Chapitre 3 : L’appel de la forêt

Amos avait sorti son plus beau manteau en peau de fourrure pour l’occasion et il arborait avec fierté son arc démesurément grand par rapport à sa propre taille. Il avait même tressé sa barbe, ce qui était assez rare pour le souligner.

- Mes Chers Amis, bonjour. Aujourd’hui, nous nous sommes réunis pour encourager deux de nos jeunes enfants à devenir des guerrières oxatans.

- Mais avant de devenir des guerrières, il faut que vous prouviez au village votre valeur. Pour cela, je vais vous soumettre au jugement des dieux de la forêt.

Il descendit du promontoire sur lequel il était perché et passa son arc autour de son épaule.

- Aeryl, Kathleen, approchez.

Les deux jeunes filles s’approchèrent. Si Kathleen semblait impatiente de commencer l’épreuve, Aeryl, elle, sentait un léger vent de panique la gagner petit à petit.

- Je sais que vous connaissez déjà les détails de l’épreuve. Cependant, comme le veut la tradition, je vais vous les rappeler, s’adressa-t-il à l’assemblée de personnes réunies devant lui ainsi qu’aux deux jeunes filles. Vous devrez passer une nuit entière dans la forêt et revenir au village le lendemain matin avec un trophée de chasse.

- Oui, on sait. Est-ce qu’on peut y aller maintenant, s’impatienta Kathleen.

- Non, pas encore. Cette épreuve va vous demander beaucoup de prudence. La forêt est très dangereuse, surtout en pleine nuit. Faites particulièrement attention aux panthères, ce sont des bêtes féroces et sanguinaires et elles ne vont pas hésiter à vous prendre par surprise.

- Ce ne sont rien de plus que de gros chats, rien de plus, osa Kathleen pour détendre l’atmosphère.

Mais sa blague eut plutôt l’effet inverse. Amos commençait à se demander s’il avait fait le bon choix en les autorisant à prendre part à l’épreuve. De nombreux jeunes oxatans périssaient lors de cette épreuve et elle était loin d’être anodine.

- Soyez prudentes toutes les deux. Ce n’est pas un jeu, conclu-t-il en tournant les talons.

La jeune fille blonde pouvait sentir son cœur tambouriner dans sa poitrine. Elle essaya de chercher du courage auprès de son amie, mais Kathleen regardait droit devant elle, le regard rempli de détermination. Contrairement à cette dernière, l’angoisse se lisait sur le visage d’Aeryl, qui avait perdu son sourire habituel. Ses parents, sentant l’angoisse qui agitait leur fille, s’approchèrent d’elle et la serrèrent dans leurs bras.

- Courage, ma fille. Je suis tellement fier de toi, l’encouragea son père.

Quant à sa mère, elle se contenta d’un sourire forcé et d’un « bonne chance » hésitant. Pendant ce temps, Kathleen s’occupa de faire l’inventaire de ce qu’elle avait emmené. Elle était armé jusqu’aux dents avec son couteau de chasse accroché à sa ceinture, son couteau à cran d’arrêt enfouit dans sa botte et enfin ses deux couteaux de lancer qu’elle tenait fermement dans chacune de ses mains. Elle avait préféré ne pas s’encombrer d’arc. De toute façon, elle n’atteignait jamais la cible. Quant à Aeryl, c’était tout le contraire, elle n’avait pour armement que son arc en bandoulière et son carquois, rempli de flèches.

La crispation gagnait Aeryl à mesure que les deux filles s’approchèrent de l’entrée de la forêt. La sueur perlait sur son front et son sourire avait quitté ses lèvres épaisses et rosées. Elle n’avait jamais éprouvé autant de terreur et d’appréhension qu’en cet instant. C’était la première fois qu’elle s’aventurait hors des limites de son village et cela la rendait nerveuse. Esquissant un regard à sa gauche, elle vit la sérénité inflexible de Kathleen. Comment faisait-elle pour rester aussi calme alors que l’épreuve qu’elles s’apprêtaient à affronter terrifiait même leurs aînés ? Pourtant, l’assurance de son amie déteignit sur elle, et Aeryl reprit confiance. Elle ferma les yeux quelques secondes et, quand elle les rouvrit, son regard s’était métamorphosé, il dégageait maintenant une détermination sans faille.

