Elle m’a saluée, comme si de rien n’était. C’est quoi son problème ? :
« - T’es vivant ? Demande-t-elle.
- Bien sûr, ça se voit p-
- Ah, enfin quelqu’un de vivant et qui parle anglais ici. S’exclame-t-elle en se mettant assise en tailleur à côté de moi.
- Je suis américain, évidemment que je parle angl- eh, attends, c’est pas le propos, t’es qui toi ? D’où tu viens ? C’est quoi cette tenue ? Qu’est-ce que tu me veux ? Comment t’es arrivé ici ? Demandé-je en me levant aussitôt et la pointant du doigt.
- Oh pardon. Je suis Tania. Tania Falli, 23 ans, j’ai quitté le clan des Survivants, leur vision des choses ne me plaît pas, alors je suis venue ici dans l’espoir de constater une bonne entente entre les vivants et les zombies. »
Quoi ? Elle est sérieuse ?! Elle pense vraiment être capable de raisonner l’autre clan avec cette utopie. Ce serait le rêve si c’était si simple, mais j’ai l’impression qu’elle n’a pas conscience de ce qu’elle dit :
« - Bon, réponds à mes autres questions veux-tu.
- Ah oui. Bah pour la tenue, c’est ce qu’on porte habituellement au boulot, je suis arrivée à bord d’un hélicoptère que je conduis à la perfection, assure-t-elle d'un pouce levé, et la raison de ma venue, tu la connais déjà.
- Ah je vois… … tu crois vraiment que j’allais dire ça !? M'écris-je. Qui me dit que tu n’es pas une espionne venue ici pour m’assassiner ou autre ?!
- Mais je te jure que je ne te veux rien de mal, je veux qu’on s’entende bien et voir de mes propres yeux ceux que tu diriges, les zombies. »
Je ne sais pas, elle semble sincère. À bien y réfléchir, les Survivants n’enverraient personne comme ça, c’est trop gros, je veux bien croire qu’elle soit venue de son propre chef, mais rien ne prouve qu’elle ne me veut aucun mal, à Léa ou à moi. Pour l’instant je dois la garder à l’œil. Je décide de quitter la gare malgré le début de discussion qui vient de s’installer. Elle me suit sans rien dire. Ma direction est la même que d’habitude, la terrasse du restaurant, notre chez nous avec Léa.
Nous sommes à quelques rues de notre point d’arrivée, et c’est alors que Tania me tapote l’épaule, je me retourne, elle pointe du doigt devant nous un peu plus loin dans la rue et signale ce qu’elle voit :
« - Jim, un accident.
- Un accident ?! Comment c’est poss- Hein ? »
La seule personne pouvant conduire ici, c’est Léa. Il y a une semaine de cela, on avait trouvé une voiture encore en état de marche, comme elle savait conduire, elle en a profité. Je pourrais reconnaître la voiture qu’on a un retapé entre mille. C’est elle. Inquiet, je me dirige vers la voiture accidentée. Elle est complètement retournée. La portière côté conducteur est légèrement ouverte, ceci me permet de l’ouvrir en forçant un peu. Je découvre Léa à l’intérieur attachée à sa ceinture, pendue par le torse à l’envers, sans soucis elle dit :
« - Tiens Jim, ça roule ?!
- T’es pas croyable toi, j’ai cru que t’y étais resté.
- Bah, j’avais trop confiance et j’ai pris un petit tremplin. Rien de grave.
- Bien sûr, finir la tête à l’envers en voiture, c’est rien. Attends, je vais te sortir de là. »
Je détache sa ceinture et l’aide à sortir du véhicule, nous nous éloignons un peu de la scène, je la sermonne un minimum, la prévenant que sa tête ne devait pas être endommagée et qu’elle le savait très bien, cet accident aurait pu être plus grave. Pendant mon petit discours, elle regarde bien évidemment la nouvelle arrivante au masque à gaz. Elle me demande sans attendre la fin de ma tirade :
« - Qui c’est elle ?
- Tu m’as écouté au moins ?! Cris-je
- Oui, mais qui c’est cette planche à pain ?!
- Léa, c’est pas très gentil, tu la connais à peine.
- Tu prends sa défense en plus ?!
- Mais… arh, dis quelque chose Tania.
- Depuis quand tu la connais, cette planche à pain ?
- Tania, dis un truc !
- Je n’ai rien à dire à cette vache laitière. Lance finalement Tania, vexée.
- Oh, alors elle sait parler la planche à pain ?!
- Bien sûr, et toi, je pensais que t’es mamelle serait trop lourde pour que puisse respirer, vache laitière.
- La planche à pain a de la répartie à ce que je vois.
- La vache laitière perd-elle de sa confiance maintenant ?!
- Les filles ! On se calme ! Je vais tout vous expliquer ! Tout ! Alors on garde les insultes pour plus tard ! OK !? »
Elles soufflent, boudent, se tournent le dos. Même comme ça, je pense pouvoir parler en tranquillité. Qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête de Léa ? Elle a bien dû comprendre que Tania n’était sûrement pas une habitante du Japon, pourquoi est-ce qu’elle fait cela ? Je ne comprends p-… … je viens de jeter un œil à l’expression de Léa. Ma surprise est bien évidente lorsqu’elle tire ce sourire bête, celui que l’on tire quand on se rend compte que l’on a fait un truc d'anormal, qu’on se moque de soi-même. Elle s’ennuyait, même si j’étais là, elle a dû se sentir bien quand elle a vu quelqu’un d’autre de vivant, elle a voulut s’amuser. J’espère que Tania comprendra :
« - Bon pour vous résumer la situation, ça se présente comme ça. Tania je te présente Léa Tina, ma femme, comme tu peux le voir, sa condition physique est similaire à celle d’un zombie, néanmoins contrairement aux autres, elle a gardé ses capacités humaines et ses souvenirs, excuses son comportement s'il te plaît... ensuite, continue-je en me raclant la gorge, Léa je te présente Tania Falli. D’après elle, elle a quitté les Survivants pour me trouver et installer une situation de paix entre les deux clans. Arrivée ici en hélicoptère, elle m’a trouvé à la gare alors que j’attendais Len. Elle est sincère sur sa condition de renégat, mais je doute encore de ses ambitions futurs ici, alors je garde un œil sur elle. Si vous avez compris, retournez-vous et serrez-vous au moins la main, c’est pas le moment de se battre.
