Chapitre 3 : Pour un avenir meilleur

Notes de l’auteur : A écouter : "Lux Aeterna" de Clint Mansell

Bonne lecture !

« Révolution : c'est retourner le sablier. »

- Jean Dubuffet

 

Lee Elijah

District de Binhai, Tianjin

QG d’Adonis

 

— Fang, déclara-t-il d'une voix grave, je n'ai pas tué Hazel. Il savait ce qu'il faisait en rejoignant notre cause. Il a sacrifié sa vie pour nos idéaux, pour un monde meilleur.

Fang secoua la tête, des larmes aux yeux, incapable d'accepter la réponse de l’homme.

— Tu mens ! Tu n'es qu'un menteur ! Tu as tué Hazel ! Tu l'as mené à la mort ! Putain, Elijah ! Il te faisait confiance ! Il t'a tout donné… Il t'a absolument tout donné pour que tu oses finalement le conduire à sa mort !

La tension dans la pièce était à son comble, et le poids de la culpabilité pesait lourdement sur les épaules d’Elijah. Il avait perdu un frère, un ami, un amant, et il devait vivre avec le poids de cette perte et des décisions qu'il avait prises. La guerre qu'ils menaient était cruelle, et elle avait déjà coûté la vie à trop de leurs proches.

Sous la colère, il lança le cendrier dans la télévision, la fissurant. Un silence pesant s’installa dans la pièce. Les dégâts matériels n'étaient rien comparés à la tension qui régnait entre lui et Fang. D’ailleurs, la réaction soudaine d'Elijah fit reculer Fang, qui se tut sous le coup de la surprise. Les gestes brusques et la colère qui émanaient de lui étaient terrifiants.

— La ferme !

Il se retourna violemment vers la jeune femme, son visage empreint d'une haine palpable. Elle avait évoqué le sujet tabou de Hazel, et il était évident que cette discussion était interdite depuis longtemps. Fang savait qu'elle avait franchi une limite.

— Tu as dépassé les bornes, Fang. Tu sais ce que je fais à ces gens, pas vrai ?

Le ton menaçant dans la voix d’Elijah ne laissait aucun doute sur les conséquences possibles de son comportement. La tension dans la pièce était à son comble, et Fang pouvait sentir sa propre peur monter en elle. Le silence persista pendant quelques instants, rompu quelquefois par le bruit des éclats de verre qui se répandaient sur le sol. Puis, Elijah prit une profonde inspiration pour se calmer. Il se passa une main sur le visage, semblant lutter pour maîtriser sa colère.

— Fang, tu ne comprends pas la situation, murmura-t-il d'une voix plus calme, mais toujours teintée d'irritation. Cesse de t'immiscer dans des affaires qui ne te concernent pas.

Fang baissa la tête, se sentant complètement submergée par l'atmosphère tendue et la colère d'Elijah. Elle savait qu'elle ne devait pas aller plus loin, mais depuis la mort de Hazel, le groupe était en déroute. Après Alexei, elle était la membre la plus ancienne et elle observait avec inquiétude comment ils avaient changé de cap.

— Je suis désolée, Elijah… Ce n’est pas ce que je voulais…

— Ça vaut mieux, répondit-il d'un ton cinglant. Maintenant, pars.

Fang ne tarda pas à partir, quittant la pièce avec précipitation. Une fois seul, Elijah se laissa tomber lourdement sur le canapé, laissant échapper un soupir de frustration. Ses doigts parcoururent nerveusement sa chevelure ébouriffée alors qu'il tentait de calmer le tourbillon d'émotions qui agitait son esprit.

Son regard erra autour de la pièce, s'arrêtant finalement sur le cadre photo qui trônait sur la table basse. Il se leva, s'approchant lentement pour le saisir entre ses mains tremblantes. Ses yeux parcoururent chaque visage figé sur la photographie, un sourire figé sur leurs lèvres gelées dans le temps. Ils étaient tous là, il pouvait presque sentir l'éclat de leur bonheur passé émanant de l'image.

Pourtant, cette image contrastait cruellement avec la réalité présente. Les sourires étaient désormais remplacés par des regards fatigués et des fronts plissés par le fardeau du conflit. La perte de Hazel avait laissé un vide béant dans leur groupe, fissurant leur unité autrefois solide.

Un frisson parcourut l'échine d'Elijah alors qu'il replaçait délicatement le cadre sur la table. Ses pensées étaient envahies par les souvenirs de jours meilleurs, de moments insouciants désormais perdus dans le chaos de la guerre.

