Le sol d’Abyrel, craquelé et rugueux, semblait murmurer sous chaque pas.
Le vent chargé de cendres s’infiltrait par les hautes ouvertures du château, glissant le long des murs comme un souffle oublié.
Les torches fixées dans les rainures de pierre dessinaient sur les couloirs des ombres dansantes, projetant des silhouettes tantôt humaines, tantôt monstrueuses.
Eren avançait dans le silence, imposant malgré la fluidité de sa démarche.
Il était grand, les épaules larges, sculptées par des années d’effort et de combats.
Ses cheveux noirs en bataille lui tombaient partiellement sur le front, contrastant avec l’intensité calme de ses yeux marron, qui ne rataient aucun détail autour de lui.
Un manteau sombre, épais mais souple, accompagnait ses mouvements avec discrétion.
Arrivé devant une grande porte aux gravures anciennes, il leva la main et frappa deux coups, distincts.
— Kael ? appela-t-il d’une voix posée, mais assurée.
Il n’attendit pas vraiment de réponse et ouvrit, comme à son habitude.
La chambre était plongée dans une lumière rougeoyante, filtrée par les rideaux de velours sombre. Une chaleur paresseuse y régnait.
Kael était encore allongé, torse nu, les draps négligemment remontés sur ses hanches.
À ses côtés, une silhouette féminine, encore endormie, émergeait à peine des couvertures.
Eren arqua un sourcil, un sourire en coin.
— Hum... je vois qu’on a encore “profité” de la nuit, glissa-t-il, moqueur mais bienveillant.
Kael ouvrit un œil sans bouger, mi-amusé, mi-agacé.
— Tu pourrais frapper… et attendre une réponse, pour une fois.
— Je pourrais, répondit Eren en s’approchant, toujours ce sourire narquois aux lèvres.
Mais tu sais que je suis là pour autre chose que ton confort.
— Qu’est-ce que tu me veux encore ? grogna Kael, la voix encore rauque du sommeil.
Il se redressa lentement dans le lit, les yeux mi-clos, visiblement peu ravi d’avoir été tiré de ses songes.
Eren porta une main théâtrale à sa poitrine, feignant l’indignation.
— Tu me blesses. Moi qui viens te chercher avec toute la délicatesse qu’on me connaît.
Tu sais bien que si je suis là, c’est parce que l’être supérieur m’a désigné pour cette noble mission.
Tu devrais déjà être à l’entraînement à cette heure-ci. Et il semblerait qu’il ait quelque chose à te dire.
Ou… à t’ordonner, si tu préfères.
Kael plissa les yeux, les pensées encore engourdies par ce qu’il estimait être un réveil brutal.
Quelques secondes passèrent avant que le sens des mots ne s’impose clairement à lui.
— Notre père… souffla-t-il.
Eren hocha la tête, un sourire narquois toujours collé aux lèvres.
Il avait ce don irritant de tout tourner à l’ironie, même les messages du roi.
Eren jeta un dernier regard vers le lit, un sourire moqueur toujours accroché aux lèvres.
— Allez, je te laisse émerger, ô grand dormeur.
— Essaie de ne pas faire attendre Sa Majesté trop longtemps.
Il fit volte-face et quitta la chambre d’un pas léger, le manteau glissant derrière lui comme une ombre.
Kael resta quelques secondes immobile, puis se redressa à moitié.
D’un geste sec, presque agacé, il frappa sur le matelas à côté de lui.
— Bouge de là. J’ai autre chose à faire.
Il n’avait pas regardé la silhouette allongée.
Pas un mot de plus.
Juste une injonction, lancée comme on balaie un obstacle sans importance.
Encore mal réveillé et de mauvaise humeur, Kael se dirigeait vers la salle du trône.
Tout, dans l’architecture sombre d’Abyrel, transpirait la rigueur et le pouvoir.
Il allait voir son père, oui… mais rien dans ce décor solennel ne laissait croire à une entrevue familiale.
Pas un sourire gravé dans la pierre, pas une chaleur.
Seulement des colonnes austères, un silence pesant, et ce foutu tapis.
Il trébucha légèrement sur un pli mal tendu.
— Foutu tapis. Foutu couloir interminable... maugréa-t-il en soufflant.
Son long manteau noir ondulait à ses pas, contrastant avec ses cheveux châtain aux reflets argentés, illuminés par les torches fixées aux murs.
Cela lui donnait un air presque angélique, en décalage total avec la sévérité constante de son visage.
Ses yeux dorés, durs et pénétrants, semblaient prêts à foudroyer n’importe quelle âme imprudente.
L’air froid et humide de la salle lui monta au nez dès qu’il franchit les grandes portes.
Kael grimaça. Cette odeur de moisi, persistante, presque rance… il ne s’y était jamais habitué.
Elle faisait partie du lieu comme une vieille rancune qu’on n’efface pas.
Le sol de marbre noir reflétait faiblement la lumière blafarde des torches suspendues aux murs.
Majestueux, oui. Mais glacial.
Les pas résonnaient sans écho chaleureux, comme étouffés par l’austérité du lieu.
