Elle courait.
Le sol de l’Entre-Deux se fissurait sous ses pas, les brumes mordaient sa peau, et les racines semblaient vouloir lui accrocher les chevilles.
L’air était épais, chargé de cette magie trouble qui enveloppait ce monde entre deux équilibres.
Et puis, il était là.
Cheveux blancs dressés comme un feu vivant, yeux d’un blanc spectral, et surtout… une marque noire, tribale, courant sur le côté droit de son visage. Exactement la même que la sienne, inversée, apposée sur sa propre joue gauche.
Ils s’étaient reconnus immédiatement.
— Drôle d'endroit pour une fille de sang royal non ? Lui aussi l'avait immédiatement reconnue en tant que 1ère protectrice.
— Va au diable démon ! Viscera-t-elle.
— Hum ,c'est ironique je suppose ? Sourire en coin.
Avant qu'elle n'ait pu se jeter sur lui avec colère, il avait bondi dans les hauteurs et s'était volatilisé comme un éclair.
Elle se maudit d'avoir repensé à cette malheureuse rencontre.
Heureusement, Uriel l'avait rejointe plus tard et n'en n'avait rien su.
Elle ne savait pas pourquoi, ça l'avait autant marquée. Peut-être parce qu'il était le lien avec sa réelle lignée ? Elle ne savait pas trop.
Elle s'étira et craqua sa nuque qu'elle sentait raide de tension.
Hier, elle avait accordé le souhait de sa petite sœur, au début elle était réticente, mais plus elle y réfléchissait, plus elle pensait que se mettre en pause pour se retrouver avec elle-même et non avec la guerrière souvent partie en mission, lui avait fait pencher la balance de l'autre côté.
Dans un autre sens, la proximité constante d'Uriel lors de leurs missions, commençait à lui peser.
Elle serra son oreiller contre son cœur.
Uriel et elle étaient de parfaits amis, même si par moment elle pensait qu'ils étaient plus que ça. Des gestes, des mots de son acolyte, lui faisaient parfois penser que comme elle, il avait déjà songé à franchir le pas de l'amitié.
Mais quand il y a quelques semaines d'ici Uriel lui avait annoncé ses fiançailles avec sa petite amie, elle était redescendue sur Terre. Il lui avait dit que la loyauté passait avant tout, que ses parents en seraient fiers.
Elle n'avait pas cherché à comprendre s'il était heureux ou amoureux. Elle lui avait souhaité tout le bonheur dans sa future vie maritale. Sourire qu'elle se voulut le plus sincère possible.
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Ayra ne pouvait pas s'arrêter de sourire, Élika ayant accepté sa demande et comme elle se doutait, le reste de ses protecteurs acceptèrent facilement de l'accompagner.
Elle était dans sa chambre. À genoux sur son tapis aux couleurs pastels, elle avait déjà sorti un sac pour pouvoir y mettre ce dont elle aurait besoin.
Sur son vaste lit en baldaquin, divers vêtements plus civils étaient éparpillés, elle avait souvent observé les tenues que sa tante portait lorsqu'elle venait discuter à travers le miroir. Mira lui en avait même fait parvenir quelques-unes, connaissant son goût pour le monde sur Terre.
Quelqu'un frappa à la porte, ce qui la sortait de sa rêverie avec torpeur.
Elenor, sa troisième protectrice passa la tête par l'entrebâillement de la porte.
— Je ne te dérange pas ? lui demanda-t-elle de sa voix douce et fluette.
— Oh non pas du tout, entre… Je ne te fais pas de dessin sur ce que je suis en train de faire… dit-elle en riant.
Un carnet à la main et son étui à crayons, Elenor acquiesça dans un sourire.
On pouvait voir aux traces noires sur ses doigts, qu'elle venait certainement de passer un certain moment à dessiner.
Elle entremêlait ses doigts nerveusement et dirigea son regard par la fenêtre, tout en s'y approchant.
