Quelques mois plus tard, dès les premières lueurs de l’aube au sein du dôme numéro 1, de nombreux véhicules entamèrent leur trajet vers les villages alentour. L’un d’eux était en route vers celui du jeune garçon. Il se dirigeait à grande vitesse le long de la voie suspendue qui reliait l’énorme métropole au minuscule groupe d’habitations, si frêles comparées au gigantisme des édifices de la cité.
Un de ses deux occupants consultait les données affichées sur l’hologramme que projetait, en face de lui, un petit assistant virtuel. Ce dernier épousait exactement les formes de son avant-bras, auquel il était fixé à l’aide d’une lanière élastique. Il s’agissait d’une liste d’adresses d’enfants… qui venaient juste d’avoir douze ans !
Ce matin-là, je restai seul à la maison avec ma mère ; mes frères et sœurs étant soit à l’école, soit chez des amis en train de jouer. Rien d'inhabituel… jusqu’à ce qu’elle vienne me rejoindre dans ma chambre afin de m’aider à remplir une petite valise.
Deux hommes, habillés d’un uniforme gris argenté, se présentèrent à notre porte. J’avais le pressentiment que quelque chose d’inhabituel allait m’arriver. J’en avais peur. Je ne voulais pas les voir ! Ma mère, ne se souciant guère de mes états d’âme, les laissa entrer.
Ils m’expliquèrent qu’ils allaient m’emmener dans une des pyramides du « Système Préparatoire ». Je n’en avais encore jamais entendu parler, ni par mes proches, ni lors des cours que l'on nous donnait à l’école de notre village. Peut-être mes parents n’avaient-ils pas osé aborder ce sujet ? Ou bien n’en avaient-ils tout simplement pas reçu la permission ?
Je me retrouvai subitement arraché aux rêveries de mon enfance. J’avais l’impression d’être littéralement projeté dans le vide !
Tout cela expliquait-il les disparitions de mes aînés ?
Ma mère me sourit gentiment en affichant une expression qui ressemblait bien plus à de la pitié qu’à de la joie. Mon père était revenu tout spécialement pour être présent le jour de mon départ ; sans doute savait-il à quel point je m’étais attaché à lui. Lorsque je lui demandai ce qui allait m’arriver, il me répondit tout simplement :
— Ne t’en fais pas, nous passons tous par là. Tu vas devenir un homme, comme moi !
La révolte qui grondait dans mon cœur, à cet instant précis, me donna enfin le courage de soulever ce sujet tabou qui semblait effrayer tout le monde :
— Pourquoi n'avoir rien dit ? Pourquoi ne pas nous avoir préparés à cela ?
— À quoi cela vous aurait-il servi ? rétorqua-t-il d’un ton sévère, auquel il ne m’avait pas habitué. Tu veux vraiment tout savoir à l’avance… Et bien, sache qu’un jour tu vas mourir, comme chacun d’entre nous ! Te sens-tu mieux, maintenant ? Regarde les animaux que nous élevons dans nos champs. Crois-tu qu’ils profiteraient plus de leur courte vie s’ils savaient qu’ils finiraient irrémédiablement dans nos assiettes ? Nous les laissons paisiblement paître ici, tant qu’ils en ont la possibilité. Et c’est, en quelque sorte, ce que nous faisons avec vous également… Ne t’en fais pas. Ces deux hommes ne vont pas te conduire aux abattoirs. Mais ton existence va changer. Fini de jouer dans les champs avec tes amis ! Il va te falloir apprendre à travailler, à te rendre utile… Notre silence t’aura au moins permis de profiter jusqu’au bout de ton enfance insouciante. Comme je viens de te le dire : il est temps pour toi de grandir !
