De son côté, en rentrant chez son petit ami, Uzu est pensif. Quelque chose ne tourne pas rond. Il sait son père capable de manœuvrer n’importe qui pour obtenir ce qu'il convoite.
-Mais pourquoi me manipuler moi ? se demande-t-il.
D'ordinaire, pour tenter d’imposer à son fils, ses choix de vie, Yoshito n'a jamais hésité à hurler et taper du poing. C'est quelqu'un qui ne garde jamais pour lui ses ressentiments, alors pourquoi prendre la peine de le manipuler ? Et s'il ne s'agit pas de ça, pour quelles inquiétantes raisons cette écoute et cette tolérance inhabituelles ?
- Mon père est toujours si sûr de lui et de son bon droit.
Il a vraiment beaucoup de mal à croire que Yoshito puisse de quelque manière que ce soit, accepter sa relation avec un garçon et encore moins son refus de revenir au Japon. Alors quoi ? Lui cache-t-il quelque chose de grave qui le toucherait fortement ou marquerait sa vie ? Une maladie, peut-être ?
*
Quand Gabriel, épuisé, pénètre enfin dans sa chambre, sa montre indique deux heures du matin. Il ne comprend pas vraiment la cause qui a pu pousser Uzu à venir se coucher dans son lit mais il en sourit d'aise.
- T'as l'air si doux quand tu dors, Kare*.
Il se glisse lentement auprès de lui et colle sa peau à la sienne. Son odeur depuis le début l'affole. Il glisse le nez le long de sa nuque, y dépose quelques baisers, sourit au souvenir de ce songe pas si lointain, lorsqu'il croyait qu'il ne serait jamais rien d'autre qu'un rêve. Puis s'endort dans la chaleur de l'être aimé.
Ce sont les cris d'un Hugo affamé qui font bondir nos deux comparses. Uzu, affolé par ce réveil brutal, sursaute, il est, un peu étourdi. À son côté, Gabriel s'assoit, la tête dans le brouillard.
- Rhooo, putaiiiiin, Hugoooo ! Il dort jamais mon pt'it gars, ma parole, pff ! Ha ! Uzu, recouche-toi va, j'm'en occupe.
- Tu es sûr ?
- Ouais, j'vais nourrir l'ogre et j'reviens ! Tu bouges pas d'là, j'aimerais bien que tu m'expliques c'que tu fais dans mon lit ! lance Gabriel avec un clin d'œil qui embarrasse quelque peu son partenaire.
À son retour, trente cinq minutes plus tard, celui-ci s'est bien sûr rendormi. Malgré la fatigue, Gabriel a du mal à retrouver le sommeil. Est-ce dû à la proximité de l'être désiré ? Il le touche, le frôle du bout des doigts, profitant de son inconscience, sa nuque, son cou, ses épaules, ses fesses... Ha ! Ses fesses ! Uzu émet un léger gémissement lorsque Gabriel se colle davantage à son dos, mais ne se réveille pas. À six heures du matin, c'est Uzu qui se dévoue pour nourrir le bébé.
- Je l'ai recouché, il a l'air en forme, pas certain qu'il se rendorme.
- Ce môooome, y va m'tuer ! se lamente Gabriel, la voix étouffée d'avoir la tête dans l'oreiller.
Il avise Uzu, lui attrape le bras et l'attire à lui.
- Viens t'recoucher avec moi !! J'ai même pas profité qu'tu dormes dans mon lit, snif, tu t'rends compte ? C'est nuleuuu! Pourquoi donc t'as décidé d'y dormir d'ailleurs ? J'te manquais ?
- Je n'ai pas réussi à déplier le canapé…
- Ha, je vois. Et moi qui espérais qu'ce soit dû à mon corps de gladiateur ! Allez, viens ! Avant qu'le monstre ne déchire de nouveau l'espace avec son cri perçant.
Il obéit, non sans se raidir un peu lorsque Gabriel le prend une fois de plus contre lui.
- J'ai pensé à toi toute la journée, hier. Enfin, plutôt à c'que tu m'as fait avant d'partir.
- Ecoutes je...
- Oui ?
- Je ne comprends pas ce qui m'arrive, je ne m'attendais pas à ce genre d'épreuve, c'est si loin de ce que je connais. Je ne prévois plus rien, surtout pas de...
- Hééé ! J'allais rien te d'mander ! J'voulais juste que tu saches c'que j'ai r'ssenti quand tu m'as... C'est pas juste c'que t'as fait, mais surtout comment et pourquoi. Enfin, ça m'a touché quoi ! En plus de m'faire plaisir, hé, hé ! Écoute, j'suis pas doué pour expliquer c'que j'ressens mais tes gestes, ta douceur et tout, c'tait bien.
