Maeve s’était à peine retournée lorsqu’elle avait quitté le camp, escortée par le général Sondha et deux soldats. L’un était mage, avait-elle déduit de ses longs cheveux clairs qui n’avaient jamais été coupés. Et tandis que les chevaux descendaient le mont Athor à petits pas, la jeune fille s’amusait à chercher dans son insigne et ses fanions l’identité de son bataillon. Un Ostilleur, reconnut-elle au dessin des cornes sur le bandeau. Elle fut incapable d’en faire de même pour l’autre, tant elle connaissait moins bien les rangs de la régulière, si ce n’étaient ceux de la quatrième d’infanterie de son père, et des Thorei, l’illustre bataillon d’exploration avec lequel Perrhé Bressild avait débarqué de Bodhurie pour conquérir le Nouveau Continent et y établir le Norlande.
Les cimes nues des monts d’Orhon défilaient à mesure que les chevaux galopaient. Et tandis qu’ils remontaient en direction de la Citadelle, le soleil, lui, déclinait peu à peu, encrant le ciel nacarat de reflets violacés. Le général Sondha ralentit l’allure, et suggéra une pause bienvenue. Et même si Maeve ne s’autorisait pas à se considérer fatiguée, elle se sentait faiblir.
Le général Sondha lui proposa de s’arrêter dans un village pour la nuit.
« La Citadelle est encore à dix lieues, je dirais.
— Dix lieues encore, je dirais. Si nous nous arrêtons ici, nous pourrons arriver demain, avant le zénith.
— Je n’ai pas besoin de me reposer » répondit-elle sans laisser d’ouverture à un quelconque démenti de celui qui devait lire sur son visage les traits de la fatigue d’une longue journée.
Dans la pénombre, progresser était bien plus pénible. Le mage avait beau déployer un Nimbe pour les éclairer, suivre la route requérait une attention bien plus grande que pendant la journée. L’épuisement, lui, se faisait de plus en plus insistant, si bien que Maeve en vint à se demander s’il n’aurait pas été plus avisé de s’arrêter pour la nuit, finalement. Elle se rattachait à la promesse du retour. La Citadelle… Il ne faut pas faiblir maintenant.
Son corps, alourdi par l’épuisement, peinait de plus en plus à faire autre chose que se maintenir sur la selle. Lorsque le mage devait recharger, elle avait de plus en plus de mal à assurer la relève. Comme à l’entraînement, elle échouait à surmonter l’adversité de son corps. Son aura s’évaporait en poussière de lumière, avalée par la pénombre, et seule la lueur des torches pouvait alors leur porter secours.
Ils furent forcés de ralentir l’allure pour mieux défier la nuit obscure. Dans les cieux, seul rayonnait le dernier quartier de la Lune Pourpre. Dans quelques jours, la Lune Bleue régnerait au-dessus de leurs têtes. Maeve espéra être de retour au camp avant que cette dernière ne s’éteigne à nouveau pour céder sa place à la pourprée.
Ce fut une Citadelle endormie depuis bien longtemps qui les accueillit au milieu de la nuit. Les rues aux murs blancs étaient désertes, et seules de rares fenêtres à la bougie allumée présageaient de signes de vie à cette heure avancée. L’écho des beuglements ponctués de rires gras animait une taverne. Une voix l’emporta sur le reste du vacarme, avant d’être absorbée par le tumulte des lurons. Le quartier des myriades avait toujours été particulièrement animé, mais Maeve n’avait pas imaginé que, la nuit également, l’endroit puisse être si fréquenté, et même qu’il puisse être encore ouvert. Sur le bas-côté, la lueur de leurs torches découvrit un homme à terre, visiblement endormi. Sa main reposait sur son ventre, qui gonflait et désenflait admirablement, tandis que ses ronflements venaient couvrir par instants le tintamarre de la taverne.
Le vacarme s’étouffait à mesure qu’ils s’éloignaient des myriades, et Maeve contemplait, distraite, les cases immaculées aux toits plats qu’elle avait tant connues. La Citadelle lui donnait toujours cette curieuse impression. Ici, tout était pareil. Elle seule changeait. Les pierres blanches, elles, étaient toujours aussi froides. Depuis plusieurs années déjà, elle ne se sentait plus chez elle dans la bastide familiale. Était-ce depuis la mort de sa mère, ou depuis son départ à huit ans pour rejoindre les rangs des aspirants mages ? Après tout, les deux évènements avaient été si précipités. Elle n’avait pas le souvenir d’un seul moment entre le décès et le jour du test d’Aptitude. Comme si, entre-temps, elle n’avait pas existé.
Le général Sondha ne consentit à quitter la jeune fille qu’après avoir dépassé les gardes postés devant l’arche de la grande porte. Taillée dans la même pierre que le reste de la cité, le contraste n’en demeurait pas moins saisissant. Les blocs aux lignes plus strictes, plus régulières étaient bien plus récents. Perrhé Bressild avait fait construire sa forteresse au milieu de ce village antique. Seuls les remparts et la bastide avaient été construits par les Norlandais, ce qui en faisait le seul bâtiment de la Citadelle à comporter des étages. Dans l’enceinte du fort familial, le silence régnait. Adossée à l’édifice, la tour, avec ses fenêtres sombres, dormait paisiblement. Maeve pourrait regagner directement sa chambre sans cérémonie. Son corps avait attendu les derniers instants pour lui signifier d’un coup sa fatigue extrême.
Affalée sur le lit, elle essayait de trouver un sommeil qui ne venait pas. Les pensées la hantaient. Le général aux cheveux blanc immaculé, qui prononçaient les mots fatidiques. « Mayha ». « Pas survécu ». « Ne reste rien ». Dans l’intimité de ces murs familiers, elle n’avait plus à se retenir.
Le bruit de la porte qui crissait la tira de ses pensées.
« Maeve ? »
Elle aurait reconnu cette voix entre mille. Authave.
« Oui. »
Son petit frère prit cette réponse pour une invitation à entrer. Un chandelier à la main, il éclairait la pièce à mesure qu’il avançait. La lueur de la flamme illuminait ses bouclettes dorées débroussaillées qui retombaient sur ses yeux verts en amande, les mêmes que ceux de sa sœur. Son visage, tout son corps semblait avoir été étiré. Bientôt, Authave ne serait plus un enfant. Il avait tant grandi qu’elle était partagée entre l’étonnement de voir ce visage si changé et la frustration de ne pas avoir pris un pouce depuis plus de deux ans.
