Chapitre 2 : La succession

Je me réveillais le dimanche matin, rechargée d’une énergie nouvelle.

Jusqu’alors, j’étais empêtrée dans les démarches administratives concernant la succession de mon père. Vous vous rappelez que j’avais précisé qu’il ne s’agissait pas d’une succession internationale banale, mais qu’elle était sans testament ?

Effectivement, ce détail changeait tout, qui plus est en Catalogne Sud, où mon père avait élu domicile depuis plus de 35 ans. Mais cela, au départ, je n’en avais aucune idée. Et je n’étais pas au bout de mes peines. Par où commencer afin que vous compreniez l’ampleur de la tâche colossale à laquelle je devais faire face.

Déjà, je m’étais renseignée sur internet des diverses étapes. Néanmoins, freinée par l’impossibilité de récupérer la plupart des documents demandés depuis la France par les moyens à ma disposition, j’avais fini par me rendre à l’évidence : je devais faire appel à un notaire. J’en trouvais un dans le village voisin du domicile paternel.

Je rencontrais rapidement le clerc de notaire qui me donna la marche à suivre, étant entendu que nous communiquerions principalement par e-mails. Bien sûr, tout échange se faisait en espagnol, que je parlais couramment quoique limitée en termes juridiques. Pouvez-vous imaginer le temps passé sur des blogs d’avocats espagnols, sur des sites dédiés, lisant tout et son contraire ?

J’envisageais chaque nouvelle demande, chaque nouvelle recherche comme une étape à franchir, l’une après l’autre, de manière ordonnée et consciencieuse. Mon côté psychorigide s’en donnait à cœur joie.

Le premier document indispensable pour amorcer l’héritage était l’Acte de déclaration des héritiers, qui n’est demandé que lorsqu’aucun testament n’a été retrouvé.

Je dus, tout d’abord, prouver l’identité des héritiers, c’est-à-dire que moi, héritière, et ma mère, usufruitière, dûmes présenter toutes les preuves de notre existence. Ou plus exactement, je dus m’adresser aux différentes mairies pour récupérer le certificat de naissance de ma mère, le mien, le certificat de mariage de mes parents ainsi que leur livret de famille. Il est évident que pour faire simple, chaque document était à demander dans une ville différente, sinon, ce n’aurait pas été drôle !

La deuxième étape consistait à trouver deux témoins pour attester que mon père et ma mère étaient bien mariés et qu’ils n’avaient eu que moi comme enfant. Je me creusais la tête et finis par contacter les deux meilleurs amis de mon père qui acceptèrent bien volontiers et m’envoyèrent leurs documents d’identité à transmettre au clerc de notaire. Jusque-là, tout allait comme sur des roulettes et j’avais même espoir que finalement, je m’en sortirai sans trop de difficultés. Mais, deviez quoi ? Et bien, j’étais encore loin de mes peines !

Je dus ensuite prendre rendez-vous à l’ambassade d’Espagne la plus proche de chez moi, c’est-à-dire à une heure de route, afin de demander nos Numéros d’Identification des Etrangers (N.I.E.), à ma mère et à moi, indispensables pour toute transaction internationale. Il nous fallut attendre un mois avant de les obtenir, ces documents officiels transitant par le ministère des affaires étrangères espagnol. Pourquoi faire simple lorsqu’on peut faire compliqué ?

Pendant le laps de temps d’attente, j’appris par le clerc de notaire qu’il y avait des dettes. Il ne me donna aucun chiffre, il me conseilla juste de creuser auprès des banques et des impôts. Merci ! J’investiguais durant une bonne semaine pour découvrir qu’une société de recouvrement était sur le point de mettre la maison aux enchères au motif que deux hypothèques n’étaient pas soldées depuis 15 ans ! Rien que ça…

Par-dessus ces nouvelles angoissantes, j’appris qu’aucun impôt n’avait été payé depuis 2007, soit 15 années d’impôts locaux, d’ordures ménagères, de taxes foncières, de PV agrémentés de pénalités de retard loin d’être anecdotiques. Bah voyons…

Je plongeais alors dans un profond désespoir. Heureusement, si ma mère se contentait de râler, contre mon père, contre l’administration espagnole et contre les banques, j’avais le soutien des amis de mon père, étant eux aussi passés par ces épreuves des années auparavant.

Je devins momentanément bipolaire dans mes décisions : un jour je voulais tout laisser tomber et renoncer à l’héritage, le lendemain, je me disais qu’il y avait forcément une solution pour m’en sortir sans trop y laisser de plumes. Le surlendemain, je sombrais dans un profond pessimisme…

Et puis tout prenait un temps fou ! Cela faisait déjà presque 6 mois que mon père était décédé et rien de concret ne s’était passé. Pire, j’arrivais au bout les délais légaux de clôture d’un héritage en catalogne. Quelle angoisse !