Tournant le dos à Ayra, on pouvait deviner ses formes ondulées à travers sa robe émeraude en satin. Ses cheveux raides et châtains, lui tombaient jusqu'en bas du dos.
Ayra connaissait l'attitude de son amie par cœur et elle savait qu'elle était empreinte d'un doute, elle tournait toujours le dos quand elle avait peur de blesser ou de dire quelque chose de travers.
— Je… hum... elle se racla la gorge.
— Je ne sais pas si c'est une bonne idée de partir à Clairmont…
Ayra l'écouta tout en lui demandant ce qui la faisait douter.
— Je ne sais pas... Un pressentiment peut-être ? Ou peut-être la peur de quitter mes habitudes…
Elle se retourna lentement vers Ayra.
— Ce matin je n'ai dessiné que des croquis tristes… je laissais parler mon cœur…
Sa respiration se fit légèrement plus rapide.
— Chhht calme-toi et respire, tu sais que je suis capable d'entendre ton point de vue. Ne panique pas.
— J'ai peur oui, on sera tellement exposés là-bas et puis on n’aura pas nos repères… nos… j'ai peur de ne pas savoir te protéger comme ce qu'on attend de moi.
Ici je peux m'entraîner à mon rythme sans me stresser, mais là-bas je vais devoir faire mes preuves.
Ayra souffla de soulagement, lui caressa le bras et lui sourit.
— Tes repères tu les auras, on sera tous là-bas. Et Riven aussi… ton pilier, ne l'oublie pas.
Elle marqua une pause tout en observant son amie, elle venait de poser son carnet de croquis et son étui sur le rebord de la fenêtre. Et s'était installée sur la chaise poudrée juste à côté.
Ayra en profita pour poursuivre.
— En ce qui concerne ta protection, rien n'indique que tu devras affronter qui que ce soit. De plus, ma tante est puissante, je ne pense qu'elle botterait les fesses du moindre démon s'approchant trop près. Et on a Élika.
— Je vais même aller plus loin… je t'ai observée beaucoup de fois lors de tes entraînements et tu sous-estimes largement tes capacités…
Elenor parut un instant étonnée et essayait de détecter de l'humour sur le visage d'Ayra.
Celle-ci l'avait remarqué et lui dit :
— Quoi encore ? Ne me dis pas que tu doutes de ma parole ?!
Elenor détourna le regard vers la pile de vêtements éparpillée sur le lit. Elle changea de sujet, c'était bien elle ça, quand elle avait dit ce qu'elle avait sur le cœur, elle changeait de conversation aussi vite que l'air qu'elle pouvait brasser.
— Heeu dis-moi, une tempête a eu lieu au milieu de ta chambre ?
Elle arqua un sourcil d'un air interrogatif.
Elle ne cherchait pas vraiment de réponse à sa question superflue et se leva pour se diriger vers le tas de vêtements.
Elle jeta son dévolu sur une pièce qui semblait l'intriguer, un pantalon qu'elle n'avait jamais eu l'occasion de voir avant. Elle le pinça entre ses doigts délicats pour le montrer à Ayra.
— Peux-tu me dire ce qu'est ce pantalon ?
Grand sourire aux lèvres, Ayra se fit un plaisir de lui répondre, fière de montrer son savoir sur la Terre.
— C'est *JAN*...
Ses yeux bleus clairs écarquillés en entendant ce nom si spécial à ses yeux.
— Bizarre les Terriens, ils appellent les choses de manière bizarre.
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Un bruit de pas précipités dans le couloir se fit entendre, suivi d’un grincement léger.
— Ah… c’est pour “ça” que j’ai tant attendu pour manger ?! lança une voix enjouée depuis la porte.
Lucas venait d’entrer, les bras en l’air dans un geste dramatique, une grimace exagérée sur le visage.
— Mon estomac crie famine !
