Le Baroudeur trépignait d’impatience. Il était vexé que Kotla ne lui ait pas communiqué son plan mais ne pouvait s’empêcher de l’attendre comme un cadeau d’Advental. Les Automates remarquèrent d’ailleurs son excitation et s’employèrent à la calmer. Le prisonnier eut du mal à se mettre en marche alors que son cerveau semblait se tordre dans sa boîte crânienne. Kotla aussi reçut quelques coups, mais il était relativement préservé par les soldats en sa qualité d’otage.
Le zénith - et donc la sieste au piquet - approchait, et toujours aucune perturbation dans le quotidien de la Compagnie. Le Baroudeur savait qu’ils arrivaient à la limite du désert, du côté sauvage. Rigid avait sûrement pour projet de chasser les barbares de ces terres.
Le capitaine fit soudain piler son cheval, et son prisonnier manqua de se cogner dans son derrière. Le coeur battant, il étira le coup pour voir l’horizon.
Il ne fut pas déçu.
Car il n’y avait plus d’horizon. Remplacée par un mur ocre agité de spasmes comme un gigantesque monstre sans forme. Il rugissait et s’élevait toujours plus haut, charriant avec lui une montagne de sable en mouvement. Le monstre courait, avalant le sol, droit sur eux.
Il y eut un instant de silence effaré dans la Compagnie face à cette titanesque tempête qui leur fonçait dessus.
Liberté se cabra avec un hennissement et manqua de faire tomber son cavalier. Un murmure se répandit dans les rangs de soldats. Sur leurs visages impassibles affleurait une terreur qu’ils avaient peine à contenir. La Compagnie eut un mouvement de recul, alors que la tempête fondait sur eux.
Le Baroudeur vit Kotla sourire discrètement et éclata de rire alors que des volutes de sables les envahissaient. Le barbare se libéra de ses menottes et fit de même avec son compagnon. Ils couvrirent aussitôt leur visage de vêtements déchirés.
Les Automates se tenaient immobiles au milieu de la tourmente, tentant d’entendre les ordres diffus que leur beuglait Rigid d’une voix de plus en plus éraillée. Totalement démunis face au monstre qui les engloutissait, ils se laissaient gagner à la panique. Le capitaine aperçut soudain les deux prisonniers, il fit virer son cheval et sortit un pistol qu’il pointa sur le Baroudeur. Mais ce dernier avait déjà saisi une pierre qu’il lança avec une précision redoutable sur son ennemi. À moitié assommé, Rigid chuta.
Kotla avait déjà presque disparu dans le nuage pourpre, il fit signe à son complice de le suivre. Mais le Baroudeur avait autre chose à faire. Il attrapa les rênes de Liberté, et s’employa à la calmer. Ils avaient déjà traversé ce genre d’épreuves ensembles, mais elle semblait plus tourmentée qu’avant. Il finit par serrer son encolure et planta ses yeux dans les siens.
- Tout va bien. Tout va bien ma belle. On va sortir de ce merdier. Ensembles, fit-il d’une voix étouffée par le fichu.
Liberté, les yeux fous, finit par s’immobiliser. À cet instant, un Automate aperçut les fuyards. Un éclair bleu perça le sol près du Baroudeur.
Kotla poussa un cri en faisant signe de le suivre.
Le Baroudeur enfourcha sa jument et la talonna. Elle se cabra avec un hennissement, un tir l’avait touché à la croupe. Son cavalier manqua de tomber mais il continua de l’encourager à avancer. Luttant contre la douleur, la monture s’élança dans la tempête d’une démarche irrégulière.
Le fuyard avait bien envie de tracer sa propre route, mais il dut se rendre à l’évidence : il ne savait pas s’orienter au milieu de ce nuage de sable. Il rejoignit Kotla et le fit monter en selle. Ce dernier lui jeta un regard plein de reproches mais ne dit rien. Sous le feu hasardeux des Automates, ils disparurent au milieu d’un tourbillon ocre sombre.
Le Baroudeur se laissa guider par son passager. Il lui semblait arriver aux frontières de la tempête quand plusieurs silhouettes se profilèrent à leur côté. Il vit apparaître des barbares galopant parallèlement à lui. Ils se mirent à pousser des cris de joie, vite reprit par Kotla.
Le Baroudeur remarqua avec surprise une chevelure d’un blond presque blanc qui, bien que nouée, ondulait au vent tel un serpent pris de folie. Elle portait un masque et des lunettes de protection, mais il put capter l’écho d’un regard acéré. Fièrement dressée sur un magnifique étalon noir, elle se plaça à ses côtés jusqu’à ce que leurs jambes se touchent presque. Il ne la vit pas sortir des menottes à amants de sa sacoche.
Derrière lui, Kotla saisit les rênes de Liberté. Avant qu’il ne se rende compte de ce qu’il se passait, ses mains étaient de nouveau attachées.
Le soleil les inonda alors, et le nuage de sable disparut derrière eux.
