Chapitre 2 - Thierry

Notes de l’auteur : Ce chapitre aborde des thèmes liés à la séparation, à la dépression et à la dévalorisation de soi.
Certains propos reflètent l’état d’esprit du personnage, parfois cru ou maladroit.

Merci de prendre le temps de lire mon histoire. J’espère qu’elle vous plaira, et je serais ravie d’avoir vos impressions en commentaire.

Eh bah, mon Thierry…T’es qu’une merde. 

Oui. Je suis un énorme perdant et je m’en rends compte à 46 piges. Je pensais pourtant que tout allait bien dans ma vie : maison correcte en banlieue parisienne, un gamin, femme aimante…Mais ce matin, tout a basculé. Sandrine me demande le divorce parce qu’elle en a assez de cette “routine”. “J’en ai marre d’aller en Corrèze et de passer mes vacances chez tes parents !”, les phrases qu’elle m’a balancée à la figure résonnent encore dans ma tête, sans pour autant que je réalise bien ce qui s’est passé. Je revois clairement la scène : elle est dans la cuisine, dans sa tenue de travail noire, s'apprêtant à partir. Alors que j’allais l’embrasser, comme chaque matin, elle me repousse pour commencer sa litanie. Je pensais que ça allait être un énième sermon du genre “t’as pris du poids !” ou encore “on ne fait jamais rien le week-end !”, mais j’ai compris que quelque chose n’allait pas quand j’ai vu une lueur anormale dans ses yeux. Je suis resté pantois jusqu’à ce qu’elle annonce la sentence : “je demande le divorce”. Seul dans la cuisine, ma vie venait de s’effondrer en l’espace de quelques secondes. Vingt ans de vie commune, un enfant, une maison en banlieue parisienne… Tout peut partir à une vitesse phénoménale. 

Aujourd'hui, je ne travaille pas. Je suis donc resté pendant quelques longues minutes debout dans la cuisine à comprendre ce qui s’est passé. J’en suis ensuite venu à la conclusion suivante : “je suis une merde”. Je pense que si j’en avais pas été une, j’aurais vu que ma femme ne pouvait plus me supporter et que ça ne vaut pas le coup de faire ma vie avec moi. C’est seulement maintenant que je réalise que j’ai tout pris pour acquis, comme si ça m’était dû. Comme si ma vie était toute tracée depuis mon mariage et que je n’avais plus aucun effort à fournir. Mais après tout… Pourquoi ça serait de ma faute ? Je me souviens qu’on riait ensemble il y a quelques semaines devant cette série Netflix. Jusqu’à il y a quelques jours, elle me confiait encore ses craintes à son boulot. Peut-être qu’elle m’a trompé et s’est ainsi naturellement rendue compte que l'herbe était plus verte ailleurs. Ou alors c’est sa fidèle voyante qui lui a annoncé notre séparation inévitable. Je devrais être en colère, mais je ne le suis pas. 

J’ai pas plus envie de mourir que d’habitude. 

Si la Terre s’arrêtait de tourner maintenant, je ne serais pas franchement mécontent… sans pour autant sauter de joie. 

Et mon fils dans tout ça ? Au moins il est là lui, et le sera toujours. Même si j’ai pas été le meilleur père du monde, je pense que je peux encore me permettre de lui offrir des après-midis pour raviver notre complicité ! 

“Matéo ? Prends tes affaires, mon grand ! On va au zoo”

Les yeux vides, cernés, la peau marquée de boutons d’acné…Il ne vit pas une période facile, alors je ne pense pas que l’annonce du divorce lui ferait du bien. Je pense que j’espère beaucoup de cette petite sortie… Je veux qu’il choisisse de rester avec moi, je crois, et pas avec sa pute de mère. Ah, ça y est ! Je commence à être en colère ! L'imaginer présenter un nouveau beau-père à Matéo me met hors de moi. J’en claque la portière de ma Clio II sans même le vouloir. Calme-toi Thierry, pense à ce que tu aurais voulu que ton père fasse pour toi ! J’ai toujours eu le souvenir d’une figure paternelle froide et distante, même dans des moments de pseudo détente. Je ne veux pas reproduire ça. Ces petits moments d’attention, Matéo s’en souviendra jusqu’à la fin de sa vie et il les chérira. 