— Suis-je un si mauvais leader…?

Les pas résonnaient dans le silence pesant de la maison, et Elijah pouvait presque les reconnaître comme s'ils étaient une mélodie familière. Il leva lentement les yeux vers l'arche qui marquait l'entrée du couloir principal, où la silhouette familière se profilait peu à peu. Ses cheveux blancs comme la neige et ses yeux bleus perçants étaient des traits caractéristiques qu'Elijah aurait pu identifier entre mille.

— Tu es un parfait leader, Elijah.

— Il semblerait qu’il n’y est que toi qui le pense, Daniil.

— Je ne pense pas. Tu sais bien que Fang a dépassé ses limites. Elle ne voulait pas te mettre dans l’embarras. C'est juste que la mort de Hazel l’a énormément affecté.

Un soupir las quitta les lèvres d'Elijah tandis qu'il portait sa coupe de vin à sa bouche. Il se délecta du liquide, penchant la tête en arrière jusqu'à croiser le regard perçant de son camarade. Un sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'il levait la main pour la déposer sur sa nuque.

— Tu devrais éviter cela, Elijah. Nous ne sommes pas en privé.

Elijah claqua la langue contre son palais, se redressant rapidement pour reprendre une position plus formelle. Il reposa le verre sur la table et fixa Daniil à travers le reflet de la télévision. Le Russe faisait exactement la même chose, le dévorant de ses yeux bleus, une intensité dans son regard qui rendait l'air encore plus lourd.

— Tu as une réunion de dernière minute. Il semblerait que l’action d’Alexei ait fait en sorte que le ‘‘courant d’air "* ait décidé de reprendre du service.

— Bien. Dis à Xu Ming de me rejoindre. Toi… reste ici.

— Ça sera fait.

Dans un mouvement solennel, Daniil se pencha en avant, une main sur le cœur. Il attendit qu’Elijah quitte la pièce pour se redresser, son visage adoptant une expression plus froide et impassible. Il semblait devenir un autre homme dès que le leader était absent.

Le Daniil chaleureux et compréhensif s'effaça pour révéler une personnalité plus dure, plus calculatrice. Ses yeux bleus, auparavant emplis de compassion, se durcirent alors qu'il observait la pièce vide. Il inspira profondément, rassemblant ses pensées, puis se dirigea vers la fenêtre, regardant au loin.

Il savait que des décisions difficiles devaient être prises et que, parfois, cela nécessitait une certaine froideur et du détachement. L'apparente vulnérabilité qu'il montrait à Elijah n'était qu'une partie de lui-même, un masque nécessaire pour maintenir l'unité et la confiance au sein du groupe. Mais, dans ces moments de solitude, il laissait tomber le masque et révélait la détermination impitoyable qui le guidait. Il murmura pour lui-même :

— Pour la Révolution.

***

Assemblée

District de Xicheng, Pékin

Elijah soupira une énième fois en entendant les paroles du représentant de l’Empereur. Essayait-il de tout les endormir avec ses discours interminables ? À sa gauche, Xu Ming lui lança un bref regard empreint d’inquiétude. Il était évident que lui aussi en avait assez de cette réunion, qui n'avait pour but réel que d'exercer une pression supplémentaire sur les membres du gouvernement.

Elijah croisa les bras, son esprit vagabondant alors que le représentant continuait son monologue. Les mots devenaient flous, se transformant en un bourdonnement monotone qui ne faisait qu'aggraver son exaspération. Il jeta un coup d'œil à la salle, remarquant les expressions fatiguées et ennuyées de ses collègues.

Xu Ming se pencha légèrement vers lui, murmurant à voix basse :

— Combien de temps encore devrons-nous supporter cela ?

Elijah haussa les épaules, essayant de masquer son irritation. Il savait que cette réunion ne mènerait à rien de concret, mais il n'avait pas le choix. Les jeux de pouvoir et les manœuvres politiques étaient monnaie courante, et il fallait jouer le jeu, même si cela signifiait endurer des heures de discours vides de sens.

Le représentant de l’Empereur continuait, insensible à l’agitation croissante dans la salle. Elijah ferma les yeux un instant, cherchant à rassembler ses pensées et à puiser la patience nécessaire pour traverser cette épreuve. La Révolution demandait des sacrifices, et parfois, cela signifiait écouter des discours interminables dans des salles étouffantes.