Des colonnes épaisses bordaient la salle, dressées comme des gardiennes silencieuses.
Au-dessus, un balcon parcourait toute la circonférence de la pièce, offrant une vue sur le trône depuis chaque angle.
Un poste d’observation… ou de surveillance.
Kael ne pouvait s’empêcher d’imaginer ce lieu autrement.
Dans sa gloire passée.
Lorsqu’un grand nombre de ses ancêtres y vivaient encore, lorsque ces murs vibraient au rythme des voix, des rires, des musiques.
Il avait entrevu, dans de vieux ouvrages de la bibliothèque, quelques fresques abîmées représentant des bals donnés ici-même.
Enfant, il s’était surpris à rêver de ces soirées mondaines, à s’imaginer y prendre part, le regard brillant d’envie.
Mais ce rêve s’était éteint avec le temps.
Il n’avait connu que le froid glacial de ces pierres, et le silence pesant des trônes vides.
— Eh bien, eh bien… voici l’Élu qui daigne enfin se montrer, lança-t-il d’un ton sec, sans bouger d’un pouce.
Kael n’en fut pas ébranlé.
Il avait l’habitude de ce genre d’entrée en matière.
Depuis l’enfance, son père parlait plus souvent avec des reproches qu’avec des mots.
Il soutint son regard sans broncher.
Edra, toujours debout sur l’autel, le fixait avec une intensité glaciale.
L’un de ses yeux, doré comme ceux de Kael, semblait sonder son âme.
Mais l’autre… était d’un noir profond, sans pupille, sans blanc.
Un œil d’abîme.
Un gouffre qui avalait tout, même la lumière.
— Qu’est-ce que tu veux encore ? rétorqua Kael, la voix grave et sans détour.
Aucune révérence. Aucun titre.
Juste cette question, lancée comme un défi.
Presque une provocation.
— Je t’ai déjà dit de ne pas me parler sur ce ton !
Sa voix résonna comme un ordre.
— Tu me dois le respect.
Kael allait rétorquer, prêt à faire valoir une réponse aussi tranchante que la précédente…
Mais un bruit de pas régulier résonna soudain dans la grande salle, interrompant l’échange.
Les lourdes portes s’étaient entrouvertes à nouveau.
Eren avançait d’un pas décidé, le visage plus sérieux que d’habitude, bien qu’une lueur ironique brillait toujours au coin de ses yeux.
Son arrivée, bien que non annoncée, semblait presque calculée.
Edra tourna légèrement la tête vers lui, sans quitter sa posture droite.
— Tu tombes bien, Eren. Peut-être auras-tu plus de succès que moi à rappeler à ton frère ce qu’est le respect.
Sa voix était grave, teintée d’un calme froid, presque méprisant.
Un roi qui attendait plus qu’une loyauté — une soumission.
Eren ne répondit pas.
Il préféra garder le silence, conscient que tout mot mal placé pourrait attiser davantage la colère de son père.
Edra reprit, son ton toujours aussi sec :
— Enfin… j’ai un doute que tu puisses réaliser cette prouesse.
Une remarque cinglante, lancée comme un couperet, sans même regarder Eren cette fois.
Comme s’il n’était qu’un autre pion dans cette joute pesante.
— En revenant de ta mission d’hier, tu m’as fait part d’une rumeur…
Kael, lui, écoutait d’un air distrait.
Les mains enfoncées dans les poches de son manteau, il bailla sans la moindre gêne, encore engourdi par le sommeil.
— Cet habitant m’a confié que l’Envoyée des Anges avait pour projet de se rendre sur Terre.
Dans un petit village, dont il n’a pas su me dire le nom exact…
Quelque chose comme Mont…
— Totale ineptie ! s’emporta soudain Edra, le ton claquant comme un fouet dans la salle.
— Aeron ne laisserait jamais sa fille quitter Aetheris !
À moins qu’il soit devenu complètement fou.
Eren continua, faisant mine d’ignorer la réaction de son père :
— Je trouve qu’il serait judicieux d’aller vérifier…
Si cette rumeur s’avère vraie, ce serait une occasion en or de mettre la main sur l’Envoyée des Anges.
Il parlait d’un ton parfaitement strict, tranchant, sans la moindre trace de provocation.
Seul transparaissait le guerrier prêt à remplir sa mission, froid, calculé, déterminé.
Du moins, c’est ce qu’il voulait faire paraître.
Kael tourna légèrement la tête vers son frère, les yeux mi-clos.Il connaissait ce ton, cette façade que son frère utilisait devant leur père.Eren ne lui cachait rien.Il savait exactement ce qu’il visait, et il n’était pas question de loyauté aveugle envers Edra.
Cette mission n’était qu’un pas de plus vers un objectif qu’ils avaient souvent évoqué à voix basse.
Le roi s’assit lentement, à la manière d’un félin prenant possession de son territoire, sur son trône de pierre serti de rubis.
Il porta sa main à son menton, pensif.
Ses traits durs se firent plus calmes, mais pas moins intenses.
Quelques rides discrètes, au coin de ses yeux, se marquèrent davantage sous l’effort de la réflexion.
