Elle observa l’immense porte en métal close et frissonna. Les dragons eux-mêmes la manipulaient. Les humains pourraient-ils le faire eux-mêmes ? Même en s’y mettant à plusieurs centaines, elle douta du résultat. Le frisson parcourut sa colonne vertébrale jusqu’à exploser dans son cerveau. Où qu’elle fut désormais, elle était prisonnière. Pas moyen de s’échapper.
Elle se retourna pour découvrir son nouvel environnement. Cette partie du cratère, aussi vaste que la précédente, proposait des bâtiments sur la gauche. À droite, des creux, des bosses et de la végétation bouchaient la vue sur quelques pas. Elle se concentra sur les bâtisses.
De taille moyenne, elles s’élevaient sur deux étages, proposant de la pierre sombre et de larges fenêtres. Un bon fumet s’en dégageait. De la musique et des rires parvenaient jusqu’à elle. Elle s’avança au milieu d’un jardin d’herbes folles proposant de jolies couleurs variées. De nombreux insectes virevoltaient.
Elle passa entre deux bâtiments pour découvrir la place centrale, siège d’un puits offrant sans nul doute toute l’eau nécessaire aux résidents. Elle grimaça. Cela signifiait qu’il n’y avait probablement aucune rivière dans les environs. Elle soupira, espérant que les gains vaudraient ce sacrifice.
De nombreuses personnes bavardaient sur la place, riant, mangeant et buvant le contenu de tables disposées ça et là. Ce ne fut pas cela qui la dérangea mais plutôt les binômes s’ébattant joyeusement, certains à moitié cachés, d’autres carrément visibles. Elle recula d’un pas, nauséeuse à la vue de ces corps s’emboîtant les uns dans les autres, coulissant, gémissant, se crispant. Retenant un haut-le-cœur, elle s’éloigna pour visiter les lieux.
Le rez-de-chaussée proposait des salles d’entraînement au combat, des salles couvertes de tapis et de coussins ainsi que de grands thermes où l’eau chaude embuait l’endroit en permanence. Elle frissonna. Se baigner dans de l’eau brûlante ? Bof, non merci. Elle préférait largement le froid. Une immense réserve offrait de quoi se restaurer à loisir : plats chauds préparés et crudités, viandes, légumes et fruits. Elle fit le tour des plats : pas de poisson. Aucun produit de la mer. Elle grimaça avant de poursuivre la visite.
Au premier étage, elle tomba sur des ateliers : couture, cuir, peinture, sculpture et d’autres pièces dont elle aurait été incapable de nommer l’utilité. Tout le matériel spécifique était là, à disposition de qui savait s’en servir, ce qui n’était pas son cas. Une aile entière proposait une bibliothèque aux étagères bien fournies. De quoi s’occuper à condition de savoir lire, savoir dont elle ne disposait pas.
Au dernier étage, des chambres s’étalaient, certaines proposant un seul lit, d’autres plusieurs. Quelques affaires témoignaient de l’occupation de quelques unes. Elle dénombra une vingtaine de lits utilisés. Où dormaient les autres dragonniers ?
Des toilettes disposés au bout de chaque étage assuraient l’hygiène dans les locaux.
Elle sortit du bâtiment pour visiter les extérieurs. Le cratère naturel proposait une hauteur identique sur son contour, prouvant une action artificielle. Elle longea les bords, se faufilant entre les plantes sauvages lui arrivant souvent aux hanches. Elle parvint à un endroit où le bord naturel du cratère descendait. Ce « trou » avait été comblé par des pierres taillées d’une couleur différente, rendant la réparation visible.
Les pierres se chevauchaient telles les briques d’un mur mais elles étaient lisses et soudées les uns aux autres, comme si elles avaient fondu. Plus haute qu’elle et formée de blocs tellement longs qu’une dizaine de personnes se tenant la main auraient peiné à en toucher les deux bouts, cette muraille avait dû nécessiter des heures de travail pour être placée là.
- Les dragons les transportent, dit une voix grave derrière elle.