Ma mère l’interrompit, sur un ton plus doux, mais toujours aussi ferme. Sa voix était grave et teintée de cynisme :
— S’il te plaît. Arrête de te poser trop de questions à propos de ton avenir. Tu ne pourras jamais rien y changer. Accepte le sort que la Fédération aura choisi pour toi ; tu sais que ce sera pour le bien de tous, et donc pour le tien également…
Ce fut l’arrêt de cette vie idyllique ; la soumission totale à des règles qui me paraissaient trop complexes pour être définies de façon objective. Les adultes leur avaient donné plusieurs noms que je garderais toujours gravés dans ma mémoire. Il s’agissait de la toute puissante « Fédération », de ses « Commandements », et des « Devoirs » que nous avions envers elle…
Mes parents restèrent étrangement calmes, comme si ce qui était en train de m’arriver était tout à fait normal. Leurs gestes, de même que leurs paroles, dénonçaient une routine presque parfaite. Cette froideur quasiment inhumaine, à laquelle je n’étais pas habitué, me choqua profondément.
Je m’aperçus très vite qu’ils ne me souriaient que lorsque je les regardais. Mais il ne me sembla pas utile de le leur faire remarquer. Que pouvaient-ils bien penser à cet instant précis ? Je ne le saurais sans doute jamais. Tout cela ne venait qu’aggraver la tristesse de ce départ, qui me semblait être à la fois le premier et le dernier !
L’un des deux hommes me prit par l’épaule en m’entraînant hors de notre demeure. L’autre porta la petite valise qui contenait mon précieux carnet, accompagné de quelques vêtements et affaires de toilette. Je n’osais ni me retourner ni regarder devant moi. Je ne voulais pas connaître l’endroit où ils m’emmenaient.
J’étais révolté à l’idée de devoir quitter ces lieux ainsi que ceux et celles qui avaient fait partie de ma vie, jusqu’à présent. Mon corps tout entier semblait paralysé. Mes petites mains s’étaient crispées de façon incontrôlable. Elles me faisaient penser à deux araignées effrayées, pétrifiées, dans l’attente d’une mort quasi certaine.
Quelques larmes providentielles vinrent à mon secours, rendant ma vision trouble, inapte à figer cet instant que je n’aspirais qu’à effacer de ma mémoire ! Le seul souvenir qui m’en resta fut l’empreinte de mes pieds foulant une dernière fois l’herbe de notre jardin. Son odeur si familière resterait ancrée à tout jamais dans mon subconscient. C’était l’odeur des miens, de mon enfance, que j’espérais tellement pouvoir retrouver un jour…
Un léger son de flûte me fit immédiatement relever la tête dans sa direction. C’était mon étrange visiteur, aux jambes de bouc, venu assister à mon départ. Il prit place à mes côtés, sans qu’aucun autre acteur de cette triste scène ne s’aperçoive de sa présence. Il m’adressa à nouveau la parole, comme par télépathie :
— N’aie pas peur. Tout se déroule comme prévu. Laisse-toi guider par ton intuition. Tu sentiras quand et comment ta destinée se présentera à toi. Ce monde n’est pas vraiment le tien, mais il a grandement besoin de ton aide !
La senteur de l’herbe devint soudain plus intense qu’auparavant. J’étais conscient de chaque goutte d’eau qui reposait sur chaque brindille. Sa couleur verte était pratiquement devenue aveuglante. Un émerveillement indescriptible s’installa en moi, me faisant oublier la peur et le chagrin qui venaient de m’envahir.
Je répondis intérieurement à mon étrange interlocuteur :
— Vas-tu, toi aussi, me quitter ?
— Ne t’en fais pas, je resterai présent tant que tu sera sur notre planète. Je ne t’abandonne pas. Fais ce qu’ils te demandent, c’est le sort de tous les enfants de ce monde. Mais aies confiance en ta force intérieure, elle viendra te guider et t’aider à découvrir ta voie…
Ces dernières paroles résonnèrent à la façon d’un écho se dissipant lentement au fond de mon esprit confus. Les injonctions des deux hommes me ramenèrent rapidement à la réalité.
Nous entrâmes dans le véhicule, que je reconnaissais pour en avoir vu de temps à autre s’aventurer jusqu’ici. Mes parents s’en étaient approchés prudemment, comme s’ils en avaient eu peur. Ils me fixèrent une dernière fois, à travers la porte vitrée qui venait de se refermer. Je pouvais toujours lire sur leur visage ce sourire forcé, qui disparaissait dès que mon regard se détournait d’eux.