“Papa, on arrive bientôt ?”, me demande Matéo avec sa voix qui n’a pas encore muée. “Prends ton mal en patience, ce temps suspendu ne pourra que te faire le plus grand bien”. Il ne sait pas ce qui l’attend bientôt, alors autant qu’il profite de ce moment…

Tiens, c’est moi où il y a de l’orage ? Je viens de voir un flash blanc très vif…Ça serait étonnant à cette période de l’année, mais ça conviendrait parfaitement à la pire journée de ma vie qui n’est même pas encore terminée.  “Tu as vu ça Matéo ?”, évidemment, il ne me répond pas… J’ai toujours dit à ma femme qu’il avait sûrement un problème de communication. Il aurait dû voir un psy dès son plus jeune âge ! On aurait peut-être eu un mot pour comprendre ses absences du genre “Asperger” ou “TDAH”, j’entends souvent ça à la télé. 

Soudain, un autre éclair blanc survient mais cette fois-ci, il ne s’estompe pas. Tout devient de plus en plus blanc, et je me sens flotter. J’ai froid, très froid, mais je me sens si bien.

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Syanelys
Posté le 08/05/2025
Coucou Vermeille !

Dans le script, je venais chercher des indices de la part d'une autre personne que Matéo pour mener ma petite enquête ! Jolie narration de ta part : deux points de vue autour de la même situation.

Quelque chose m'a intrigué, au-delà de la spirale dépressive dans laquelle le pôpa se lance tout seul comme un grand. Lui se voit bien espérer que la Terre cesser de tourner maintenant que sa vie tombe à l'eau. Un déni classique pour réaliser bien trop tard que le monde continue sans nous quel que soient nos malheurs.

Et en parallèle, Matéo s'imaginait, grâce à ses vidéos ultra-inspirantes et hautement culturelles que notre petit monde lobotomisé pouvait finir atomisé pour excès d'idiotie humaine.

Je suppose qu'il faudra maintenant tirer la carte de la mère dans ton jeu des 7 familles apocalyptiques !

Au plaisir de te suivre jusqu'au bout :)
Vermeille
Posté le 11/05/2025
Coucou Syanelys,

Tu fais bien de chercher des indices, même si mes personnages ne sont pas toujours très coopératifs... Ils gardent leurs cartes bien planquées, même pour moi parfois.

Tu as parfaitement résumé ce que je voulais suggérer avec le père : ce déni un peu dramatique, presque théâtral, face à un monde qui, lui, n’en a rien à faire. Et c’est vrai que mis en regard avec le regard cynico-lucide de Matéo, ça crée une sorte de dissonance générationnelle un peu triste mais aussi comique.

Quant à la mère… qui sait, peut-être qu’elle a tiré la carte joker. Ou celle qui retourne la table.

Merci encore pour ton œil attentif, c’est toujours un plaisir de te lire.
Plume Eclectic
Posté le 06/05/2025
Bonjour, j'ai apprécié la lecture de ce second chapitre. Loin d'être un personnage passif qui ne fait que s'apitoyer sur son sort, Thierry pense à la manière dont il va pouvoir ménager son fils face au drame familial qui se joue. J'étais tellement prise dans la narration que je n'ai pas anticipé le fait que tu nous présentais ici le point de vue du père de Matéo !

Si je peux me permettre, je crois qu'une incohérence s'est glissée : au début tu mentionnes 2 enfants, alors qu'il n'y en a qu'un seul (Matéo).

Hâte de lire le prochain chapitre !
Vermeille
Posté le 08/05/2025
Bonjour Plume Eclectic,

Merci beaucoup pour ce retour, ça me touche vraiment. Je suis super contente que ce chapitre ait plu et que le changement de point de vue ait surpris, c’est exactement ce que je cherchais. Et merci aussi pour la remarque sur l’histoire des deux enfants, c’est un bon repérage, je vais corriger ça rapidement. Ce genre de détail peut facilement m’échapper quand j’ai la tête dans le texte. En tout cas, ton commentaire m’a fait très plaisir.

Merci pour ta lecture attentive, bienveillante et motivante, ça donne vraiment envie de continuer.
Cléooo
Posté le 11/04/2025
Coucou Vermeille, me revoici !

Très intéressant ce chapitre, j'aime bien cette façon d'entrer dans l'intimité de la personne avant que tout ne disparaisse.
C'est top aussi que tu imbriques tes deux premiers chapitres l'un dans l'autre, et justement de commencer avec Matéo en chapitre montre qu'il n'a pas perçu la tension entre ses parents.