Elle se retourna pour découvrir un jeune homme portant une barbe et une moustache bien entretenues. Il portait des vêtements légers – tunique, pantalon et bottes – dans des teintes de vert. Une ceinture et des bracelets en cuir accessoirisaient agréablement l’ensemble.
- Des ouvriers humains les taillent, poursuivit-il, puis les dragons les portent jusqu’ici et soufflent dessus. La chaleur du feu fait fondre la roche qui se colle à ses voisines, créant cette muraille infranchissable. Elle fait tout le tour du cratère. Impossible d’entrer ou de sortir autrement que par la porte. Tu sortiras à dos de dragon ou cet endroit sera ton tombeau.
Elle frémit. L’annonce la pétrifia.
- De ce fait, je mourrai ici, termina-t-il avant de s’éloigner.
Elle le trouva très pessimiste mais ne chercha pas à le rejoindre, le laissant à sa solitude désirée. Elle observa encore la roche puis retourna vers les bâtisses, indécise. Qu’était-elle censée faire ? Se retrouvant aux bords de la place centrale, elle comprit pourquoi les autres s’amusaient, dansaient, , mangeaient, buvaient jusqu’à s’en faire vomir et baisaient : il n’y avait tout simplement rien d’autre à faire.
Une musique diffusée par une boîte à musique envahissait l’endroit, trop faible pour recouvrir les exclamations de chacun, assez pour animer la place. Elle n’en avait jamais vue et s’y intéressa de loin. Lorsque la musique cessa, un homme ouvrit le mécanisme, en extirpa un cylindre, le remplaça par un autre, remonta une manivelle puis bascula un interrupteur. Une autre mélodie remplaça la première. Elle trouva cela ingénieux. Au cinquième air, elle bailla, replongeant dans l’ennui.
Elle baissa les yeux en soupirant. Où était sa dragonne ? Que faisait-elle ? S’ennuyait-elle aussi ? Pourquoi n’étaient-elles pas réunies et quand la reverrait-elle ? Elle secoua la tête. Tout cela n’avait pas de sens.
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Farhynia enfonçait ses griffes dans le sol afin d’éviter de tanguer d’une patte à l’autre. Pour rien au monde elle n’aurait voulu montrer son impatience mêlée d’angoisse. Autour d’elle, tous ses congénères la toisaient. Elle atteignait à peine l’épaule de chacun d’eux.
Un immense dragon couleur terre se posa. Sur son dos, un humain observait la scène, le regard vide.
- Vous avez tous été choisis, commença le dragon en parcourant la soixantaine de paires d’ailes devant ses yeux. Je suis Zaroth et je serai votre professeur de lien.
Lien ? pensa Farhynia. Allait-on leur apprendre à attacher les humains ? Elle ne comprenait pas. Probablement avait-elle mal compris les propos du professeur. Pourtant, elle se trouvait au premier rang, sa petite taille lui ayant permis de se faufiler entre les pattes de ses congénères.
- L’enseignement vous permettra de protéger en duo avec votre cavalier. Des cours vous seront donnés. Des tests permettront d’évaluer vos acquis. Vous pouvez quitter l’école à tout moment.
Farhynia fronça les cornes. Comment ça ?
- La manière la plus noble : en demandant à passer le test final. Si vous le réussissez, vous devenez protecteur.
- On peut demander n’importe quand ? demanda un dragon blanc à gauche.
Les bouts de ses ailes et de ses cornes étaient noirs. Cette double couleur le rendait très sexy aux yeux de Farhynia. Il proposait une taille respectable, ni trop jeune, ni trop vieux. Cela convenait parfaitement à Farhynia. Ses ailes d’une blancheur étincelante ne portaient aucun défaut, prouvant qu’il prenait soin de lui et se trouvait en excellente santé. Elle serra plus fort les griffes pour ne pas perdre de vue son objectif, et la séduction n’en faisait certainement pas partie. D’autant qu’elle ne le connaissait pas. L’apparence importait, certes, mais pas seulement. Ses talents seraient-ils à la hauteur de ce corps magnifique ? Farhyna s’obligea à l’ignorer pour reporter son attention sur le professeur.