Il se tenait là, droit, les cheveux blonds éclatants, en bataille comme à son habitude, un sourire accroché aux lèvres. Il portait encore sa tunique d’entraînement, mal boutonnée, et ses manches remontées jusqu’aux coudes.
— Sérieusement, vous discutez chiffons pendant que je meurs à petit feu dans le couloir.
Il porta une main à son cœur, faussement choqué.
Ayra leva les yeux au ciel en riant.
— Lucas… tu dis ça tous les jours. À croire que tu vis uniquement pour les repas.
— Faux, je vis aussi pour les desserts, rétorqua-t-il sans manquer une seconde. Et accessoirement, pour vous protéger. Mais là, honnêtement, c’est surtout pour manger.
Elenor gloussa doucement, amusée par sa théâtralité naturelle.
Lucas jeta un œil à la pile de vêtements et leva un sourcil.
— On prépare un défilé ou une expédition ? Parce que si c’est le premier, je veux bien juger.
Il croisa les bras et commença à tapoter nerveusement sa planche du bout des doigts, en rythme avec son impatience.
Elle ne le quittait jamais. Il l’avait construite lui-même à partir d’un bois solide, capable de glisser sur les vagues des moindres cours d’eau du royaume. Son trésor personnel, qu’il portait toujours avec lui, comme un prolongement de lui-même.
Il interrompit les filles, qui étaient reparties dans l’exploration enthousiaste des vêtements terriens.
— Heeu… je vous rappelle que J’AI FAIM, lança-t-il plus fort, les sourcils levés d’un air faussement indigné.
— C’est bon, on arrive, dirent-elles en chœur.
Sous la pression de leur ami, elles se levèrent enfin, un sourire complice aux lèvres, prêtes à retrouver le reste du groupe pour le repas.
En soirée, après un repas bien copieux et convivial, Ayra se retira dans les jardins comme à son habitude.
Le repas avec ses protecteurs l’avait tellement rassurée.
Dans l’immense salle à manger aux couleurs claires avec des nuances vives, semblant faite pour réunir tout bon groupe d’amis, tout paraissait serein à l’idée d’aller à Clairmont avec elle.
Même Elenor, qui avait douté un peu plus tôt, paraissait plus apaisée.
Parfois, des blagues sur le sujet s’échappaient.
Surtout venant de Lucas, qui avait le don d’adoucir l’atmosphère.
Même Élika s’était déridée un peu pour l’occasion et avait ironisé le sujet.
Tous rassasiés, ils se quittèrent pour reprendre chacun leurs occupations.
Riven et Elenor, mains enlacées — ce qui semblait toujours apaiser cette dernière — se dirigèrent vers la bibliothèque pour leur rituel du soir.
Lucas avait empoigné sa planche, revigoré, et comptait aller faire une glisse ou deux.
Élika, prise dans ses pensées, avait regagné sa chambre.
Dahlia avait décidé d’accompagner Ayra dans les jardins.
Elles marchèrent quelques instants en silence, profitant de la douceur du soir. L’air était encore tiède, chargé du parfum sucré des fleurs nocturnes. Les lanternes suspendues aux branches frémissaient doucement dans la brise.
Ayra finit par se laisser tomber dans l’herbe, les bras écartés. Elle posa une main sur son ventre repu, un petit sourire flottant encore sur ses lèvres.
— Ce repas m’a achevée, souffla-t-elle.
Dahlia l’imita, s’allongeant à ses côtés, les yeux tournés vers le ciel parsemé d’étoiles naissantes. Son petit lézard, comme souvent, avait profité de ce moment de calme pour grimper le long de son bras jusqu’à son épaule. Elle le caressa distraitement du bout du doigt, les yeux toujours fixés sur les constellations.
Un court silence s’étira entre elles, doux et confortable.
— Je l’ai dit à Caelis. Que je partais.
Ayra se retourna légèrement vers elle et s’accouda sur un bras, attentive.