« Tu ne viens jamais alors forcément, je grandis vite à chaque fois.
— Tu verras, quand tu auras des permissions. Et puis d’abord, pourquoi tu ne dors pas ?
— J’entends tout, tu sais » lui rappela-t-il en pointant le plancher.
Le garçon posa le chandelier et s’assit sur le lit.
« Ecoute Authave, j’ai eu une très longue journée et… »
— On ne s’est pas vu depuis longtemps, mais je te laisse dormir, j’ai compris. »
Maeve n’avait ni l’envie ni la force de protester, et resta inerte, à fixer le plafond qui fonçait à mesure que le chandelier s’éloignait.
« Tu portes des robes, toi, maintenant ?
— Qu’est-ce que tu racontes, je ne porte jamais de… »
Suspendu au mur, l’accoutrement long, foncé et ridicule était en tout point contraire à ce qu’elle portait.
« Ce n’est pas à moi.
— Personne d’autre n’utilise cette chambre.
— Je viens d’apprendre, pour Mayha… » Elle déglutit et inspira avant de reprendre : « j’ai d’autres choses plus importantes à penser que ce que fait ce vêtement ridicule ici. »
Elle regretta aussitôt son ton exaspéré. Authave se tordait les lèvres. Toujours aussi susceptible.
« Je suis désolée. C’est juste que… »
Mais elle n’eut pas la force de trouver les mots. Le garçon détourna la lumière de son visage et lui laissa le secret des ombres. Maeve sentit deux larmes sillonner sur le vallon de ses joues, et déglutit sourdement. Sa tête retomba sur son oreiller. Les yeux rivés sur le plafond, elle se remémorait les temps d’avant, ceux où, petite, sa tante venait à la Citadelle. Mayha, ce visage si familier parmi les pierres froides. Elle ne la verrait plus jamais, lorsqu’elle reviendrait. Elle n’aurait jamais l’occasion de se battre à ses côtés pour défendre sa mère patrie. Elle ne connaîtrait pas son commandement lorsqu’elle intégrerait la division de magerie. Elle n’aurait plus ce phare qui éclaire son chemin, de loin, avec sa bienveillance du quotidien.
« Tu restes longtemps ?
— Je ne sais pas. »
A peine son frère avait-il refermé la porte que les questions affluèrent. Pourquoi son grand-père l’avait-il demandée ? Elle chercha un sommeil qui ne vint pas. Ce fut de ces nuits où les pensées vous hantent, et ne vous laissent jamais en paix. De celles où, lorsque l’on s’en réveille enfin, on se demande si l’on a fermé l’œil une fois. Mais le soleil brillait si haut qu’elle devinait qu’elle avait dormi plus qu’elle n’en avait l’habitude.
Elle s’habilla à la hâte. Elle devait voir son grand-père. A peine ouvrit-elle la porte de sa chambre qu’un courant d’air glacial lui glaça les narines. Alors qu’elle descendait les escaliers, elle sursauta en trouvant Authave, les bras croisés devant la porte de sa chambre. Elle eut beau lui promettre de venir le voir après son entrevue avec Perrhé, le garçon préféra lui emboîter le pas.
« Tu ne peux pas voir Grand-Papa.
— Tu dis n’importe quoi.
— Il ne veut voir personne depuis que c’est arrivé. »
Son cœur s’empoigna à la pensée de la douleur qui devait torturer son grand-père. Authave insistait. Il avait essayé plusieurs fois de lui rendre visite. Leur belle-mère, Anh-Lis, trouvait de nombreux prétextes, allant de soufflés aux dessins de sa fille, Fhostine. A chaque fois, Perrhé Bressild avait fait comme s’il n’était pas là.
« Il ne m’aurait pas fait revenir en urgence s’il n’avait pas prévu de me voir au plus vite.
— Tu verras bien. »
Elle ne ralentit pas non plus lorsqu’ils arrivèrent dans le long couloir de l’aile sud, aux murs ornés de haches, d’épées, d’arcs et de piques en tous genres.
« Tu te souviens ? lui lança son frère.
— Bien sûr, que je me souviens. »
Le garçon ricanait sournoisement. Comment aurait pu-t-elle oublier ces innombrables fois où elle avait été punie parce qu’Authave s’amusait à décrocher les armes de la galerie des trophées et l’accusait à sa place ?
« Ça ne me fait pas rire, grinça-t-elle.
— Moi si ! »
Son grand-père non plus, ne riait pas, à l’époque. Et, à maintes reprises, il leur avait sermonné qu’ils devaient traiter ces armes avec le respect qui leur incombait. Leur place était sur ces murs. Exposées comme les médailles du commandant émérite Perrhé Bressild, et le lourd prix de la contestation des autochtones. La Révolte des Chefs avait duré trois longues années, et avait coûté sa jambe au Gouverneur. Dans chaque famille norlandaise, elle avait marqué les esprits, et ceux de la vieille génération faisaient souvent allusion à ce souvenir amer qu’ils reprochaient aux jeunes d’aujourd’hui de ne pas avoir connu.
Lorsqu’ils arrivèrent enfin devant l’imposante porte de l’antichambre du Gouverneur, la jeune fille toqua d’un coup sec.
« C’est moi, Grand-Papa, annonça-t-elle en toquant à la porte du cabinet du Gouverneur.
— Entre, s’éleva la voix sévère. Et dis à ton frère de nous laisser seuls. »
Les yeux du garçon étaient si expressifs qu’elle y lut tour à tour la déception, l’agacement, puis la jalousie. Il traîna la patte hors de l’antichambre, et elle crut l’entendre râler un « c’est pas juste » avant de disparaître.
Son grand-père l’accueillit dans un silence stoïque. Son visage était si marqué que Maeve eut l’impression qu’il avait en quelque temps vieilli de plusieurs années. La pièce, elle, était aussi austère que son occupant. Le peu qui l’habillait était rangé de façon méthodique. Seule l’épée dérogeait. Sur le bureau, sortie de son fourreau, elle provoquait en sa petite-fille une fierté mêlée à de l’empathie. Il avait fallu une jambe gangrénée pour que le vieux capitaine renonce à la brandir sur le champ de bataille, et elle devinait la culpabilité qui devait le ronger de ne pas avoir pu éviter la catastrophe du relais de Lanzak.
Déployée sur un pupitre, la carte du Norlande était le seul objet que Perrhé Bressild ne rangeait jamais. Quand Maeve était petite, les tracés ne montraient que le croissant de la Baie d’Or, encerclé de forêts. Puis les frontières avaient franchi les monts de Taîrs, et s’étendaient à présent jusqu’à la péninsule des Astéries.