Pas désagréable, d’ailleurs, mais tellement grand ! Il devait être très vieux pour atteindre une telle taille. Ses ailes proposaient des déchirures et des trous mais difficile de faire autrement à son âge. Ses dents, en revanche, brillaient ainsi que ses griffes. Il prenait soin de lui. Un bon point.
- Oui, répondit Zaroth avec beaucoup de bienveillance dans la voix, ramenant Farhynia à la présentation en cours. Vous quittez également l’école si votre cavalier meurt avant que vous ayez reçu votre diplôme.
Pourquoi son cavalier mourrait-il ? frémit Farhynia. Qu’il meure en protégeant, soit. De vieillesse, soit. Mais pendant l’entraînement ? Elle resta figée, stupéfaite. Elle constata que certains dragons proposaient le même ahurissement tandis que la majorité balayait sereinement le sol de leur queue.
- Enfin, vous quittez l’école si vous n’avez toujours pas obtenu votre diplôme au bout de trois ans. Vous pourrez continuer à vous entraîner seul et vous proposer au diplôme en candidat libre mais ne recevrez plus accès aux cours et aux professeurs, ainsi qu’aux terrains d’entraînements, aux tests ou aux dortoirs et troupeaux de l’école. Votre cavalier restera au sein du complexe, ne pouvant le quitter autrement que sur votre dos une fois devenu dragonnier.
Zaroth se tut un instant pour étudier la foule. Son regard s’attarda sur Farhynia et la dragonne n’y lut qu’un immense mépris. Comment pourrait-elle exister aux yeux d’un si vieux mâle ? Elle eut l’impression de ne pas être à sa place, de ne rien avoir à faire là.
Elle se ressaisit. Elle avait été choisie. Elle méritait autant que les autres et comptait bien le prouver. Sa jeunesse et sa taille ne seraient pas un frein, elle se le promit. Elle prouverait sa valeur. Elle redressa le museau et soutint le regard brûlant du professeur. Il détourna le regard en premier pour continuer sa caresse visuelle sur l’ensemble de ses étudiants.
- L’instruction commence par un test de performance multi-modal, annonça Zaroth une fois son inspection visuelle terminée.
Ça commence bien, maugréa Farhynia. Je ne comprends pas la moitié des mots prononcés.
- Veuillez tous poser vos queues au sol.
Farhynia obtempéra, à l’instar de ses congénères.
- Levez la queue ceux pour qui c’est la première fois que vous avez été choisi par un humain.
Farhynia décolla son appendice du sol et regarda sous les pattes de ses congénères, ne pouvant observer par dessus. Elle compta une quinzaine de queues hors du sol mais peut-être y en avait-il davantage. Elle ne voyait pas bien. Une marrée de queues collées au sol l’entourait. Ainsi, pour la plupart de ses congénères, cette chance n’était pas la première. Elle fut déboussolée par leur nombre. Elle nota cependant que le dragon blanc à pointes noires gardait la queue collée au sol.
- Les premières fois, veuillez vous placer derrière moi. Vous passerez en dernier afin de vous permettre d’observer le test et de vous y préparer.
Farhynia se déplaça, sinuant entre ses congénères qui n’eurent même pas besoin de se déplacer pour laisser passer le poids plume, si bien qu’elle arriva en premier, ravie de se trouver au premier rang pour mieux voir. Elle ne gêna personne derrière car leurs têtes dépassaient largement au-dessus d’elle.
Zaroth rugit et une dragonne verte descendit en piqué depuis le ciel avant d’atterrir en souplesse. Une femme se tenait sur son dos.
- Arif est la porteuse, annonça Zaroth. Sa dragonnière doit réaliser une mission de protection. Votre rôle est de l’escorter jusqu’à destination.
Allaient-ils simuler une attaque aérienne dès le premier jour ? frissonna Farhynia.
- Vous devez, avec votre cavalier en selle, tenir la formation puis vous placer en vol stationnaire furtif autour de la zone d’arrivée jusqu’au rugissement de fin d’épreuve.
Farhynia allait-elle enfin revoir sa cavalière ? Elle regarda autour d’elle. Aucun humain en vue.
- Ces mannequins remplaceront vos cavaliers en attendant que vous soyez capables de les porter.