De multiples voyants lumineux s’allumèrent autour de nous, signalant l’imminence de notre départ. Une légère vibration, accompagnée d’un bruit sourd et de la sensation d’être aspiré vers l’arrière, me cloua à mon siège. Mon père, ma mère, de même que mon mystérieux visiteur, n’étaient déjà plus que de minuscules points à l’horizon. La pensée que de si petites silhouettes aient pu revêtir tant d’importance à mes yeux me fit presque sourire !
Je fus le premier enfant qu'ils vinrent chercher ce jour-là. Cela me permit de rester assis à l’avant du véhicule, tout près d’eux. Nous nous arrêtâmes à plusieurs autres endroits afin d’y récolter les enfants qui, tout comme moi, venaient juste d’avoir douze ans…
J’hésitai longuement avant d’oser adresser la parole à mes convoyeurs. Mais tant de questions me brûlaient les lèvres que je ne pus m’empêcher de les interpeller. J’ouvris la bouche, en retenant mon souffle pendant quelques interminables secondes :
— Où nous emmenez-vous ? leur demandai-je finalement, d’une petite voix timide.
— Dans une grande école où vous apprendrez un tas de nouvelles choses. C’est là que vous sera enseigné tout ce que vous devrez savoir pour pouvoir exercer votre tâche au sein de notre société.
Il s’avérait donc que le fait d’entamer ma vie d’adulte impliquait mon extraction définitive du cocon familial, qui m’avait vu naître et grandir… Personne ne m’avait préparé à cela ! Mon avenir qui m’avait toujours enthousiasmé, m’effrayait à présent.
Après avoir franchi les imposantes portes de notre barrière de protection, nous nous dirigeâmes à travers les Territoires Interdits, le long d’une gigantesque allée suspendue. Elle cheminait à une trentaine de mètres de haut, reposant sur un alignement d’innombrables pylônes qui semblait n’en plus finir.
On ressent bien les émotions de notre héros, ce départ si dur et les réactions si froides de ses parents. J’ai mal au cœur pour lui ! C’est très bien fait.
J’ai vraiment apprécié la réapparition du petit leprechaun, cela fait du bien dans cette scène, et ses paroles permettent de prendre du recul sur les épreuves de la vie.
Côté relecture, si je peux apporter mon avis et aider à quelque chose, je n’aurais construit ce passage dans ce sens-là :
« Ce fut l’arrêt de cette vie idyllique ; la soumission totale à des règles qui me paraissaient trop complexes pour être définies de façon objective. Les adultes leur avaient donné plusieurs noms que je garderais toujours gravés dans ma mémoire. Il s’agissait de la toute puissante « Fédération », de ses « Commandements », et des « Devoirs » que nous avions envers elle…
Tout cela expliquait-il les disparitions de mes aînés ?
Ma mère me sourit gentiment en affichant une expression qui ressemblait bien plus à de la pitié qu’à de la joie. Mon père était revenu tout spécialement pour être présent le jour de mon départ ; sans doute savait-il à quel point je m’étais attaché à lui. Lorsque je lui demandai ce qui allait m’arriver, il me répondit tout simplement :
— Ne t’en fais pas, nous passons tous par là. Tu vas devenir un homme, comme moi !etc »
Ici, tu coupes l’action avec le paraphe « ce fut l’arrêt de cette vie idyllique » alors qu’on attend vraiment la réaction de la mère, du père, qui viennent juste après.
Il faudrait amener ce paraphe (« ce fut l’arrêt etc ») après, ce serait plus clair, car comme depuis le début de ton histoire on est beaucoup dans la narration et peu dans l’action, cela apporterait à ce chapitre de ne pas interrompre cette scène cruciale ici, qu’on a envie de lire. Qu’en penses-tu ?
Petite proposition, tu fais comme tu le sens !! Soit tu mets ce paragraphe justement après l’intervention du père, qui est dure, strict, et qui fait comprendre « fini cette vie idyllique », soit un peu plus loin après le dialogue et là ça viendrait au bon moment.
Voilà ! Excuse-moi pour ce long commentaire ^^
À très vite !
Ton idée me plaît, je vais revoir ça à l'aise...
Merci mille fois !