Les deux filles s’introduisirent dans les tréfonds de la forêt. Les ombres fantomatiques des arbres et le bruissement du vent à travers les feuilles semblaient venir tout droit d’un film d’horreur. Chaque craquement de branche, chaque frémissement dans un buisson mettaient les deux filles en état d’alerte. Aeryl serrait son arc dans sa main droite, une flèche déjà encochée et prête à être décochée. Kathleen, un couteau de lancer dans chaque main, scrutait des yeux, tel un épervier, le moindre mouvement aux alentours.

- Il faut trouver un abri haut perché, chuchota Kathleen. On pourrait alors chasser sans risquer de se faire attaquer.

Aeryl acquiesça d’un simple signe de tête. Son amie avait raison, elles étaient bien trop à découvert au milieu de cette forêt dense. Elle se remémora les conseils de survie prodigués par l’ancien du village.

- Un endroit près de la rivière serait parfait. On pourrait chasser les animaux qui se désaltèrent, approuva-t-elle.

- Bonne idée, articula Kathleen du bout des lèvres.

L’écoulement de la rivière se faisait entendre de là où elles se trouvaient. Il leur suffisait de suivre le bruit régulier de l’eau martelant les pierres. Lorsqu’elles arrivèrent au lit de la rivière, elles purent alors avoir une vue dégagée sur ce qui les entourait. Un promontoire de pierre se présentait à elles de manière inespérée. C’était l’abri parfait : il offrait une vue panoramique des environs et se situait en hauteur.

Alors que Kathleen escaladait déjà la pierre colossale, son amie prit le temps de se désaltérer. La fille à la peau mate eut à peine le temps de se mettre debout sur le promontoire, qu’un feulement rauque lui arracha un frissonnement d’horreur. Une énorme panthère noire, se tenait derrière Aeryl. Cette dernière paralysée par la peur, n’osait plus bouger le moindre muscle. La bouche pleine d’eau, elle ne se risqua même pas à déglutir. Le gros matou se rapprochait dangereusement et Kathleen sortit ses couteaux de lancer qu’elle avait rangé le temps de l’escalade.

Jugeant la panthère trop proche de son amie, Kathleen amorça le tir et lança de toutes ses forces un de ses couteaux qui manqua sa cible de quelques bons mètres. La panthère, folle de rage, émit un rugissement tonitruant qui poussa Aeryl à lui faire volte-face. Le félin banda les muscles de ses pattes arrières et s’élança vers Aeryl, qui prise de panique cracha l’eau contenu dans sa bouche, ce qui eut pour effet de surprendre la panthère. Transcendée par l’adrénaline, elle traversa la rivière en quelques instants.

Alors qu’elle amorçait la montée du rocher pour rejoindre sa camarade, la panthère se remit de sa stupeur et fondit de plus belle vers sa proie, toutes griffes dehors. Aeryl comprit qu’elle n’aurait jamais le temps de grimper avant que la panthère ne lui broie les os. C’en était fini d’elle. Elle ferma les yeux et tenta de rassembler le peu de courage qu’il lui restait. Quitte à tout perdre, elle devait affronter la panthère dans l’espoir de la vaincre. Avec une vitesse surprenante, Aeryl tourna la tête et fixa la panthère, droit dans les yeux avec une lueur de défi. Nullement intimidée par la tentative désespérée d’intimidation de la jeune fille, le félin ouvrit une gueule fournie d’innombrables dents pointues.

Alors que tout semblait perdu, un couteau, sorti de nulle part, vint se figer dans la gueule béante du matou, qui s’affaissa dans un dernier geignement. Aeryl n’en revenait pas. Son amie pourtant si imprécise dans ses tirs venait de lui sauver la vie.

Son cœur palpitait et tambourinait dans sa cage thoracique. Ses jambes tremblaient encore de peur. Aeryl ne put réprimer des larmes incontrôlables qui coulaient de ses yeux sous l’effet de l’émotion qu’elle venait de vivre. Kathleen descendit d’un bond de son rocher et prit son amie, encore sous le choc, dans ses bras.

- C’est fini, murmura-t-elle d’une voix qui se voulait apaisante, en caressant les cheveux blonds d’Aeryl.

