Elle ouvre les yeux. Remuée par les remous arcaniques, Mélusine se lève et s'époussette, redonne forme à sa tignasse pour en faire une chevelure que jalouserait la plus fine des crinières.
La voilà sur une petite butte verdit par une herbe fine à contempler le portail de la cité qui se tient face à elle. À l'intérieur de celle-ci vit l'esprit festif des bons vivants, l’insolence des troubadours et la bonhomie des manières simples.
Tout ce qu'elle cherche est de l'autre côté de ce mur. Mélusine ne tient pas en place et sautille sur la pointe des pieds. Tendant ses chevilles, intensifiant sa foulée, elle saute de plus en plus haut en direction des remparts et ce jusqu'à quitter le sol. Elle s'envole et enjambe les mètres de pierre et d'acier et rejoint la place du marché.
Celle-ci est empreinte d'animation. La population s'agite et s'affaire. La magie y est plus que présente ; une voyante tire les cartes au coin d'une tente pourpre, des fées du logis font leur lessive sur le ruisseau qui traverse la ville tandis que des farfadets prêtent leur services et négocient la tranquillité en échange de bols de crème ou de gâteaux au miel.
Mélusine se sent ici comme un poisson dans l'eau, elle sympathise puis rit aux blagues du maréchal-ferrant, s’épanche sur les histoires de cœur qui bouleversent Anne, la jeune fille du forgeron. En toute chose elle trouve loisir et plaisir et enchante autant qu'elle soulage. Sa demeure prend lieu entre quatre bottes de foin au début, mais le confort se fait sentir quand elle trouve un grenier puis un arbre creux ou vivre.
Les années passent puis les générations et ainsi défile une part d'humanité qui sans s'en rendre compte teinte les souvenirs d'une aura qu'on ne reverra plus. Mélusine voit la science chasser ses sœurs, sans violence le lavoir devient à chaque génération plus sophistiqué, chaque année l'attelage est mieux conçu et réduit les efforts des bêtes et d'autant les demandes d'assistances magiques. Puis arrive le moteur à vapeur, très vite le désintérêt des hommes relègue la magie à de l'obscurantisme. Beaucoup de choses s'oublient, beaucoup de créatures désespèrent, recluses dans leur morosité, elles ressassent la nostalgie d'un monde où elles étaient aimées, appréciées.
Mélusine va agir, elle ne peut laisser se banaliser cette situation. Elle va devoir couper la vapeur.