Et tout se terminera encore emporté par ma folle humeur de meurtre.
Un baiser enduit de poison posé sur ses lèvres brunes et voilà que ma femme, la septième sultane, traverse la mort sans souffrance. Les yeux clos, la bouche entrouverte, le corps étendu sur la soie dorée de sa robe, elle se fige dans une posture éternelle.
– Comme les femmes sont belles lorsqu’elles dorment, perdues dans les contrées de l’insouciance, murmuré-je en m’approchant d’elle.
L’insouciance ?
C’est ce qui me plait dans le procédé, ce que je désire croire. Me raconter des histoires en me disant qu’aucune d’elle ne m’a trahie sous les drapés de leurs rêves cachés. Elles n’auront pas eu le temps de me tromper dans de fantasmes idylles. Exact ! Elles seront parties en n’aimant que moi, en ne regardant que ma stature, en ne sentant que mon corps sur le leur. Elles sont mortes en sachant qu’elles m’appartenaient et seul cela compte pour moi.
Ma main parcourt la nudité de mon épouse. Je remarque que tuer proprement est aussi bien. J’y retrouve une certaine poésie, une œuvre moins capricieuse et plus naturelle. Cela me réchaufferait presque le cœur, si je ne me forçais pas à en faire une fleur de gel.
Tuer ainsi me procure bien plus de plaisir. Cela reste doux, subtil.
Plus de hurlements alors que le matin se lève. Plus de supplications interminables. Juste le calme qui nous enveloppe elle et moi dans un drapé cotonneux.
Les cris me fatiguent et le sang n’est guère satisfaisant lorsqu’il salit les tapis. Les égorger me lasse, tout comme les nuits passées à les transformer en pantin. Contempler leur beauté bouleversante et toucher leurs formes généreuses ne m’apportent que du dédain et remontent dans ma gorge une bile d’amertume et d’acidité. Je ne me comprends plus ! Si elles me répugnent tant, pourquoi ne puis-je effacer mon envie d’en posséder plus, d’en détruire davantage ? Est-ce qu’un jour, je saurai me débarrasser de ce mal qui consume mon âme ? Comment le savoir, alors que les minutes me rapprochent de ma prochaine épouse.
Lentement, je recouvre le corps de la septième. Son nom, je ne m’en rappelle déjà plus. Je voile son image sous les draps et me tourne vers la fenêtre où les rideaux rouge passion volètent. La brise matinale m’appelle. J’entends sa douce voix chuchoter : Hadi, viens près de moi et admire ma beauté. Contemple les voilages de ma tenue qui glisse vers toi.
D’un pas envoûté, je caresse le sol et me soustrais à son désir. Je pénètre sur le balcon bordé de mille plantes. Il ressemble à un jardin survolant un autre. Baigné d’une lumière pâle et magique, il inonde ma vision, attendrit mon cœur. Doucement, je m’avance à son bord, dépose mes mains sur une liane entortillée sur elle-même et observe des papillons de lumières danser autour de moi, pareils à un message divin. L’un d’eux me distrait plus que les autres en se posant sur mon épaule.
– Le bleu de ses ailes est le même que tes yeux, mon amour.
Je ne peux m’empêcher d’imaginer ton retour, alors que l’insecte s’accroche désormais, à ma joue. Il inscrit sur ma peau un de tes baisers puis s’en retourne voir les siens. Amina, ma tendre déesse, mon amour de toujours et à jamais, me reviendras-tu ? Je jure de faire de toi la femme la plus heureuse du monde. Si seulement tu pouvais revenir.
Le soleil se lève. Il inonde mon corps de lumière. Suis-je réel ? Toi, en revanche, tu ne l’es pas. Tu ne l’es plus. Tu n’es rien de plus que l’image de mon amour pour toi. Le dessin qui paralyse mon esprit quand vient le soir. Celui qui finira par me rendre fou.
– Amina, n’étais-je pas le meilleur homme de ce royaume pour toi ? Ne t’ai-je pas couvert d’amour, d’amitié et de bijoux ? N’ai-je pas été ton confident adoré, ton amant dévoué ? Pourquoi ? Pourquoi m’avoir humilié, m’avoir tranché le cœur ?
Les larmes qui coulent le long de mes joues ont perdu le droit de me surprendre. Elles glissent comme chaque matin, comme chaque fois que je crois te voir entre les rayons du soleil. J’aurais été prêt à tout pour toi. Tu étais ma reine et tu trônais sur mon cœur. Je t’aurais fait dirigeante de Mekdebel si tu m’avais demandé plus de droits, plus de tout. Je me serais coupé la gorge pour te plaire.