Conseillée par le clerc, j’entrepris de demander une prorogation pour le paiement des impôts sur l’incrément de la valeur de terrains de nature urbaine (IIVTNU) ou pour l’appeler par son petit nom : la plus-value.

Tout cela peut sembler bien rébarbatif. Je vous rassure, ça l’est ! J’ai même, un court instant, envisagé de devenir conseillère en successions franco-catalanes. Mais trêve de plaisanteries et retour à ma cauchemardesque réalité.

Voyant l’ampleur des dettes, je pris contact avec une demi-douzaine d’agents immobiliers, par mail. Devinez combien j’eus de touches ? Allez, à votre avis ? UNE ! Une seule réponse ! J’appris ensuite qu’en général, en Catalogne, les agents immobiliers ne souhaitaient pas s’embêter avec des « étrangers » et les complications qui risquaient d’en découler.

Bref, heureusement, j’eus un très bon contact avec le seul et unique agent immobilier. Nous convînmes qu’il viendrait estimer la maison le jour où je signerai l’Acte de déclaration des héritiers. Et ce n’était pas encore prêt d’arriver…

En effet, le clerc de notaire avait refusé mes témoins, l’un français et l’autre suisse. C’était apparemment trop compliqué de faire témoigner des étrangers, leurs documents d’identité n’étant pas vérifiables en Espagne, il me fallait en trouver avec une carte d’identité espagnole.

Quelle galère ! Retour au point de départ… Je finis par trouver deux voisins susceptibles de témoigner. Et là, tout s’enchaîna. En deux semaines, j’avais mes témoins validés et disponibles pour signer, j’eus ma date de signature et pus rencontrer l’agent immobilier. Enfin !

La maison fut mise en vente, directement, évidemment à un prix bien en-deçà de sa véritable valeur. Mais il me fallait avancer car, même si je ne le savais pas encore, je n’en étais même pas à la moitié des démarches…

Afin de passer à la seconde phase : l’Acte de succession, j’envoyais la nouvelle salve de documents demandés par la notaire et entrepris de récupérer les soldes des comptes en banque de mon père à la date de son décès. Je me heurtais alors à un mur.

Ces informations étant confidentielles, l’une des banques m’imposait une demande en personne à l’agence puis une récupération par le même biais une semaine plus tard. Désespérant… Je réussis à trouver un numéro de téléphone pour expliquer la situation, on me renvoya sur un autre numéro puis encore un autre pour finalement me donner une adresse e-mail sur laquelle j’envoyais mes documents d’identité, ceux de mon père, son acte de décès ainsi que l’acte de déclaration des héritiers. Et après on s’étonne que l’Espagne soit le pays avec le plus de renonciations d’héritage ? Sérieusement ?

En parallèle, j’envoyais une douzaine de mails à l’autre banque, les numéros de téléphone trouvés menant au même message enregistré demandant de laisser ses coordonnées. Deux détails empêchaient que mes messages ne trouvent d’échos : déjà, le temps imparti pour laisser le message était tellement court que le temps de donner l’indicatif de mon numéro français, et même en parlant vite, le bip de fin retentissait avant que je n’aie pu donner ta totalité des chiffres. Ensuite, évidemment, personne n’allait tenter de rappeler un numéro de portable étranger et donc probablement surtaxé.

Finalement, je confiais mon souci à l’agent immobilier de passage à proximité de l’agence. Il récupéra la bonne adresse de courriel et je pus enfin obtenir que le document soit envoyé directement au notaire.

Par ailleurs, les thèmes financiers ne manquaient pas : je savais du clerc de notaire que je devrais payer 350 euros par acte notarié. Mais je devais connaître la provision de fond pour que l’agent immobilier estime le montant des arrhes à demander dans le cas d’une hypothétique vente.

Le couperet tomba alors que je débutais une grosse angine, peuplée de délires fiévreux. Le montant demandé était un peu plus de 10 fois plus cher. Je m’effondrais. J’en fis tout de même part à ma mère qui se lamenta qu’elle ne pourrait pas acheter sa maison… Bah, en fait, ce n’était pas vraiment prévu au programme !

J’ai omis de mentionner un petit détail supplémentaire : tous les mois, l’organisme de recouvrement me relançait afin de savoir quand je serai en mesure de rembourser les dettes. Ce qui n’est absolument pas stressant, non !

Souhaitez-vous avoir une description précise de la suite ? Spoiler alert : cela ne se déroula absolument pas comme prévu : la succession à concurrence de l’actif net dut se transformer, trois jours avant la signature, en succession pure et simple à cause de délais non respectés. Personne ne put m’aider car la nouvelle me tomba sur le coin du nez un vendredi après-midi, moment de la semaine où, apparemment, personne dans le domaine du juridique ne travaille.

