Je ne pouvais imaginer l’étendue des bouleversements qui m’attendaient ce jour-là. Je savais l’importance de cette date depuis des années, mais la peur qui vibrait en mon cœur eût été bien plus forte si j’avais deviné ne serait-ce une part des événements à venir.
On m’a souvent demandé si je regrettais cette douce période, celle de l’innocence, et je suis encore incapable de répondre. Mon existence simpliste était une ode à l’enfance, mais l’enfance n’est qu’une parenthèse qu’il faut abandonner derrière soi pour découvrir d’autres choses. J’ai aimé la forêt, l’insouciance de mes premières années, mais malgré les épreuves, j’ai su apprécier certaines étapes de mon voyage. J’attends la suite avec un mélange de paix, d’inquiétude et d’impatience.
**
« Petit frère. »
Je me redressais brusquement et faillis perdre l’équilibre. Nous n’étions pas dans notre lit, mais dehors, entre les branches de l’arbre Andoss. La pluie fine qui s’abattait sur nous se changea en averse qui détrempa rapidement ma cape. Aliésin s’en extirpa avec un soupir mécontent, pressé de rejoindre un véritable abri. Au loin, le ciel obscurci gronda sa rage et illumina l’aube fatidique de son étincelle cinglante. L’écho du tonnerre se répercuta sur la forêt ; nous étions le premier matin du printemps, et j’avais dix-sept ans. Aucun nonmage n’aurait encore perçu l’adolescence dans ma silhouette enfantine, mais pour les sorciers, j’étais désormais un demi-âge.
Je quittai mon perchoir et courus dans l’herbe rendue glissante. Je ne pris pas la peine de faire le tour de la chaumière, d’emprunter la fenêtre de notre chambre : mouillé comme nous l’étions, mon père devinerait forcément notre escapade nocturne.
Malgré le mauvais temps, mon empressement s’évapora une fois la main sur la poignée. Il n’y aurait pas de retour en arrière, le montant passé, une nouvelle étape de ma vie commencerait. Au fond, même si j’étais convaincu qu’Ethenne ne verrait en moi qu’un sang-mêlé, un potentiel de plus, je devinais que ce voyage risquait de me changer. Aimerais-je le garçon qui reviendrait ? Et lui, trouverait-il toujours aussi pleinement sa place ici ? Bien moins hésitant, Aliésin retrouva sa taille de fauve, posa l’une de ses lourdes pattes sur le haut de la porte d’entrée, et de l’autre, appuya sur ma main jusqu’à déclencher l’ouverture.
Une vague de chaleur me saisit, je me dépêchais d’enjamber le seuil pour refermer derrière nous et ne pas la laisser s’échapper. Je retirai ma cape détrempée et suivis du coin de l’œil la progression d’Aliésin vers la cheminée : il semait des flaques sur son passage et je grimaçai en le voyant bondir sur le banc le plus proche du feu. Comme le reproche attendu ne vint pas, je levai la tête et redécouvris le vide anormal qui régnait dans la pièce. Plus aucun dessin placardé aux murs, les bibelots et souvenirs divers, volatilisés. L’endroit me semblait déserté, mort, comme si nous étions déjà loin. Envolé le tapis, luxe auquel ma mère tenait tant, disparus les rideaux rapiécés maintes fois. À l’exception des bols dans lesquels trônait notre repas matinal et de l’imposante marmite suspendue au-dessus du feu à l’agonie, il ne restait rien.
Dans ce décor insolite, mon père achevait de dresser la table, avec, en apparence, les mêmes gestes que d’ordinaire. Mais il ne me trompait pas, il y avait une raideur anormale dans sa façon de bouger et il ne pouvait oublier le vide autour de lui. Il mettait tant d’énergie à se mentir qu’il ne remarqua pas le félin en pleine toilette ; il lui fallut du temps pour se tourner vers moi.
— May ! Mais tu es trempé !
