chapitre 2 : Mina

Notes de l’auteur : Salutation,
je vous invite à entrer dans les pensées de Mina. Comment la trouvez-vous ?
Bonne lecture.

– « Qui veut faire quelque chose trouve un moyen, qui ne veut rien faire trouve une excuse », marmonnai-je en entourant ma longue tresse autour de mon bras caramel. Je me battrais, foi de sœur !

Nous avons encore du temps ! Ghalia ne mourra pas, j'en fais le serment ! Je ne pourrais pas supporter de la voir installée dans ces cercueils de verres, sur la grande place. Jamais je ne l’abandonnerai. Jamais !

 Dans la salle dédiée aux enfants de la maison, Ghalia, trois de nos frères et moi-même regardons avec insistance le plateau de thé que la servante a apporté à notre demande. L’arôme des feuilles de menthe infusées et la pincée de safran diluée dans l’eau, flotte dans l’air, pareil à une brume douce et reposante. Entre les coussins brodés et les voilages colorés, nous nous creusons les méninges, afin que Ghalia reste auprès de nous. Je ne sais pas pour les autres, mais si je la perdais, j’en mourrais probablement. Comment un soleil pourrait briller, si sa lune disparaissait ? Je serais inconsolable, brisée, le cœur en cendre et en lave. J'ai toujours su que loin de Ghalia je dépérirai. C'est un sentiment que je ne peux expliquer, il se trouve là, perdu dans mes émotions. Jamais, je n'ai été séparée d'elle. Petite, je la suivais partout, pas parce qu'elle était ma grande sœur, mais parce qu'il y avait un lien noué entre nous. Dès qu'elle s'éloignait je paniquais. Je le fais encore. Ghalia est mon point de repère, un être réconfortant, une personne attentive à mon existence. J'adore quand elle me regarde, qu'elle me voit grandir. Je peine encore à réaliser le geste de notre père. Donner Ghalia en épousailles à un assassin. Nous vendre comme du bétail. Je me sens sotte d’avoir cru en ses mots, que nous étions ses trésors d’amour. Il est certain que nous sommes des merveilles, mais pas celles auxquelles j’aurais préféré croire. Est-ce ainsi que tous les pères fonctionnent ? Brader leurs filles pour un peu de pouvoir, pour quelques richesses, pour museler un homme sur quelques sujets honteux ?

Les doigts enroulés dans les cheveux blancs et raides de ma sœur, j’observe Meidhi, Toufiq et Omar. Seront-ils un jour comme notre père ? Avides… Aveugles ? Vendront-ils leurs filles ? Toufiq ferait-il cela à mes nièces, Mounia et Kalih ? Lui qui les choie comme deux joyaux d’émeraude. Je n’en sais rien et cela me terrifie qu’un homme puisse être si doux et devenir si cupide. Je rejoins les pensées de ma sœur lorsqu’elle m’avouait, parfois, préférer être un homme qu’une femme. N’est-ce pas méprisable qu’invoquer ce genre d’envie à une jeune fille ? N’est-ce pas cruel de faire regretter à quelqu’un ce qu’il est ? N’est-ce pas la pire des méchancetés ?

Cela me rend folle, rien que d’y songer.

Depuis l’enfance, Ghalia reçoit des remarques sur comment une demoiselle doit se tenir, elle qui aime sentir le vent sur son visage à chaque poussée qu’elle exerce sur ses jambes. Elle apprécie le danger - les fois où elle se battait avec nos frères et qu’elle remportait le combat, elle était la plus heureuse. Cependant elle n'en reste pas moins rêveuse. Lorsque je lui conte en secret les aventures de braves femmes guerrières, elle ne peut s’empêcher de se projeter en elles. Souvent, elle me coupe en clamant : « Moi, si j’étais elle… ». Je conçois sa force physique et son adresse. En quelques gestes méticuleux, elle rend chèvre n’importe quel homme qui poserait un regard séduit sur elle. Pourtant, je sais que sa sensibilité peut l’amener à bien des tourments. Ghalia est le genre de personne à enfouir mille tracas sous ses caftans de soie bleue.

Ma sœur est un oiseau aux ailes coupées. Elle désespère d’être libre. Je l’aperçois dans son regard, je l'entends lors de ses nuits agitées. Ghalia rêve d'évasion, de mers à franchir et d’espaces à découvrir. Elle souhaite être autrement, s’extirper de ce corps qui l’afflige, sur lequel les hommes ont un droit qu’elle n’aura jamais sur eux.