Farhynia observa l’objet que Zaroth venait de prendre dans sa gueule avant de l’envoyer vers un dragon noir moucheté d’or. La chose ressemblait à un être humain : une tête, un corps, deux bras, deux jambes. Il brillait. Farhynia l’estima en métal. Le dragon noir moucheté d’or attrapa le mannequin par la tête et d’un mouvement rapide du cou, le plaça habilement à la base de son cou, entre ses épaules, à la jonction entre ses ailes. Farhynia se contorsionna un peu.
Je ne crois pas être capable de faire ça, pensa-t-elle.
Zaroth en distribua cinq autres. Tous placèrent l’objet sans difficulté à l’emplacement voulu.
- Ce sont vos mannequins. Prenez-en soin, précisa Zaroth.
Farhynia enregistra l’information.
- Vous volerez en formation serrée, précisa Zaroth. C’est parti.
Les sept dragons s’élevèrent. Arif au centre se trouva entourée devant, derrière, à droite, à gauche, dessus et dessous par les étudiants. Farhynia en frémit de stupeur. Ils tenaient leur place, alignant leur vitesse sur celle de la porteuse. Ils parvinrent rapidement à un pic sur lequel Arif s’agrippa. Sa cavalière resta en place. Elle n’avait probablement aucune mission à remplir. Après tout, il ne s’agissait que d’un exercice.
Farhynia se tourna vers Zaroth. Lui aussi portait un humain qui ne faisait rien. Ne s’ennuyait-il pas ? Il aurait tout aussi bien pu ne pas être là. Farhynia frémit. Elle était censée dominer sa cavalière, la considérer comme un simple objet. Elle secoua la tête, doutant d’en être capable tout en comprenant l’importance que cela revêtait.
- Observez comme ils volent sans battre des ailes, indiqua Zaroth et Farhynia redonna son attention à l’exercice en cours.
Elle en resta bouche bée. Les six dragons tournaient autour du pic, trois par trois à la même altitude, et aucun ne remuait les ailes. De ce fait, la surveillance se faisait dans un silence total. Mais comment maintenaient-ils leur altitude sans battre des ailes ? Farhynia ignorait que cela fut seulement possible.
Zaroth rugit et les dragons rompirent leur formation pour revenir en réalisant des loopings et des virages serrés, se coursant pour arriver en premier, pour atterrir hilares sur le champ d’entraînement. Farhynia comprit que ceux-là ne resteraient pas longtemps. Ils obtiendraient rapidement leur diplôme.
Zaroth distribua six autres mannequins, les prenant depuis un impressionnant tas à sa gauche. Farhynia frémit en ouvrant grand les yeux. Tout le monde allait réaliser le test, elle y compris. Sa prestation serait minable, à n’en pas douter.
Le groupe suivant s’éleva et après seulement quelques coups d’ailes, le mannequin du dragon violet zébré de bleu chut.
- Il vient de perdre son cavalier, décrivit Zaroth avec un ton calme. À lui de le rattraper avant qu’il ne touche le sol.
Le rattraper ? s’étrangla Farhynia. Comment ?
Le dragon violet rompit la formation pour plonger en piqué. Trop tard. Le mannequin percuta dans le sol dans un bruit de métal crissant faisant se hérisser les piques sur le dos de Farhynia.
- Son cavalier est mort, gronda Zaroth.
Le dragon violet plaça la tête du mannequin dans sa gueule pour revenir penaud au champ d’entraînement.
- Observez comme Till’nyard occupe l’espace laissé vide, proposa Zaroth.
Farhynia détourna son regard du perdant pour observer la formation encore en selle. Effectivement, le dragon gris s’était reculé de manière à surveiller son côté et celui laissé vacant. Tous parvinrent au pic. Farhynia ne s’estima pas capable d’y arriver.
- Golarh est éliminé, indiqua Zorath. Il a déjà battu trois fois des ailes pour se stabiliser.
Farhynia le trouva dur. Quelques coups d’ailes, certes, mais il tenait bon.
- J’Purn est trop bas, éliminé également.