« Je tenais à te dire les choses en personne » annonça Perrhé d’une voix troublée.
Cette intonation déclencha un torrent de compassion chez la jeune fille qui, attristée par la perte de sa tante, s’imaginait que son grand-père souffrait d’une douleur bien plus effroyable encore.
« Le général Sondha m’a prévenue, pour Mayha. »
Le vieil homme releva la tête. Dans ses yeux, une étincelle venait de s’éteindre.
« Ce n’est pas de cela que je voulais te parler. Mais il est évident que les derniers jours ont été difficiles, et m’ont amené à me poser de nombreuses questions. »
Le Gouverneur prit appui sur ses accoudoirs pour mieux replacer son bassin sur la chaise.
« Gouverner, ce n’est pas comme commander sur un champ de bataille. Cela requiert une discipline tout autre, et une stratégie bien différente. Dans le jeu de la politique, je suis égal au soldat qui a connu son premier front. Il se rêve capitaine mais ne sait pas encore ce que c’est que de perdre. »
Les armoiries lustrées sur le fourreau de l’épée reflétaient dans son iris l’éclat brillant de ses jeunes années. Maeve n’était pas habituée à voir son grand-père se confier ainsi. Il doit vraiment aller mal.
« J’aurais dû percevoir dans les faits divers à la frontière les prémices d’une contestation plus grande. Mais ce qui compte, c’est la guerre à venir. Car oui, il s’agit bien d’une guerre. Comme ce à quoi s’exposent tous ceux qui prétendent appeler leur ce qui est nôtre. »
Lorsque, deux lunes plus tôt, le sergent leur avait annoncé les premières invasions argones, la nouvelle avait fait tressaillir les rangs. Cette fois, le mot était plus terrible encore. Une guerre. Elle connaissait le vocable, et il avait laissé de vifs souvenirs. Elle souvenait du vide laissé par son père, lorsqu’il était parti lutter contre la Révolte des Chefs, et de sa mère qui, croyant sa fille endormie, s’effondrait. Et puis un jour, tout le monde cria dans les rues que le Norlande avait gagné, et Franh Bressild rentra. Si elles avaient été contentes de le retrouver, l’homme qui était revenu n’était plus le même. Maeve le surprenait parfois, le regard vide, et rares étaient les sourires qui égayèrent son visage marqué par la fatigue. Serait-elle ainsi, quand elle participerait à une guerre, elle aussi ? Si la guerre contre les Argons continuait, alors elle pourrait connaître son premier front dès l’année prochaine. Malgré le frisson qui parcourut son dos, elle préférait se croire brave. Elle se battrait s’il le fallait. Et dans cette attente, elle ferait tout pour progresser encore.
« Le général qui est en moi me pousse à la réplique, mais les derniers jours m’ont montré qu’il n’y a pas que le général que je dois écouter. Il y a aussi le gouverneur. Et ce gouverneur m’alarme : et si l’invasion à l’est n’était que le début d’une longue série de contestations ?
» La première démonstration de faiblesse d’un ennemi serait une faille que je ne manquerais pas d’exploiter. Si j’étais un de nos adversaires, aujourd’hui, j’enfoncerais la porte que les Argons ont entrouverte. Ma priorité est donc double : contenir le front à l’est, et m’assurer de la pérennité des autres frontières. Tu comprends tout cela, n’est-ce pas ?
— Je le comprends.
— Bien » consentit-il d’un hochement de tête.
Perrhé s’arrêta un instant. Il se leva brusquement, et regagna la lucarne d’un pas boitillant.
« C’est pour cela que j’ai chargé Rhami Nanthil, notre ambassadeur auprès des Pays de Dennes, de demander à leur régent si sa proposition tenait toujours. La main en question n’était plus disponible, mais il cherchait justement pour son fils aîné, Odrien Fanese, un nouveau parti. Tu l’épouseras donc à la lune prochaine. »
Il lui sembla que le temps s’était arrêté. Maeve refusait d’y croire tant l’annonce était absurde.
« Moi ?
— Qui d’autre ?
— Me marier ?
— Pour le Norlande.
— Je préfère me battre pour mon pays.
— Tu nous seras plus précieuse ainsi qu’un soldat de plus sur le front. »
Perrhé parlait maintenant d’un ton ferme qui ne laissait aucune place à la contestation. Le commandement avait été acté, il devait maintenant être exécuté. On ne questionne pas un ordre, leur avait-on martelé avec tant d’insistance à l’armée. Cette fois, cependant, la sommation la concernait tout personnellement. Elle renversait l’ordre établi de son existence, et allait à l’encontre de tout ce qu’elle avait imaginé pour sa vie.
« Vous rendez-vous seulement compte de ce que vous me demandez ? »
Sa voix tremblait. La jeune fille luttait de toute son âme pour ne pas se laisser envahir par la colère qui frappait furieusement à sa porte.
« Ton consentement ne faisait pas partie de la négociation.
— Mais il importe ! Que croyez-vous ? Que je vais quitter l’armée pour aller me marier ?
— Précisément.
— Ce n’est pas ma place.
— Ta place est là où je le décide.
— Je suis à deux doigts d’intégrer la seconde division de magerie ! Vous ne pouvez pas me faire ça… Prenez Fosthine ! »
Elle imagina un court instant sa demi-sœur de quatre ans qui suçait encore son pouce, et se rendit compte du ridicule de ses propos.
« Fosthine est bien trop jeune pour être promise à un homme de cet âge, et l’affaire doit être conclue rapidement. »
Maeve était dévastée. La situation lui paraissait aussi irréaliste qu’injuste. Elle avait envie de hurler, d’insister, mais elle connaissait la fatalité de la situation. Son grand-père était de ces inflexibles, et il venait en un instant de lui gâcher le restant de sa vie.
« Vous n’auriez jamais osé faire cela à Mayha. »
Il lui adressa un regard si terrifiant qu’elle regretta aussitôt ces quelques mots.
« Je n’ai jamais fait cela à Mayha, non. Mais si la situation l’avait exigé, je n’aurais pas hésité à le faire. Et elle aurait accepté. Car Mayha savait plus que tout au monde quelle était sa place, et j’ai eu la faiblesse de croire qu’une aspirante mage de dernier cycle savait ce que signifiait l’intérêt d’Etat. »
Vexée, Maeve se mordait la lèvre pour ne pas laisser l’émotion dicter la moindre parole qu’elle pourrait regretter.
