au revoir, Eri.
Je n’aime pas ce mot, mais je fais bonne figure. La Rolls ronronne au sous-sol, puis son bruit se dissout. Je ne dois pas me laisser abattre. Le Maître l’a dit, la maison doit être impeccable. Et elle le sera.
Je remplis ma tâche au cours de l’après-midi, plus aucun grain de poussière ne traine. Sauf sur le piano.
Mais je ne peux pas toucher le piano. Ça la fait revenir.
Je serre les poings, c’est le Maître qui l’a demandé. S’Il a envie de jouer devant la femme ? Oui, le piano aussi, je dois le laver.
Mes mains tremblent quand je passe sur les touches noires. La clavier danse, j’ai l’impression de voir mes doigts articuler des mélodies. Ils sont agiles, beaux. La mélodie aussi. Je me fait violence. Quand j’ai enfin fini, je cours aux toilettes et rend mon déjeuner. Mon ventre se tord, comme mon cerveau. Je dois lutter, la refouler.
Penser au Maître, Il sera bientôt de retour. Il va arriver, Il sera éclatant.
Et accompagné…
Je vomis de nouveau, mon corps est pris de convulsions.
Penser au Maître, penser au Maître. Il n’y a que Lui. Que Lui.
Au terme d’une bataille qui me laisse frissonnante, j’arrive à reprendre le dessus. Je nettoie en tremblant les WC et me dirige lentement vers l’entrée. Je fixe la photo du Maître qui trône au-dessus du porte-manteau. Je m’imprègne de son visage. Elle disparait.
Je finis les préparatifs, mes doigts frémissent et mon cœur bat la chamade.
Il est dix-neuf heures.
Vite, je monte me cacher dans ma chambre. Mais alors que je rejoins mon grenier, je réalise avec horreur que j’ai laissé mon tablier sur une chaise du rez-de-chaussée. Je redescends avec précipitation. Arrivée premier étage, j’entends la Rolls arriver. Je survole les marches du grand escalier et parvient à la cuisine où j’attrape mon tablier d’un geste rageur. Des pas et des voix résonnent depuis le garage. Je n’ai pas le temps de remonter, on va m’entendre. Je décide de bondir dans l’armoire qui mène à la salle au damier.
- Très jolie déco, lance une voix suave.
L’invitée est là.
Mais ce n’est pas le genre d’invité que j’aime.
J’ai commis une faute en ne me réfugiant pas au grenier, je le sais. Mais malgré tout je profite de ce moment pour observer la femme que le Maître à ramener par le trou de la serrure.
- Je t’en pris, c’est un peu vieillot tu en conviendras.
- Moi j’aime bien.
La femme s’avance. Elle est un peu plus jeune que le Maître, elle doit avoir un peu moins de quarante ans. Ses cheveux blond pâle dégoulinent sur ses épaules et son dos. Son visage porte des lèvres pulpeuses et un regard puissant. Chacun de ses gestes est emprunt de grâce et d’assurance. Elle est belle, si belle. Tout mon contraire. Et c’est ce genre de femmes que le Maître aime.
Je frémis, je dois me reprendre. Le Maître m’aime aussi, mais d’une manière différente. Il m’aime plus que toutes ses compagnes qui défilent, je suis spéciale pour Lui.
- Un peu de rosé, ça te tente ?
- Volontier.
- Tu peux aller t’asseoir dans le salon, j’arrive.
- Merci Sébastien.
Elle balance ses hanches et quitte mon champ de vision pour pénétrer dans le salon. Quelques secondes plus tard, je vois le Maître passer, une bouteille et deux verres à la main. Il a les yeux gourmands. Il disparait derrière le battant.
- Séléné ? appelle-t-Il.
- Je suis là ! Je regardais ton beau piano.
- Tu en fais ?
- Oui, mais chez moi je n’ai qu’un piano droit. Celui-ci est magnifique. Je peux y jouer ?
- Si tu veux.
J’entends la femme s’asseoir. Elle caresse quelques touches.
- La sensation est incroyable !
- C’est agréable, hein ?
- Très. Je sais ce que je vais jouer.
- Je t’écoute.
Il y a un bref silence. Cette pause ne fait que rendre que plus tonitruante la gamme de do dièse qui résonne soudain.
Mon cœur rate un battement.
Une mélodie brouillon s’élève et jaillit avec puissance vers les aigus. Elle reflue bien vite avant de repartir par vague percutants. Je chavire.
Cette mélodie.
Elle la connait. Elle l’adore. C’est ce qu’elle devait jouer avant que…
Je retiens un cri, mon corps se tord.
La musique se fait plus douce, caressante, mélancolique. Des images susurrantes m’enlacent et me donne des vertiges. Les larmes coulent abondamment sur mes joues, la nausée me prend.