Farhynia commença à se demander sérieusement si elle parviendrait à un tel niveau de maîtrise en trois ans. Finalement, ils revinrent et reçurent un commentaire personnel de Zaroth. Le professeur demanda à voir les mannequins des trois ayant réussi l’épreuve.
Till’nyard tordit le cou pour attraper la tête du mannequin et tira. Seul le haut du corps suivit. Les jambes restèrent ancrées dans le corps du dragon.
- Perdu, annonça Zaroth. Ton cavalier est mort.
Zaroth se déplaça de manière à se coller à Till’nyard qui ne broncha pas. Le dragonnier sur le dos du professeur se leva, se déplaça jusqu’aux épaules grises de Faryll, attrapa les jambes en métal, y lia une corde qu’il plaça sur le museau de Zaroth. Ce dernier leva la tête, extrayant du même coup l’intrus. La deuxième jambe fut extraite de la même manière et le dragonnier revint sur le dos de Zaroth. Le tout s’était fait dans le plus grand silence.
Deux seulement, Mylo, un énorme mastodonte bleu, et Agruip furent validés. Farhynia aurait volontiers appelé Agruip « poussin » à cause de sa couleur mais s’en garda bien. Il avait réussi l’épreuve multi-modale. Il méritait du respect. Zaroth les félicita sobrement. Il s’attendait à leur réussite. D’anciens protecteurs, sans aucun doute.
Farhynia comprit ce qui lui avait échappé jusque là. De tous ceux qui avaient déjà été choisis, bien peu étaient devenus protecteurs. En réalité, bien peu avaient acquis le diplôme. Leurs cavaliers étaient morts avant. Elle avala difficilement sa salive. Elle comptait bien devenir protectrice et si la vie de la fourmi en dépendait, elle en prendrait grand soin.
Les groupes se suivirent et les mannequins explosés au sol se succédèrent. Le dragon blanc à pointes noires parvint à garder le mannequin sur son dos mais son vol, trop lent et instable, lui fit rater le test. Farhynia en avait profité pour le mater, reluquant ses griffes acérées, son museau pointu terminé de noir, sa longue queue terminée par un trio de piques affûtées.
Sa prestation minable ne lui convint pas. Si elle devait se choisir un compagnon, elle le choisirait fort et puissant. Peut-être sa valeur se trouvait-elle ailleurs. Elle attendrait de voir.
Rapidement, plus aucun groupe ne parvint au pic, puis même pas à la moitié. Tous les mannequins tombaient. Lorsque ce fut le tour des premières fois, la tension était palpable. Si ceux ayant déjà été choisis n’y parvenaient pas, qu’elles étaient leur chance, à eux ?
- Le but n’est pas de vous humilier, indiqua Zaroth. Il s’agit simplement de vous faire ressentir l’objectif, de vous montrer le chemin à parcourir. Ne pas le faire serait vous mentir. Toi, toi, toi, toi, toi et toi, continua-t-il en lançant six mannequins devant six étudiants, nommez-vous puis mettez vos mannequins en place.
- Violmen, se présenta une dragonne rouge aux reflets orangés.
Farhynia se souvint la première fois qu’on lui avait demandé son nom. Depuis sa sortie de l’œuf, elle avait croisé de nombreux dragons. Cela lui avait pris du temps avant de comprendre le langage, assez pour saisir la question et celle-ci l’avait prise de court. Son nom ? Elle y avait réfléchi puis était revenue. Farhynia. Cela ne signifiait rien. Elle trouvait juste les sons jolis. « Violmen » aussi, c’était joli. « Zaroth » encore plus. Mais quelle est la source de leur inspiration ? Elle se demanda comment s’appelait son charmant blanc. Concentré, il écoutait le professeur. Il semblait désireux de s’améliorer. Toute explication était bonne à prendre. Il ne semblait pas remarquer l’attention dont il était la proie.
Violmen attrapa le mannequin par la tête et le lança au dessus d’elle. Il atterrit plusieurs pas plus loin.
- Mon cavalier est mort ? gémit-elle.
- Non, rit Zaroth. Aucun cavalier ne monte ainsi. Ils ont des jambes. Ils grimpent eux-mêmes.