Kathleen l’aida tant bien que mal à monter sur le promontoire et lui suggéra de se reposer pour se remettre de ses émotions. Le visage encore plus pâle que d’habitude, Aeryl n’arrivait pas à refaire surface. La vision de sa propre mort l’avait bouleversée au plus profond d’elle-même. S’en suivrait un état de choc, elle le savait déjà. Mais il fallait voir les choses du bon côté, elle s’en était sortie. Grâce à un miracle ? Peu importe ! Aeryl sécha ses larmes et se força à sourire à son amie.

- Tout va bien, merci. Tu sais, j’aurais très bien pu m’en sortir toute seule, précisa-t-elle pour se redonner du courage. Après tout, ce n’était qu’un gros chat.

Kathleen n’eut pas le cœur à la contredire et s’abstint de tout commentaire ironique ou railleur.

- Je le sais bien, souffla-t-elle sans y croire un seul instant.

Bien à l’abri en haut de leur pierre, les deux filles alternèrent les tours de garde jusqu’à la tombée de la nuit. Encore la nuit à tenir et la cérémonie s’achèverait. Mais elle promettait d’être longue, très longue.

Le soleil venait à peine de disparaître derrière la cime des arbres, que le chuintement angoissant des chouettes se répercutait sur les arbres, en créant une chorale insolite et inquiétante. De temps à autre, un battement d’ailes se distinguait du silence accablant qui régnait en l’absence du hululement intempestif des chouettes. Les deux filles auraient dû trembler d’effroi dans la nuit ténébreuse, presque malsaine, mais éprouvées par la journée, elles se laissèrent aller à un sommeil tourmenté.

*

- Aeryl.

Une voix lointaine résonnait dans sa tête, comme si quelqu’un s’était introduit à son insu dans son crâne et le martelait avec son prénom.

- Aeryl !

La voix, plus insistante semblait venir de plus près, comme si elle était proche, et en même temps venue d’un autre monde.

- Aeryl, réveille-toi !

Cette fois, la jeune blonde ouvrit de petits yeux lourds de fatigue, et vit une tête auréolée d’un anneau lumineux qui la fixait avec attention. Sa vision se faisant plus précise, elle reconnut son amie d’enfance, Kathleen qui tentait de la réveiller. Les rayons du soleil perçaient déjà à travers les arbres, ce qui créait un halo lumineux autour de Kathleen. Aeryl se débattit mollement, elle n’avait pas assez dormi à son goût et comptait bien finir sa nuit, n’en convienne à son amie.

- Laisse-moi dormir, s’exaspéra-t-elle.

- Allez ! Lève-toi ! Notre épreuve est finie.

L’épreuve ? Mais oui bien sûr. Comment avait-elle pu l’oublier. Elles avaient surmonté l’appel de la forêt et allaient être considérées comme des guerrières dorénavant. Mais plus important encore, elles pouvaient dès à présent se rendre à Palid.

Une note d’inquiétude gagna Aeryl le temps d’un soupir. Son rêve allait se réaliser, et c’est ce qu’elle avait toujours désiré, mais en contrepartie elle allait devoir se séparer de ses parents et ça lui fit un léger pincement au cœur rien que d’y penser. Elle décida de mettre de côté ses appréhensions, elle savait que tout rêve demandait des sacrifices, et elle se sentait prête à se lancer dans cette nouvelle aventure épaulée de sa fidèle amie.

Emportant avec elles la dépouille de la panthère, symbole de leur victoire contre les prédateurs de la forêt, elles regagnèrent l’entrée du village. Aeryl se sentit bien idiote en regardant le corps inerte de la bête. Elle qui s’était toujours sentie en sécurité avec son arc, elle n’avait même pas eu le temps de l’arracher de son épaule et s’était par la même occasion retrouvé sans défense. Si la route jusqu’à Palid s’annonçait aussi dangereuse, elle ne donnait pas cher de leur peau. Une chance inouïe les avait, elle et son amie, sortie de ce pétrin. Enfin, surtout elle. Mais Aeryl ne se berçait pas de douces illusions, le destin et la chance n’existait pas, ce n’était en réalité que des coïncidences. Et celle d’aujourd’hui avait eu un dénouement heureux.