- Si déjà elle enlevait ce masque à gaz, je serais plus rassurée. Dit Léa encore le dos tournée.
- Ah oui, pardon j’avais complètement oubliée. »
Elle ôte ce masque, révélant de courts cheveux rouges écarlate et des petits yeux bleus nuits. Je ne lui donnerais même pas la majorité, comment on peut avoir un visage si lisse ? La surprise de cette figure nouvelle me fait dire :
« - Woh.
- Jim… … retire ce ‘‘Woh’’ tout de suite ! M’ordonne Léa derrière moi avec une aura meurtrière.
- Pardon, je retire ça ! Dis-je en m’agenouillant.
- Haha, alors ton petit copain aurait un faible pour moi. Clame Tania avec fierté.
- Non Léa, j’ai juste été surpris, je te jure !
- Oh, mais rassure toi Jim, je ne pense pas qu’une planche à pain comme elle pourrait te dérober à moi.
- Ah oui ?! T’en es si sûr que ça vache laitière !?
- Laisse tomber Tania, c’est mon Jim tu n’y peux rien. D’ailleurs je te préviens d’une chose. Tes idéaux sont claires et louables, mais sache que notre point de vue est différent. Ça fait longtemps qu’on a abandonné l’idée de faire ami-ami avec les Survivants. Ce territoire est le nôtre, s’ils viennent pour nous et notre famille, alors on les exterminera un par un. Tu peux tenter ce que tu veux pour amener la paix sur cette terre, ton utopie va être difficile à instaurer dans l’esprit des gens. Reste ici si tu veux, mais va falloir te faire à notre quotidien. Jim a dû faire de son mieux pour se nourrir jusque là, qui sait combien de temps on tiendra encore, et moi j’ai dû m’habituer à mon nouveau corps. Si tu penses être capable de rester, alors reste, mais ne nous gêne pas avec ton optimisme. »
Léa est dure, mais je ne peux pas la contredire. Je suis de son avis, mon temps s’est arrêté en même temps que la création de ce nouveau monde. Quiconque cherche à faire du mal à mes enfants pour le plaisir, rejoindra les abîmes de l’enfer, il ne sera même pas digne de rejoindre ma famille. Les Survivants ont déjà tentés de nombreux assaut à notre égares, mais on a repoussé chaque attaque, une en particulier… … tiens… je n’arrive pas à me souvenir, quand est-ce que c’était déjà ? Comment ça s’est passé ? Mince. Pris dans ma réflexion, je vois trop tard que Tania parait perdre en enthousiasme. Elle nous crie à chacun :
« - Vous êtes tous les mêmes ! Que ce soit les Survivants ou vous. Vous êtes tous les mêmes ! Des idiots ! Des idiots finis ! »
Elle tente de s’enfuir en passant entre nous. Je ne voulais pas en arriver jusque là, si Tania est sincère alors je l’accepte entièrement, même si elle doit encore apprendre plusieurs choses, elle reste une personne comme une autre, avec sa sensibilité et ses peurs. Je l’empêche de fuir en l’attrapant par le poignet, mais elle résiste et crie :
« - Lâche-moi ! Je dois partir ! Lâche-moi ! S’il te plaît ! Lâche ! »
Sur ce dernier mot, sa force me surpasse, elle m’envoie un coup de poing et le choc est si puissant qu’il me propulse contre la portière d’une voiture. Léa me rejoint, inquiète. Mon dos me fait atrocement mal, j’ai carrément enfoncé le véhicule avec le choc, ce coup n’était pas normale. Je vois alors la vérité. Léa est dos à elle, me demandant si je vais bien, mais ce que je vois me fait prendre peur, une sensation que je n’ai pas ressentit depuis longtemps me prend aux tripes, mon ventre se noue, et plus que tout après cela, un étrange sentiment de pitié me gagne. Avant toute chose, je dis à Léa :
« - Fuis ! Ne reste pas là ! Elle est… elle est... ! »
C’est cela. Tania ne s’est pas enfuie après m’avoir frappé. Elle s’est même stoppée, son regard se remplissant d’un mal profond, son corps change de couleur, elle n’est plus elle-même. Puis-je même l’appeler humaine ? Elle a dit qu’elle avait fuit le clan des Survivants, et je pense avoir deviné la raison. Au final, que ce soit ici où de l’autre côté de la frontière entre les vivants et les zombies, ce monde ne change pas. Il se corrompt chaque jour de plus en plus, il dénature l’humain, il le transforme.
Je vous le demande, après avoir vu ce que je vois, pourrez-vous me dire si les monstres sont mes enfants… ou les Survivants. Car le plus cruel ici, c’est l’état de Tania, j’en suis sûr et certain que cet état est la chose la plus atroce qu’on puisse infliger à quelqu’un. La peau pâle, les yeux révulsé, un pouls sûrement inexistant, mais se mouvant tel un vivant. C’est l’état de Tania en ce moment, similaire à celui de mes enfants. C’est comme si les Survivants avaient crée… un zombie artificiel !
''Ce n'est pas le temps qui te rattrape, c'est toi qui est à l'arrêt''