J’étais planté devant la porte et une petite mare se formait déjà sous mes pieds. Je retirai mes bottes et il vint récupérer ma cape pour l’adosser à une chaise qu’il plaça près du feu. Geste vain, puisqu’elle resterait ici. J’allai chercher une serviette et me changeai en regardant le moins possible autour de moi, pour ne pas voir que dans ma chambre, tout manquait aussi. Conçue pour le voyage au lieu des tâches quotidiennes, ma nouvelle tenue était faite d’un tissu moins grossier, mais néanmoins solide. Mon père l’avait choisie épaisse pour me protéger des derniers froids, et assez lâche pour me permettre d’y grandir. À moins que ce ne soit la conséquence de mon absence lors des essayages. Je n’étais pas aussi à l’aise que dans mes vieilles affaires : je n’avais jamais rien porté qu’un autre que nous risquait de voir, c’était la première fois qu’on cherchait à me rendre présentable.
Avec un haussement d’épaules, je retournai dans la salle enfiler mes nouvelles bottes. Mon père eut un sourire approbateur et me fit signe de le rejoindre. Je m’attablai en face de lui sans toucher à mon bol. Plus pragmatique, Aliésin, lui, avait déjà vidé le sien.
— J’ai quelque chose pour toi.
D’une main un peu tremblante, il poussa un objet dans ma direction : une boîte, rien qu’une modeste boîte sans prétention. Comme il m’encourageait à l’ouvrir, je soulevai le couvercle pour découvrir un bijou, une sorte de curieux médaillon rattaché à une fine chaîne d’argent. Mis à part le discret cerclage bleu nuit, il était entièrement noir. Au centre de la première face, en relief, la silhouette gracieuse d’un cerf se détachait. J’examinai l’objet et y lus mon prénom sorcier délicatement gravé au dos.
— C’est un talisman d’Allmarel.
Il tira une chaîne similaire de son propre vêtement. Jamais je ne l’avais vu porter ce collier bleu pâle bordé d’or. Son prénom sorcier était également inscrit au dos, mais la première face du sien représentait un cheval au grand galop.
— Je veux que tu le mettes autour de ton cou et que tu me promettes de ne jamais le retirer : à partir de maintenant, il s’agit de ta plus grande protection. Et c’est grâce à lui que tu sauras toujours retrouver ton parrain.
Je fronçai les sourcils et passai le médaillon. Le contact tiède me surprit, mais pas autant que la dernière déclaration de mon père : en quoi cet objet pourrait-il m’aider à localiser Sinji ?
— Je ne comprends pas…
— Les talismans relient les parrains et les marraines à leurs filleuls. Au moindre danger, Sinji sera alerté.
— Mais comment peut-il m’aider à le retrouver ?
Je me retins de regarder dehors, mais quel que soit le pouvoir du médaillon, nous allions manifestement en avoir besoin.
— Ce n’est pas compliqué : les talismans ont été conçus pour être utilisés par les enfants. Pour activer sa magie, il te suffit de penser à Sinji et tu te sentiras attiré dans la bonne direction. Avec le temps, tu parviendras même à deviner son approche.
Je fermai les yeux et me prêtai aussitôt à l’exercice. Je n’avais pas vu mon parrain depuis plusieurs années, depuis la triste période qui avait suivi la mort de ma mère. Son visage était flou dans ma mémoire, mais je me souvenais quand même de lui, des histoires qu’il m’avait racontées pour me distraire un peu de la douleur. Et aussi du jour merveilleux où, quand j’étais tout petit garçon encore, il m’avait ramené Ewonda, mon cheval de vent.
Instinctivement, j’avais quitté mon banc pour rejoindre la fenêtre. À quelle distance se trouvait Sinji, je l'ignorais, mais sans trop savoir comment, pourquoi, je l’aurais cherché au nord, pile sur notre trajet.
— Tu sens quelque chose ?
Mon père m’avait rejoint.
— Je crois. Au nord.
Il poussa un soupir de soulagement.
— Alors il est seulement en retard. Nous allons l’attendre.
Je pensais lui découvrir un visage soulagé, mais même si la tension qui l’habitait semblait un peu moins grande, c’était loin d’être le cas. Il y avait quelque chose d’autre. Je le soupçonnais depuis plusieurs jours, non, davantage encore. Il avait montré des signes de nervosité tout l’hiver, à l’automne aussi, quand il était parti chercher de quoi nous équiper pour le voyage. En réalité, il avait été un peu étrange à chaque évocation du départ, mais il avait su détourner mon attention et j’avais volontiers joué le jeu : c’était plus facile que d’affronter ma peur.
