Aeryl n’était encore qu’une jeune fille, mais elle forçait déjà l’admiration au sein de son village. Elle ne faisait qu’un avec son arc, qui semblait, à s’en méprendre, n’être qu’une extension de son bras droit. Ses flèches à la pointe de fer dentelée trouvaient et harponnaient systématiquement leurs cibles.
- En plein dans le mille, comme toujours, soupira Kathleen découragée en allant chercher sa propre flèche, figée dans le sol à une dizaine de mètres derrière la cible.
Un sourire radieux éclaircit le visage ovale d’Aeryl.
- Leen, accompagne bien ta flèche jusqu’au moment où tu la lâches, la conseilla-t-elle.
Aeryl et Kathleen se différenciaient autant par leur apparence que par leur caractère. Aeryl dominait son amie d’une bonne tête et demie. Sa longue chevelure blond platine presque blanche, aux boucles prononcées, brillait d’un éclat angélique au soleil. Le pétillement de ses yeux témoignait de la jovialité de la jeune fille. Quoique assez ronde, sa grande taille lui permettait de dissimuler ses quelques kilos en trop.
- Je sais, tu me le répètes à chaque fois, Ae, mais je n’y arrive pas et ça a le don de m’énerver.
Kathleen, de nature plus frêle, avait la peau tannée par le bronzage et les cheveux noirs et ébouriffés. Ses yeux sombres et vifs ainsi que sa démarche autant énergique que saccadée achevaient de la présenter sous une forme espiègle.
Le ventre d’Aeryl émit un long gémissement, ce qui provoqua le rire railleur de Kathleen.
- J’ai toujours faim, se justifia Aeryl. C’est sans doute pour ça que je suis si grosse.
Ses fines lèvres laissèrent place à un sourire naturel encore plus éclatant que le précédent. Elle ne perdait jamais une occasion de se rabaisser. C’était pour elle le moyen d’encourager les autres à lui faire des compliments. Cependant, c’était mal connaître Kathleen que d’attendre ne serait-ce la moindre louange de sa part.
- Oui, pour une fois, je suis totalement d’accord avec toi, dit Kathleen dans un ricanement, avec l’humour atypique qui lui était propre.
Une expression à mi-chemin entre la stupeur et la vexation se dessina sur le visage d’Aeryl. Elle se détendit en réalisant que cette brimade, certes assez rude, n’était pas méchante dans le fond. D’une bourrade amicale, elle provoqua à son tour son amie.
- Ah, d’accord, tu me cherches ? Démarra Kathleen au quart de tour.
- C’est toi qui as commencée.
Entremêlées dans la boue, chacune les mains sur le visage de l’autre, cherchant à salir le plus possible son adversaire, Kathleen et Aeryl se chamaillaient comme elles en avaient pris l’habitude depuis qu’elles se connaissaient. Finalement, à bout de forces, Aeryl capitula et se laissa barbouiller le visage et les cheveux tout en émettant de petits couinements, signe de sa désapprobation.
- Tu n’es vraiment qu’une garce, s’insurgea-t-elle en commettant l’erreur de lâcher un léger sourire.
D’une rapidité hallucinante, Kathleen sauta sur l’occasion d’ajouter une touche de couleur sur les dents d’Aeryl.
- Là, tu as vraiment un sourire parfait, s’esclaffa-t-elle.
Aeryl adopta un air de dégoût et cracha par terre la boue qui s’était infiltrée jusque dans les interstices de ses dents.
Comme s’il ne s’était rien passé, la fille blonde déclara d’un air empreint d’une pointe d’amusement : « Je crois qu’il vaudrait mieux que j’aille me laver avant de manger ».
- Oui, tu as raison. Allons-nous baigner, acquiesça Kathleen en prenant la main de son amie dans la sienne.