Uzu s'alarme, il doit lui parler de son père, de la proposition, en bref, de ses doutes.
- Il faut que je te dise quelque chose.
- Quoi ? Hoo ! Fait pas cette tête, tu m'fais peur là ! Y'a quoi ?
Il a déjà vécu ça, ce genre de gravité dans la voix, cette figure morne, lorsqu'il a quitté Yann, à ceci près que c'est lui qui se trouvait à la place de Uzu. Ce ton retenu, qui indique "qu'on a mûrement réfléchi", ce visage fermé pour éviter de craquer et capter l'attention de l'autre, laissant présager une sentence lourde de conséquences.
- J'ai reçu il y a quelque temps une proposition de la part de mon père, explique Uzu, tendu. Je n'ai pas voulu en entendre parler sur le moment, mais là...
- C'est quoi l'truc ?
- Mon père est en ville, et hier, je l'ai vu. Nous avons parlé, de cette offre surtout, de mon départ de chez ma mère, de toi...
- Ha ? De moi ? Et ?
- J'ai été très étonné. Il l'a plutôt bien pris. J'ai trouvé ça étrange.
- Mais, ton père, y t'propose quoi ?
Il hésite, et la patience de Gabriel s'effrite en même temps que sa peur avance.
-Alors c'est vraiment grave ? Quoi ? Crache le morceau ! insiste-t-il.
- Il m'offre de travailler dans son entreprise. Il peut m'y faire entrer et j'aurais un poste très intéressant, un logement, tout le tralala...
Uzu a déballé tout cela très vite, d'une traite.
- Mais ton père y vit pas au Japon ?
- Si.
- ...
Gabriel reste un instant suspendu à ses lèvres, attendant là une suite, seulement Uzu ignore quoi ajouter.
Le choc, cette impression que le cœur s'arrête, les oreilles qui chauffent, les murs qui tombent en miettes, la douleur à l'estomac, en bref, le monde qui s'écroule. Le souffle lui manque. Il connait bien ça, Gabriel. Au moment de la mort de son grand père, c'est tout une histoire qui s'est enfuie, le laissant seul et désarmé. Quand son premier mec l'a quitté, il a été si désespéré qu'il lui a fallu des mois pour s'en remettre. Lorsque le copain de sa sœur est décédé, le vide l'a envahi. Et, privé de Laurianne, il a bien cru que sa vie s'effondrait littéralement. La perte, et ce sentiment d'impuissance qu’il ressent toujours face à ça, il ne connait rien de pire. Ses doigts se crispent sur les draps du lit, il tente de gérer la crise d'angoisse qu'il sent monter.
- Mais tu... heu... Attends, c'toi qu'as insisté pour... P'tain et tu t'casses maintenant ?
Sa voix se brise, sa respiration est courte, son visage a pâlit.
- Non ! Attends ! Calme-toi Je n'ai pas répondu encore. Je suis désolé. J'aurais dû accepter sans doute ta décision quand tu m'as envoyé ce mail et aussi ne pas insister quand tu m'as repoussé pourtant je refuse la possibilité de laisser passer cette chance ! C'est juste impensable ! Je n'ai jamais rien ressenti de pareil pour personne. Je ne sais pas quoi faire. Et pour ce qui est de l'offre de mon père, comprends-moi, je ne peux pas dire non comme ça.
- Alors quoi ?
- J'admets que c'est égoïste, mais j'aimerais juste attendre, continuer d'avancer ensemble et voir ce que ça donne. Peut-être que c'est mal, que tu vas me voir comme un connard insensible. Tu vas espérer, avoir peur et moi, je ne peux jurer de rien. Tu peux refuser, je comprendrais. Je n'ai rien à ajouter, je suis désolé.
Gabriel se retient de pleurer. Il secoue sa tête et ravale sa salive, incapable d'articuler un mot. Étrangement la lassitude prend le pas sur la panique.
- Tu comprends, on se connaît depuis trop peu de temps pour que je lâche un " non " catégorique à mon père sur la seule base de ce début de relation. Pour autant, cette histoire que je commence à vivre avec toi, j'y tiens déjà trop, et je ne me vois pas non plus accepter ce qu'il m'offre sans hésiter. Tu vois le dilemme ?
- En bref, tu nous laisses une chance mais tu m'préviens du risque ?
- Tu peux voir les choses gentiment comme ça, ou bien en déduire que je suis un sans-cœur qui choisira ce qui lui plait au détriment des autres.
- Dis pas ça, j'aimerais pas être à ta place. J'comprends... Merci d'avoir été honnête.
