Chapitre 2 : Le gentil barbare

Le Désert Fourvien était connu pour deux choses : ses pluies soudaines et torrentielles et sa chaleur accablante. Son sable ocre, rêche et brûlant, qui recouvrait même les rochers se transformait en immenses flaques de boue lorsque les nuages déchargeaient leur contenu. Une boue mouvante capable d’avaler un homme. Voilà pourquoi à part quelques barbares, personne ne vivait dans le Désert Fourvien.

Et la Compagnie avait eu la bonne idée de le traverser de long en large.

Une semaine après sa capture, le Baroudeur fut menotté, attaché au cheval du capitaine Rigid - ou plutôt son cheval - et traîné, pieds nus, pendant tout le voyage. Il marchait de l’aube jusqu’au zénith, puis de la fin du zénith jusqu’aux derniers rayons du soleil. Les Automates semblaient habitués à ce régime, le Baroudeur, lui, n’aimait pas trop la marche à pieds, surtout sur un sable ardent. Lorsque la Compagnie faisait halte pour s’abriter du soleil sous les tentes, elle prenait soin de dresser un piquet auquel accrocher son prisonnier. Il pouvait alors admirer l’état de la plante de ses pieds - et ce n’était pas beau à voir. Sa peau n’était plus qu’un mélange de cloques, de brûlures et de plaies. Marcher était une torture, c’était exactement pour ça que Rigid lui avait enlevé ses rutilantes bottes.

Pendant ces longues heures à cuir au soleil, le Baroudeur dessinait sur le sable ce qu’il ferait à l’officier une fois qu’il se serait libéré. Mais le vent n’appréciait pas les plans de vengeance.

Le quatrième jour de voyage, un événement vint cependant perturber cette agréable routine. Cet événement prit la forme d’un barbare qui vint - bien contre son grès - tenir compagnie au Baroudeur. Sa peau, aussi ocre que le sable du désert, ne cachait pas son visage, plutôt angélique, et ses grands yeux bruns. Ses cheveux noirs, coupés au niveau de la nuque par les Automates, portaient encore la trace de grande tresses ornées de perles et de plumes. Il eut droit à son propre piquet, à deux pas de son nouveau compagnon, au centre du camp.

Le Baroudeur fit mine de pas s’y intéresser jusqu’à ce qu’il soit sûr que les soldats soient partis.

- Hé, l’ami, lança-t-il dans la langue locale, l’appâ.

L’autre pivota ses iris vers lui d’un air surpris mais méfiant.

- Hé, tu voudrais pas qu’on s’enfuit ensemble ?

Il reçut pour toute réponse un feulement, tel celui d’un chat fourvien.

- Tu veux pas qu’on s’entraide ? s’obstina le Baroudeur. J’vais crever si je reste ici, on a plus de chance de se tirer si on s’aide.

Le faux chat ne répondit pas. Il fallait l’amadouer.

- T’es de quelle tribu ? Un Kapla, c’est sûr, ils sont trop beaux.

- Je suis un Pokla ! se hérissa son interlocuteur.

- Ce sont des tribus cousines.

- Certes.

Se rendant compte qu’il lui avait répondu, le Pokla lui jeta un regard assassin avant de lui tourner le dos, ce qui était difficilement compatible avec le piquet auquel il était accroché.

- C’est quoi ton nom, sinon ?

Silence.

- Laisse-moi deviner, ça doit être un truc du genre Kapout* ou Plouk**.

- C’est toi le plouk !

- Ah bien y réfléchir, Kéké*** ça te va aussi à ravir.

- C’est bon, tu as gagné, je m’appelle Kotla !

- Enchanté Kotla, je suis le Baroudeur.

Il avait prononcé son nom dans la langue commune.

- Le Baroudeur… répéta le barbare avec un accent impeccable.

Le Baroudeur plissa les yeux devant cette maîtrise de l’estien.

- C’est ça. Maintenant bonne.

Il s’écroula contre son piquet alors que deux soldats sortaient des tentes, sans doute attirés par les exclamations de Kotla. Il fit mine de dormir, espérant qu’ils ne se douteraient de rien. S’ils se rendaient compte que les deux prisonniers communiquaient, ils les sépareraient. Les Automates s’approchèrent, ignorant complètement le barbare. Ils avancèrent jusqu’au Baroudeur immobile.

