Chapitre 2. Où vouloir est impossible

Par Voltage

I. Aktas

 14 octobre -11 689, village de l’aube, 3h12 p.m.

Une rage bouillonnait en moi depuis ce matin, et depuis tout ce temps, je n’eus jamais réussi à la chasser. Un volcan de lave tourbillonnait en moi sans jamais m’arrêter, j’arrivais même à le sentir bouger dans mon ventre. Mais à cette rage n’était pas mélangée l’espérance, car je savais pertinemment que retenter chaque année est peine perdue. Je m’étais entraîné intensivement pour qu’ils acceptent enfin, et apparemment sans succès. Mais ce ne sera jamais fini. Je tenterai toujours…En vain. Et ça je le sais aussi…

J’étais assis sur une tour des ruines du château du village. Constituée de pierres et de roches, elle restait très solide, mais personne n’osait monter dessus, ainsi que de pénétrer dans le château lui-même. Je crois que je suis le seul qui le considère encore comme partie intégrante du village. Ceux qui ne le voient que comme une ruine menaçant de s’écrouler se trompent. Ils le voient comme une tache. Je le vois comme un espoir de sérénité. Oui, car c’est le seul endroit où ne serait-ce qu’un seul membre de l’ordre ne me suit pas. Pourquoi simplement « l’ordre ? » Eh, bien, je ne vois pas trop comment je pourrais l’appeler autrement. Personne ne connaît le vrai nom de cette organisation, de cette alliance entre Aktas et la Terre, qui l’a créée, qui est à sa tête, comment elle s’organise…C’est vraiment difficile à déterminer avec le peu d’informations qu’ils nous laissent. Tout ce que je sais, enfin, surtout ce qu’ils veulent qu’on croie, c’est qu’ils sont partout. Je regardai autour de moi, n’apercevant seulement des murs un peu délabrés et un escalier menant dans l’obscurité au loin. « Vraiment partout » commentai-je avec un rictus. Je ne me méfiais pas ici. C’était ma planque. J’avais installé dans l’aile ouest du château un bureau avec des livres et des documents, et je scellais la porte en la faisant fondre afin qu’elle soit inouvrable. Il y a une autre salle dont j’ai fait la découverte, et qui m’enchante encore plus que l’existence du château lui-même. Cette salle a ses murs, son sol et son plafond recouverts d’un alliage inconnu, ultra-résistant à la Pyromagie. Je suis bien sûr capable de manipuler aussi la terre, mais je n’ai jamais réussi. Il y a longtemps, on m’a demandé de choisir en Pyromagie et Gaémagie. Bêtement, j’ai répondu Pyromagie, et depuis il m’enseignent cette discipline. Et l’autre non. Ils ne l’ont pas oubliée, mais ils espèrent que je l’oublie. Ils veulent effacer ma particularité. Cet ordre me dégoute…Bien sûr je n’ai pas renoncé à la Gaémagie ! Je tâche de l’utiliser le plus souvent possible, à l’abri bien sûr du regard des membres de l’ordre, et je n’ai jamais réussi à la stabiliser. Ce qu’ils me font subir est horrible, c’est comme s’ils essayaient d’effacer une partie de moi-même, une autre moitié. Et maintenant, j’ai beau l’appeler, elle ne répond plus. Elle est partie…Bref…Cette salle a évidemment quelque chose de spécial. Après m’être acharné pour découvrir ce qu’elle cachait, j’ai finalement découvert un levier. Lorsque je l’ai tiré la première fois, je n’ai pas fait attention aux effets secondaires qu’il pourrait avoir. Cela m’a valu une énorme cicatrice en forme de triangle au dos. Oui, lorsque l’on actionne ce levier, une forme se découpe, fend l’air et fonce droit sur nous. Génial. En plus, cette forme est parfois enflammée.

Et croyez-en un expert, le feu, ça brûle.

Je contemplais la vue sans rien y trouver de particulier. Aktas est un monde où la technologie est autant développée que chez les habitants de la Terre, mais les Aktassiens préfèrent utiliser cette technologie pour les armes. Il y n’a pas de société de consommation, le confort est minimisé, il faut toujours rêver pour posséder un téléphone portable ou un ordinateur, les gens ici trouvent tout cela inutile. La plupart du temps est consacré aux arts-martiaux et aux jeux de combat. C’est comme si on prenait la Terre aux cours de son évolution à la fin de l’antiquité, qu’on rajoutait la technologie actuelle et voilà Aktas. Les pays sont complètements boisés (ou autre suivant leur climat) parsemé de petits villages et de quatre grandes capitales, une par pays. Mon village s’appelle Mortus, se trouve sur un des plus hauts plateaux du pays entier et est dans une zone des plus dangereuses, vers laquelle personne n’ose s’approcher. Pourquoi ? Je pense que vous le saurez assez vite…Lorsque l’aube se lève, on a une vue imprenable sur le soleil aux teintes orangées qui se lève. Lorsque vient le crépuscule, le second soleil rouge sang disparaît dans un spectacle assez glauque où toute la lumière disparaît. Devant moi se dresse la plus dense des forêts du pays. Elle est composée principalement de sapins, mais personne n’a pénétré dedans pour vérifier ces dires. Le climat est, dans l’ouest du continent Ochride où je suis, tempéré, voire brumeux et froid.