Ça y est, elle repart. Elle danse entre les graves et les aigus. Les note s’embrassent, se repoussent, se chevauchent.
Ma respiration secoue mon corps. Une convulsions soudaine me jette contre la porte de l’armoire dans un grand bruit. Le temps haletant se suspend. Mais l’invitée, envoûtée par la mélodie psychédélique, ne semble rien entendre.
Cette dernière s’envole de nouveau dans un dernier sursaut rageur. Elle hurle sa douleur, crie sa passion. Elle m’emporte. Je me mords les lèvres jusqu’au sang, m’arrache les cheveux, me griffe violemment. Pas un bruit, je risque de trahir le Maître. Retenir, refouler.
Je lutte contre ce courant puissant qui charrie un flot de souvenirs acérés.
La mélodie explose, je me plie en deux, mes muscles contractés à l’extrême.
Puis enfin, elle se taie.
Un silence tourmenté m’écrase.
Résonnent alors les applaudissements du Maître.
~
Je suis restée dans l’armoire. Je ne suis même pas descendue dans la salle du sous-sol pour me dégourdir les jambes. Prostrée, recroquevillée dans cet espace suffoquant, j’ai lutté pendant des heures contre elle. Cette mélodie l’a rendue plus forte, trop forte. Mon visage a été ravagé de griffures sanguinolentes.
Même lorsque le Maître et son invitée sont montés dans la chambre et s’y sont enfermés, je n’ai pas bougé. Je ne pouvais pas. J’étais comme un automate grippé, cassé.
Ce n’est que quand la voix du Maître m’a appelée, après le départ de cette maudite femme, que j’ai trouvé la force de repousser la porte.
Je suis laide d’ordinaire, mais en cet instant c’est mille fois pire. Les joues fripées de larmes, la peau griffée, les cheveux ébouriffés, les doigts rongés, la robe déchirée, les yeux perdus. C’est ce que je vois dans le regard du Maître.
- Eri, que s’est-il passé ? Que fais-tu là ?
- C’est… la musique…
- La musique ?
- Qu’elle a jouée…
- La Fantaisie Impromptue ?
J’ai un hoquet, je cours aux toilettes pour déverser de la bile dans la cuvette.
- Eri ?
- Cette mélodie… elle fait revenir l’autre.
Le Maître a soudain un air sombre, glaçant.
- Je vois…
Il a de l’orage dans le regard.
- Viens, Eri.
Je le suis, la tête rentrée dans les épaules. Cette voix-là me pèse.
Le Maître remonte dans Sa chambre, les draps sont encore défaits. Je me hérisse intérieurement. Il farfouille dans Ses affaires et en sort une petite boite d’un rouge velouté.
- Tiens, Eri, c’est un cadeau pour toi.
Je crie un petit « ah ! » qui Le fait sourire. Les jambes flageolantes, je saisis la boîte. Je l’ouvre religieusement.
Là, dans un écrin, se trouve une barrette. Elle n’est pas décorée et a une forme ordinaire, mais son rouge écarlate me frappe de sa beauté.
- Cette barrette est spéciale pour moi, Eri. J’espère que tu sauras en prendre soin.
- Merci Maître, dis-je d’une vois tirant sur les aigus.
- De rien. Si elle te tourmente, rappelle-toi : avec cette barrette je suis toujours avec toi. Je te protège.
- M… merci.
Je verse quelques larmes. D’un geste doucereux, Il repousse une mèche de mes cheveux et attache la barrette. Ses doigts sont chauds et délicats, je frissonne.
- Et voilà, Eri.
Je souris, le Maître est éclatant. Une étreinte invisible m’enveloppe.
- Allez, vas te coucher, il est tard.
Je hoche vigoureusement la tête et retourne dans mon grenier d’une démarche sautillante. Je m’allonge sur mon lit en soupirant.
La fantaisie revient titiller mes oreilles, je me tends. Ma main se lève alors pour caresser les contours de la barrette et d’un coup, tout s’apaise. Je ne pense plus, je me laisse bercer. Je souris, triomphante.
Jamais plus elle ne m’embêtera.
Beaucoup de questions, j'ai hâte de la suite pour trouver les réponses! ;)
Côté coquilles, voilà ce que j'ai pu relever :
Et voilà, encore un cauchemars. = cauchemar
Je me fait violence. = fais
je cours aux toilettes et rend mon déjeuner. = rends
la femme que le Maître à ramener = a ramenée
Des images susurrantes m’enlacent et me donne des vertiges. = me donnent
Une convulsions soudaine me jette = convulsion
Puis enfin, elle se taie. = se tait
d’une vois tirant sur les aigus. = une voix
Rien de bien grave, surtout que la lecture est fluide et qu'on est vote plongé dans le récit !