- Réveille-toi ! ordonna l’un deux avant de lui donner un coup.

Son camarade l’imita et le captif fit semblant de se réveiller en sursaut. L’averse de coups décrut bientôt.

- Pas de repos pour toi, commenta le soldat avant de faire demi-tour.

Le Baroudeur les fixa alors qu’ils regagnaient l’ombre de leurs tentes. Après un temps, il cracha par terre un mélange de salive et de sang. Kotla le fixait, médusé.

- Pourquoi te font-ils ça ? demanda-t-il.

- Parce qu’ils veulent me briser.

- Mais pourquoi ? Que leur as-tu fait ?

- Je suis libre, voilà le problème.

Le barbare reporta son regard sur l’horizon qu’on apercevait entre deux tentes.

- J’ignorais que les Blancs-peau pouvaient se haïr autant entre eux.

Le Baroudeur s’esclaffa.

- Parce que toi tu t’entends bien avec tout ton peuple ?

- Non, mais personne ne traiterait comme ça les membres de sa tribu.

- Justement, ce ne sont pas les membres de ma tribu. Tu n’as jamais entendu parler de moi ?

- Peut-être, vaguement.

- Je suis vexé.

Kotla lui jeta un regard coupable.

- Je… je m’excuse de t’avoir vexé

Le Baroudeur éclata de rire. Ça faisait du bien.

- Dis-moi, pourquoi tes là, toi ? demanda-t-il après avoir retrouver son sérieux.

- J’ai été pris en otage pour négocier la reddition de ma tribu.

- Ah bon ? C’est bizarre, c’est pas dans les méthodes des Automates de limiter les morts. Ils ont plutôt le but de tous vous tuer il me semble.

- Ma tribu est puissante, ils savent qu’ils risquent gros à l’attaquer.

Le Baroudeur haussa un sourcil.

- Les Eveks se sont faits écraser, il y a deux mois, alors qu’ils étaient connus pour être très nombreux et bien entraînés.

- Nous ne sommes pas nombreux, mais nous avons des machines.

- Vous les avez volées ?

- Non.

- Comment ça, non ?

- Ces machines appartiennent aux Blancs-peau indépendants qui nous ont rejoints. Ils veulent lutter contre la Compagnie.

- Vous avez fait alliance avec des Blancs-peau ?

- Oui.

- Pour lutter contre la Compagnie ?

- Oui. T’es un peu kéké aussi, non ?

Un sourire s’était épanoui sur les lèvres de Kotla, rendant son visage encore plus doux. Le Baroudeur sourit à son tour.

- Qu’est-ce que vous avez, dis-moi, comme machines ?

- Des canons rotuliers, plein de pistols, de longs-viseurs, on a même un rouleur et des bombes rotatives.

- Putain, mais vous êtes bien équipés ! Je comprends mieux maintenant.

Le barbare arborait un air fier.

- N’est-ce pas ?

- Ça te dit toujours pas qu’on s’évade ensemble ?

Kotla sembla réfléchir.

- Je vais m’arranger pour t’emmener avec moi. Mais il faudra me suivre, après.

- Ok, sauf si c’est moi qui trouve un plan pour se tirer avant toi.

Les lèvres du barbare s’étirèrent.

- Je ne crois pas.

Deux Automates sortirent de leur tente, ils avaient sûrement du mal à faire leur petite sieste. Le Baroudeur s’endormit aussitôt. Les deux prisonniers n’eurent plus la paix par la suite et la Compagnie se remit en marche.

Mais cette fois le temps passa étonnamment vite.

 

***

 

La nuit glacée du désert était tombée, le Baroudeur avait replié ses bras et ses jambes pour dormir dans sa petite cage de bois. Il regardait Kotla faire de même dans la cage adjacente. Mais le barbare ne semblait pas pour autant prêt à dormir, il fixait le vide de la nuit comme s’il attendait quelque chose. Ne cherchant pas à comprendre, le Baroudeur s’enfonça dans le sommeil. Il fut réveillé par le miaulement langoureux d’un chat fourvien en chaleur. Il ouvrit les yeux alors que Kotla répétait son cri. Au loin, un autre chat fourvien répondit.