Je n’aime pas regarder le ciel l’après-midi. Donc je ne sais même pas pourquoi je reste planté, accoudé à la fenêtre de cette tour…Je me redressa, m’éloigna du rebord et dévala les escaliers de pierre en spirale. La roche était dure et froide, et bien que mes chaussures bloquassent le froid, un frisson glacial me parcourut. Arrivé en bas, je traversai la moitié du château et sortis enfin de ce bâtiment morbide. Une grille noire menaçante s’interposait entre moi et la sortie. Je choisis cette fois de l’escalader. Pire choix du monde. A peine avais-je posé mon pied sur une barre qu’elle se tordis, me retirant mon appui et me fit tomber sur l’herbe et les cailloux.

- Fais chier la magie, m’écriai-je.

Une main se tendit devant moi. Je croyais apercevoir un visage familier, un membre de l’ordre, mais c’est finalement un homme étranger qui se dressait devant moi. Son expression n’avait rien de jovial, son sourire était tout sauf bienveillant. Rien qu’à l’étincelle que malveillance et de haine qui traversait ses yeux, je restais pétrifié. Il portait une cape noire, qui cachait tout, de son apparence à ses intentions. La seule chose que je pus voire est le symbole tatoué sur sa main gauche. Un croissant de lune coupé en deux avec un triangle et un cercle au milieu.

J’écarquillai les yeux. Je pus voir encore mieux son sourire éclatant.

- Bonjour mon garçon. Je te cherche depuis longtemps tu sais.

Ma vue se brouilla, et je ne pus distinguer l’homme plus longtemps. Etrangement, je restai debout et conscient. Je réalisai soudain que c’était l’homme qui était brouillé, ainsi que le mètre autour de lui. J’eus alors un tilt. C’était une épreuve. De l’ordre. Ils testaient mes réactions, mes mouvements. Si je restais blasé, ils pourraient croire que j’avais deviné la nature de l’homme. Si j’exagérai, j’aurais raté l’épreuve. C’était toujours comme ça. Ma vie était une routine de comédies, de mensonges et de faux espoirs alimentés par le même facteur qui détruit ma vie à petit feu. J’avais 14 ans et je n’avais toujours pas commencé la vie que je voulais vivre. En me retenant sur Aktas, ils me paralysaient, me retenaient comme captif, comme un vulgaire prisonnier, une expérience, un sujet d’analyse auquel on n’accorde par le plaisir de la vie. Mon corps était actif. Mon âme était endormie, et souffrait en silence de sa captivité. Elle criait, hurlait sûrement, de désespoir, et je souffrais avec elle.

Parfois je me demande comment vivrait un autre adolescent de mon âge. On dit que l’autre dimension est la terre de la liberté. L’Amérique, l’Europe, des continents grandioses dans lesquels les humains auraient confort et liberté, joie et plaisir, loin des pays mornes d’Aktas où la guerre et la bataille font rage à chaque instant, seul divertissement.

Je devrais me sentir en sécurité, protégé par l’ordre.

Mais pourtant, j’ai l’impression que certaines choses vont changer. Radicalement changer.

 

 

II. New York

 

Time Square, New York, 26 October 2015, 11:23 pm

Les images sont belles. Elles dansent sous ses yeux. Ruby dégaina son appareil photo et captura cette merveille. Sur la place publique, les images, publicités et actualités dansaient devant ses yeux. Un défilé de couleurs se faisait désirer, avant de réapparaitre aussitôt, comme une multitude de flashs. C’était difficile d’imaginer une meilleure vue qu’ici. Les hauts immeubles de verres reflétaient parfaitement les différents spots de couleurs. Comme des rayons. Comme un arc en ciel.