– Quelqu’un a une idée ? Ça fait une bonne heure que nous écoutons le silence.

Omar, le plus jeune de nos frères se redresse sur ses genoux et commence à verser le thé. Un long filet d’eau verdâtre se précipite dans les verres disposés en arrondi, sans qu’aucune goutte n’échoue sur le plateau.

– Je ne connais pas assez bien le sultan pour avoir l’ombre d’une idée, intervient ma sœur en tendant une main souple en direction d’un des verres. Et pour être honnête, il ne m’a jamais plus pour le peu de fois où je l’ai croisé. Il semble imbu de sa personne.

– C’est le sultan, commenta Meidhi.

– Et ça lui octroie le droit d’être odieux avec ses sujets ? poursuit-elle, les sourcils froncés. Ce n’est qu’un homme qui est né avec plus de droits. Rien de plus.

Ghalia a toujours eu cette force de caractère, ce besoin de se sentir aux commandes. Nos frères la craignent malgré qu’elle soit la plus petite d’entre nous. Ma sœur reste une énigme dont je ne comprends pas toutes les subtilités. Peut-être est-elle vraiment une créature venue du ciel pour empoisonner l’existence d’une personne en particulier. Je ne veux pas croire qu’elle puisse nous porter malheur, à nous, sa famille. Mais peut-être à Hadi. Elle est née avec une peau et des cheveux si clairs, qu’au fond, je veux bien croire nos mères lorsqu’elles parlent de Ghali, leur fille lune. De sa venue au monde. Sa mère s’était perdue non loin de la forêt Sombre au nord du pays alors qu’elle accompagnait notre père chercher des étoffes. Quand Ghalia est née, nos grands-mères ont cru à un don du ciel, alors que d’autres mégères proféraient des inepties sur elle, sur un don maudit. Ma sœur a grandi avec les yeux de chacun posé sur sa peau et sa chevelure blanc albâtre. Même la couleur de ses iris possède une pâleur mystérieuse dont personne est capable de déterminer le nom. C’est un mélange de bleu et de marron tacheté de vert, en des tons pastel. Ma petite lune est d’une beauté inquiétante qui m’inspire. Je la trouve si divine, si mystique, comme les esprits de lumière qui hantent les ruines des anciennes mosquées à l’entrée de la capitale. Vestiges d’une ancienne civilisation.

Le silence perdure, jusqu’à ce que Toufiq le brise de sa voix mélodieuse :

– On dit de lui qu’il aime les jolis objets et surtout ceux qui racontent des histoires. J’ai appris, lors de la seconde réception de mariage, qu’il appréciait les balades nocturnes dans les jardins pour y découvrir étoiles et souffle rafraichissant.

Il s’arrête, songeur, tire sur son lobe d’oreille où une boucle en or se balance.

– Quoi d’autre ? demandé-je.

– Il confectionne des masques en terre cuite, ainsi que de vases, informe Toufiq.

– Voilà tout ?

– Il s’intéresse aux conversations de ses petites gens et affectionne la musique. Certains bruits de couloirs disent qu’un homme lui rend visite deux heures par soir et qu’il chante pour le sultan.

– Quel genre de chansons ?

– Je ne saurais le dire.

– Et toi, Meidhi, tu as plus des renseignements ?

– Je peux affirmer qu’il est fou et qu’il ne tue pas seulement les femmes qu’il épouse.

Tout le monde se tourne vers mon frère, deuxième enfant de la famille. Nous ne quittons pas son regard bleu azur.

– Pendant le troisième hyménée, j’ai écouté une conversation entre deux servantes. L’une d’elle disait avoir vu le Sultan violenter une tisseuse et lui ouvrir le crâne en deux pour s’être refusée à lui. Je ne sais pas s’il s’agit de ragots, mais cet homme me fait froid dans le dos. Et puis, il y a cette histoire que Bouraq, le messager, m’a rapportée. Il la tient de sa sœur.

– Saliha ? questionne ma sœur en se rapprochant de notre frère.

– Oui. Elle semble croire qu’un esprit guette le sultan. Selon elle, le palais est hanté par un monstre.

– Un monstre ? répète Ghalia. Ne serait-elle pas sous le choc des mises à mort de son maître ? Il est en train de rendre ses serviteurs paranoïaques.

– Il y a de fortes chances à cela.

