Ce fut dans un état lamentable que Gus se présenta à son entretien. Il affronta le regard hautain de l’hôtesse d’accueil quand elle l’annonça à la recruteuse. Lui, le grand échalas, se sentit minuscule au moment de demander les toilettes pour tenter d’arranger sa tenue du mieux possible. Il était dans un tel état de nervosité qu’il failli se brûler en actionnant le robinet, et mis quelques secondes pour réussir à ouvrir la porte et revenir en salle d’attente.
L’échange fut des plus étranges. Alors qu’il avait contrôlé la fiche de poste au téléphone, Marie Ibisbille, qui le recevait, ne semblait être intéressée que par un élément qu’ils avaient en commun à l’école où il avait étudié pour son BTS, 3 ans après elle. Il ne comprenait pas où elle voulait en venir, était désarçonné par des moues de mépris que la jeune femme ne maîtrisait pas. Il sentait le stress monter en lui de plus en plus, répondant à côté, croyait-il. Il avait l’horrible impression d’être plongé dans une piscine et qu’on lui maintenait la tête sous l’eau. Il avait beau se débattre, sa respiration devenait difficile. Il tentait avec peine à contenir les tremblements qui l’envahissaient jusque dans sa voix. Les airs sympathiques qu’elle cherchait désespérément à se donner pour masquer son incapacité à mener un entretien professionnel était de plus en plus agaçant.
En son fort intérieur, il savait qu’il ne voulait pas de cet emploi. Cette personne était un fort potentiel à harcèlement moral. Il avait assez donné. Merci bien ! Pourtant, il fut choqué par la manière dont elle conclut l’entretien.
- Habituellement, nous nous accordons un délai pour donner une réponse aux candidats. Mais là, tu te doutes bien que tu ne seras pas retenu. Si tu avais réellement voulu le travail, tu aurais été sur notre site, et tu aurais donné la bonne réponse à chacune de mes questions sur l’entreprise. Et tu n’as même pas été performant sur celles en rapport avec le cours de gestion de Madame Spirale, lui fit-elle sur son ton le plus doux.
Une véritable révolte s’empara de lui, face à cette hypocrisie. Il n’en pouvait plus. Il travaillait 39h par semaine pour un salaire de misère, courait après les entretiens d’embauches, faisait tout pour rester au courant des nouveautés en termes de techniques commerciales et ce n’était pas suffisant pour cette petite arriviste prétentieuse !
- Correction ! Vous me recalez parce que, contrairement à vous, je cherche à comprendre et à expliquer. Je ne me contente pas de recracher des cours sans les comprendre !
- Tu peux me dire tu et ce que tu dis...
- Non ! Vous ! écoutez-moi ! Maintenant ! Je ne tutoie que ceux qui le méritent. À aucun moment, vous n’avez écouté ce que je disais. Vous êtes une simple consultante, sans expertise, parce que vous n’avez que de vagues connaissances métier ! Je ne veux pas que mon travail soit jugé par une personne qui n’y connaît rien. Le commerce, la gestion des ressources humaines sont des métiers qui s’apprennent, pas qui se récitent comme une fable de La Fontaine, les yeux dans le vide. Maintenant, je comprends le turnover dans votre entreprise. Je vous souhaite bon courage pour trouver quelqu’un qui voudra rester durablement sur cet emploi. Et votre site est bien trop brouillon pour que l'on puisse réellement s'y intéressé !
À ces mots, notre Gus se leva et prit la porte. Une mauvaise surprise l’attendait dehors. De loin, il trouvait que son vélo était affaissé. Il comprit pourquoi. Un des antivols était sectionné, la roue arrière, ainsi que la cassette de pinions, avaient été volées. Déprimé, au bord de la crise de nerfs, il envoya un puissant coup de pied dans le cadre. Malheureusement, à cause de son énervement, il atteint l’arceau auquel le cadavre était encore accroché. Il hurla de douleur, aussi fort qu’il put. Une femme, la quarantaine, s’approcha :
- Ça va ? Monsieur ? Vous allez bien ?
- Mais bien sûr ! Je me porte à merveille ! Je suis arrivé à un entretien d’embauche dans un état lamentable, à cause d’un vol plané en vélo. Je me suis retrouvé face à une incompétente qui ne connaît strictement rien au métier de la vente en dehors de ses fiches de cours parce que le terrain la fatigue trop. Et pour couronner le tout, on vient de me voler un morceau de mon vélo ! Je me porte à merveille ! C’est une belle journée !
Une autre personne aurait passé son chemin face à tant de rage, mais pas elle. Il s’agissait d’Eileen Sospitalis. Elle venait de repérer le potentiel notre ami poissard. Elle ne se démonta pas :
- Turlututute ! Vous êtes trop bouleversé pour être cohérent. Venez ! Vous allez tout me raconter.
Quelque peu abasourdi par cette répartie, Gus ne chercha pas à comprendre. Il suivi l’inconnue jusqu’à un bar à jeu nommé Taverne. Là, ils s’installèrent. Il lui raconta son histoire depuis le début. Au fur et à mesure où il parlait, les battements de son cœur s’apaisaient. Il était plus détendu, plus disposé à répondre aux questions. Il réalisa à quel point il avait besoin de parler de ses mésaventures sans en rire. Et de ce qui le passionnait également.
Quelle ne fut pas sa surprise, quand, sortie du chapeau, il se trouva avec une promesse d’embauche entre les mains.
Bref ! Bravo à Gus ! Qu moins, il n'a pas sa langue dans la poche.
Comme quoi, être malchanceux n'est pas toujours synonyme d'être timide ou mauviette.
Eh oui, les malchanceux ont différentes possibilités de personnalité. Et il faut le comprendre, il n'en pouvait plus et était à cran. On explose facilement dans ces moments là.
Merci pour ton passage. Oui mon Gus cumule. Ce n'est pas un poissard pour rien ;)
Et j'ai lu ta note concernant l'entretien que tu as toi-même vécu. C'est toujurs une bonne idée d'écrire sur des évènements déplaisants de nos vie, l'écriture est la meilleure des thérapies !
Et voilà notre Gus n'est plus sans emploi :)