Après de longues minutes de silence, une petite ombre se glissa entre deux tentes jusqu’à eux. Il s’agissait d’un lékop, un lézard capable de changer de couleur. Il était à cet instant brun-argenté comme le sable du désert. Kotla lui noua autour du cou un morceau de cuir sur lequel il avait découpé des signes avec un cailloux aiguisé. Le lézard repartit, ondulant, presque invisible dans le paysage uniforme.

- Qu’est-ce que tu fais ? questionna le Baroudeur à voix basse.

Kotla lui lança un regard malicieux.

- Je m’évade.

- T’as un envoyé un message à tes copains, hein ? C’est pour quand ?

- Demain.

- Ouais mais quand ?

- J’ai envie de te faire la surprise.

- Aller, dis, sinon je serai pas prêt.

- Tu n’as pas besoin d’être prêt.

Il y eut un frémissement devant la cage, le lékop reparut. Il tenait dans sa gueule un petit couteau et un fil de fer qu’il plaça dans les mains menottées de son maître.

- Merci Pitchou.

Kotla se contorsionna pour glisser le fil de fer dans la serrure de ses menottes.

- Tu n’arriveras à rien avec ça, fit le Baroudeur. Ce sont des menottes magnétiques, la clé doit l’être aussi.

- Qui t’a dit que le fil n’était pas magnétique ?

Les deux aimants des menottes se détachèrent.

- Et comment tu vas le cacher aux Automates, ça ?

- Koyô ! Tu poses beaucoup de question, laisse-moi me concentrer.

Les poignets libres mais alourdis par ses bracelets de métal, Kotla cisailla lentement le fil de fer qui dépassait de la serrure avec son couteau. Au bout d’un moment, il donna un coup sec et le fil se sépara en deux. Délicatement, il en retira un peu de l’ouverture replaça ses menottes en position. Aussitôt celle-ci se rapprochèrent et s’accrochèrent l’un à l’autre. Il testa le mécanisme en enfonçant de nouveau le fil de fer dans la serrure, ce qui marcha à merveille.

Kotla enterra discrètement le couteau et le reste du fil magnétique.

- Tu veux pas m’en lancer, non ?

- Tu n’as pas les doigts assez souples.

- Nan mais…

- Et de toute manière, le bout qui reste est trop court. Tu vas devoir attendre demain.

- Tssss. Ok.

- Et rappelle-toi, je te libère mais après tu me suis.

- Ouais, marmonna le Baroudeur.

Il ne savait pas pourquoi Kotla voulait qu’il le suive, mais il n’allait pas se laisser entraîner. Il était bien décidé à libérer son cheval et à s’enfuir avec lui, et lui seul.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*chat fourvien ; **emmerdeur ; ***débile

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Guimauv_royale
Posté le 05/04/2020
Coquilles

- portaient encore la trace de grande (s) tresses ornées
- Le Baroudeur fit mine de (ne) pas s’y intéresser
- - ( ) P as (pas d’espace) de repos pour toi
- Je… je m’excuse de t’avoir vexé (.)
- Dis-moi, pourquoi tes (t’es) là, toi

Remarque

- Y a un trop grand espace entre la fin et les « * »
AudreyLys
Posté le 10/04/2020
Merci, je note !
Sorryf
Posté le 11/06/2019
Aaah, ça va mieux !
Ce chapitre m'a fait rire, avec le barbare canon!
"Ils sont trop beaux ! "-> Je rêve ou il le drague ? XDDD chut, ne dis rien c'est trop tard, il a flashé sur lui c'est officiel dans ma tête.
Je l'aime trop ce Kotla, il est grave efficace en plus ! J'espère juste qu'il a bien pris en compte le cheval dans son évasion, qu'ils vont pas le laisser là ! 
AudreyLys
Posté le 11/06/2019
X)
J'étais sûre que tu allais me sortir ça XD moi aussi quand j'i^ai écrit le chapitre je me suis fait la remarque. Alors je vais rien dire, je vais te laisser fantasmer X)
Et oui encore un indien badass^^ (bon il s'appelle juste pas indien). Kotla n'est pas du tout au courant pour le cheval, du coup non, il ne l'a pas pris en compte dans son plan. Je te laisserai voir la semaine prochaine :P
Merci de ta lecture et de ton commentaire^^
Vous lisez