Ien revint à la Songerie le zef suivant. Feuilletant un recueil, Jessamyn l’attendait, assise par terre, le dos appuyé contre une étagère. Il la salua selon l’usage, d’un frôlement des doigts sur le poignet et se laissa entraîner dans une marche kamire. Ils reprirent l’exercice de la veille sur le motif de la réflexion, de longues boucles qui, si on les avaient tracées sur le sol, auraient formé une fleur aux multiples pétales. Une nouvelle fois, Ien se prêta au jeu des descriptions. D’abord enthousiaste, l’arrivée du loigne marqua le début de lassitude. Voilà quatre constellations entières qu’il décrivait la Songerie selon les point de vue demandés par sa maistre. Les couleurs, les formes, les lumières, l’histoire. Les personnes-même, et pourtant il n’y avait guère de passage. De temps à autre, un Tisseur perdu dans ses pensées traversait la pièce, silhouette zinzoline dans la pénombre.
Après une nouvelle description de la salle debout sur une chaise, Jessamyn interrompit la leçon. Elle tendit la main à Ien, l’aidant à descendre tout en interrogeant son exhalt et Ien ne chercha pas à lui cacher ennui que dispensait sa peau laiteuse. S’installant sur le siège d’à côté, la Tisseuse lui demanda :
« Que sais-tu de la Guilde, Ien ? Que sais-tu des Tisseurs ? »
Pris de cours par la question, le jeune Kamir improvisa une réponse, expliquant qu’ils étaient les faiseurs de Rêves, réputés pour leur capacité à condenser leur exhalt en tableaux oniriques qu’ils vendaient à prix d’or aux marchands que le sommeil fuyait. Jessamyn l’écouta, dardant sur son élève le regard sérieux des Kamirs.
Ien fut congédié d’un geste de la main. Il voulu comprendre et demanda à Jessamyn, mais elle resta muette et replongea dans la lecture de son recueil. Perplexe, Ien monta dans l’ascenseur.
Il était encore tôt, aussi le liseré-Tisseurs s’arrêta-t-il plus haut dans la Bibliothèque. Il s’engouffra dans un rayonnage, suivant du bout des doigts les moulures du bois. Elles étaient reproduites sur chaque étagère et pourtant il connaissait celles-là par cœur : les nœuds du bois, les bulles de résines, les rayures du vernis laissées par le temps. Toutes les aspérités qui rendait cette rangée unique : la rangée consacrée aux Tisseurs de Rêves. C’était rassurant de retrouver sous ses doigts la partition familière de ses aspirations. Combien de fois était-il passé là, lisant et relisant des livres entiers sur la fondation de la guilde, les biographies des membres éminents, ou les récits émerveillés de consommateurs de Rêves. Pourtant, cette section était bien peu fournie malgré tout ce qu’il y avait à en dire, les Tisseurs étaient plutôt avares d’informations à leur sujet.
Ien parcouru les rayonnages des yeux, il était venu dans l’espoir de trouver des détails à ajouter à ses descriptions du prochain zef. Il passa en revue tous les volumes et finit par prendre un petit livre qu’il ouvrit par le milieu.
« … un immense hall qui doit s’étendre sous toute la ville tant il est vaste, j’ai marché durant une heure, droit devant moi avant de faire demi tour pour éviter le risque d’y errer sans fin. Les rayonnages sont disposés en éventail depuis le bas des escaliers, chacun supporte des milliers de fioles, je n’aurai jamais imaginé que la production de Rêves en bouteille était importante ! Le sol et le plafond sont en pierre de lave brut, comme le fond d’une carrière et de temps à autre coulait une fontaine.. »
Ien tourna quelques pages et reprit sa lecture : « J’ai avancé dans cette pièce impressionnante, non pas par sa taille dont les dimensions n’excèdent pas celles des autres étages de la Bibliothèque, mais par son atmosphère. Les murs sont creusés de petites niches dans lesquelles sont rangées les précieuses bouteilles. Au centre, se trouve une une source de lumière blanche qui, se reflétant sur le verre des fioles, crée dans la pièce une myriade d’arc-en-ciel. La voûte du plafond, bien que majestueuse, paraît bien terne à côté de ce spectacle... »
Ien referma le livre, laissant un peu de sa perplexité sur les pages. Il aurait bien parié sur des vantards affirmant avoir vu la Songerie pour un instant de gloire mais la majorité des témoignages étaient Kamirs, et un bref contrôle de Vériteurs permettait à tout Chercheur de vérifier la véracité des propos recueillis : l’exhalt ne ment jamais. Aucune des personnes interrogées n’avait dû entrer dans la véritable Songerie, de simples Rêves pour contenter leur curiosité.
Ien émergea de ses pensées et consulta le cadran de sa montre. L’aiguille pointait la constellation de l’Astré, le loigne était bien entamé. Le Kamir remonta vers la surface et sortit de la Bibliothèque. Dehors, la Lune brillait dans le ciel, scintillait dans le Bassin du Monde. Face à tant de sérénité, Ien sentit perler sur sa peau un début de fébrilité, couvrant tout le reste irrationnellement. Il s’arrêta sous un porche pour calmer son exhalt et laisser la vue de la ville calme faire illusion sur ses doigts. S’il avait été sûr de lui, la veille, en franchissant les portes de la Bibliothèque pour rejoindre la Songerie, il n’était désormais plus sûr de rien. La question de Jessamyn revint dans ses pensées, comme un écho de ses propres interrogations : « Que sais-tu des Tisseurs, Ien ? ».
Rien, il ne savait rien.
Concernant le rythme, je le trouve juste comme il faut. Mon ressenti est que ce format de chapitre est bien adapté à cette histoire :)
D'ailleurs je viens de percuter pour exahlt. Et je valide d'autant plus le concept que je le comprend, c'est une super idée :)
J'aime bien le questionnement de Ien. Le fait que le chapitre soit assez court mais concis peut aussi coller avec la propre personnalité du personnage. Ce qui fait que tu écris sur mesure, en quelque sorte. Donc ça ne me dérange pas niveau longueur :)
Je viens de relire ce chapitre, je ne me souvenais plus de sa dernière version... Merci pour ton avis sur le rythme !