Il ne quittait pas la fenêtre des yeux et l’ouvris même, indifférent à la pluie qui entra, comme s’il pouvait ainsi apercevoir mon parrain à travers le rideau de mauvais temps. Trouver Sinji n’était plus un problème, il ne semblait plus craindre qu’il lui soit arrivé malheur, et pourtant, mon père était totalement accaparé par son attente.
Nous restâmes longtemps debout tous les deux, puis je commençais à avoir froid et à m’agiter. Le petit déjeuner était sans doute froid et nos bagages, tout aussi oubliés, gisaient dans un coin de la pièce. Nous aurions pu partir, au moins préparer les chevaux, mais mon père ne bougeait pas.
Je ne comprenais pas, et plus le temps passait, plus l’appréhension me dévorait.
Il fallut l’arrivée d’Aliésin qui bondit sur mon épaule en ronronnant pour que mon père réagisse et nous éloigne de l’ouverture. Mais pas beaucoup, juste assez pour échapper à l’eau charriée par les rafales. D’une main sur mon bras, mon père me fit asseoir avec lui, en tailleur et à même le sol.
Après quelques hésitations, il se mit à parler.
— Tu sais, quand ta mère a découvert que nous allions devenir parents, nous vivions encore à Ethenne. Tout le monde s’attendait à ce qu’on reste là-bas et qu’on t’y élève ; c’est ce que font la plupart des couples qui s’apprêtent à donner naissance à un enfant, surtout des deux peuples : le garder où il sera le plus en sécurité.
Au début, sa voix hésita, rauque, mais elle s’éclaircit après les premiers mots et je l’accompagnais dans son récit.
Mes parents avaient fait pour moi un autre choix qu’une enfance sous le dôme protecteur. Ils avaient préféré m’élever loin des attentes des sorciers envers les sang-mêlé, des espoirs de trouver enfin l’Adjahïn parmi eux. Je pensais avoir été conçu ici, mais apparemment, ma mère avait effectué un pénible et dangereux voyage pour m’offrir de véritables années d’innocences. Un risque qui me valait, dix-sept ans plus tard, le devoir de retourner à la capitale afin d’y être testé et de vérifier si je pouvais être, ou non, l’enfant de la prophétie chargé de sauver le peuple sorcier.
— Le voyage se passait paisiblement. Bien sûr, nous devions avancer lentement et ta mère était fatiguée, mais je n’ai jamais eu trop de mal à m’attirer la sympathie d’autrui. Pourtant, un soir, surgi de nulle part, un groupe d’hommes nous a accostés. Nous avions été très prudents, ce n’était pas la première fois que je me faisais passer pour un nonmage, mais ils avaient tout de même réussi à découvrir ce que j’étais et la nature de l’enfant que nous attendions.
— Des chasseurs de sorciers ? Ils vous ont attaqué ?
— Non, pas des chasseurs, ils n’en portaient pas l’uniforme. Ils ne se sont même pas montrés agressifs. En vérité, ils semblaient bien plus intéressés par ta mère que par moi, et à travers elle, à toi. Si j’avais été quelqu’un d’autre, si nous n’étions pas venus d’Ethenne, j’aurais presque pu croire qu’il s’agissait de sorciers et qu’ils souhaitaient mettre en sécurité un futur potentiel. Ils nous ont proposé de les accompagner, aucun mal ne nous serait fait et l’enfant ne manquerait jamais de rien. Mais malgré leurs paroles, ils avaient bien plus l’allure de prédateurs que de personnes bien intentionnées, alors, en essayant de me faire le plus diplomate possible, j’ai refusé. Je leur ai expliqué qu’un abri nous attendait déjà et ça ne leur a vraiment pas plu. Ils se sont montrés de plus en plus insistants.
Le cœur tremblant, j’imaginais mes parents encerclés, seuls, avec ma mère enceinte face au danger.
— Que nous voulaient-ils ? Ils étaient nombreux ?
— Je ne sais pas, mais ils n’étaient que trois : heureusement, car nous ne leur avons échappé que de justesse. Mais après ça, j’ai toujours eu l’impression de les avoir sur les talons. Avec des chevaux de vent, en temps normal, nous aurions pu les distancer rapidement, mais nous ne pouvions les pousser au risque de te perdre. J’ai sérieusement envisagé de continuer jusqu’à Lounia, de demander protection là-bas, mais nous les avons semés deux jours après notre entrée dans la forêt.