Ébloui et désorienté, le Baroudeur ne vit que la jeune femme retirer le foulard qui cachait son sourire malicieux.
- Bienvenu parmi nous, déclara-t-elle.
***
Le Baroudeur n’avait pas tout de suite comprit ce qu’il se passait. Il y avait eu quelques secondes de flottement pendants lesquelles il avait fixé ses liens, ébahi. Puis il était entré dans une rage folle et avait fait piler Liberté, manquant de chuter avec Kotla. Il s’était débattu comme il pouvait, mais il avait très vite senti une pointe se glisser dans son épaule, le paysage s’était mis à tourner. Il était devenu complètement amorphe. Il avait à peine perçu qu’on le juchait sur un autre cheval. Il avait regardé le sol de moins en moins ocre défiler pendant tout le trajet, la bave aux lèvres.
Lorsqu’il avait repris pleine conscience, il était dans une cage en bois grossièrement taillée à la lisière d’un campement barbare.
- Tiens, je t’ai apporté à manger, fit Kotla en lui tendant une écuelle de bois.
Il avait noué ses cheveux devenus trop courts pour des nattes en queue de cheval et lui offrait un large sourire à fossettes.
Le Baroudeur se saisit de l’objet, restant un moment immobile.
D’un coup, il envoya le contenu de l’écuelle - un bouillon jaunâtre - dans la tête de Kotla. Ce dernier réussit à éviter le plus gros et le considéra, étonné.
- Bah, qu’est-ce qu’il y a ?
- Qu’est-ce qu’il y a ? QU’EST-CE QU’IL Y A ?! CE QU’IL Y A C’EST QUE TU M’ENFERMES ENFOIRÉ DE FILS DE….
Kotla resta coi face au flot d’insultes diverses qu’on lui envoyait à la figure. Les membres de la tribu jetèrent des regards hors de leur tente, intrigués par les cris.
Le Baroudeur hurla sa haine jusqu’à ce que ses cordes vocales rendent l’âme.
- Bah, qu’est-ce qu’il a à beugler, çui-là ? fit la jeune femme qui l’avait attaché.
Elle avait enlevé ses lunettes de protection, révélant des iris gris-bleu et un nez droit. Sa peau tannée par le soleil était agrémentée de quelques cicatrices, rendant impromptues ses lèvres délicatement rosées. Ce qui était moins impromptu, en revanche, c’était ce sourire moqueur qui l’horripilait au plus haut point. Il voulut l’insulter mais sa gorge lui signifia que non, il n’allait pas encore crier, et qu’il était temps de se taire avant de commencer à cracher du sang.
- Je te présente Chiara, dit Kotla. C’est elle qui est à l’origine de cette alliance avec des Blancs-peau.
- Enchantée, déclara celle-ci en tendant une main.
Un énorme glaviot atterrit dans sa paume.
Elle cligna des yeux avant d’éclater de rire.
- C’est un sauvage à ce que je vois !
Elle se pencha vers sa cage, il fut un instant hypnotisé par ce regard pétillant.
- Eh, beau gosse…
Elle lui cracha dignement sur le nez.
- Ne recommence plus.
Elle se redressa alors qu’il secouait la tête. Il la foudroya du regard, ce qui déclencha une nouvelle crise d’hilarité.
- Désolé, elle est un peu taquine, s’excusa Kotla.
Il reçut un regard plus noir que le néant.
- Tu dois sûrement te demander pourquoi j’ai fait ça, continua-t-il en ignorant l'averse de haine qui tombait sur ses épaules. C’est très simple : je veux que tu nous rejoignes. Tu as du potentiel et tu détestes la Compagnie, quoi de mieux que de lutter contre elle ? Nous avons besoin de bras. Si tu accomplis la Cérémonie d’Initiation, tu ne seras plus enfermé. Mais je ne veux pas te forcer, je veux te convaincre.
Le Baroudeur lui tourna ostensiblement le dos. Il croyait le convaincre en l’enfermant ? Il se trompait lourdement. Il ne vivait que pour la liberté, pas question de rejoindre une secte de neuneus utopiques.
- Je me doutais que tu réagirais comme ça. Mais je persévérerai.
Du coin de l’œil, le prisonnier vit Kotla et Chiara s’éloigner.
Quels bâtards.
***
Le soleil se coucha bientôt et le Baroudeur sentit la fatigue ramper en lui. Lui qui pensait, un jour auparavant, être en train de galoper dans les plaines infinies à cette heure. Il baissa la tête.
Le sol était meuble et l’air frais, les conditions n’étaient pas comparables à celles qu’il subissait avec la Compagnie. Mais tant que des barreaux, fer ou de bois, ceinturaient son horizon, il ne serait jamais heureux.
Il sombra dans un sommeil troublé de cauchemars.