« Un jour, tu grandiras, et tu comprendras que c’est la meilleure chose que tu puisses faire pour aider le pays que tu t’es engagée à défendre. »
Elle n’arrivait plus à soutenir son regard. Sa respiration haletait. L’idée de ce mariage funeste rongeait ses esprits. L’ordre avait été donné, il exigeait d’être respecté. Voilà donc pourquoi le Gouverneur avait tant insisté pour la rappeler à la Citadelle ! Pour mieux l’en faire partir une bonne fois pour toutes. La jeune fille enrageait, et ses yeux en amande n’arrivaient plus à contenir l’étincelle de sa fureur. Elle devait quitter cette pièce, et vite. De toute façon, un ordre était un ordre, rester n’y changerait rien. Rester ne serait que prendre le risque de se couvrir de la honte en cas de crise d’émotions publique. Elle hocha la tête et porta son poing droit sur le cœur.
« Bien reçu » scanda-t-elle comme elle l’aurait scandé au sergent, hier encore.
Dans le regard de son grand-père, elle s’étonna de ne plus retrouver le Gouverneur autoritaire qui y campait, quelques instants auparavant encore. Ses yeux étaient tristes, et résignés à la fois. Maeve préféra tourner les talons, et passait le seuil quand la voix de Perrhé s’éleva dans son dos.
« Referme la porte derrière toi, s’il te plaît. »
D’un geste sec, elle fit valser la porte sur son passage.
Son grand-père avait troqué son avenir lumineux contre ce mariage dictatorial. Comment avait-il osé lui faire cela maintenant ? Elle qui était si près du but ? Elle foulait le sol d’un pas si acharné que les pierres commençaient à prendre peur et à se demander si elles tiendraient le coup.
Maeve aurait voulu que rien, depuis hier, ne soit arrivé. Comment les choses avaient-elles pu prendre une telle tournure en si peu de temps ? La situation lui paraissait injuste, et tirée d’un conte pour enfants.
Perrhé Bressild avait certes été nommé Gouverneur, mais cela ne faisait en rien de sa lignée une comparable à la famille royale de Bodhur, envers qui le Norlande prêtait allégeance. Comment pouvait-elle passer d’aspirante mage à fiancée d’un prince en quelques instants ?
Les écuries… Et soudain, l’idée de fuir lui traversa la tête en un éclair. Fuir. Cela semblait si simple, et si compliqué à la fois. Mais que ferait-elle, une fois qu’elle cavalerait loin de la Citadelle ? Elle saurait survivre, mais si elle devait se cacher, elle ne retrouverait pas plus sa vie d’avant.
Elle n’avait jamais désobéi à un ordre, ce jour-là ne ferait pas exception. Mais n’était-il pas raisonnable de désobéir à un ordre terrible ? Perrhé la ferait chercher, et ne le lui pardonnerait pas. Je ne dois pas partir.
Elle s’arrêta un instant devant le seuil de la porte d’Authave, avant de s’élancer à toute vitesse dans les marches qui la ramenaient à sa chambre. Le bois craquait de rage sur son passage.
A peine avait-elle pénétré son antre que son regard se posa sur cette robe grotesque. Elle l’attrapa d’un geste sec et la roula en boule avant de la jeter par terre, et s’effondra à côté. Les larmes ruisselaient sur ses joues, et elle suffoquait de plus en plus. Pourquoi fallait-il que sa vie change ainsi ? Elle n’avait rien à voir avec les invasions. Elle n’avait pas seize ans, et voilà qu’elle serait mariée à la lune prochaine. Avec la carrière militaire qu’elle pensait avoir toute tracée devant elle, cette perspective ne lui avait jusqu’alors paru n’être qu’une vague hypothèse. Après tout, Mayha ne s’était jamais mariée.
Maeve ne répondit pas à son frère dont elle avait entendu les petits pas grimper à son étage. Acculée, elle refusait d’acter la nouvelle de la mort de sa vie d’avant avec le monde extérieur. En affronter l’idée était déjà bien assez. Elle qui avait toujours voulu intégrer la division de magerie ne se retrouvait soudain privée de son rêve. En quoi pourrait-elle croire, à présent ? Dans un profond soupir, elle enveloppa son corps de son Nimbe. Il scintillait à peine, et elle ne le distorsionna point. Elle se contenta de le laisser dans son état le plus pur, mais ses pensées étaient ailleurs, et bientôt l’aura disparut.
Elle consentit enfin à sortir pour dîner. Malgré son retour et la perspective de son départ aussi imminent que définitif, son grand-père ne quitta pas ses quartiers. Authave apprit la nouvelle à table de leur belle-mère. Anh-Lis était plus impatiente que Maeve d’officialiser la nouvelle, qui attristait aussi son frère.
« Tu reviendras nous voir ?
— Authave, voyons, tu sais bien que non. Ta sœur sera princesse. Sa place sera dans son nouveau pays, elle n’aura plus le temps de venir ici. »
Plus le temps… Même si ses permissions étaient bien rares et courtes, elles lui avaient permis de retrouver sa famille, quelques jours par an. Tant, par rapport à l’idée de ne plus les voir du tout. Son cœur se noua.
« Haut les cœurs, ce n’est pas la fin du monde ! A vous regarder, on dirait que l’on vous envoie à l’échafaud. »
Maeve ne répondit rien. Elle mastiquait son bout de gibier, peu d’humeur à en apprécier la saveur. Elle n’avait pas faim.
« On ne savait pas ce qui nous attendait non plus, lorsque l’on a pris la mer, à l’époque. Est-ce que je regrette, aujourd’hui, d’avoir quitté la Bodhurie ?
— Ce n’est pas pareil…
— Vraiment ? C’est plus loin, pourtant, de l’autre côté des Glaces. Au moins, tu seras sur le même continent.
— Mais j’y serai seule.
— Tu es partie seule au camp d’entraînement, et tu t’en es très bien sortie. »
Ce ne serait certainement pas d’Anh-Lis dont elle se languirait le plus, ironisait-elle. Sous ses airs enthousiastes, sa belle-mère semblait se réjouir de la perspective de cet éloignement radical.
« J’aurais voulu revoir Père avant de partir. »
Anh-Lis leva les yeux au ciel.