Zaroth attrapa le mannequin et le plaça sur le dos de son étudiante. L’objet resta en place un clignement d’œil puis glissa, s’écrasant sur le sol.
- Entraînez-vous à le mettre vous-même, ordonna Zaroth. Ainsi, nous gagnerons du temps. En attendant, vous pouvez aussi vous entraider. Ce n’est pas une compétition. Plus nous sommes nombreux à obtenir notre diplôme, mieux nos nids seront protégés.
Les autres dragons attrapèrent les mannequins de leur voisin et s’empressèrent de les mettre. Peine perdue. Les mannequins tombaient, celui de Violmen ne faisant pas exception.
- Observez comment mon dragonnier est placé.
Tous les regards se tournèrent vers l’humain qui ne broncha pas malgré les regards acérés de créatures mille fois plus grosses que lui le détaillant. Il portait une veste en cuir au contour de fourrure sur une chemise en lin. Des gants protégeaient ses mains du froid. Le bas de son corps disparaissait à l’intérieur du corps de Zaroth, comme s’ils ne faisaient qu’un. Farhynia se figea, incrédule. Elle ne fut pas le seule dans ce cas.
- Ses jambes sont insérées dans mes conduits de rafraîchissement, expliqua Zaroth.
L’explication amena un silence total. Leurs jambes dans les conduits de rafraîchissement ? Farhynia avait souvent vu des protecteurs, dragonnier sur le dos. Elle ne s’était jamais demandée comment ils tenaient. Elle supposait qu’ils se contentaient de s’asseoir sur le dos. Elle se trouva stupide. Évidemment qu’il y avait autre chose sinon comment se maintenir en cas de looping ou de virage serré ?
- Vous devez donc les ouvrir pour permettre aux jambes de s’insérer, indiqua Zaroth.
Les ouvrir ? Mais ces trucs vivaient leur propre vie ! Jamais Farhynia n’avait essayé de les contrôler. Elle ignorait même que cela fut possible. En cas de trop grosse chaleur, ils s’ouvraient, permettant à l’air de circuler et en altitude, ils se refermaient pour préserver la température corporelle.
Les six étudiants essayèrent mais aucun mannequin ne put tenir en place.
- Vous avez échoué, en conclut Zaroth au bout d’un moment.
Ils ne s’étaient même pas envolés. La sentence était rude. L’instructeur passa aux suivants, qui ratèrent de la même façon. Farhynia n’y parvint pas non plus mais au moins ne fut-elle pas la seule. Maigre consolation…
Elle se tourna vers son idole blanche et revit son point de vue. Finalement, sa prestation avait été tout sauf minable. Il avait porté le mannequin et était revenu. Quelques erreurs de vol au passage, une incapacité totale à un vol stationnaire sans battre des ailes mais il avait réalisé une prouesse par rapport à elle. Elle se promit d’être plus mesurée dans ses jugements à l’avenir.
Quant à espérer son attention, c’était peine perdue. Ses conduits, à cette altitude, restaient fermés. Il faisait bon. Elle ne bougeait presque pas. Sa température corporelle parfaite ne nécessitait pas de rafraîchissement. Ainsi, le mannequin ne risquait pas de tenir. Elle n’avait même pas essayé. Le désiré blanc ne risquait pas de l’accepter. Les dragons valorisaient la puissance, la force, la réussite. Il la refuserait si elle le séduisait. Elle allait devoir trouver ses points forts et les mettre en avant. Beaucoup de travail en perspective.
- Vous pouvez rejoindre les dortoirs, annonça Zaroth. Vous ne pourrez participer au premier cours de lien que lorsque vous serez en mesure de tenir les mannequins sur votre dos alors entraînez-vous. Personne ne vous le rappellera. Personne ne vous forcera. Personne ne vous punira si vous ne le faites pas. Vous êtes tous des adultes. Je ne suis pas là pour vous tenir les ailes. Soit vous voulez devenir protecteur et vous ferez les efforts nécessaires. Soit vous échouez et s’il vous plaît, partez afin de ne pas me faire perdre mon temps.
