Les mois passent et la douche est froide. Des techniciens se sont déplacés pour rétablir ce que Mélusine a défait. Leur action fut vaine ; tricoter leurs fils n'a pas suffi à refaire couler la magie. Plus problématique encore, cette magie n'en serait pas. Mélusine ne trouve pas les propriétés qui la caractérise ; il n'y a ni spontanéité, enchantement ou vigueur dans la force qui animait tout ce qui s'est éteint.
Aussi loin que puissent porter les sens de la fée, tout est exempt de magie et de créatures sachant la manipuler.
Ce qui fait de Mélusine la dernière des fées, le dernier être magique.
Cette pensée courrouce Mélusine qui piétine et entame le premier des cent pas qui l'aideront à réfléchir... Comment peut-il ne plus y avoir de magie ici ? Il y en avait pourtant... J'en suis sûre, certaine même. De précédents voyages nous l'ont rapporté, il n'y a pas de doute à ce sujet, mais pourtant...
Masser ses tempes et grimacer ne semble pas suffisant pour percer le mystère. Mélusine ne renonce pas pour autant et compte régler le problème à la racine. Il ne peut exister un monde sans magie, pour remédier à cela elle à un plan d'une simplicité enfantine.
Du haut de son clocher, Mélusine brasse grimoires et carnets. Elle remonte les manches de sa robe aux reflets d'émeraude et parcours les écrits qu'elle a sous la main à la recherche d'une solution pour rendre sa superbe au monde, faire renaître l'émerveillement, pour redonner sa magie au quotidien.
Plus déterminée que jamais Mélusine parcourt les pages avec conviction. Elle reporte son goûter, puis le dîner et veille jusque tard dans la nuit...
Sur le dos elle regarde la voûte du clocher et joue avec une balle de tissus qu'elle envoie en l'air, puis la rattrape, avant de la renvoyer en l'air pour enfin la rattraper...
Elle s'oublie dans ce geste machinal et dans la géométrie de ce toit qui porte tant de siècles, d'histoire, et de tonnes de pierres. Allongée sur le sol, pensive, elle tourne et retourne dans tous les sens la situation jusqu'à ce qu'une idée la saisisse.
S'il est trop compliqué de comprendre comment faire revenir la magie, il sera assurément plus simple de le faire si on est présent au moment où elle est partie.
Mélusine saute sur place, fière qu'elle est de son idée. Elle s'assoit et pose ses jambes en tailleur, murmure des incantations puis écoute le passage du temps à la recherche du moment opportun. Elle se concentre et inspire profondément ; elle se plonge dans le ruisseau des événements. Il prend sa source et se jette du tenant à l'aboutissement. L'eau est fraîche ; les événements n'ont que faire de ce qu'ils contiennent, ils s'écoulent juste froidement.
Ça y est ! Elle trouve enfin ce qu'elle cherche. C'est décidé le cap est donné.
Mélusine se prépare et se couche pour être pimpante et vive pour la première impression qu'elle fera en cet autre temps.
La nuit passe, la criée du marché la réveille, elle se lève puis s'habille. En deux coups de cuiller à pot la voilà fin prête à partir.
Du haut du cloché émane un murmure, un chant discret et fluet :
Sacripant, sens-tu l'odeur du printemps ?
Apprécies-tu ce goût de changement ?
Entends-tu l'air savant de la mélodie du temps ?
Elle s'érige devant toi, la colonne de l'éternel présent.
La vois-tu, portant l'instant du levant au couchant ?
Sois patient, récite et caresse ces doux moments...
L'air frais du matin voit sa brise bercée par l'air aux vers entraînant. C'est dans une lueur d'un vert grenouille que s’éteint le chant remarqué que par les ouïes les plus fines.
Dès lors, reviennent à la vie grille-pains, sèche-cheveux et réveils hurlants. Le petit écran s'agite de plus belle en chaque foyer ; chacun oubliant l'interlude d'abstinence technologique.