Je souris, soulagé que tout se soit bien terminé, même si mon existence en était déjà la preuve.
— Pourquoi me racontes-tu ça maintenant ? Tu ne m’en as jamais parlé…
Furtivement, mon père regarda à nouveau par la fenêtre.
— C’est une des raisons pour lesquels tu ne m’as jamais accompagné à Karnag, car ces hommes-là rôdent toujours et je suis certain qu’on m’a pisté plusieurs fois alors que je rentrais à la maison.
— Ils te suivent encore ? Après autant de temps ? Mais pourquoi ?
— Pour toi, j’en suis sûre. Et si le grand sage n’avait pas eu raison, si Andoss n’avait pas été capable de te protéger toutes ces années, je suis convaincu qu’ils nous auraient forcés à fuir.
J’étais de plus en plus en inquiet : y aurait-il, dehors, d’autres menaces en plus de celle représentée par les chasseurs de sorciers ?
— Je ne comprends pas. Qu’est-ce qu’Andoss a à voir dans cette histoire ?
— Élever notre enfant loin du tumulte, nous le souhaitions depuis toujours, mais pas au détriment de ta sécurité : nous n’aurions pas quitté la capitale sans un endroit sûr. C’est le grand sage qui nous a donné la solution, il nous a raconté qu’il existait un arbre très ancien quelque part dans cette forêt, un lieu magique capable de dissimuler les enfants aux yeux du monde. Personne n’en avait jamais entendu parlé, mais les sages disposent de nombreux savoirs oubliés, et il avait raison, Andoss t’a bel et bien caché.
Je n’étais pas sûr de tout comprendre, mais nous nous apprêtions à quitter la forêt, et alors, comment Andoss pourrait-il continuer à m'aider ? Dès que nous en sortirions, ces hommes pourraient nous retrouver, et comme je serais près le mon père, ils ne seraient pas bien difficiles de deviner que j’étais son fils, le sang-mêlé auquel ils s’intéressaient.
Mon père hocha la tête, il savait ce que je déduisais et, sombrement, les yeux brillants, il livra sa terrible conclusion.
— Maylan, je ne viendrais pas avec toi.
Il y avait une supplique, une demande de pardon et du déchirement dans sa voix alors qu’il brisait tout ce à quoi je me raccrochais.
— Quoi ? Non !
Perdre mon univers, affronter les dangers du dehors, les tests et les espoirs d’Ethenne, c’était une chose ; mais pas sans mon père. Je n’avais que lui pour semblant de normalité. Il serait mon bouclier contre le monde. Il devait l’être, le rester.
— Si tu es avec moi, ils devineront qui tu es au premier regard. C’est le seul moyen de te protéger.
Les joues déjà ruisselantes de larmes, incapable de répondre autrement, je secouais la tête. Un gouffre béant s’ouvrait sous mes pieds, et, lentement, je tombais.
— J’irais aussi à Ethenne. Je te retrouverais. Mais nous devons prendre des chemins différents. Tu emprunteras le plus direct et le plus sûr. Je te rejoindrais.
Sa voix me parvenait comme à travers le brouillard. Ça ne pouvait pas être vrai, il ne pouvait pas me faire ça. Je continuais de faire non de la tête, je savais qu’il pleurait lui aussi, je le sentis se tourner vers moi, poser ses mains sur mes épaules.
— Maylan, il faut que tu sois courageux. Sinji sera avec toi. J’ai confiance en lui, il te protégera. Nous n’avons pas le choix : je ne te risquerais pas avec moi.
Et s’il lui arrivait quelque chose ? Si c’était la dernière fois que nous nous voyons ? Aussi gentil soit-il, un parrain ne pouvait remplacer un père.
Mon désarroi, ma peine et ma peur se muèrent soudain en colère et je le repoussai. Aliésin se mit à gronder.
— Tu m’as menti ! Tu m’as fait croire que tu m’accompagnerais !
Sa voix se brisa.