À nouveau, le silence s’installe entre nous et les murs dorés. Nous portons chacun nos verres à nos lèvres et nous nous abreuvons du nectar en mordant quelques bouchées de pâtisseries sucrées.

– Je n’ai aucune envie d’écouter des suppositions. En soi, personne ne sait ce qui attire le sultan mise à part le sang, l’or, la beauté, les histoires, la musique et le pouvoir. Peut-être que mon destin est écrit de cette façon. C’est peut-être là, ma libération. Mourir entre ses mains.

– Ne dis pas de bêtises, petite lune, personne ne te tuera, nous finirons par trouver une solution, une chose que Hadi affectionne par-dessus tout. Demain, lors du huitième mariage cherchons des indices et retrouvons-nous ici à nouveau, serina Meidhi.

– Sage parole mon frère, faisons ainsi. Nous dénicherons bien un secret ou deux.

Cette fois, nos regards se déposent sur le visage rond de ma sœur. Elle mange sans faim son gâteau aux pignons, tout en hochant la tête. Pendant une fraction de seconde, je la sens résignée. Si nous ne trouvons rien que nous savons déjà, acceptera-t-elle la mort qu’on lui destinera ?

Je ne vois pas Ghalia subir sans rien dire et en même temps… Elle me paraît si lasse.

Si Hadi désirait la faire sienne, je suis bien sûre qu’elle saurait se défendre comme une tigresse.

Je l’espère, du moins…

– Partons-nous coucher. La nuit porte conseil. Qui sait, au réveil, je me souviendrai peut-être d’autres éléments.

Toufiq nous invite à retrouver nos chambres respectives. Nous nous saluons tour à tour, puis nous nous rendons dans le couloir accompagné de la chandelle de la veillée. La flamme vacille dans le noir, elle guide nos pas et façonne les ombres qui habitent les tapisseries ocre.

En pénétrant dans mes appartements, je ne peux m’empêcher de me questionner sur un sujet : pourquoi le Sultan a accepté d’épouser Ghalia, alors qu’on l’appelle la fille lunaire, la fille du mauvais présage ou celle du démon céleste ? Pourquoi choisir une autre femme que celles parmi les prétendantes de son carnet. Celles qui désirent le satisfaire pour une nuit. Celles qui imaginent que de la douceur sera suffisant pour effacer les à priori d’Hadi sur les femmes. C’est un miracle qu’il n’ait pas assassiné son harem… Peut-être que c’est là sa bonté, d’éviter à ses épouses et ses concubines de mourir à cause de la sultane Amina. Ferait-il exécuté des femmes qu’il ne connait pas pour épargner leur vie ? J’ai entendu mon père dire que le sultan parlait de son harem comme sa plus belle collection. Cela est tout aussi cruel de les garder enfermées dans un pavillon comme de pauvres poupées réduites à poser sur des étagères…

Qui est Hadi ? Je ne le comprends pas bien. Ghalia le prend pour le pire des détraqués, cependant j’avais une certaine admiration pour lui à épargner les femmes de son passé. De vouloir les protéger de sa folie, les éloigner de ses mains assassines. Peut-être n’est-il pas aussi malfaisant que nous voulons bien le croire. Après tout, s’il n’avait aucun cœur prendrait-il le temps d’immortaliser ses épouses-sacrifices et de les parer des plus belles pièces avant de les installer dans leur cercueil de verre ?

Je retrouve ma pensée première : pourquoi Hadi a accepté Ghalia ?

L’inquiétude me submerge, un vent de panique virevolte dans mes entrailles. Est-ce que notre père l’a poussé dans ce choix ? Comment ? Qu’a-t-il inventé ? A-t-il vraiment signé, pour la mort de son enfant ? Je me le demande… Papa n’a jamais vraiment apprécié la présence de Ghalia. Il la trouve sournoise. Je l’avais entendu lorsqu’il sermonnait la mère de ma petite lune, du temps où elle était encore vivante. Je me souviens de son doux visage et de son sourire angélique. Bien qu’elle fût morte avant mon cinquième anniversaire, les traits de Raïssa étaient identiques à ceux de Ghalia.

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Joly
Posté le 11/12/2020
Salut.

Pour répondre à ta question mina me paraît un peu plus mature que ghalia elle a une bonne ames.

Le chapitre est vraiment top.
J'aime l'ambiance et le lien entre les frères et sœurs.
Bye.
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