— Il était dans l’armurerie. En train de faire l’inventaire des armes. Il vérifiait les lames, les armures, concentré comme toujours. J’ai attendu un moment. Je crois que je cherchais à savoir si j’avais vraiment le courage.
— Quand je lui ai dit, il m’a regardée comme si je lui annonçais la chose la plus insensée du monde... Il ne m’a pas crue tout de suite. Il m’a demandé si j’avais bien réfléchi, avec ce ton... tu sais, celui qu’il prend quand il croit avoir toujours raison.
— J’ai essayé d’être calme. J’ai dit que ce n’était pas contre lui. Que c’était pour moi. Que je voulais respirer un peu. Il ne m’a rien répondu.
Elle marqua une pause, les mâchoires légèrement contractées.
— Je me suis énervée et je lui ai demandé s’il m’aimait au moins. Avec toutes les critiques qu’il me fait sans arrêt… Il a juste tourné le dos et s’est dirigé vers la salle d’entraînement.
Elle inspira doucement.
— Je ne l’ai pas revu depuis hier soir. Et pour l’instant… c’est mieux ainsi.
Ayra hocha la tête d’un air compréhensif, puis lui répondit doucement :
— Tu as fait ce qu’il fallait. Pour toi.
— Mais aussi pour toi, conclut Dahlia en inspirant profondément.
En guise de remerciement silencieux, Ayra posa doucement sa tête sur l’épaule de son amie.
Le petit lézard, sentant l’apaisement des deux jeunes femmes, s’enroula un peu plus confortablement contre la peau tiède de Dahlia… et s’endormit.
Le silence régna quelques secondes…
Jusqu’à ce qu’une voix ne retentisse au loin :
— Les filles ! Si vous comptez dormir dans les fleurs, je peux vous rapporter des oreillers !
Lucas. Toujours lui. Les cheveux encore mouillés, il venait tout juste de revenir de sa glisse nocturne.
Elles échangèrent un regard, à la fois exaspéré et attendri, avant d’éclater de rire.
Encore incroyable ce chapitre!
Je n'est qu'une remarque: parfois tu met 1 tiret et en-dessous un autre mais la personne qui parle est la même. Cela peux porter a confusion. Comme solution tu pourrais jusque continuer après le verbe de parole ou juste remettre au second tiret "continua t-elle" par exemple
Je me permets de tutoyer, j’ai relevé « Viscira », dans la première partie, je crois que c’est « vociférer », que tu voulais utiliser 😉 (mais personnellement, je me suis dit que pour un prénom cela sonnerait joliment.) Reprends-moi, si je me trompe.
La fracture entre l’univers du chapitre 2 et 3 est… impressionnante. J’en perds me mots. On dirait un autre roman. On passe la rigueur à la douceur. De la dureté à la joie. Chapeau bas. Et Lucas ce joyeux luron qui connait les priorités de la vie = manger.
Encore une fois, tes dialogues font parler ton monde.
Une petite remarque si je peux me le permettre, développer la situation initiale (mini introduction aux scènes) pourrait aider à se situer dans l’action, notamment au premier avec l’introduction d’Elika, qui repense à une confrontation avec un démon. Le présent et le passé n’étaient pas très clairs pour moi, jusqu’à ce qu’elle pose sa tête sur son oreiller.
Cette altercation est d’ailleurs pleine de mystère, qui était ce démon, et le reverra-t-on ?
Pour ce qui est des fautes de frappe, oui parfois je ne les vois pas, même en relisant ( sur un écran j'ai du mal ,je vais imprimer pour mieux me relire.
En ce qui concerne les dialogues, c'est sûrement la mise en page du site qui indique moins celui qui parle. Je vais voir pour rectifier et voir ajouter pour mieux orienter le lecteur.
Je laisse volontairement dans le flou beaucoup de chose, car j'aime tisser doucement ahah entre autre pour le rêve d'Élika... ( hé oui le démon est très présent, c'est l'un des 4 protagonistes...)