— Tu n’aurais pas accepté. Je ne voulais pas gâcher nos derniers jours ensemble avant une si longue séparation.
C’était un lâche. Et il m’abandonnait. Au pire moment.
Mes mains se serrèrent et Aliésin quitta mon épaule. Le museau rivé vers la fenêtre, il grandit.
Sinji n’était même pas là. C’était pour ça qu’il guettait son arrivée avec autant d’inquiétude. Mon parrain était-il au courant ? Mon père me laisserait-il le retrouver avec un seul médaillon magique en guise de boussole ?
Aliésin gronda et dénuda les crocs. Un instant mon père et moi crûment qu’il le menaçait, reflet de ma détresse à le voir nous abandonner. Mais nous nous trompions.
— Danger !
— Asin ?
Malgré la situation, j’étais incapable d’ignorer le puissant appel de son esprit.
— DeuxPas.
Contaminé par son urgence, je me redressai d’un bloc et reculai. La gueule ouverte, le fauve inspirait les effluves à la recherche d’informations. Ses oreilles percevaient des sons qu’aucun humain n'entendait.
— Que se passe-t-il ? demanda mon père en se levant à son tour. C’est Sinji ? questionna-t-il avec espoir.
Comme je lui en voulais de cet espoir ! Il se doutait bien, en plus, qu’Aliésin n’aurait pas réagi violemment à son approche : il connaissait son odeur.
— Inconnus.
Je répétai l’information et ma voix me parut terriblement étrangère, effacée, comme échappée d’un rêve.
— Combien ?
— Plein.
Aliésin ne savait pas compter au-delà de six. Nous avions longtemps essayé de le lui enseigner, mais il avait besoin de repères tangibles. Six, c’était la somme de ses quatre pattes, de sa tête et de sa queue. Après cela, le calcul devenait trop compliqué, trop abstrait, et se résumait donc à un seul mot : plein.
— Nous ne pouvons plus attendre.
Mon père ferma précipitamment la fenêtre et étouffa le feu avec le contenu de la marmite, même si c’était sans doute déjà trop tard pour la fumée. Sans perdre de temps à dissimuler le reste de nos effets, il attrapa nos capes, s’habilla en un souffle et me fit enfiler la mienne. Tout allait beaucoup trop vite pour moi, d’un coup, son visage se retrouva face au mien.
— Maylan, il faut se dépêcher.
Il me prit par le bras et m’entraîna jusqu’à l’écurie où il me laissa figer sur place et commença à équiper nos montures.
J’étais tétanisé et Aliésin s’apprêta à planter ses crocs dans mon bras pour me faire réagir, mais ce fut inutile : un frisson me traversa et je retrouvai subitement toute ma raison, comme si quelqu’un, quelque part, venait de voler mes émotions pour me permettre d’agir. Je passai mon arc et mon carquois au-dessus de mes épaules et attrapai la selle d’Ewonda.
Une fois nos chevaux prêts, mon père posa un doigt sur ses lèvres et entrouvris la porte. Le sachant plus efficace que lui, il se fia à l’absence d’avertissement d’Aliésin avant de nous risquer dehors.
Un cri perçant attira mon regard vers le ciel. Au-dessus de nous, luttant dans la tourmente du vent en colère, un rapace aux reflets verts poussa un cri plaintif et fila droit vers la forêt. Mon père ferma les yeux un bref instant, rassuré de savoir enfin mon parrain à portée.
— Woln guidera Ewonda aussi certainement que le talisman le fera pour toi, May. Surtout, ne t’arrête pas avant d’avoir trouvé Sinji.
J’ouvris la bouche : j’avais espéré que le danger remettrait sa décision en cause, mais il n’en était rien. Il me laissait vraiment.
— Papa…
— May, il faut que tu sois fort. Qui qu’ils soient, je vais essayer de les détourner de toi. Sinji aura besoin d’explications, alors, tu lui donneras ceci de ma part.
Il glissa une missive dans mes vêtements.
Le grondement sourd d’Aliésin répondit à l’orage, ses poils se hérissèrent tout le long de son échine, mais j’ignorais sa nouvelle mise en garde. Toute mon attention était pour mon père, pour la fêlure que ses yeux me laissèrent entrevoir sur son cœur. Son regard s’inonda de larmes, je devinai la lutte, le suppliai silencieusement de ne pas m'abandonner. Il finit par céder, mais un moment seulement. Repoussant alors l’imminence du danger, il me serra contre lui. Si fort qu’il m’en étouffa presque.