Dans l'ensemble je trouve ce chapitre fluide, on suit bien le raisonnement de Thierry et c'est très bien. Si je peux te suggérer une piste d'amélioration, je trouve la fin un peu rapide, le "je me sens si bien" retombe un peu parce qu'au final, quelle raison a-t-il de se sentir bien ? Comprend-il vraiment ce qui se passe à cet instant ? Je me demande si ça ne serait pas plus marquant de terminer sur une image forte, une dernière pensée, je dis n'importe quoi mais le souvenir d'un jour plus heureux, que ça soit plus parlant, cette sensation de bien-être ?

Quelques notes :
- "Peut-être qu’elle m’a trompé et s’est ainsi naturellement rendue compte que l’ailleurs lui semblait plus vert." -> je dirais du coup "que l'ailleurs était plus vert" si on part du principe qu'elle l'a trompé, alors elle a constaté la chose, il ne peut pas lui "sembler". Aussi, on ne dit pas plutôt que "l'herbe était plus verte ailleurs" ?
- "Si la Terre s’arrêtait maintenant" -> ça me semble incomplet : "si la terre s'arrêtait de tourner maintenant" ?
- "Tiens, c’est moi où il y a de l’orage." -> un point d'interrogation plutôt ?

À bientôt.
Vermeille
Posté le 11/04/2025
Merci beaucoup pour ton retour si précis et attentionné, ça me fait vraiment plaisir de te revoir ici !

Je suis contente que tu aies apprécié l’imbrication entre les deux chapitres, c’était un vrai pari pour moi.

Pour la fin, je comprends tout à fait ton ressenti. Mon intention était justement de montrer la brutalité d’une mort instantanée, un moment où le personnage ne comprend pas ce qui lui arrive, mais sent sa souffrance s’évaporer, dans un dernier instant de proximité avec son fils. C’est un choix un peu abrupt, c’est vrai, et pas encore complètement maîtrisé, mais j’ai préféré le laisser tel quel pour l’instant, en gardant en tête qu’une réécriture plus tard pourrait lui donner plus de justesse.

Et un grand merci pour les remarques de forme, très utiles. J’ai corrigé tout ça.

Encore merci pour ta lecture et ton regard affûté, à bientôt j’espère !
Paloma Chataig
Posté le 07/04/2025
Lorsque j’ai lu la 1iere phrase et ta note de aux lecteurs, je me suis dit « non…ça va être lourd ». Et puis, finalement il rebondit assez vite ce Thierry, ça me semble très réaliste en terme de réaction :-). J’adore l’idée du zoo qui semble maladroite et touchante pour un ado comme Mateo qu’on a rencontré au chapitre 1 et qui semble bien plus grand que son père ne le voit ! Bref, j’ai beaucoup aimé !
Vermeille
Posté le 08/04/2025
Merci d’avoir persisté et d’être entrée dans la peau de Thierry. Je suis contente que tu aies apprécié son évolution, et que la symbolique du zoo t’ait parlé.
AlaindeVirton
Posté le 03/04/2025
Hello! J'ai lu le premier et suis de suite passé au deuxième; et je vois donc que ces morceaux de vie sont imbriqués les uns dans les autres. C'est une très bonne idée et c'est aussi très réaliste. Cette approche permet de bien cerner les personnages tout en opposant les personnalités et les points de vue. Super. Hâte de découvrir la suite.
Vermeille
Posté le 03/04/2025
Salut !
Merci beaucoup pour ce retour, ça fait vraiment plaisir. L’idée était justement de construire quelque chose d’imbriqué, où les personnages peuvent se révéler par contraste ou par écho. Très contente si cela fonctionne comme prévu. En espérant que la suite soit à la hauteur !
Camille Vernell
Posté le 31/03/2025
La douleur de la fin.
C'est triste et beau à la fois. Un personnage touchant, humain dans sa douleur, dommage collatéral d'une tragédie humaine.
J'aime la façon dont tu dresses les portraits de tes personnages confrontés à l'indicible.
Comme dis dans mon commentaire suivant (oui, je voyage aussi dans le temps) tu tiens un concept.
Vermeille
Posté le 31/03/2025
Merci beaucoup, ça me touche que tu aies vu tout ça dans Thierry.

Je voulais vraiment qu’on ressente sa douleur de manière brute, sans pathos, juste ce mélange d’usure, d’agacement, de solitude, et ce réflexe un peu vain d’essayer de faire les choses “bien” quand tout s’écroule.

