Hazel suivait, glissait et trottinait derrière le lutin. Ce dernier, d'une humeur massacrante, gardait la bouche close désormais. Après les premières fustigations (laisse-moi-tranquille), il semblait aborder une nouvelle tactique et laisser l'ours le suivre, sans rien dire. Peut-être avait-il épuisé son stock d'insultes et autres surnoms, plus revêches les uns que les autres ? (pique-miette, champignon de mauvais augure, triple croute d'oiseau en gelée, cornichon des marais, aubépine vermoule …)
L'ours restait attentif aux déplacements de son compagnon de route, il n'était pas question de le perdre de vue. D'autant qu'il le savait, le lutin essayait de le semer (oh regarde là-bas ! Un-nid-d'abeilles !).
La forêt se réveillait doucement. La rosée attirait des insectes, venus se désaltérer avant le début de leur journée ; le soleil chassait peu à peu la brume matinale. Un papillon dansait avec les rayons naissants et profitait de la chaleur grandissante.
Hazel tenta d'amorcer à nouveau la conversation :
« Nous sommes déjà passés par là, non ? Je crois reconnaître cet arbre tordu. Après, il y avait une pierre. Oui, c'est cela ! Que faites-vous ? Vous me faites tourner en rond ? Oh, mais je n’abandonnerai pas comme ça. Je suis jeune, vaillant... et surtout, je n'ai aucun autre endroit où aller. Maman me disait souvent que j'étais une véritable tête de mule. »
À l'évocation de sa mère, la gorge d'Hazel se noua légèrement. Un fourmillement voluptueux, partant du bas de son ventre se propagea jusqu'à sa nuque, le rappelant ainsi à ses souvenirs. Un chant doux comme le miel raisonnait dans sa tête, sa mère, fredonnant, était en train d'installer leur tanière pour l’hivernation. Son frère et lui jouaient. Plus tard, au signal, ils se rassembleraient les uns contre les autres pour se tenir chaud et passer la saison froide. Dans l'attente, l'atmosphère avait la douceur d'une vie simple et heureuse.
Un cri le tira de ses pensées.
« Aaaaahhhhh ! »
Hazel prit peur. Où était donc passé le lutin ? Sa nostalgie l'avait égaré bien loin.
« Aaaaahhhhh ! entendit-il encore. J'ai mal ! J'ai mal ! Au secours !
- J'arrive... euh... Mais je ne sais même pas comment vous vous appelez ! Euh... Petit lutin, où êtes-vous ? »
Il n'y eut cependant pas de réponse. Il devait agir. Seul. Mais que faire ? C'était un ourson ! Il ne savait pas ce qu'il fallait faire. Sa mère faisait tout pour lui jusque là ! Qu'aurait-elle fait ?
Perdu dans son état d’alerte, une odeur vint lui effleurer les narines. Une odeur de sous-bois, de champignon grillé avec un soupçon d'écorce. L'odeur du lutin. Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? Il renifla bien fort et fut assailli par une multitude d'arômes. Tellement qu'il grimaça sous l'assaut. Il éternua trois fois et se concentra sur l'odeur qu'il devait chercher. Oui, celle-là. Il inspira plus doucement et à l'aide de son nez, suivit la trace du petit homme.
Quelques pas plus loin, il aperçu dans un trou assez profond un chapeau qu'il aurait reconnu entre mille. Un bonnet, jaune, formé avec des feuilles de Ginkgo biloba. Hazel fourra sa truffe dans le creux et le lutin marmonna :
« Nom d'un troll sauvage ! Tu m'as trouvé ! J'avais espoir que si j'me taisais, tu finirais par vaquer à tes occupations... J'me serai bien sorti de ce traquenard tout seul.
- Très bien, puisque c'est comme ça et que vous souhaitez tant mon départ, j'y vais. Je vous laisse. Je voulais uniquement savoir où nous sommes. Je ne reconnais rien ici. J'ai perdu ma famille. »
Hazel fit demi tour et, le coeur gros, s'en retourna.
« Non, attends ! Reviens ! Nom d'un poil de serpent à plume ! Maintenant que t'es là, autant que tu m'sortes d'ici. »
Le lutin se tut et ajouta :
« En récompense, j'te dirais où on est, d'accord ? »
L'ours hésita. Avoir enfin un peu d'informations pourrait lui être d'une aide précieuse. Mais le mauvais caractère de ce malotru, comme aurait dit sa mère, le piquait comme une ronce restée accrochée à ses poils.
« Très bien, finit-il par dire. Je vous aide. Vous me direz ce que vous savez de cet endroit, puis je partirai. Nous n'avons rien à faire ensemble, chacun ira de son côté. »
Hazel s'approcha de l'endroit de la chute. Puis avec ses griffes, il entreprit d'agrandir l'entrée, assez pour y mettre sa patte. Son odorat lui indiquait la tanière d'un loir. Les effluves ténues lui témoignaient l'abandon de ce refuge. La bonne nouvelle, c'est qu'il se découvrait une capacité qu'il ignorait posséder.
« Hé, attention avec tes griffes ! Manquerait plus que tu m'écornes le bonnet avec ça ! »
Ne tenant pas compte de la remarque, il continua son labeur et quand le trou fut assez important, il passa son membre pour recueillir le lutin qui s'assit dans sa main. Une fois sorti, le petit être sauta à terre, époussetant ses habits d'une main.
« Je crois que mon poignet est foulé. Ou pire cassé. J'ai mal, tellement mal...
- Bon alors, s'impatienta Hazel, vous avez quelque chose à me dire...
- Ah oui, ça. N'as-tu aucune compassion pour un Fir Darrig1 qui vient d'avoir la peur de sa vie et s'est peut-être fracturé un membre. Membre meurtri, que j'ne pourrais peut-être plus bouger... ou pire encore que l'on devra certainement amputer ! Et tout ça par la faute d'un ourson égaré que j'ai tenté sans succès de semer. »
Ne trouvant pas d'écho dans sa complainte, le silence de l'ours lui fit reprendre ses esprits.
« Ah hum. Oui, je m'emporte un peu. Et bien, nous sommes dans la Contrée d'Ul. Voilà. »
Hazel attrapa le nom lâché avec si peu d'élégance et le recueillit telle une goutte précieuse. La contrée d'Ul. Le nom raisonnait à ses oreilles, mais comble du malheur, il n'en avait jamais entendu parler.
« Bon, c'est pas tout ça, mais j'ai d'autres fées à fouetter, moi, l'interrompit le lutin dans sa réflexion.
- La Contrée d'Ul ? Mmmh... mais ça ne me dit pas vraiment si c'est loin de chez moi...
- Tu m'as pris pour quoi ? Une carte ambulante ? Sais pas et m'en fiche. Aller, bon vent ! On a dit, chacun son chemin. Et bien, on y est, Azil. A bon entendeur, salut ! »
1Peuple de lutins farceurs et insolents.