Ca n'a pas tellement l'air de plaire à Eri, d'ailleurs, ce qui semble tout à fait cohérent avec sa dévotion. Et le Maître semble entretenir parfaitement son emprise sur elle. Décidément, c'est glaçant.
Alors qui est cette "autre"... C'est très troublant !
Et la barrette, la voici. Est-ce que c'est le premier cadeau qu'il lui fait ? Probablement. Il n'a même pas l'air d'avoir besoin de ça pour la tenir son emprise. Il lui jette juste une miette "d'affection" ou de reconnaissance de temps en temps.
C'est vraiment très bien fait, et machiavélique ! Et ton écriture se lit toute seule, c'est très agréable (mais je le savais déjà ;) ). Par contre, il y a pas mal de coquilles, notamment des fautes d'accords, mais rien qu'une relecture ne puisse résoudre ;)
Tu as tout compris^^
Merci pour ton com <3 et désolée pour les coquilles -_-' elles passent toujours entre les mailles du filet
Je trouve que, tout comme dans le premier chapitre, tu utilises une économie de mots pour expliquer beaucoup de choses, ce qui rend ton texte à la fois glaçant et intelligent.
Et j'ai oublié de te le dire pour le premier chapitre (mais en même temps, idem pour le deuxième) : les premiers paragraphes sont particulièrement bien écrits, et très accrocheurs !
- Mais je (me ?) mets à courir en sens inverse
- encore un cauchemars (sans « s »)
- avant de repartir par vague (s) percutants (percutantes)
- Des images susurrantes m’enlacent et me donne (donnent) des vertige
- Les note (s) s’embrassent,
- Une convulsions (sans « s ») soudaine me jette
Alors dans ce chapitre, il y a certain mot qui sont mal utilisés comme gluant pour les rayons du soleil ou moite pour le noir. J'ai du mal à savoir ce que tu veux dire par là.
Le passage ou Éri est dans l'armoire est qu'elle ce fait violence avec la musique jouée est très bien relaté. Je l'ai beaucoup aimé. On sent que ton personnage se bat contre quelque chose.
Alors je ne dirais "mal utilisés", c'est un choix de ma part, j'aime bien les synesthésies. Après je peux très bien comprendre que tout le monde n'accroche pas^^
Merci pour ta lecture et tes commentaires :D
Deux chapitres très puissants avec deux invités différents ^^ je vais continuer pour sûr !
Huis clos, c'est le mot (les mots, hum), moi-même je trouve ça un peu étouffant, mais tellement intéressant à écrire ! Cosy xD si tu le dis...
Merci pour ta lecture et ton com, j'espère que la suite te plaira tout autant :3
J'ai particulièrement beaucoup aimé le passage où l'invité joue au piano avec Eri qui se contorsionne dans le placard, on aurait dit une sorte de danse macabre.
Et donc si j'ai bien compris le Maître (ton jeu sur les majuscules est cool aussi !) est chirurgien et il amène ses patients chez lui pour les torturer et les tuer et fait en suite croire que c'est une opération qui à mal tourné. C'est tordu mais c'est cool ! J'ai aucune idée de l'époque à laquelle se passe l'histoire mais je pense qu'au 19e siècle un truc comme ça, ça doit marcher !
Allé je suis content de m'être lancé :D (mais bon je te promet pas que je vais tout m'enfiler super vite, c'est quand même très sombre xD)
à plus ^-^
Oui c'est sa méthode, on voit ce qu'il fait du serment d'Hypocrate...
Qu... Mais l'histoire se passe de nos jours XD mince c'est censé être obvious mais c'est vrai que j'ai pas mis l'élément vraiment moderne, p't'être un truc à rajouter...
Ah ah pas de problème, je comprends ^^
À bientôt^^
Petite coquille : "que le Maître a ramené" et non "que le Maître à ramener"
Sinon, à ce stade il faudrait peut-être ajouter les tags horreur et/ou fantastique et/ou drame ?
Il n'y a que toi qui connaît l'histoire donc je demande. :-)
Sinon, très bien écrit et le suspense est là.
Merci pour la coquille !
Des tags ? C’est-à-dire ? Ce n’est pas trop la coutume locale.
Merciiii
j'espère que "ELLE" va se réveiller et tout faire péter !
a part ça, on est vraiment très vite dedans, c'est angoissant, désagréable mais hyper prenant ! la suite !
Ah merci ^^ La suite devrait arriver vite puisque j’ai prévu d'écrire 2 chap par semaine. J'étais pas sûre que cette histoire te plaise alors je suis soulagée
Bisouilles <3