Et j’aime bien l’idée que tu commentes dans le désordre. Comme si chaque personnage pouvait être découvert indépendamment, à son propre rythme... Un peu comme dans la vraie vie, finalement.
David.J
Posté le 29/03/2025
Ce chapitre est cru, vrai, et touchant. Thierry est pathétique, parfois odieux, mais profondément humain. Tu captures parfaitement cette spirale mentale entre auto-dérision, déni, colère et détresse. Le monologue est bien rythmé, sans jamais surjouer. Et ce glissement subtil vers l’étrange, à la fin, marche encore une fois très bien.

Tu sais rendre tes personnages vivants, même quand ils sont en train de s’effondrer.
Vermeille
Posté le 31/03/2025
Merci beaucoup, encore une fois. Ça me touche énormément de voir que tu lis aussi finement et que tu ressens les nuances que j’essaie de faire passer. Thierry est un personnage que je voulais brut, parfois détestable, mais jamais caricatural — juste un homme au bord du gouffre.
Le fait que tu parles de “glissement subtil” me fait très plaisir, parce que c’est exactement ce que j’espérais créer.

Merci encore pour ton regard, il m’encourage beaucoup pour la suite.
Minerve
Posté le 28/03/2025
J'ai bien aimé quand on se rend compte que c'est le père de Matéo!
On en voit un peu plus sur cette fin du monde, avec les éclairs blancs (on avait un temps suspendu et un flottement dans le premier chapitre, mais là on voit l'avant) ! Toujours aussi curieuse!
Sinon une très bonne écriture du personnage, ça me rend vraiment triste pour lui, même si on ne connaît pas les motivations de sa femme...
Vermeille
Posté le 31/03/2025
Merci pour ton commentaire Minerve !
Effectivement, c'est un peu triste pour lui... Pauvre Thierry
Plume de Poney
Posté le 25/03/2025
Nouveau moment de vie avortée, nouvelle vérité révélée. Qui se rattache au témoignage de Matéo et montre l'incompréhension face à son comportement. Le concept est encore plus sympa que ce que j'imaginais !

J'ai trouvé ça intéressant aussi car le témoignage de ton personnage n'est pas cliché, il n'est pas dans le déni ou l'abattement face à ce qui lui arrive, il est perdu, cherchant une réponse impossible à trouver, là où il s'est planté et pourquoi.
Il veut continuer à être père, pour faire mieux que le sien, mais aussi pour ne pas laisser sa femme gagner. Il regrette de ne pas avoir été le meilleur possible mais il ne semble pas avoir ignoré son fils non plus... Il n'est pas parfait ni détestable, c'est un gars moyen qui essaye de faire ce qu'il faut comme il pense devoir le faire. Et visiblement il a échoué.
Du moins dans son mode de pensée évidemment. J'imagine que si ensuite tu nous présente le point de vue de sa femme, ça donnera encore une autre vision à la chose.

Mais à sa manière, je trouve qu'il a une certaine justesse dans sa détresse. Nrzvo pour ça !
Vermeille
Posté le 26/03/2025
Merci pour ton commentaire, Plume !

Ça me fait super plaisir que tu aies ressenti tout ça à travers le texte. J’ai vraiment essayé de rendre les personnages les plus réalistes possibles, justement — ni tout blancs ni tout noirs, juste des humains avec leurs contradictions, leurs failles et leurs intentions pas toujours bien placées.

Thierry est un mec paumé qui tente de garder un cap, même si ce cap est un peu bancal... J’aime bien l’idée que tu dises qu’il n’est ni parfait ni détestable — c’est exactement là que je voulais le placer.

Et oui, la suite va continuer à ouvrir d'autres points de vue.

Encore merci pour ton retour, ça me booste !
caressedemots
Posté le 25/03/2025
Wow, quelle révélation ! J'ai été véritablement frappée lorsque j'ai réalisé que ce chapitre offrait le point de vue du père de Matéo. C'est si habilement amené ! J'apprécie énormément ta capacité à nous faire voyager dans l'esprit des personnages, nous permettant de nous sentir proches d'eux, presque intimement.

J'ai éprouvé de la peine pour ces personnages, malgré le fait que je ne les connaisse que par leurs derniers instants. C'est un talent irrémédiable que de réussir à faire susciter un tel attachement envers des personnages en seulement quelques lignes, lors des dernières pages de leur vie. Bravo pour ce formidable travail !
Vermeille
Posté le 25/03/2025
Merci beaucoup pour ce commentaire, ça me fait plaisir !
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