Maeve dut consacrer ses deux dernières huitaines à la Citadelle à des entrevues interminables visant à la préparer à sa nouvelle vie. Elle n’était pas encore partie que ses journées commençaient déjà à être bouleversées par la préparation de son départ. Elle détestait les cours de maintien de Dame Tirha, qui la forçait à se mouvoir dans une série de mises en situation ridicules. Au moins sa formation lui avait appris à se tenir droite. Trop droite, peut-être. Aussi sa préceptrice lui assénait-elle souvent les épaules de coups de baguette. « Le savoir-être, c’est important » lui martelait la préceptrice à chacune de leur rencontre.
L’ambassadeur de la Dennes Occidentale, Messire Zino Fadere de son état, lui rendait souvent visite à la bastide des Bressild pour la préparer aux us et coutumes de son nouveau pays. C’était un homme au torse bombé et à la moustache travaillée, un vrai livre sur pattes, bavard de surcroît, honoré de partager son savoir avec une future princesse.
Fadere se faisait un point d’honneur à aborder chaque sujet en long, en large et en travers. Et encore, il finissait toujours par conclure qu’ils n’avaient discuté que de bien peu, et redoutait de ne pas avoir assez de temps pour lui fournir « le strict nécessaire ».
Il avait commencé par ce qu’il appelait lui-même « le commencement ». Les Pays de Dennes avaient été réunis par Pirus Dennes, illustre conquérant dont la légende a traversé les âges, dont Perrhé Bressild lui-même louait les exploits. Pirus l’Eclairé, roi de Vispérie, avait fait plier un à un les souverains de trente-et-une autres régions pour former les Pays de Dennes, où régna depuis la paix entre les peuples. Avec la découverte du Nouveau Continent, la Dennes Occidentale avait fait grossir ce nombre pour la première fois depuis l’Unification. Ce fait, selon lui, donnait une certaine fierté aux Dennois qui peuplaient le monde nouveau.
Fadere avait emmené des cartes. La jeune fille était bien moins familière avec celles du Vieux Monde, et nota avec ironie les écarts de territoire. Sur le Nouveau Continent, le Norlande dominait presque la moitié des terres, mais de l’autre côté de l’Océan des Glaces, la Bodhurie, elle, n’était qu’une petite enclave entre plusieurs nations. Elle reconnaissait dans certains noms des vieux ennemis de son grand-père, ceux des récits des batailles d’antan. Les Autrigons, les Batsudorg, les Radaillons... Hormis par la mémoire de ses aïeux, ces endroits ne lui évoquaient rien. Les Pays de Dennes, eux, n’étaient pas frontaliers avec la terre de ses ancêtres, et s’étendaient sur un territoire bien plus vaste que la Bodhurie et son enclave norlandaise réunies.
Elle avait écouté d’une oreille plus distraite les détails de la généalogie de la famille princière Fanese, ses liens avec la maison royale de Bagane, et de très lointains aïeux qui avaient un lien de parenté avec l’ambassadeur lui-même. Orman, Darion, Cilia, et son futur époux… Odrien. Entendre leur nom ne faisait que rendre plus concrète la perspective douloureuse de son départ. Et surtout, elle ne comprenait toujours pas pourquoi se marier à un homme impliquait de connaître les faits et gestes de son lignage.
D’autres fois encore, le diplomate la surprenait avec des sujets plus farfelus, tel que l’amour des dennois pour leur jardin, le système métrique qui ne reposait pas sur le kharn mais sur le torien, ou encore l’art lyrique du staën, avec ses rythmiques inspirées de chants traditionnels autochtones, que l’on ne pouvait apprécier qu’en Dennes Occidentale.
A mesure que les jours passaient, l’appréhension montait. Que ferait-elle, seule, dans ce pays où tout lui serait étranger ? Elle se promenait à ses heures perdues dans la Citadelle, cherchant à graver dans sa mémoire le souvenir de pierres qu’elle avait déjà quittées depuis fort longtemps. Depuis qu’elle était partie au camp, à huit ans, elle n’avait plus considéré ces lieux comme sa maison. Elle s’était même réjouie d’en partir tant la vie ici lui avait paru grise une fois sa mère partie. A présent qu’elle s’apprêtait à partir, la bastide s’imposait comme cette demeure qu’elle ne voulait plus quitter.
Le dernier soir, Authave toqua à sa porte pour partager avec elle ses derniers instants. Il ne mentionna pas son départ, préféra ressasser les moments joyeux où leur mère était encore parmi eux.
« J’ai quelque chose pour toi » annonça-t-il avant de lui remettre une ficelle couverte de larges pierres d’un noir de jais.
« Un bracelet ? s’étonna-t-elle.
— Un souvenir. Il appartenait à Mayha. »
Elle fit rouler les pierres entre ses doigts. Sa peau se réchauffait à leur contact.
« Un bracelet puissant comme celui-là, ça devrait être utile, pour une future mage, non ? »
Maeve scruta le visage de son frère, interloquée. Ces pierres avaient une forte résonnance, leur simple toucher n’en laissait aucun doute.
« Authave ? »
Au ton de sa voix, le garçon replia la tête dans ses épaules et baissa les yeux.
« Comment peux-tu savoir qu’il est puissant si tu as loupé le test d’Aptitude ? »
Son frère demeurait mutique, et lui adressait des regards timides.
« Je n’ai rien fait de mal, je te jure…
— Explique-toi.
— Tu dois me promettre de ne rien dire !
— Ne rien dire au sujet de quoi ? »
Maeve regardait sans ciller son frère qui, pour la première fois de sa vie, rechignait à parler, et se maîtrisait pour garder toute sa patience malgré son sang qui devenait de plus en plus chaud.
« J’ai passé le test d’Aptitude, comme tout le monde…
— On m’a dit que tu l’avais loupé.
— C’est exact.
— Alors comment tu expliques ça ? »
Elle avait brandi le bracelet devant ses yeux, telle une preuve irréfutable qu’il était maintenant bloqué entre quatre murs dont il ne pourrait s’échapper sans en dire davantage.
« Disons que j’ai fait exprès de le louper.
— Tu as triché à ton test d’Aptitude ?
— Tout de suite les grands mots ! Je n’ai pas triché, j’ai orienté le résultat.