Après quelques bousculades, moqueries amicales et éclats de rire, les deux filles arrivèrent au bord d’une petite rivière bordée par de hauts arbres particulièrement feuillus, qui dissimulaient les baigneuses des regards indiscrets. L’innocence et la joie de vivre se lisaient sur le visage des deux amies, même si Aeryl montrait davantage ses sentiments que Kathleen. Cette dernière profita qu’Aeryl eut le dos tourné pour l’arroser, ce qui avait toujours pour habitude de rendre folle la grande blonde. Aeryl se prépara à riposter quand une fleur inhabituelle attira son attention.
- Ti… tiens, une éphé… une éphémère, bégaya-t-elle, surprise.
Elle se frotta les yeux, n’arrivant pas à y croire. Quand elle les rouvrit, la vision de la fleur, qui avait perdurée, se fit plus précise. Sa bouche devint ronde d’incrédulité. L’éphémère ne survivait que quelques heures, après cela elle s’évaporait subitement dans l’air. De plus, cette fleur était d’une extrême rareté. La dernière fois qu’un oxatan avait pu en cueillir une, c’était il y a quatre générations de cela. Outre les potions surpuissantes que l’on pouvait fabriquer avec cette plante, elle possédait le pouvoir de soigner n’importe quelle blessure. Néanmoins, son utilisation nécessitait de fortes contraintes, dont la principale était qu’elle devait se trouver sous forme liquide.
Les yeux noirs de Kathleen se rétrécirent jusqu’à ne former que deux petites fentes. Soudain, ils s’ouvrirent en grand sous le coup de l’étonnement.
- C’est vrai, tu as raison. Je vais chercher une fiole. Toi, reste ici, intima-t-elle.
La vivace jeune fille revint seulement quelques minutes plus tard. Une fiole à la teinte bleu marine se tenait dans ses mains. Elle était essoufflée, jamais elle ne s’était autant dépêcher de sa vie. Avec une précaution extrême, Aeryl déracina la fleur, la plaça au fond de la fiole de verre et la reboucha avec empressement. Quelques instants plus tard, la fleur se vaporisa dans un éclatement de fines particules bleutées, dû à la teinte de la fiole.
- Il faut aller voir Amos, suggéra Kathleen. Peut-être nous enverra-t-il à Palid pour y rencontrer l’atiki.
Les oxatans possédaient de grands talents dans les trois domaines de l’archerie, de l’alchimie et de la médecine et idolâtraient trois chefs : l’atiki, le kimyagar et le hekim, qui étaient devenus maîtres dans chacun de ces domaines. Ils étaient comparés à des demi-dieux, et vivaient à l’intérieur de Palid, un arbre millénaire et gigantesque que les oxatans avaient aménagé en petite ville et désigné comme capitale.
- J’aimerais tellement le rencontrer, soupira Aeryl. Mais on dit qu’il ne sort jamais.
- Oui. C’est ce que disent les rumeurs, mais elles disent aussi qu’il mesure trois mètres de haut et qu’il est capable de déraciner un arbre rien qu’avec la force de ses bras, ironisa son amie.
- Et alors qu’est-ce que tu en sais ? Moi, j’y crois en tout cas.
- Ça ne m’étonne pas de toi. Tu es prête à gober tout ce qu’on te raconte, la taquina Kathleen.
- Pff. Évite de parler devant Amos, sinon tu vas encore tout gâcher.
Les deux filles étaient rentrées au village et arrivèrent devant la demeure du chef du village. Aeryl entra la première et trouva Amos paisiblement affalé dans un énorme fauteuil, bien trop grand pour lui. Ce dernier, en remarquant la présence de ses deux protégées, leur adressa un grand sourire.
- Amos. On a trouvé une éphémère, commença Aeryl.
Le vieillard se redressa si vite de son fauteuil qu’il faillit en perdre l’équilibre.
- On va aller chez l’atiki pour qu’il nous dise quoi en faire, continua Kathleen, faisant fi de la recommandation de son amie.
Cette fois, c’était trop pour Amos qui se retrouva les fesses par terre.
- Comment ça ? Non, c’est hors de question, s’emporta Amos, après s’être relevé.