Voilà qui avait le mérite d’être clair. Tous adultes, en effet, se rappela Farhynia, la seule condition pour avoir le droit de se rendre sur la zone de choix. Farhynia venait de pondre son premier œuf, lui donnant le droit de se présenter et elle avait été choisie, dès sa première offre. Cela se produisait rarement, elle en était consciente. Elle allait devoir redoubler d’efforts.
- Vous pouvez en revanche participer aux cours de vol et de souffle et là encore, ne vous attendez pas à ce que quiconque vienne vous chercher. En cas d’absence, c’est votre avenir de protecteur que vous mettez en péril. Nous vous demandons simplement de ne pas arriver en retard. Vous venez, ou vous ne venez pas mais ne dérangez pas ceux qui veulent y arriver. Le premier cours de vol aura lieu demain à l’aube.
À ces mots, Zaroth s’envola, soulevant un peu de terre. Farhynia suivit le mouvement tandis que ses congénères se rendaient dans la même direction. D’un coup d’ailes, ils sautèrent au dessus d’un surplomb pour atterrir derrière, dans une immense caverne aux murs troués d’alvéoles.
- Les premières fois, expliqua Mylo, l’énorme dragon bleu qui avait réussi l’épreuve multi-modale, vous dormez en haut.
Agruip, à ses côtés, approuva. Farhynia constata que les alvéoles s’alignaient sur trois rangées.
- Le droit de dormir en bas se gagne, compléta Mylo, soit par la réussite, soit parce que votre cavalier dort en votre compagnie, car on ne peut décemment pas leur demander de grimper.
Farhynia acquiesça. Dormir en haut ne la dérangeait pas, d’autant que les alvéoles étaient immenses, surtout pour elle. Mais certains de ses congénères plus volumineux pourraient préférer dormir au sol, dans une position moins risquée et dont il était plus facile de s’extraire.
Farhynia laissa chacun choisir sa place sous le regard attentif de Mylo qui confirmait ou infirmait le choix de chacun. Le dragon blanc demanda à dormir en bas, arguant qu’il était l’un des rares à avoir maintenu son mannequin sur son dos. Mylo ricana puis l’autorisa. Farhynia en ronronna de plaisir. Son bien-aimé savait se faire imposer. Il ne manquait ni de cran, ni de courage. Tout pour lui plaire.
Nul ne s’opposa aux décisions de Mylo. Il venait de prendre la tête du groupe sans que personne ne remette cela en question. Farhynia désigna une alcôve tout en haut, vers le fond et Mylo accepta son choix. Chacun y déposa son mannequin.
- Je vais amener les nouveaux aux pâturages, annonça Mylo.
Les autres hochèrent la tête et sortirent de la chambre pour aller s’entraîner, tout au moins Farhynia le supposa-t-elle. Les dix-sept nouveaux emboîtèrent l’aile au grand bleu pour découvrir les prés où paissaient moutons, vaches, chevaux et même des autruches.
- Buffet à volonté, précisa Mylo. Quand il n’y en a plus assez, les humains fournissent. Bon appétit.
Il vira sur l’aile pour repartir vers la zone d’entraînement. Farhynia n’avait pas faim alors elle se tourna vers une clairière calme où personne ne vint l’embêter. Elle tenta de contrôler ses conduits de rafraîchissements, en vain. Lorsqu’elle partit se coucher à la nuit tombante, le désespoir ne la quittait pas.
Celle des dragons se profile agréablement de dialogues en émotions de Farhynia.
Celle des hommes se devine à travers la description alerte de "l'Antre".
Quant à "elle", on la connait mieux, mais son mystère demeure, et c'est très bien ainsi.
Apparemment, dans la conception de l'histoire les dragons dominent et les hommes suivent. Mais je suis prudente, l'auteure peut nous réserver des surprises. :)
Merci pour votre commentaire.
Et pour des pistes (petites) d'améliorations éventuelles : J'ai trouvé que le rythme est un peu lent par moments, surtout au début. Et même commentaire sur le naturel des dialogues.
L'introduction, c'est toujours difficile de faire rapide mais je prends en note et je vais voir si je peux accélérer un peu.
Encore merci !