— C’est pareil ! »
Comment pouvait-on tricher au test d’Aptitude ? Pire, comment pouvait-on ne serait-ce que penser à tricher au test d’Aptitude ? Maeve se souvenait du jour de la sélection, de l’attente, de cette file qui n’avançait jamais. De cette longue table, avec son registre imposant, et son enfilade de fioles. La potion de révélation révélait le Nimbe de toute personne possédant un potentiel nimbique, quel qu’en soit sa force. Qu’Authave ait pu en tronquer le résultat à la vue de tous lui paraissait inconcevable. Pire, il avait enfreint les règles. Tous les enfants de huit ans doivent se faire détecter et, en cas de révélation, rejoindre le camp de formation de l’armée. En refusant de s’y soumettre, son frère privait le pays d’une ressource puissante.
« Je ne veux pas être mage, d’accord ? Je sais que tu rêvais de magerie depuis toute petite, mais je n’ai jamais voulu ça, moi ! Je veux être un soldat, dans l’armée régulière. Comme Papa.
— Comment as-tu pu…
— Ça ne t’est donc jamais arrivé d’arranger un peu les choses si c’est pour avoir une meilleure vie ?
— Non. »
Elle se revit quitter le cabinet du Gouverneur, penser aux écuries, à cette fuite à laquelle elle n’avait pu se résoudre. Elle devait partir. Un jour, Authave grandirait, et comprendrait lui aussi.
« Ca ne te ferait pas de mal d’y penser parfois » continua-t-il.
Maeve retint son souffle un instant. Le garçon, qui s’était époumoné sur sa dernière réplique, vit la mine de sa sœur de refermer de plus en plus. Le front baissé, elle dissimulait ses yeux vitreux derrière ses mèches rousses.
« Je ne voulais pas…
— J’ai besoin d’être seule.
— Maeve… »
Mais sa sœur ne lui répondit pas.
Le grand-père parle naturellement, j'ai trouvé, mais pas le petit frère, qui a une syntaxe trop adulte et rangée.
Le dialogue entre Maeve et Authave était étrange. Je vois la situation, je vois la scène, et DIeu sait que ça m'est arrivé de vouloir que mon petit frère sorte de ma chambre, mais pour le moment, le dialogue me semble loin des personnages, comme si la caméra était hors du bâtiment, alors que ça gagnerait à être tout près, plus hésitant, déchiré, déchirant. Surtout étant donné le contexte.
J'étais déjà intriguée par le monde avant, mais alors là je le suis d'autant plus, parce qu'il y a un million de miettes et pistes en plus, du trauma suggéré en veux-tu, en voilà.
Bizarrement, ce qui m'a le plus plu de Maeve, c'est qu'elle offre en pâture sa soeur de 4 ans sans le moindre remord. C'est très inattendu de la part d'une protagoniste, on s'attend toujours à suivre des gens altruistes, et jusqu'à maintenant elle n'a pensé qu'à elle pendant les deux chapitres. Je suis curieuse de voir quel va être son développement psychologique et émotionnel.
Merci pour ce retour. Pour Authave, je suis d'accord avec toi. Cette version est loin d'être la première ébauche de ce dialogue mais il y a toujours quelque chose qui ne prend pas... J'ai un retravail à faire sur son personnage je pense pour qu'il s'incarne mieux dans le récit.
Ravie de voir en tout cas que tu es intriguée ! Et ta dernière remarque sur Maeve m'a fait bien sourire.
J'ai bien aimé comment le dialogue a été mené.
Maeve n'avait rien à en redire, puisqu'il lui a explicité la situation pour en venir au fait. Je compatis franchement à l'héroïne, que je ne me représente d'ailleurs pas physiquement, mais qu'importe puisque l'identification suffit.
Je suis impatiente de voir qui est ce Odrien Fanese :)
Le premier chapitre m'avait enthousiasmée, mais celui-là a scellé mon envie de lire la suite. Un mariage arrangé avec son caractère bien trempé? Tu parles à mon cœur, là. On comprend bien le point de vu de son grand-père, qui prend une décision difficile, et reste trop dur dans ses manières pour exprimer des sentiments, probablement trop embourbé dans le deuil. Le fait qu'elle n'ai aucun mot à dire sur la question est terriblement injuste et on en ressent d'autant plus sa frustration en tant que lecteur.
Bref bref, j'ai beaucoup aimé, et je vais me jeter sur la suite.
Bon courage pour ton écriture ;)
Emmy
Comme Maeve doit être bouleversée ! (Maeve... j'adore ce prénom, au passage ! J'ai moi-même failli nommer mon protagoniste de la sorte, pour dire ;)) J'avoue penser que tu aurais pu accentuer l'émotion du personnage : la montrer plus que la dire simplement, explicitement. Ca rajouterait un charme, une nouvelle qualité à ton récit et encore plus d'empathie pour le lecteur !
Je trouve aussi que l'ambiance demande peut-être un peu plus d'approfondissement. Pourquoi ne pas intercaler quelques silences, ou quelques petits bruits troublant le silence autour des voix qui discutent ? (Des déglutitions ? Les échos d'un pas contre le sol ? Des soupirs ? Une respiration effrénée, par exemple ?)
Tout cela n'est bien sûr qu'un avis personnel, et j'avoue me montrer régulièrement assez exigeante côté ambiance ;)
En revanche, ne doute pas du plaisir que j'ai pris à te lire ! Je développe un amour particulier pour les mariages précoces (Maeve ne m'a pas vraiment l'air disposée à se marier, c'est pour ça que je le nomme ainsi) car c'est une situation vraiment très intéressante je trouve, et si en plus c'est écrit aussi fluidement... Un régal ! J'ai très hâte de connaître la suite, et de voir à quoi ressemble (physiquement et moralement) son fiancé...
Puisse ton imagination fleurir comme une rose perlée de rosée !
Pluma.
Je suis contente si le lien avec Maeve est créé, je me suis tellement focalisée sur ça, et d'autres choses... j'ai eu du mal, sur ce chapitre, sur le suivant plus encore (loin de moi l'idée de te décourager). Et après, j'ai petit à petit réussi à écrire plus fluidement. Tout ce qui est autour de Maeve, les personnages, les lieux, l'ambiance, m'est maintenant plus simple à écrire ;) Il me tarde que tu en sois à ces moments-là où je pense que tu te régaleras plus !
A très vite, et encore merci :)
C'est marrant ce que tu dis sur les mariages arrangés car quand l'histoire m'est venue, moi la première je me disais "non mais quelle situation initiale vue et revue, depuis la nuit des temps", mais l'histoire ne partait pas. Finalement, voir justement comment revisiter / ou plus ? un schéma traditionnel m'a paru une façon valable d'aborder le trope. A moi de travailler pour faire en sorte que ce trope ne soit pas exploité comme un cliché !