Cette expression, Kael la connaissait.
C’était celle qu’il adoptait chaque fois qu’il échafaudait quelque chose.
Kael crut lire à l’expression de son père qu’il commençait à envisager la possibilité que cette rumeur soit fondée.
Et qu’il était prêt à laisser Eren enquêter sur Terre.
Il l'entendit murmurer quelques mots indistincts, à peine audibles, comme s’il se parlait à lui-même.
Kael supposa qu’il pesait déjà les raisons qui auraient pu pousser Aeron à envoyer sa propre fille sur un monde aussi instable.
Il connaissait cette façon qu’avait Edra de raisonner à haute voix quand une idée s’imposait à lui.
— Bien, fit-il enfin, sa voix grave résonnant sous les arches de pierre.
— Je veux que tu retournes dans l’Entre-Deux et que tu retrouves cette personne.
Tu dois obtenir plus de détails. S’il faut, menace-le, torture-le, fais ce que tu veux, mais je veux savoir où l’Envoyée est supposée aller.
Ses yeux noirs et or se posèrent brièvement sur Eren, sans aucune émotion.
— Aetheris ne fait jamais rien au hasard.
Si Aeron la laisse partir, c’est qu’il a quelque chose en tête.
— Vous semblez connaître fortement les réactions de cet ennemi… lui rétorqua Eren, d’un ton aussi calme qu’aiguisé.
— L’heure n’est pas aux réflexions de ce genre ! Pars sans tarder dans l’Entre-Deux !
Maintenant, laissez-moi en paix.
Kael, pars immédiatement t’entraîner. Ce n’est pas avec une flammèche que tu arriveras à combattre l’Envoyée !
— Encore faudrait-il avoir un mentor digne de ce nom…
Kael avait visé juste. Il savait que cette remarque ferait mouche. Et il l’avait fait exprès.
Edra se leva d’un bond. Son bras se tendit en avant et, d’un simple geste, il libéra une onde invisible.
Kael se figea net, paralysé.
— Je t’interdis ! lança Edra, les dents serrées, le regard brûlant.
Chaque mot vibrait de rage contenue, de pouvoir canalisé.
— Tu sais de quoi je suis capable.
Kael, bien que figé par le sort, afficha un sourire tendu.
Ses mâchoires se crispaient sous l’effort qu’il fournissait pour résister à la force invisible.
Il connaissait cette sensation. Ce sort, il l’avait subi bien trop souvent.
Son père ne s’en servait que pour une chose : rappeler qui dominait.
Ce pouvoir, il semblait ne fonctionner qu’au sein d’un même sang.
Comme un lien invisible, hérité, qui donnait au roi l’ascendant ultime sur sa propre descendance.
J’avoue je lis toujours le premier chapitre, puis le prologue. Donc j’arrive toujours comme un cheveu sur la soupe et tape directement dans l’action.
J’ai un faible pour les univers qui vivent dans le jus de leur « gloire passée » ! L’ambiance est là, le ton est donné. Le respect, ah exiger le respect ! Pour un roi, il est normal que ses sujets obéissent sinon on marche droit au chaos. Sauf, qu’on dit souvent qu’il se gagne. Et rien qu’avec une réplique, tu nous donnes tout ce qu’il faut savoir sur ce roi. Un très bon dialogue d’introduction.
Tes dialogues sont très bons, mais mon esprit lent (ou feignant) a eu du mal à saisir qui parlait, et/ou à qui parfois.
Par exemple, le « le bouge de là » ? s’adressait à la jeune demoiselle, ou était-ce à Eren à Kael ?
Ou avec « — Bien, fit-il enfin, sa voix grave résonnant sous les arches de pierre.
— Je veux que tu retournes dans l’Entre-Deux et que tu retrouves cette personne. » J’ai l’impression que le roi s’exprime deux fois.
J’ai eu le même souci vers la fin du chapitre. Si je peux faire une proposition, ce serait peut-être d’ajouter un espace entre les paragraphes.
Je suis curieuse à propos d'un détail de la toute fin. Pourrait-tu développer l'effet du sort de soumission qu'il subi? Kael dit être familier de la sensation physique ou mental. J'ai l'impression qu'il écrase sa volonté, et que Kael a apprit à lutter.
Bref, je me répète, très bon chapitre, je me frotte les mains de savoir ce que tu nous prépares. (et je sens que je vais avoir des tas de questions. Ce que j'apprécie particulièrement)
Le bouge de là, c'est à la demoiselle. Étant donné qu'Eren a déjà quitté la chambre...
Pour l'espace entre les paragraphes, j ai seulement découvert par la suite ,que mon copier coller, ne se mettait pas du tout comme dans mon fichier Word 😅 je n'ai absolument pas l'habitude de ce site, je m'y fait petit à petit.... je vais éditer le chapitre pour vérifier, merci!
Merci pour ce commentaire !
Un extrait captivant qui plonge dans un univers sombre et complexe. La dynamique entre Kael, Eren et leur père Edra est fascinante, pleine de tension et de secrets. Hâte de découvrir la suite !