Il fut réveillé le lendemain par des cris et des rires. Ses paupières se soulevèrent pour lui offrir la vision de Chiara, vêtue d’une simple robe de lin, poursuivre Kotla, torse nu, dans la prairie jouxtant le campement. Il cligna des yeux.
Tout en se livrant une bataille impitoyable de chatouilles, le couple se rendit à la rivière pour se laver comme le faisaient déjà plusieurs membres de la tribu. Chiara retira sa bure d’un mouvement sec. Un corps musculeux et halé s’offrit à la vue appréciative du Baroudeur. Ses hanches étaient étroites et ses seins pointues et peu abondants, habillés de quelques vilaines balafres qui ne faisaient qu’amplifier sa grâce sauvage. Elle s’aspergea d’eau et se frictionna vigoureusement la peau tandis que l’observateur silencieux avait dressé belle tente dans son treillis. Il serra les dents, son plaisir de contemplation se transforma vite en frustration. Elle ne lui jeta même pas un regard dans sa direction et se rhabilla bien vite avant de rentrer avec Kotla dans une tente non loin.
Peu de temps après, le Pokla en sortit pour amener à manger à son captif.
- Tu fais encore la tête, déplora-t-il alors qu’il lui lançait un regard mauvais.
- T’avais qu’à pas exposer ta donzelle sous mes yeux alors que j’ai rien déglingué depuis presque un mis.
- Ma donzelle ? Mais de quoi tu parles ?
- Je parle de votre scène d’exhibitionnisme éhonté.
- Attends… tu parles de quand je me lavais avec Chiara ?
- …
- Mais on faisait que se laver.
Il éclata de rire.
- C’est même pas ma compagne.
- Genre, vous dormez dans la même tente et vous êtes pas ensembles.
- On est de la même famille, c’est pour ça qu’on dort dans la même tente. Chiara, c’est ma sœur.
Le Baroudeur le dévisagea.
- Toi, sœur d’une Estienne ? Je veux bien qu’elle soit un peu bronzée mais quand même.
- C’est ma sœur adoptive.
- Peuh, continue de mentir.
- C’est moi où t’es jaloux ?
- Jaloux ? Vous m’avez enfermé dans une putain de cage !
- Je ne vois pas le rapport.
- Le rapport c’est que je ne suis pas jaloux !
- Oh si, tu l’es.
- Nan !
- Si, t’es jaloux, t’es jaloux, t’es jaloux, t’es jaloux !
- Je vais t’étrangler !
Ils furent interrompus par le rire de Chiara.
- Eh bah, ça vole haut par ici, fit-elle.
- Toi, on t’as pas sonné ! lui cria le Baroudeur.
Elle lui servit un sourire malicieux.
- Je vois qu’on a toujours pas appris la politesse. Je reviens.
Ils la regardèrent partir en silence.
- Où elle va ? s’enquit le prisonnier.
Kotla haussa les épaules.
- Chais pas. Tu veux pas manger ?
Après une seconde d’hésitation, le Baroudeur attrapa la nourriture qu’on lui tendait et la dévora sans retenu.
- Ouh là, tu manges aussi proprement qu’un goujli. Bon, je dois y aller, j’ai du travail.
- Attends !
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Où est mon cheval ?
- Je sais pas.
- Tu sais p… COMMENT ÇA TU SAIS PAS ?!
- Calme-toi voyons ! Elle doit être avec les autres chevaux. On l’a fait rejoindre notre troupeau. Ça m’étonnerait qu’elle s’enfuie toute seule.
- Le premier qui la monte, je lui fais bouffer ses couilles.
- Dommage pour toi, j’ai pas de couilles ! lança une voix haute perchée.
Le Baroudeur vit Chiara arriver fièrement, montant à crue Liberté. Elle parada un instant devant la cage.
- Co… comment…
- Oh tu sais, une ou deux carottes, ça fait son affaire. On s’entend bien toutes les deux, on a la même couleur de cheveux. N’est-ce pas, ma belle ?
Liberté sembla apprécier la caresse qu’elle lui donnait et n’eut pas un regard pour son maître.
- SALETÉ DE CANASSON DE MERDE JE VAIS TE…
Kotla se boucha les oreilles.
- Il va peut-être falloir envisager le bâillon, grimaça-t-il.
- Sur leurs (sans « s ») visages (sans « s ») impassibles (ses « s ») affleurait une terreur
- fit-il dune (d’une) voix étouffée par le fichu.
- Il y avait eu quelques secondes de flottement pendants (sans »s ») lesquelles
- et l’air fraic (frais)
J'adore Chiara ! la scène des crachats (maintenant qu'ils se sont crachés dessus mutuellement je pense qu'on peut dire qu'ils sont amis <3) et comme elle a dompté le cheval xDDD Bravo Chiara !
ton chapitre m'a mise de bonne humeur !
Ah, je suis contente que tu l'aimes^^ Tu n'as pas l'impression que son prénom fasse trop récent ?
Tu vois je suis capable d'écrire des choses joyeuses aussi XD