Après avoir parcouru les commentaires qu'on t'a déjà laissés, j'ai envie de donner un avis un peu différent sur le discours de Perrhé. Je trouve que ce n'est pas grave qu'il sonne "récitation", car si ça fait plusieurs jours qu'il ne voit personne et réfléchit à ce qu'il va annoncer à Maeve, c'est normal qu'il ait préparé son truc. Il me fait l'effet d'un personnage très cérébral et intelligent, comme je les aime bien ; j'apprécie qu'il prenne le temps d'expliquer à Maeve son raisonnement plutôt que de juste lui imposer la chose sans précision. Mariage forcé certes, mais au moins il ne la prend pas pour une imbécile... Bref, je ne suis pas du tout gênée par sa façon de parler. À toi de voir si ce coté "récitation" colle avec son personnage ou s'il aurait plutôt été du genre à improviser son annonce (ça tu peux le montrer en ajoutant des marques d'hésitation, de sensibilité par exemple... mais est-ce que ça colle au perso ?).
Ensuite, je suis d'accord avec Rach sur le côté un peu "ossature" et aussi sur la scène entre Authave et Maeve. Je trouve ça un peu étrange qu'il se focalise ainsi sur la robe alors qu'elle vient de pleurer. La robe en soi est une idée intéressante car elle annonce en quelque sorte la fin du chapitre, le mariage qui arrive, signe de féminité tout ça tout ça. Mais à ta place, j'aurais fait en sorte que Maeve la remarque en entrant, sans trop s'en inquiéter, puis que peut-être Authave s'étonne de la présence de la robe et qu'elle lui réponde simplement qu'elle n'est pas à elle, point. Ça suffirait à en faire un indice. Le passage où Authave la taquine en lui demandant de l'enfiler me paraît vraiment en trop, et peut-être aussi le fait qu'il répète qu'il entend tout ce qui se passe dans sa chambre (à moins que ce soit important pour la suite, je ne trouve pas nécessaire d'appuyer autant dessus).
Deux autres points encore :
- Ce n'est pas le plus urgent, ça peut venir après dans une réécriture, mais je suis un peu en manque de descriptions au niveau des lieux. Exemple : on ne sait pas combien de temps a duré le trajet entre le campement (dont on ne savait quasi rien d'ailleurs : des tentes ou des bâtiments ? forêt, plaine ? montagne ? très grand, isolé ou non ?) et la Citadelle (idem : au milieu d'une ville ou isolée ? quelle taille, à peu près ? ta phrase sur les pierres blanches pourrait être poursuivie : "les pierres blanches étaient toujours aussi froides, les tours toujours aussi sévères..." par exemple ! à toi de voir sur quels éléments tu veux attirer notre attention). J'en ai besoin pour m'immerger un peu mieux dans ton univers, mais c'est tout à fait subjectif. Quelques indications suffiraient très bien ! Quant à la description des personnages, la seule chose qui m'a réellement manqué, c'est une approximation de l'âge d'Authave, que je n'arrive pas à estimer. Pour le reste, je me fais une idée des persos en fonction de leur attitude, donc je vois Maeve plutôt brune, avec les cheveux aux épaules, et le grand-père très rectiligne avec des cheveux parfaitement blancs. J'espère que je suis pas trop loin, parce que le mal est fait xD
- Concernant les dialogues, les tiens font très théâtre, en fait, avec souvent des répliques courtes et successives (hors discours grand-papal). C'est un style, ça se défend, mais il faut faire attention à ses écueils. Récemment, dans un bouquin sur l'écriture, l'auteur disait que chercher à s'approcher trop de la façon de parler d'un perso était une erreur, parce qu'un dialogue écrit est de toute façon une illusion, on ne rendra jamais le naturel de la réalité. Donc il conseillait, plutôt que d'imiter ce naturel, d'en créer un autre. Je trouve que c'est un bon conseil. Par exemple dans ce dialogue : "- Moi ? - Qui d'autre ? - Me marier ?" pourquoi Perrhé réplique aussi vite ? Est-il impatient ? Si oui, alors il faut renforcer cette impression. Si non, il peut aussi bien se taire et laisser Maeve bredouiller son étonnement, avant de lui rappeler ce qui compte vraiment, soit l'engagement pour le pays.
Voilàààà. Ça fait encore beaucoup de choses, j'espère que ça t'aidera ! N'hésite pas s'il y a des points dont tu veux discuter.
Pour un avis plus global, j'aime bien ce chapitre aussi, on avance sans traîner. Entre le décès et l'annonce du mariage, Maeve s'en prend plein la figure et on comprend sans peine qu'elle est partie pour de grands changements. C'est toujours bien d'avoir cette sensation au début d'un roman : l'idée que plus rien ne sera jamais comme avant. Ce début est prometteur !
À vite pour la suite :) (ci-dessous, les coquilles et autres notes
- "Le bruit de la porte qui crissait" > plutôt grinçait ?
- "petit-frère" > sans tiret
- Si Authave a eu la nouvelle du décès de Mayha une semaine plus tôt, pourquoi Maeve a-t-elle été prévenue si tard ? Il me semble qu'elle devrait au moins se poser la question.
- Il manque un point d'exclamation à "Qu'est-ce qui est magnifique ?"
- "La bougie à la main, il demeurait, ébahi, devant une robe en velours foncé, pendue au mur." > Trop de virgules, je trouve la phrase peu fluide. Une formulation comme "il était/restait bouche bée" ou "il béait d'étonnement" serait peut-être plus efficace ?
- "Elle ne connaîtra (connaîtrait) pas son commandement lorsqu’elle intégrera la division de magerie. Elle n’aura (n'aurait) plus ce phare qui éclaire son chemin, d’au loin, avec sa bienveillance du quotidien." > attention à la concordance des temps. Ton récit est au passé, donc tu ne peux pas utiliser le futur simple.
- "Sur le pallier" > palier
- "Je viendrais te voir après" > viendrai (futur et non conditionnel)
- "Perrhé Bressild observait un silence religieux." > Ça me fait drôle qu'il parle juste après, du coup. Peut-être "l'accueillit en silence" ?
- "entre-ouverte" > entrouverte ou entr'ouverte (le premier est plus fréquent)
Oui, j'entends totalement ce que tu dis sur la théâtralité. Les dialogues sont vraiment l'élément d'écriture avec lesquels je suis le moins à l'aise. Je cherche encore mon style pour les dialogues, et je suis totalement d'accord avec toi sur le fait qu'un dialogue n'a pas à refléter une vraie conversation. J'ai d'ailleurs éliminé déjà des traces d'oralité, mais il y a encore beaucoup à faire.