À présent, ses larmes coulent malgré ses efforts pour les retenir, pas de sueurs froides cette fois-ci, la tristesse l'emporte sur la peur. Uzu l'embrasse tendrement. Le visage doux et chaud de Gabriel commence déjà à s'inonder de larmes et plus il tente de le consoler à coup de baisers, plus celles-ci se répandent dans son cou. Gabriel s'y cache honteusement et pleure dans les cheveux de Uzu, un sanglot se fait entendre. Le japonais se sent à la fois extrêmement mal, et touché par cette si étonnante douleur qu'affiche tout à coup son ami à l'idée de le perdre. Ça le bouleverse même plus qu'il ne l'aurait imaginé.
Et dieu, que ce garçon est beau ! Cet air sombre et timide, cette moue boudeuse, ses yeux mélancoliques, et à présent d'une clarté luisante. Est-il bien raisonnable de ressentir pareille vague de désir monter en telle circonstance ? Il voulait tant aimer cet être, protéger son âme, caresser son corps, le rendre heureux, surtout pas le faire pleurer ! Du fond de son cœur il aimerait tout simplement lui faire comprendre que lui aussi souffre de ce qui arrive. Pas pour avoir une excuse mais parce qu'il existe bel et bien cet attachement. Uzu qui en est lui-même vraiment étonné, refuse que Gabriel ne croit le contraire. Comme il a changé ! D'où peuvent bien venir tous ces sentiments ? Où étaient-ils avant ? Bien cachés au font de son cœur ?
Gabriel perd pied. Lui, déjà tellement à fleur de peau à cause du deuil, ne s'attendait pas à ça. Il a beau essayer de se calmer, de se dire que tout espoir n'est pas perdu, rien n'y fait. Il voit bien que l'autre tente de le rassurer, néanmoins tout ce que ses baisers et sa tendresse lui apportent ce n'est que la peur de les perdre.
-Quelle angoisse ! Comment j'pourrais ?
Puis les caresses se font plus pressantes. Son cœur est mis à rude épreuve ce matin. Il bat plus fort depuis qu'il comprend vers quoi Uzu l'entraine. Est-ce vraiment le moment de se laisser emporter ? Mais, il ne réfléchit plus. Déjà, son corps répond à sa place Il se cambre et réclame. Il veut lui appartenir.
- Prends-moi, s'te plaît, j'ferai tout ce que tu veux. J'sais qu'j'ai dit qu'j'étais ok pour attendre, mais...
Pour toute réponse l'autre l'attire à lui et le déshabille du seul sous vêtement qu'il porte.
- Moi aussi j'ai envie de toi, lui chuchote-t-il à l'oreille.
Gabriel lui donnerait bien autant de plaisir qu'il en reçoit, pourtant il n'ose rien faire, il pressent la fuite de Uzu s'il tente de le toucher. Ne surtout pas rompre le charme par une attitude maladroite.
Uzu découvre à quel point il adore ça, que l'autre soit si peu entreprenant. En plus d'en être rassuré, il acquiert suffisamment d'assurance pour poursuivre. Enfin, il découvre ce que cela procure de diriger et offrir le plaisir de lui même.
- Je vais être doux, dis-moi si je fais ça mal, OK ?
Gabriel bien qu'un peu surpris par les gestes timides de son amant, n'en montre rien et balbutie juste : - Ch’uis à toi.
Il se noie sous ses caresses avec l'impression étrange que la bouche et les mains de Uzu sont partout sur lui : sur ses lèvres, le long de sa nuque, dans le bas du dos, à son entre-jambes, et sur ses fesses. Un doigt le pénètre quand d'autres lui caressent frénétiquement la verge.
Uzu est là, si déconcertant, dans ce mélange de réserve et de hardiesse.
Gabriel n'est plus que désir. Ses gémissements achèvent d'exciter Uzu et l'encouragent à franchir le pas. Le jeune asiatique hésite encore et tremble légèrement. Pourvu que l'autre ne se rende pas compte de son trouble. Mais, il le désire, autant qu'il a peur. Il aurait peut-être dû lui avouer qu'il est le premier homme à se donner à lui, clairement. Il est trop tard à présent, il faut "assurer". Enfin, il ose en prendre possession. Ils en gémissent en chœur. C'est si fort, si bon, que l'un et l'autre croient jouir de suite.
Uzu se sent comme aspiré par le corps de l'autre et veut aller plus loin encore. Gabriel tressaille quand il le sent glisser plus profondément en lui, autant de plaisir que de surprise. Il a la sensation d'avoir attendu ça une éternité. Il se délecte, s'évapore dans la volupté de lui appartenir en entier. Plus rien n'a d'importance sauf ça, cette nouvelle ivresse. S'abandonnant complètement, il accueille tout ce que Uzu est prêt à le lui donner et veut plus encore.
