Dans les anciens appartements royaux du palais des Tuileries, où flottait encore un parfum à peine perceptible de fragrances et de cire, l'odeur avait changé. Cire à cacheter, tabac bon marché et une autorité froide comme l'acier. Les moulures dorées des plafonds contemplaient des tables couvertes de dénonciations, de cartes et de listes interminables d'ennemis de la République. Ici, dans ce cabinet, battait le cœur glacial de la Terreur : le Comité de Salut Public.
Le capitaine Julien Dubois se tenait devant le bureau de Maximilien Robespierre. Jeune, athlétique, dans un uniforme impeccablement propre de la Garde révolutionnaire, il ne ressemblait pas aux fanatiques braillards des rues de Paris. Il était l'arme du nouvel ordre : affûtée, mortelle et dénuée d'émotions. Dans ses yeux sombres brûlait le feu froid d'une foi inébranlable.
Robespierre, vêtu de son éternel habit bleu, parlait doucement, presque pédantement, en triant des papiers. Son pouvoir ne résidait pas dans le tonnerre de sa voix, mais dans la logique implacable, guillotinante, de ses discours.
« Votre opération dans la section des Piques a été un succès, citoyen capitaine », dit-il sans lever les yeux. « Le réseau royaliste est décapité. La République vous est reconnaissante. »
Julien hocha la tête en silence. Les éloges de l'Incorruptible étaient rares et plus précieux que l'or.
« Mais il y a une infection que nous n'arrivons pas à éradiquer », poursuivit Robespierre, sa voix se durcissant. « Un ennemi sans visage. Ils l'appellent le "Rossignol". »
Il poussa vers Julien plusieurs passeports saisis sur des personnes arrêtées.
« Regardez. Ce n'est pas de la simple fraude. C'est de l'art au service de la contre-révolution. Chaque document de ce genre est un crachat au visage de la République, un traître sauvé du glaive de la justice. Je veux que vous vous en occupiez personnellement. Trouvez cet atelier. Trouvez cet homme. Et amenez-le-moi. Vivant. Je veux regarder dans les yeux celui qui imite si habilement les signatures de mes secrétaires. »
L'ordre était donné. Pour Julien, c'était devenu une affaire d'honneur.
De retour dans son propre cabinet, aussi austère et fonctionnel que lui, Julien s'approcha du mur où se trouvait un grand portrait dans un lourd cadre doré. De la toile, Marie-Antoinette le regardait avec arrogance. Une longue et grossière entaille, laissée par un coup de baïonnette, traversait son visage, lui donnant une expression sinistre. Julien la regarda avec une haine froide. Puis son regard s'adoucit. Il ne pensait pas à la reine.
Sa mémoire le transporta dans un autre monde, baigné de soleil. Le jardin du domaine de Valois. Il a dix ans, il est le fils pieds nus du palefrenier. À côté de lui, assise dans l'herbe, la comtesse Adeline, âgée de huit ans, et son rire ressemble au tintement d'une clochette d'argent. Elle ne ressemble pas à cette Autrichienne sur le portrait. Elle lui montre les images de son livre et, guidant son doigt sale sur les lignes, lui apprend sa première lettre. Il se souvenait encore de l'odeur de ses cheveux, qui sentaient les fleurs et l'été, et de la conscience amère et enfantine du gouffre qui les séparait.
Il se détourna brusquement du portrait, serrant les poings. Dans son esprit, déformé par l'idéologie révolutionnaire, Adeline était une victime innocente. Une fleur magnifique qui avait poussé sur le sol empoisonné de l'aristocratie et qui était condamnée à périr avec elle. Son exécution, qu'il avait lue sur les listes, était une tragédie, mais une tragédie nécessaire, comme l'amputation d'un membre gangrené pour sauver le corps de la France entière.
Il décida que le portrait devait être restauré. Non par respect pour la reine, mais comme un symbole de la tyrannie déchue qu'il offrirait à Robespierre.
« Citoyen Lambert », appela-t-il son assistant. « Trouvez le meilleur restaurateur de Paris. J'ai besoin de faire réparer cette chose. »
Il ne savait pas qu'avec cet ordre, il se tendait un piège à lui-même.
Son regard tomba à nouveau sur les contrefaçons habiles du « Rossignol ». Le visage de Julien devint dur comme la pierre. Il trouverait cet ennemi qui se moquait de la justice. Il arracherait cet aiguillon du corps de la République. Il chasserait le « Rossignol » avec toute la fureur de son devoir révolutionnaire, sans se douter que sa proie était un fantôme de son propre passé enseveli.