Des cris et des applaudissements tirèrent Aeryl de ses pensées. Telle une haie d’honneur faite à des héros de guerre, le village en entier s’était séparé en deux rangées et acclamait les deux filles. Une larme dans le coin de l’œil, la mère d’Aeryl brisa les rangs. Elle accueillit sa fille les bras grands ouverts, et l’aurait probablement renversé si la grande blonde avait été plus frêle. Puis vint le tour d’Amos de s’approcher des deux chasseuses de panthère.

- Bravo à toutes les deux. Pour être honnête avec vous, j’ai amèrement regretté ma décision de vous avoir laissé partir. Je… Enfin, je redoutais d’avoir lâché deux jeunes filles innocentes dans la fosse aux lions et je m’en serais voulu toute ma vie s’il vous était arrivé quelque chose. À présent, je me rends compte que j’ai affaire à deux chasseuses talentueuses, dit-il avec un clin d’œil malicieux.

- Qu’on fasse un grand feu pour y cuire la proie, puis festoyons en l’honneur de Kathleen et Aeryl, hurla un homme qui se dirigeait en direction des deux filles pour les féliciter.

La foule admirative encercla les deux héroïnes du jour au rythme de chaleureuses accolades et de félicitations pour leurs exploits. Revenir de l’épreuve avec une proie inspirant un mélange d’émerveillement et de crainte n’était pas commun. Une vieille dame disait à qui voulait l’entendre qu’elle ferait un magnifique manteau avec la fourrure de la panthère. Une autre répétait qu’elle pourrait faire des bijoux éblouissants avec ses dents et ses griffes. Les villageois se bousculaient pour avoir l’honneur de glisser quelques mots ou de serrer la main des deux amies.

-La nuit n’a pas été trop difficile ?

Le père d’Aeryl, accompagné des parents de Kathleen, avait réussi, grâce à des coups de coude bien placés, à se frayer un chemin à travers la foule hystérique.

-Non papa, tout c’est bien passé. Enfin, grâce à Kathleen, c’est à elle que revient le mérite d’avoir tué la panthère, et elle m’a aussi sauvé la vie par la même occasion.

Laissant retomber sa mâchoire, comme si elle était subitement devenue trop lourde pour lui, le père de Kathleen lâcha un petit cri de stupéfaction. Ses grands yeux, dont les sourcils arqués trahissaient une soudaine incrédulité, se tournèrent avec lenteur vers le visage de sa fille. Le pauvre homme n’avait jamais cru en elle et encore moins en ses capacités. Le voilà tout retourné d’apprendre que sa fille venait de tuer un animal sauvage, et encore plus de se faire à l’idée qu’elle avait sauvé la vie de quelqu’un. « Pas étonnant que Kathleen n’ai jamais cru en elle, son père la considère comme une moins-que-rien », songea Aeryl.

-Kathleen ? dit son père encore sous le choc des récentes révélations. C’est vrai tout ça ?

Cette dernière, aussi farouche qu’à l’accoutumée, répondit avec brutalité aux propos lourds de sous-entendus de son père.

-Oui. Mais ne t’en fais pas, ce n’était qu’un coup de chance.

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DraikoPinpix
Posté le 06/01/2020
Encore un chapitre bien sympa à lire ! Tu décris bien l'ambiance de la forêt et on est avec les jeunes filles (malgré quelques soucis de répétitions. M'enfin, je me répète aussi). L'action s'enchaîne, on est plongé dedans. J'ai hâte d'en savoir plus.
Pauvre Kathleen, quand même ! C'est triste d'un voir un père comme celui-là ! Je lui souhaite bien du courage.
Tes héroïnes sont très humaines face au danger et ça me plaît :)
clemesgar
Posté le 11/01/2020
Merci ;)
Mais maintenant que tu le dis, je me rends vraiment compte que j'utilise trop les adverbes en -ment . Je devrais peut-être simplifier mon écriture tout en diversifiant mon vocab'. Ca va être dur - -'.
Ne t'inquiètes pas pour Kathleen, elle en a à revendre du courage !
Oui ;) perso j'ai horreur du côté super-héros que peuvent avoir certains personnages de livre. J'ai tendance à aimer les personnages plein de faiblesses mais qui vont avoir autant de ressources pour s'en sortir (ou pas).
"Ceux que l'on imagine capable de rien font parfois des choses que personne n'aurait imaginé".
DraikoPinpix
Posté le 11/01/2020
On est d'accord ! Moi aussi j'aime ce type de personnages ^^
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