Quand il rouvrit les yeux, il vit Xu Ming acquiescer légèrement, comme pour lui dire qu'ils devaient tenir bon. Elijah prit une profonde inspiration, se préparant à affronter le reste de la réunion avec autant de dignité et de calme que possible.

— Le Tianzi* vous exige une discrétion hors normes. Il est évident que lors de la prochaine cérémonie, ces idiots tenteront quelque chose. Mais nous sommes là. Le Ciel nous a donné le pouvoir.

Elijah cacha son amusement derrière une expression sérieuse, fixant le représentant avec une intensité feinte. Il pensa à la prochaine cérémonie, un événement qu'il attendait avec impatience. Ce serait l'occasion parfaite pour ses plans, une chance de faire avancer la cause qu'il défendait si ardemment.

— Nous comprenons les exigences du Tianzi, répondit-il avec une politesse froide. Nous veillerons à ce que tout se passe sans encombre.

Elijah croisa à nouveau le regard de Xu Ming, qui lui adressa un léger hochement de tête. Ils partageaient le même objectif, la même détermination à voir leurs idéaux triompher.

Il détourna les yeux du représentant pour éviter de trahir ses pensées véritables. Le jeu de pouvoir était subtil et dangereux, et il savait qu'il ne pouvait se permettre aucune erreur. Chaque mouvement, chaque parole devait être calculée pour assurer le succès de leur mission.

— Le Ciel peut bien nous avoir donné le pouvoir, pensa Elijah avec une pointe de sarcasme, mais c'est nous qui allons façonner notre destin. Pour la Révolution, pour Hazel, et pour un avenir meilleur.

Le vieil homme les relâcha enfin. Elijah attendait Xu Ming qui terminait de ranger leurs affaires lorsque Li Ning, le représentant, l'arrêta.

— Ministre Elijah !

Elijah se retourna, masquant habilement son agacement derrière un sourire poli.

— Oui, Monsieur Li Ning ? Que puis-je faire pour vous ? répondit-il avec une courtoisie feinte.

Li Ning s'approcha, ses yeux perçants fixés sur lui. Il y avait quelque chose de menaçant dans sa posture, une froideur qui n'était pas présente lors de la réunion.

— J'aimerais m'entretenir avec vous en privé, dit-il d'une voix basse et sérieuse.

Elijah jeta un coup d'œil à Xu Ming, qui lui répondit par un signe de tête, indiquant qu'il pouvait gérer le reste seul. Elijah suivit Li Ning vers un coin plus isolé de la salle de réunion.

Une fois à l'écart, Li Ning se tourna vers lui, son expression impassible.

— Vous savez aussi bien que moi que la prochaine cérémonie sera cruciale. Des forces sont à l'œuvre, des forces qui cherchent à perturber l'ordre établi. Je sais que vous êtes un homme de principes, Elijah. J'espère que vous serez de notre côté quand le moment viendra.

Elijah soutint le regard de Li Ning, cherchant à déchiffrer ses intentions. Chaque mot prononcé par le représentant semblait calculé, chargé de sous-entendus. Il prit une inspiration profonde, pesant soigneusement sa réponse.

— Vous pouvez compter sur ma loyauté envers le bien-être de notre nation, répondit-il finalement, ses mots choisis avec soin.

Li Ning le scruta pendant un long moment, comme s'il cherchait à percevoir la moindre trace de duplicité.

— Très bien, dit-il enfin, un mince sourire se dessinant sur ses lèvres. Je compte sur vous, Elijah. Ne nous décevez pas.

Elijah hocha la tête, puis regarda Li Ning s'éloigner. Il sentait le poids des regards sur lui, et il savait qu'il devait jouer son rôle à la perfection. Il rejoignit Xu Ming, qui l'attendait près de la sortie.

— Qu'est-ce qu'il voulait ? demanda Xu Ming à voix basse.

— Rien de bon, répondit Elijah en secouant la tête. Allons-y, nous avons du travail.

Ils quittèrent la salle, l'esprit d'Elijah tournant déjà à plein régime, planifiant les étapes suivantes de leur plan. La cérémonie sera une réussite pour le groupe et une défaite pour la police.

 

* ‘‘courant d’air’’ : Code pour parler de la police dans le langage des Triades. (source : geolinks - La mafia chinoise, entre « tradition » et « conformisme mafieux »)

* ‘‘Tianzi’’ : Titre donné à l’Empereur chinois. Signifie littéralement ‘‘Fils du Ciel’’ (source : worldhistory encyclopedia En français - Empereurs de Chine)

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