Malgré son gabarit menu et chétif, Amos imposait un certain respect de par son âge avancé et sa longue barbe entièrement blanche. Il s’assit en tailleur sur un lit de feuilles tressées et posa sur ses genoux un imposant arc décoré par de multiples trophées allant de dents d’animaux à de petits bouts de fourrures. Amos était le chef du village, et en tant que tel, il prenait toutes les décisions importantes.
- Tu ne peux pas nous retenir ici.
Kathleen ne décolérait pas. Elle faisait les cent pas devant Amos qui la regardait de travers. Le caractère bouillonnant de Kathleen ne plaiderait pas en leur faveur et Aeryl le savait pertinemment. Elle devait trouver des arguments qui feraient plier le chef du village. Mais avant tout, il fallait que Kathleen se calme. Aeryl prit la main de son amie et l’incita discrètement à la laisser faire. Après un regard furtif de Kathleen, cette dernière se décida à se retirer de la discussion, du moins temporairement.
- Amos, je sais qu’un oxatan doit attendre l’appel de la forêt avant de partir de son village. Cependant, notre cas est unique, nous avons trouvé une éphémère. Fais une entorse à la règle, pour une fois, et permets nous de rejoindre le monde des adultes ce soir.
Les traits d’Amos se détendirent face à la voix apaisante d’Aeryl. Il caressa sa barbe en s’abandonnant à la contemplation de son arc et répondit:
- Aeryl, l’appel de la forêt est une cérémonie très importante dans la vie d’un oxatan. Vous êtes toutes les deux beaucoup trop jeunes et je n’ai pas envie de vous lâcher dans le monde extérieur sans parfaire votre apprentissage.
Amos tirait maintenant sur la corde de son arc. Sa crispation montrait qu’il pesait le pour et le contre. C’était sa chance, pensa Aeryl, le vieillard est en train d’hésiter, il fallait qu’elle le persuade maintenant.
- Je le sais bien et nous te remercions de t’inquiéter autant pour nous, Amos. Mais c’est notre choix et tu dois le respecter. Je suis la meilleure archère du village et je pourrais nous défendre des menaces qui nous attendent. N’aie crainte.
Amos caressa sa barbe de plus en plus rapidement, puis d’un coup, il cessa de la tripoter. Il avait pris sa décision.
- Soit. Mais vous allez devoir me laisser l’éphémère jusqu’à ce que vous ayez surmonté l’appel de la forêt. L’épreuve aura lieu demain.
Aeryl laissa le vieil homme prendre le flacon bleu, qui contenait l’éphémère, dans ses doigts fébriles et le disposer dans un petit coffre. Il chassa ensuite d’un geste de la main les deux jeunes filles et se replongea dans son confortable fauteuil de fourrures.
- Comment as-tu fait ?
Le regard furibond de Kathleen avait cédé la place à des yeux remplis d’admiration pour son amie.
- Amos n’a jamais pu me résister, dit Aeryl en s’esclaffant.
- Ah oui, c’est vrai, j’oubliais que tu es la préférée du village, rétorqua son amie d’un regard noir.
- Ne t’inquiète pas, un jour toi aussi, tu auras droit à ton heure de gloire.
- En attendant, il faudrait déjà qu’on réussisse l’épreuve de demain.
- Oui, tu as raison, répondit Aeryl, le regard empreint de gravité.
Beaucoup moins de répétitions que dans le premier chapitre, donc plus à agréable à lire.
Quant à Aeryl, elle m'accroche plus que Ewin. Déjà, je trouve ça chouette de mettre en scène une héroïne ronde (on en manque dans la fantasy jeunesse !) et sa relation avec sa meilleure amie est chou ^^
Des termes de ton univers apparaissent et j'ai envie d'en savoir plus !
Ah je suis content que mon écriture s'est un peu améliorée.
Petite remarque: j'ai écrit l'histoire d'Ewin d'abord, donc à ce moment j'était encore très peu familier avec l'écriture, donc ça risque d'être assez moche à lire ;)
Content qu'on soit du même avis : il manque d'héroïnes rondes !! Personnellement Aeryl est aussi un de mes perso préférés.
Mais oui, pour l'instant, elle me plaît, Aeryl :)