Le jour même, je dus amener ma mère pour signer puis gérer, moi seule, le paiement des impôts et les diverses démarches administratives pour lesquelles j’avais anticipé les rendez-vous. Ma mère voulut, à juste titre, récupérer ce qu’elle avait laissé dans la maison, mais comme d’habitude, ne sachant par où commencer, elle commença à s’en prendre à moi, me gratifiant de ses méchancetés habituelles. Pour la première fois peut-être, je répondis, froidement. Je n’avais plus la force de ces enfantillages.

J’avais un dernier rendez-vous dans l’après-midi et le temps était compté. J’activais le mouvement, étant moi-même bien occupée à trier les dossiers médicaux et autre documents personnels de mon père et à les brûler dans sa forge. Ma mère, par esprit de contradiction et par vengeance partit se balader dans le jardin, me laissant tout charger dans la voiture, ranger et fermer la maison.

Là, c’en était trop. J’étais épuisée, autant physiquement que psychologiquement. Elle se plaignait qu’elle était vraiment la plus malheureuse au monde. Elle qui s’était lamentée, à chacun de mes appels et à chacune de mes visites, durant 13 ans, d’être isolée dans cette maison avec mon père qui l’insupportait, elle me jetait au visage son malheur.

Je lui rétorquais que si elle avait perdu un mari qu’elle n’aimait plus depuis longtemps, moi, j’avais perdu mon père qui était tant pour moi et qu’elle avait tout fait pour éloigner de moi lorsque je leur rendais visite, n’hésitant pas à me faire des crises de jalousie si je parlais plus que ce qu’elle jugeait nécessaire à mon père.

Nous nous mîmes en route pour mon dernier rendez-vous, chacune murée dans son mutisme. Je devais déclarer la perte de ce qui correspondrait à la carte grise de la voiture de mon père, cette fiche technique étant délivrée à la condition du passage avec succès du contrôle technique.

Pouvez-vous m’imaginer ? J’étais échevelée, pleine de toiles d’araignées, je puais littéralement la fumée surodorée par un voile de parfum et une bonne dose de transpiration.

Je me présentais au guichet et expliquais la situation à la jeune femme brune, bien maquillée et bien coiffée :

« Je viens d’hériter de la voiture de mon père décédé, mais il n’avait plus sa fiche technique, comment faire pour obtenir un duplicata ?

  • Alors, aujourd’hui vous ne pourrez rien faire, répondit la fille du tac au tac.
  • Pourquoi ? j’ai tous les documents sur moi.
  • Peut-être, mais il faut que votre père vienne en personne pour signer. »

Pouvez-vous imaginer ma tête à ce moment-là ? Je regardais la fille derrière son guichet avec des flashs dignes d’halloween, qui justement aurait lieu le soir-même.

Je lui expliquais avec les bribes de patience qui me restaient que mon père étant décédé, il lui serait impossible de venir, en personne, signer un papier. Là, ses yeux s’écarquillèrent, une connexion neuronale avait enfin eu lieu et elle s’exclama :

« Il est décédéééé ? Oh, alors oui, je peux faire la demande aujourd’hui. » Dit-elle avec un grand sourire.

Véridique. En deux phrases, elle venait de m’achever.

Une fois de retour dans ma voiture où ma mère m’attendait, je repris la route et rentrais en France sans un mot. Mon quota de gentillesse et de compréhension, pourtant en règle générale anormalement élevé, était arrivé à saturation.

J’en voulais tellement à ma mère d’être aussi peste avec moi. A chaque fois que les choses se compliquaient, j’avais l’impression d’être la mère qui gère et elle la gamine inconsciente qui se laisse porter sans faire le moindre effort et en râlant de surcroit. Cette inversion des rôles et la charge mentale qui s’y rattachait me forçaient à faire une pause.

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Gaïane Fritsch
Posté le 18/07/2024
Hello,

J'ai beaucoup aimé ce chapitre. Pour le coup, il n'y a pas de problème de rythme et la description de procédés judiciaires est très réaliste et intéressant.
Attention, il y a quelques coquilles dans le texte.
Le personnage de la mère amène à se questionner car pour le moment, elle est très antipathique et j'espère qu'elle sera un peu plus développer dans un autre chapitre pour expliquer notamment son caractère et permettre qu'un lien se crée entre le lecteur et elle.
Sinon, Bravo pour cette partie !
Alice2002
Posté le 19/07/2024
Salut,
Merci pour ton commentaire, je vais bien relire à froid et faire relire les chapitres afin de corriger les coquilles. Je ne suis pas encore fixée sur la mère. Je vais travailler ce personnage un peu plus tard je pense. Il y a beaucoup à écrire !
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