Chapitre 2 : Un acte dangereux

Chapitre 2 : Un acte dangereux.

La tête haute, le port fier, tel était Ash. C’était un jeune Arouk approchant des quatorze ans. Les cheveux bruns, coupés ras rendaient sa tête ronde assez démarquée. Au contraire de Ceywan il était parmi les plus petits de son âge et était imberbe. Ash avait les yeux rouges comme tous les Arouks, ce qui ne disait donc pas la couleur de magie -révélée par la couleur des yeux en règle générale-, tandis que Ceywan les avait vert. Les deux jeunes hommes étaient très différents. Même de carrure, Ash avait les épaules larges au contraire de Ceywan. Autre particularité, Ash avait les oreilles pointues, chose courante chez les Arouk mais systématique chez les Nediques.

C’était un garçon aussi bien prompt à la colère qu'à pardonner. Il était très adroit de ses mains et apprenait vite mais en cet instant, Ash semblait sous le coup de la colère :

«Ça fait trois ans que je suis prêt à rentrer à l’école des dieux de Farbi et je n'ai toujours pas reçu le signe divin ! Rien ne me retient au village ! Papa est mort ! Comme maman ! Tert et Mali sont à l’armée ! De toute façon, ils ont déjà leur maison, rien ne les ferait venir. »

Tout à ses pensées il suivit des yeux quelque chose qui tombait du ciel. Pris d’un subit espoir, il suivit de son mieux la trajectoire de l’objet quand soudain, deux ailes se déployèrent : c’était un simple épervier !

Furieux, le garçon décocha une flèche sur le volatile qui s'abattit.

« J’imagine que je viens de perdre quelques points auprès des dieux, maugréa l’Arouk. J'en ai rien à faire ! C’est anormal, je devrais être choisi, je crois en eux ! Je n’ai pas dix-huit ans, et j’ai la volonté, la force et l’intelligence nécessaires ! Je suis sûr que les dieux peuvent m’accepter ! »

Alors d’un seul coup, il prit la résolution qu'il murissait depuis longtemps déjà : il fabriquerait lui-même son signe magiquement et irait à l’école des dieux. Ainsi, si après trois ans aucun dieu ne l’aurait choisi, il serait fixé. Mais l’ennui était pour faire la plaque. Il fallait les mots justes. La magie nécessitait la connaissance de ce langage particulier et Ash n’en connaissait pas un mot. En fait, il n’avait jamais débloqué sa magie alors même avec les mots, le sort ne pourrait pas fonctionner. C’était toujours la même conclusion !

Cette fois-ci, furieux, Ash envoya deux autres flèches rejoindre la première dans le corps de l’oiseau mort. Encore une fois le garçon sortit une flèche de son carquois, banda son arc et soudain, arrêta son geste. 

“Et si… Non, c’était trop risqué !... Quoique… En fait, avec des précautions, c’était possible.”

Sa résolution prise, Ash arracha ses flèches de l’oiseau mort et il le fourra dans sa gibecière. 

Alors, le garçon se remit à la traque du gros gibier. Rapidement, il trouva une piste. Une trace qu'il n'avait jamais relevé. Pris d'un doute, il ralentit sa course.

Cette créature n'était pas gibier mais chasseur. C'était sûr à présent, la bête que traquait Ash venait de la plaine et n'était pas toute jeune. Le garçon ne s'arrêta pourtant pas. S'il parvenait à tuer la créature, peut-être l'accepterait-on à l'école des dieux sinon… et bien il mettrait son plan en application.

La piste continua une heure, où Ash se tendit de plus en plus. Même s'il ne craignait pas les créatures de la plaine, il ne pouvait ignorer les centaines d'histoires horribles qu'on lui avait raconté. D'après les traces, de plus en plus fraîches, ce n'était pas un Ourtal. Ce n'était pas un Arker. En effet, c'était des empreintes bien enfoncées, malgré le sol gelé, desquels se démarquaient cinq griffes.

Cette fois l'odeur même se faisait sentir. 

Une odeur de chair morte. 

Entrant dans le creux d'un bosquet, il découvrit un spectacle répugnant. 

Lacéré, baignant dans son sang, une biche gisait, morte. Ses entrailles étaient éparpillées à cinq doors à la ronde. Les os, bien que brisés, étaient bien nettoyés. C'était bien là l'œuvre d'un Onglat. Mais de piste, il n'y en avait plus : l'Onglat s'était envolé, son trophée était bien parti. 

Tant pis ! Il allait utiliser son plan. 

Le soir tombant, il rentra chez lui avant que les portes ne se referment pour le couvre-feu.