Puis ces couleurs et cette animation disparurent. Un murmure parcourut la foule attendant avec empressement la suite du spectacle. Ils veulent de la joie. Ils veulent du rire. De la nouveauté. Sans se soucier des conséquences que pourraient avoir ces nouveautés sur eux ou sur les autres. Non, ce qui compte ici, c’est l’instant présent. L’obscurité soudaine permettait aux touristes d’admirer à présent le magnifique ciel étoilé, naturel et sobre. Il était, lui aussi, magnifique. Mais personne ne prenait la peine de l’admirer. Il n’a rien de nouveau, rien d’original. C’est juste le ciel. Le fait est que tout le monde ici s’en fiche. Où sont les illuminations, les trainées publicitaires de couleurs et de manipulations qui nous donnent le sourire temporaire ? Parti pour un court moment et ça personne ne semble apprécier. La preuve, les gens sortent tous leur portable, qui affichent une nouvelle lumière dans la nuit.

Ruby échappe à cette règle. Elle prend des photos soignée et successives de la vue des immeubles sur le ciel. Son cadrage est grandiose et le rendu est superbe. Elle esquisse un sourire en contemplant ses photos, puis range son appareil en le fourrant maladroitement dans sa sacoche. Ruby se remet à marcher vers l’est, busculée par la foule, par les zombis devant leurs portables, se fait crier dessus plusieurs fois. L’heure indiquée par sa montre lui informe qu’elle est en retard. Vite. Elle pousse. Elle feinte. Elle tente de passer. Mais une barrière d’Hommes l’en empêche inévitablement.

Un éclair fuse sur un des panneaux d’affichage digital. Un murmure d’approbation gagne la foule. Ruby s’arrête, regardant attentivement ce même panneau. Il prend une couleur bleue nuit, allant vers le blanc en dégradé. Bientôt, tous les panneaux font de même. Elle plisse ses yeux noisette pour entrapercevoir un logo familier. MC. Magic’s Compagny.

- Une révolution, commença une voix robotique, un changement dans votre vie. Une parcelle menant vers la liberté. Les panneaux affichèrent une route désertique, devant un lever de soleil. Une voiture passa à une vitesse folle, puis on eut droit à un magnifique ralenti, montrant chaque courbure de cette voiture parfaite. Elle était luisante, grise, étincelante. La nouvelle voiture Freedom, reprit la voix, vous assurera confort, vitesse, et l’agilité d’un fauve en chasse. Disponible le 2 novembre dans nos magasins.

Tous les écrans s’éteignirent, ne laissant l’image de cette voiture que dans les pupilles émerveillées des futurs clients de la Magic’s Compagny. Ruby leva les yeux au ciel, agacée, avant de reprendre sa marche vers les locaux. Cette fois, personne ne lui barra le passage.

- Les gens sont tellement cons, dit-elle sans faire attention aux regards emplis de colère qu’on lui adressait.

*

Banlieue perdue d’Asie, même heure, même date

- Qu’est-ce que c’est beau, s’écria un homme en regardant la même publicité.

Il éclata ensuite d’un rire qui n’avait rien de lucide. Il était carmin et terrifiant. Le cri dura longtemps, et il fut une torture pour ceux qui l’entendirent. L’homme ouvrait grand la bouche, ce qui laissait à découvert ses dents pourries et pointues, tranchantes tels des couteaux. Ses yeux bleus semblaient fous, tournant dans tous les sens. Sa peau était blanche et translucide comme du plâtre baigné dans de l’eau.

- C’est magnifique ! cria-t-il de plus belle en retombant dans cette même crise d’hystérie.

Il toura la tête vers le haut à 90° pile.

- Coucou ! dit-il à la caméra. Ouais, je suis encore sorti de ma chambre. Je sais que c’est interdit ! (Il poussa un cri de rage, avant de courir vers une autre camera et hurler :) JE SAIS QUE C’EST INTERDIT !!! L’homme sourit à pleine dents, une lueur de folie dans les yeux.

Cet homme avait été envoyé dans cet asile de l’Asie centrale, celui qui regorge des cas les plus abominables. Il avait été diagnostiqué comme un cas grave, il se tailladait les bras la nuit, il mangeait sa propre chair quand il avait faim, qui tuait tout ce qui bougeait autour de lui. L’homme était incontrôlable. Il arrivait à sortir de sa cellule blindée et capitonnée comme bon lui semble, malgré toutes les mesures prises pour renforcer la sécurité de sa cellule.

Il se tourna brusquement vers une fenêtre. Son sourire disparut. Il savait qu’on l’écoutait tout le temps. Mais il ne voulait pas faire de faux pas. Même si cet homme était fou, il gardait une partie de sa raison.

- Allez vous faire foutre, vous et vos voitures de merde !!!

Il s’allongea subitement, raide mort.

L’homme rit une dernière fois. On discernait le début d’une larme au coin de son œil.

- Ils m’ont tout enlevé…Même mon gosse…murmura-t-il.

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