J'ai peut-être la mauvaise approche avec ce chapitre. Je sais qu'il y a beaucoup à retravailler, mais comme j'ai envie d'avancer la suite je me contente en général de "retouches" plutôt que d'une réécriture de fond. Il est certain que je le retravaillerai prochainement, et peut-être qu'une réécriture sera en effet plus efficace.
En attendant, j'en connais une qui va passer son dimanche (volets fermés, canicule oblige) à lire sur l'écriture des dialogues ! D'ailleurs si tu as des bonnes références en la matière, je suis preneuse de tes recommandations
Alors, j'ai farfouillé sur le forum et trouvé ça :
http://www.forum.plumedargent.fr/viewtopic.php?f=34&t=753
C'est un des articles que Cricri a écrit, sous forme de conseils d'écriture. Celui-là est sur les dialogues précisément, mais il y en a sur plein d'autres choses hyper intéressantes, vraiment bien écrits et inspirants <3 C'est dans cette section : http://www.forum.plumedargent.fr/viewforum.php?f=34&sid=62118ae89c335df98dd7c80606f109a9
Sinon, ce dont je te parlais dans mon commentaire c'est un livre qui s'appelle "Lettres à un jeune auteur" de Colum McCann. C'est absolument passionnant ! Ça ne parle pas seulement des dialogues mais de l'écriture en général. Ça se lit vite et bien et ça motive sacrément ^^
Mais une bonne façon d'améliorer ses dialogues à mon sens, c'est d'en écrire des tas. Petit à petit, la plume s'affine. Un conseil qu'on m'a donné quand j'étais au collège aussi, et que je garde toujours en tête, c'est qu'il faut faire attention de ne pas avoir l'effet "gros pâté de dialogue / gros pâté de narration", il faut essayer d'alterner les deux de façon fluide. Ce n'est pas forcément instinctif !
Bon courage si tu écris aujourd'hui !!
Pour aujourd'hui pas d'écriture, seulement de la lecture. Je suis une créature de nuit pour ces choses-là, la journée je m'abreuve de tout ce que je peux !
Je souscris à ce qui a été dit en commentaire. Pour ma part, je dirais que tu as « l’ossature » de ton chapitre, mais qu’il lui manque un peu de « chair », quelques descriptions des lieux ou personnages, des indications sur les attitudes ou ressentis des personnages. En particulier, il est important que tu nous donne des éléments (pas forcément une description « exhaustive ») sur Maeve, sinon le lecteur va se l’imaginer (par exemple brune), et si par la suite tu la décris (blonde), elle ou il sera déçu.e ou déconcerté.
Le passage sur la robe est un peu long, on se demande bien pourquoi ils passent l’un et l’autre autant de temps à disserter sur cette robe, comme s’il n’y avait rien de plus important. Ils viennent de se retrouver, ils devraient se demander des nouvelles, en particulier il me semble que la grande devrait demander au petit comment la vie se passe pour lui. Bon, en même temps la situation est stressante…
J’ai trouvé aussi que le discours du grand père faisait un peu « récitation » ; il est très clair dans les informations données, mais il manque un peu de naturel.
Sinon, ce qui m’a surpris, c’est qu’elle arrive dans la citadelle et file directement dans sa chambre sans voir personne, comme si c’était un moulin. Du moins c’est l’impression qu’on a, cela mériterait une ou deux phrases de mise en situation
Quelques détails :
une fierté tintée d’empathie : je ne comprends pas ici.
Et de si je le voulais ? l’enchainement avec la phrase précédente ne fonctionne pas.
sa respiration haletait : seule une personne peut haleter. Elle haletait ou sa respiration était haletante
Et pour les détails physiques de Maeve, je me pose encore la question... Dans une première version, je les avais intégrés, puis après j'avais aimé l'idée que chacun puisse se l'imaginer comme il le souhaite, pour mieux se l'approprier. Mais en avançant sur le chapitre 4, je me rends compte que je donne quelques indications sur tout le monde sauf elle, donc... Il y aura en effet sans doute une remise en cause de cette approche.
Noté pour les coquilles, merci pour ton aide !
Personnellement, j'aime bien qu'on me donne de petites indications, comme une particularité physique (un grain de beauté, des sourcils broussailleux, enfin un petit truc), ou un petit tic, enfin quelque chose qui rende le personnage plus concret et attachant. Mais c'est un goût personnel, je pense que tu peux rendre ton personnage attachant simplement grâce à sa personnalité sans aucun attribut physique.
Personnellement, j'aime bien qu'on me donne de petites indications, comme une particularité physique (un grain de beauté, des sourcils broussailleux, enfin un petit truc), ou un petit tic, enfin quelque chose qui rende le personnage plus concret et attachant. Mais c'est un goût personnel, je pense que tu peux rendre ton personnage attachant simplement grâce à sa personnalité sans aucun attribut physique.
J'en profite pour un nouveau retour : dans la phrase que tu as corrigée (Les poings serrés, sa respiration était haletante. ), tu as introduit une rupture de sujet (c'est Maeve qui a les poings serrés, pas sa respiration). Du coup, je te proposerai plutôt d'inverser : Sa respiration était haletante, ses poings serrés.
Je vais essayer de ne pas le doublonner, celui-ci !
Merci pour ton retour !
Le discours du grand-père sur la situation politique est clair et indispensable, il permet de mieux comprendre les enjeux. Sa décision paraît logique, mais on comprend la frustration de Maeve !
J'aime bien les prénoms que tu as choisi pour tes personnages : c'est original sans être difficile à lire ou à retenir. Sur la forme, j'aurais aimé un peu plus de descriptions physiques sur les personnages, pour mieux les imaginer !
Et pour les prénoms OUIIII MERCIIII !! Ca a été tellement dur de les trouver, pendant longtemps ils s'appelaient X Y et Z dans mes carnets car je n'avais pas de nom qui me satisfaisait et puis un jour, tadaaaaam ! Ils arrivent et c'est l'illumination, on les adopte en suivant.
Pour les descriptions Zoju m'avait aussi fait la remarque. Je verrai comment semer quelques petits détails par-ci par-là ;)
En tout cas merci beaucoup ! Je prends du temps sur ce début car il faut qu'il soit solide pour que la suite s'écrive sur de bonnes bases, et tes remarques sont des plus pertinentes ;)
Merci pour ton retour :)