Dans Farbi, les nombreuses échoppes fermaient les unes après les autres engloutissant chaleur et odeurs. Les gens rentraient chez eux après avoir claqués leurs volets. Arrivé au cœur de la ville, il rentra dans la maison de ses parents adoptifs et sans même les saluer et le garçon monta dans sa chambre.

Il avait déjà son plan pour apprendre les mots de magie. Mais pour pouvoir les comprendre et même les entendre, il fallait avoir débloquer sa magie. Or ce n'était pas le cas de Ash, comme de la majorité des gens. Il avait plusieurs fois entendu parler des façons dont ont débloquait sa magie mais c'était toujours avec un maître magicien. Ash n'en connaissait pas et surtout n'en voulait pas : cette entreprise se ferait seule. 

Il s'assit sur le sol de sa chambre en pensant à ce qu'il cherchait à avoir. Le garçon voulait intégrer l'élite militaire. Cette élite ne l’était que parce que les soldats qui constituaient ce groupe étaient non seulement parmi les meilleurs mais, en plus, ils maîtrisaient la magie, chose peu courante en dehors de cette armée. C'était dans des écoles spéciales que se formaient ces soldats choisis par les dieux. Chaque soldat, à la fin de son entraînement, recevait un signe divin qui lui assurait la protection d'un dieu, tout au long de sa vie, le rendant plus puissant qu'un homme normal si bien que les choisis Arouks et humains pouvait égaliser des Nediques qui, ne croyant pas en les dieux, n'avaient pas ce système.

Il s'assit et se concentrant, grâce à l'entraînement reçu de son père, rentra facilement en son esprit avant de se trouver devant la source de sa magie.

Il se souvint alors des avertissements de son père concernant l'éveil de la magie :

“Si tu veux activer ta magie, fais attention, c'est une opération dangereuse pouvant entraîner la mort. Si tu le fais, c'est que tu en as vraiment besoin. Enfin, et c'est une évidence, ne fait jamais cela seul.”

Malgré ce dernier conseil, le garçon continua, l'ignorant. Pour que sa magie lui obéisse, il devait connecter la source de magie à sa volonté et ainsi, il y aurait un accès. Pourtant, Ash ne savait pas que lors de la connexion de la magie, il prononcerait un mot de magie sans le vouloir, et que ce mot allait donner un résultat inconnu et surtout incontrôlable une des raisons de ne pas débloquer seul sa magie.

Ignorant le danger qui le menaçait, il commença à tisser des liens entre sa conscience et sa magie. Longtemps, l'opération dura fatiguant fortement le jeune homme. Enfin, il vit les liens commencer à se réunir entre eux absorbant son énergie : c'était la fin de l'opération.

Un à un, ils s'unissaient. Le garçon vit lentement passer les heures sans que ses parents ne viennent le voir, habitués à ce qu'il ne mange pas avec eux. La sueur perlait à ses tempes. Son visage tout entier était crispé sous l'effort. 

Plus que cinq liens, quatre... trois. 

Moins les liens étaient nombreux, plus lentement ils s'unissaient. 

Deux.

Une heure exténuante se passa sans que la dernière unification se fasse et pourtant, la magie continuait de pomper son énergie. Ash était au bord de l'évanouissement.

Terrorisé, il tenta à tout prix de cesser l'opération qui dévorait sa vie mais rien n'y faisait. Ne trouvant plus assez d'énergie, les liens ne parvenaient pas à s'unir, aspirant les derniers lambeaux d'énergie vitale. L'opération allait réussir mais Ash était aux portes de la mort. Étendu sur le sol, dans le coma, l'Arouk subissait les effets de sa folie.

Lentement, les deux liens se réunissaient difficilement. Ne trouvant plus assez d'énergie dans le corps du garçon, les liens magiques cherchèrent dans la chambre, une mouche s'écrasa au sol, vidé de son énergie, bientôt, une araignée l'y rejoignit et l'ensemble des insectes de la pièces périrent, leur énergie vitale dévorée par les liens voraces.

Mais ils n'étaient toujours pas satisfaits et ils s'attaquèrent à une souris qui grignotait tranquillement une enveloppe de papier contenant des fruits secs. Cette souris sauva peut être la vie de Ash mais elle s'effondra à son tour, morte. Les liens eurent juste assez d'énergie pour s'unifier et des lèvres du garçon étendu sortirent un souffle, un mot :

-Garnar.

Un vent monstrueux jaillit de son corps. Des flammes fusèrent et la maison explosa dans un terrible vacarme. Plusieurs maisons voisines prirent feu en un puissant incendie. Les gens sortirent des maisons, alertés par le bruit et par la lumière et bientôt, les seaux d'eau défilèrent. Seul survivant au milieu des décombres de la maison, Ash que l'explosion n'avait pas détruit était sans connaissance. 