J’emplis mes narines de son odeur familière, rassurante, et le temps suspendit sa course. Je gorgeais ma mémoire de son amour, de sa protection, et je ressentis physiquement la déchirure quand d’un brusque mouvement, il m’écarta de lui.
Un trait passa à deux centimètres de sa joue. Je ne réalisais pas encore le danger qu’il m’arrachait déjà au sol et me hissait sur Ewonda. Une deuxième flèche échoua dans l’herbe à quelque pas d’un Aliésin rugissant de rage.
— À Ethenne, May, je te rejoindrai.
Il donna une grande claque sur la croupe d’Ewonda. L’étalon hennit. Partit en trombe.
La dernière image que j’emportais de mon père fut celle d’un sorcier terriblement vulnérable, seul au milieu d’une clairière exposée avec un arc dans les mains, et sur les lèvres, un ultime « je t’aime ».
Un très beau chapitre plein d'émotions, on sent que tu y as consacré beaucoup de temps. Ta plume est magnifique, ce qui ne gâche rien. L'écriture est fluide, agréable, je suis vraiment à mon niveau de "lecture confort" au point d'apprécier le texte en oubliant de relever les petits détails qui pourraient me chiffonner.
Ou peut-être, tout simplement, que je n'ai rien à dire de négatif et aucun conseil à te donner ?
En vrai, c'est sans doute ça, vu la qualité du chapitre.
J'adore ta manière d'utiliser la météo pour accompagner l'ambiance du chapitre. La puissance des émotions aussi, quand May réalise que son père ne l'accompagnera pas, et on ressent sa colère, la sensation de déchirement. C'est parfaitement retranscris. Ensuite, le coup de pression quand Aliésin signale l'arrivée des inconnus, et le départ précipité sur l'étalon. Je me suis presque vu sur l'animal lancé au galop, sous la pluie et l'orage, jetant un dernier regard en arrière vers lmon père.
Ce chapitre est vraiment magnifique, il m'a noué la gorge d'une façon que je ne saurais décrire! Tout est magnifiquement amené et on ressent les émotions d'une façon vraiment prenante! !
De toute évidence tu as une plume exceptionnelle et je suis vraiment heureuse de pouvoir découvrir ce récit au fur et à mesure! Je vais d'ailleurs m'arranger pour ne pas trop traîner à lire la suite!
J'ai passé du temps à refaire ce chapitre, à bosser sur les réactions, les émotions... je suis d'autant plus heureuse que ça fonctionne. :)
J'ai beaucoup aimé le prologue, et pourtant, je suis difficile en matière de prologues ! En revanche, la suite m'a malheureusement un peu déçu. Je l'ai trouvée très classique. En soit je n'ai rien trouvé à redire, tout se tient et c'est fluide à lire. Mais j'ai trouvé que ça manquait un peu de sel, d'un petit quelque chose qui m'aurait vraiment emporté dans l'histoire.
Cela étant, y a plein d'éléments de l'intrigue qui m'intriguent (pardon pour la répétition !) et que je suis curieux de découvrir : cette affaire de sorcier élu, la chasse aux sorciers... et y a des trucs qui j'espère seront plus détaillés, genre le cheval de vent, ça a un nom vachement prometteur !
Plein de bisous !
Je l’aime d’amour mon prologue, pas comme si j’avais mis 10 ans à en pondre un de potable… Ah bah si, en fait ! ^^
Pour le coup, le fils des sorciers risque d’être plus… Doux. Enfin… Je me comprends. ^^ Le livre 1, on va dire, le tout début au moins. Maylan est très jeune mentalement, innocent, et ça peut rebuter (quand je me relis, au début, même moi ça m’agace ^^) C’est volontairement que je suis parti sur une base on ne peut plus classique, mais il ne faut pas se forcément se fier aux apparences, par contre, parce que mon but était d’en être pour mieux en sortir (l’avenir dira si j’ai réussi). Désolé en tout cas que tu sois un peu passé à côté, mais bon, ça arrive. ;) Et apparemment, j’ai quand même réussi un peu à t’intriguer, c’est déjà ça ;)
Plein de bisous à toi, et merci ;)
Cette première surprise est bien amenée ! On ne s'attend pas à ce que son père le laisse partir seuls, pourtant tu avais subtilement distillés plusieurs indices qui auraient pu nous mettre sur la piste. Bien joué !