Je me recule, absorbe la beauté naturelle du jardin en contrebas. Celui où chaque soir, je m’unis à une femme que je tue à ta place.
– Tu le sais que jamais je ne te ferais de mal. Si tu revenais, jamais je ne lèverais la main sur ta peau brune, sur ton corps lisse et fragile. Non, je ne le ferais pas. Je te donnerais ce que tu voudrais… Tout en fermant chacune des portes que tu tenterais d’ouvrir.
Et alors, jamais je ne reviendrais…
Même loin de moi, j’entends ta voix, tes mille pensées. Je t’ai toujours connue. Je pourrais être toi et t’aimer à travers moi.
– Tu es partie et tu ne seras rien de plus qu’un souvenir… Qu’un début de ma folie. N’est-ce pas ?
Je m’en retourne dans ma chambre de noce, le cœur en morceau et le visage peint de larmes. Pourquoi continue-je à me faire du mal ? L’oublier ne devrait pas être si éprouvant ! Pourquoi suis-je ainsi ? Si faible face à toi…
Assis devant mon bureau, je tape du poing sur la table. Les serpents d’or enroulés à ses pieds tentent de s’évader, mais ils sont figés, comme le temps de notre amour non-partagé. La colère me noie à nouveau. Je sens ses mille tentacules m’aspirer vers le fond d’une mer sombre. J’essaie de me débattre, mais déjà, je manque d’air. La chaleur de mon corps disparaît. Elle cède sous la fraîcheur des abysses où les esprits malins d’anciens noyés me recouvrent. Je glisse lentement dans un cocon de givre. Le souffle me revient, tout comme la rage qui envahit mon âme.
– Maudite sois tu ! Je te souhaite une vie misérable ainsi qu’une mort atroce. Cet homme par qui tu as eu l’audace de me remplacer, j’ai le désir qu’il te rende malheureuse à en crever !
Ma voix détonne comme l’orage qui gronde dans le ciel lors des tempêtes.
– Amina, puisse ta vie être maudite et affable ! Puisses-tu crier à quel point tu as eu tort de me quitter.
Une sensation de mourir et de revivre s’active en moi. Elle réchauffe et refroidit mon corps, tant et si bien, que je ne sais plus si je suis de glace ou de feu. Elle s’empare de mes sens, élève des milliers de lances qui s’abattent au fond de ma poitrine. La fleur de gel dans mon cœur se fissure, les battements reprennent leurs vrombissements démoniaques et je sens mon organe se déchirer en deux. La douleur qu’il me procure est lancinante, dévastatrice. Elle me prend à la gorge, souffle dans mes veines un vent d’aiguilles brûlantes. Un voile blanc obstrue ma vision. Je perds la tête… Pendant que tout mon être se crispe face à ton image. Tu es là, en milliers d’exemplaires et dans chaque tiroir de mon esprit.
– Je te hais ! hurlé-je, parcouru de spasmes nerveux et colériques.
Ma main rencontre des feuillets, quelques livres, de l’encre et les répand sur le sol. J'en balance d'autres contre les murs, que je brise comme s’ils s’agissaient de ton corps, de ta vie.
Bien vite, la chambre de noce devient l’allégorie de la haine que je te porte. Le sol se recouvre d’un tas de brisures, il ressemble à cette salle dans mon cœur. Cette pièce obscurcie depuis le jour où tu m’as trahi, depuis ces derniers mots, lus, ce moment où tu m’as quitté pour rejoindre ce que tu appelles : le seul et unique amour de ta vie.
L’amertume seule sera restée.
– C’est par ta faute que je me transforme en ce monstre. C’est par ta faute que cette femme est morte, par ta faute que je ne sais plus ce que je ne fais ni quand je le fais. Tu m’as rendu démoniaque. Moi, le sultan qu’on aimait, je ne suis plus qu’un homme qui effraie. En fuyant, tu m’as volé la raison. Rends-là moi ! tonné-je.
Je m’interromps, observe les rayons du soleil qui illuminent la chambrée et les vestiges de mon cœur en miettes.
– Pour tout cela, laisse-moi te maudire à jamais. Laisse-moi croire que tu vis les pires années de ton existence.
Les larmes dévalent sur mon visage comme l’eau surgirait d’un barrage fissuré. J’explose en sanglots. Mes jambes ne me tiennent plus et je chavire sur le sol égal à un ange déchu.
Je suis assez étonnée de l'apprécier.
Il a un truc un mal en lui. Je ne dis pas qu'il a raison de faire ce qu'il fait.