Les habitants de Farbi le retrouvèrent dans les ruines comme ses deux parents adoptifs, morts sur le coup.

-Au moins ceux-là ne sont pas morts déchirés par un Onglat, fit remarquer l'un d'eux.

-Ouais, dit un autre, ils sont morts dans leurs lit.

-Ça fait quand même trois trous de plus à creuser.

-Attendez ! s'exclama le premier qui avait parlé, le petit gars n'est pas mort j'ai l'impression.

-T'as raison, son cœur bat, faiblement mais il bat.

-C'est pas normal ! Il n'a même pas de trace de l'explosion. Si vous voulez mon avis, c'est de la magie.

Les trois hommes se turent puis l'un d'eux ajouta :

-Même l'explosion n'est pas normale. On a rien pouvant faire exploser une maison dans sa chambre. Mes avis qu'ils devaient trop en savoir sur les maîtres de villes...

A ce moment-là, une femme arriva, rouge de colère :

-Qu'est-ce que vous attendez à discuter comme ça ! Vous voulez qu'Ash meure ! Allez, emmenez-le chez moi ! Je m'en occuperai mieux que vous.

Honteux, les trois Arouks amenèrent Ash dans la maison de la guérisseuse de la ville. 

Le lendemain, le garçon n'avait pas repris conscience et pourtant la femme s'affairait autour de lui.

L'enterrement ne pouvant attendre le réveil de Ash fut rapidement fait sous la neige. Aussitôt la cérémonie achevée, les sauveteurs du sinistre se remirent à discuter.

-Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à l'événement de cette nuit, lança le premier qui avait parlé et qui s'appelait Afalgd.

-Pareil, firent les deux autres qui attendait la suite.

-Ce n'est pas possible qu'Ash n'ait pas été touché !

-Pourquoi ? demanda Garl, le deuxième sauveteur.

-D'après les décombres, l'explosion a dû se produire en haut de la maison, peut-être même dans la chambre d'Ash. 

-Hein ? Comment sais-tu cela ?

-Je ne suis pas un choisi pour rien, répondit l'Arouk. Ce matin, je suis allé faire un tour et un petit peu de magie m'a aidé. Pendant mon passage à l'école des dieux, je n'ai pas été choisi alors la formation que j'ai reçu ne me permet pas d'affirmer mes dires.

-Tu veux dire que ce serait Ash qui aurait provoqué l'explosion ? se manifesta le troisième homme dénommée Rosd.

-Je ne dis pas ça, mais il est vrai que c'est une possibilité envisageable.

-Il faudra l'interroger, fit Garl. 

-S'il survit ! répondit Afalgd. 

-D'ailleurs, pourquoi est-il mal en point s'il n'a pas été touché par l'explosion ?

-C'est là le mystère, dit l'ex-choisi, mais j'ai ma petite idée sur la question.

-Et bien alors... Nous verrons ! conclut Garl, dubitatif. 

De son côté, Ash ne s'était toujours pas réveillé, mais sa conscience était active. À l'instant, un rêve le torturait. 

Il était dans une sombre forteresse. L'odeur de la mort lui agressait les narines. Une vague de dégoût le prit quand il vit un rat qui le regardait tranquillement, n'attendant que la mort immuable d'Ash. Lui-même avait les pieds et les mains cerclés de fer. Il sentait le sang couler d'une de ses tempes tandis que la douleur l'étranglait comme un rapace. Ses vêtements déchirés étaient couverts de détritus. Dans son rêve, le garçon ressentait tout cela aussi vrai que possible mais il se voyait d'un œil extérieur.

Soudain, il frémit, une ombre venait de passer devant sa prison. Quelques instants plus tard, une clef tournait dans la porte et elle s'ouvrit, laissant la place à un homme très grand, laid, chauve, un rictus dessiné sur le visage.

-T'es-tu décidé à me répondre ?

Un sourire provocateur sur la face, Ash se vit réponse :

-Jamais !

-Tu ne pourras que regretter ses paroles, répondit l'homme menaçant.

-Vous pouvez continuer de me torturer, mais vous n'aurez pas le nom de Farganir.

-Nous verrons cela, fit le monstre avant d'hurler. Gardes !

Aussitôt deux êtres immondes rentrèrent dans la prison.

-Qu'on l'emmène dans la salle de torture !

Les deux créatures détachèrent Ash, qui se débattit furieusement. Une bonne dose de coups acheva de le traîner vers la salle de torture où l'esprit d'Ash ne les suivit pas.

“Vous ne m'aurez jamais !” fut le dernier cri qui retentit.

... À suivre...