J'ai bien apprécié le passage du "futur" en début de chapitre, c'était très joliment écrit. Ces passages peuvent être intéressants pour apporter des éclairages et éléments nouveaux sur le présent. J'y serais attentif ^^
La chute avec le danger en approche est très sympa aussi. Tu ne montres pas le destin du père ni les assaillants et j'imagine que ces deux mystères vont rester en suspens un bon bout de temps (ça risque d'être très frustrant xD). Encore une fois, c'est bien amené avec le récit plus tôt dans le chapitre.
Pour le coup, je n'ai que du positif, on sent le travail et les réécritures qui ont abouti à ce texte final, les évènements sont bien pensés et l'écriture est fluide.
Mes remarques :
"car mes étoiles sont en vérité des cerfs : l’un qui court, l’autre immobile." très stylé ! ça doit très bien rendre !
"Bien moins hésitant, Aliésin grandit," je n'ai pas compris le "grandit"
"Comme le reproche attendu ne vient pas," -> venait / vint ?
"et une petite marre se formait déjà sous mes pieds." -> mare
"son propre vêtement, jamais je ne l’avais vu porter ce collier bleu pâle bordé d’or." point après vêtement ?
"et dangereux voyage pour de m’offrir" de en trop
"Parti en trombe." -> partit ?
Un plaisir,
A bientôt !
Ouf ! ça fait tellement plaisir : j’ai dû retravailler tout ce chapitre, toute seule depuis fort longtemps, et l’exercice me faisait très peur. Je suis très contente que ça passe : ça me redonne confiance en moi. Même sans aide, je peux réussir.
Merci beaucoup. Tu l’as compris, ils donnent parfois des indices, approfondissent certains points, ou relèvent des interrogations à venir. Effectivement ils sont très importants, même si certains sont aussi simplement nostalgiques. Il y en a que j’aime tout particulièrement. ^^
Effectivement, il faudra attendre le livre deux pour Cédow, même si j’avoue que je n’ai pas prévu de m’attarder dessus comme il ne se pas grand-chose de particulier pour lui. Pour ce qui est de la présence des assaillants, là aussi, il faudra attendre le livre 2 pour savoir le pourquoi du comment (d’ailleurs, je viens juste de l’écrire ^^). Mais normalement, il y aura de quoi s’occuper d’ici là. ^^
Merci beaucoup, et du positif, c’est aussi très gratifiant après tant de temps passé sur une histoire. ;)
Je vais corriger les petites erreurs de ce pas ! À bientôt :)
La description des sentiments du garçon est réussie.
Tu arrives à nous faire sentir l'urgence et le danger à la fin du chapitre.
Ton univers est très riche et original !
Une toute petite remarque : il faudrait peut-être préciser ce qu'est un nommage.
J'ai repéré quelques maladresses d'expression, mais cela ne gêne en rien la lecture, qui est toujours très fluide.
Hâte de lire la suite. 😊
Le fils des sorciers en est à sa version x2000 ^^ et a tellement changé depuis le début que j’ai archivé le livre 1 de base pour le publier en neuf (J’avoue que je ne savais plus sur quelles versions se basaient les commentaires ^^)
Ce chapitre-ci a presque été totalement réécris (j’ai dû garder un ou deux paragraphes, pas plus) du coup je suis très contente qu’il sonne juste, car il faisait partie de mon étape la plus effrayante lors des dernières modifications. :)
Tu étais la toute première à le lire, raison pour laquelle il doit nécessiter encore quelques mises au point. C’est le chapitre le plus « premier jet » de tout le livre 1 ^^ n’hésite surtout pas à me dire si tu vois des choses étranges à l’avenir, à me citer des passages aussi si tu en as envie.
Merci beaucoup pour ta lecture ! J’ai 24 chapitres à antidotés, mais j’essaierais de mettre la suite dans un délai raisonnable ^^
Rnoron !