Erian ouvrit les yeux, allongé sur l'herbe humide, le souffle court. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, et un goût de cuivre emplissait sa bouche. Le village avait disparu, avalé par la brume.
Il chercha Serra et Jarn du regard, mais leurs silhouettes s'étaient évaporées. Un sanglot lui échappa. Comme cette nuit où il avait perdu son chien Rouquin dans la tempête --- cette même sensation de vide béant.
--- Serra ! Jarn !
Sa voix se perdit dans le néant gris.
À ses côtés, un éclat métallique reposait, poli et gravé de symboles qui semblaient palpiter sous la lumière pâle. Il le saisit --- l'objet était chaud, presque tiède, et dès qu'il le toucha, une vibration étrange parcourut son bras. Comme quand grand-mère lui prenait la main pour "lire les signes" dans sa paume. Le fragment réagissait aux concentrations d'Odre : tiède près des lieux touchés par la force mystérieuse, froid dans les zones normales, chaud quand beaucoup d'Odre s'accumulait quelque part.
Le brouillard frissonna autour de lui. Une silhouette se dessina peu à peu : un vieil homme à la barbe blanche, aux yeux calmes et profonds.
--- Tu es réveillé, murmura-t-il d'une voix douce mais ferme.
--- Qu'... qu'est-ce qui s'est passé ? Où est ma sœur ?
L'homme détourna le regard vers l'horizon voilé.
--- Le silence a tout englouti. Ton village, ceux que tu aimes... ils ne sont plus ici. Dispersés, peut-être. Certains ne reviendront jamais, d'autres... qui sait ?
Un frisson parcourut Erian. Il compta machinalement jusqu'à dix pour calmer sa respiration --- une habitude que sa mère lui avait enseignée quand les orages l'effrayaient.
--- Cette chose que tu tiens résonne avec une force très ancienne. L'Odre suit des règles simples, garçon : plus tu en uses, plus il t'use en retour. Plus tu forces, plus il se rebiffe. Et surtout... il révèle qui tu es vraiment.
Le vent siffla doucement autour d'eux.
--- Les faibles deviennent pierre, les colériques brûlent, les perdus disparaissent. Ton village était silencieux depuis toujours... l'Odre a répondu à ce silence. Et ce fragment... il reconnaît la présence de cette force, rien de plus.
Le vieil homme recula doucement, s'effaçant dans la brume épaisse.
--- Cherche les autres. Tu n'es pas le seul à avoir survécu à l'impossible. Mais souviens-toi : l'Odre révèle toujours la vérité de ce qu'on est.
Erian resta seul, le fragment tiède en main, et le poids du mystère sur les épaules. Dans sa tête résonnait encore la mélodie que Serra fredonnait. Et cette voix plus ancienne, celle de grand-mère : "Les chansons se souviennent de ce qu'on oublie, petit."
Pourquoi moi ? Pourquoi pas elle ?