Ce dernier n'a plus peur. Il se laisse aller à toutes sortes de variations d'étreintes, et d'attouchements. Il lui mordille le cou, change de rythme. Ses doigts effleurent sa peau nue, qu'il découvre avec un peu plus d'appétit à chaque instant. Si concentré, qu’il est pris de court, lorsque Gabriel « jouit » dans sa main, il vient à son tour plus vite qu'il ne s'y attendait.
Quand l'extase délivre Gabriel, il part dans un long gémissement. Son bonheur est complet lorsqu'il découvre que l'orgasme de son amant en a été influencé.
Le calme revenu, dans la pénombre de la chambre, ils se laissent tout deux glisser paisiblement sur le côté, puis s'enlacent, se collent, dans une étreinte rassurante.
- J‘tombe amoureux, décrète Gabriel.
- Tu étais mon premier, j'espère que je n'ai pas été trop nul. Pour moi c'était vraiment bien. Merci.
Le goth prend l'information comme une grande claque et n'en comprend d'ailleurs pas de suite la signification. Il sonde le visage de Uzu, ses yeux s'arrondissent.
- De quoi tu parles ?
- Bha, j'ai toujours été à cette place, quoi, passif, fait Uzu avec un piètre sourire.
Gabriel n'a jamais fait ce genre de distinction, et ses exs non plus d'ailleurs. Actif, passif, quelle importance ? Dans le petit monde de Gabriel les choses se font comme elles le doivent, spontanément sans place prédéfinie. Conscient pourtant que ceci n'est pas forcément une évidence pour tout le monde, il considère tout de même Uzu avec étonnement. Il a du mal à le croire. Est-ce possible, lui qui semble avoir pourtant tant d'expérience. Il nourrit donc une difficulté certaine à reconnaître dans ce jeune garçon soudain si timide et si mal à l'aise, l'homme qui vient de lui faire l'amour.
- C'qu'il est mignon ce con ! pense t-il.
- Pourquoi tu n'm'as pas prév'nu ? Et comment c'est possible un truc pareil ? C'est dément ! Je trouve ça fou, étonnant, précieux ! J'crois qu'je t'aime !
Uzu se contente de le dévorer des yeux, les pupilles brillantes, sans trop y croire. Soudain, Gabriel s'assombrit. La discussion qu'ils ont eue un peu plus tôt lui revient en mémoire et une vague de tristesse à l'idée de le perdre l'envahie de nouveau.
"Le visage doux et chaud de Gabriel commence déjà à s'inonder de larmes et plus il tente de le consoler à coup de baisés..." => baisers ( tu fais la faute presque à chaque fois. je ne te la cite qu'une fois)
Eh bien, des rares scènes gay qu'il m'ait été données de lire, c'est la meilleure. Pas de perversité, ce n'est pas malsain, c'est naturel, autant que cela puisse l'être avec tes personnages, c'est intense et ils aiment ça tous les deux. Donc pour moi, c'est impec. Je suppose qu'avec ton expérience du sujet ça t'aide beaucoup à percer les secrets des homos. Il y a beaucoup de respect dans la façon dont tu le racontes. Je serais incapable d'écrire une telle relation et une telle scène et j'admire ta maîtrise et ton respect. Bravo.
Reste encore le dilemme de Uzu par rapport à son père et ce n'est pas une mince affaire. Une tension de plus pour leur couple.
En apparté, je voulais te dire aussi par rapport à ta précédente réponse à mon dernier commentaire au sujet de la tournante. Je comprend mieux à la lumière de toute l'étude journalistique que tu as fait d'un événement similaire, que tu aies utilisé des termes juridiques aussi pointus et appropriés. Bravo pour ça aussi.
Biz Vef'
J'espère bien qu'il n'y a rien de malsain dans mes scènes d'amour effectivement. Bon après on est jamais à l'abri d'écrire des bêtises, j'ai surtout peur bien souvent d'être un peu trop nian nian (certain couple que je connais le son…).
Je puise effectivement au prés des gens que je connais, je vis avec un colocataire gay et en couple, la plupart de mes potes sont gays donc je pose des questions et j'observe beaucoup, mais honnêtement, il n'y a finalement pas vraiment de différence avec les couples hétéros. Y'en a de tout les genres avec différente façon d'aimer et de voir le couple.
Je te remercie beaucoup pour le compliment, ça me fait super plaisir ^^
Haaa le dilemme ^^ c'est vrai que c'est difficile pour eux au début >_<!
C'est vrai que les recherches on servi à se niveau là, contente que ça se voit un peu même si je n'utilise pas grand-chose de ce que j'avais glané au final.