Chapitre 2 — Une rencontre inattendue

Notes de l’auteur : Au cours de ces chapitres de nombreux éléments sont tirés de la vie réelle. Nous avons utilisé notre quotidien confiné pour raconter une histoire "témoin".

— Gabrielle —

Roooh la, la que faire ? J’étais assis sur mon lit me mordillant l’ongle du pouce encore en pyjama. La veille au soir un grand type métisse aux yeux marrons et à l’air fatigué s’est pointé pour partager l’Airbnb. Quoi faire ? J’ai juste paniqué en bonne parisienne pas habitué à la campagne il a dû me trouver bizarre. Il fait deux fois ma taille et maintenant il dort dans la chambre d’à côté. Merde. Je fais quoi ? En plus j’étais tellement stressé de cette surprise que je l’ai presque mis à la porte. Il doit me penser ou paranoïaque ou raciste. J’avais l’aire sur de moi je crois. Rouge comme une pivoine je soupire. Je ne suis pas à l’aise avec les gens. Ma timidité maladive me rend maladroite et quand je panique je deviens sèche. Adam dit que j’ai l’aire d’une vieille bibliothécaire à ces moments-là.

Je voulais juste passer un bon week-end tranquille. Je comprends qu’il ait des problèmes pour se loger c’est pas sa faute mais ça m’agace quand même un peu. Je ne peux pas sortir en pyjama, cheveux en bataille comme ça du coup. En plus il fallait que l’autre personne de l’Airbnb soit un homme. Deux fois plus de stress. Allez cocotte tu ne vas pas rester cloîtré là comme ça. Tu as des milliers de choses à faire aujourd’hui. En vrai j’en ai qu’une avant ce soir mais pas grave. Heureusement qu’un ami passe me chercher vers midi. Je vais pouvoir m’évader.

Bon. Je sors mon miroir de mon sac à main me remerciant intérieurement d’avoir monté toutes mes affaires dans ce refuge personnel qu’est devenue ma chambre.

Déjà, un coup de peigne, je vérifie que je n’ai pas de traces d’oreiller, et fais la moue.

Je ne suis pas très porté sur le maquillage. Ça prend du temps, ça ne m’embellie pas plus que ça et puis c’est un bric à brac interminable.

Mon reflet me renvoie ma moue. Je sais que je fais plus jeune que mon âge. La peau pâle avec des tâches de rousseurs sur le nez et les joues, un petit nez en trompette, des lèvres en cœur et des cheveux roues aussi colorées que ceux d’une carotte. Voilà ce qui me regarde dans la glace ronde que je tiens. Mon carré court plongeant et plus que jamais en bataille de mèches folles. Tant pis.

Défaisant ma valise je sors des vêtements au hasard. Inspirant un grand coup j’enfile mes lunettes aux pourtours noirs. C’est partie. Croissant les doigts pour qu’il soit dans sa chambre je descends les marches en catimini et :

— Oh, vous êtes levée. Je suis passé prendre du pain j’en ai laissé sur la table.

Je sursaute de mon escalier, une main sur le cœur, où est-il ? Me peignant un sourire sur le visage je finis de descendre. Maudit escalier vieillot. Le grand type dont j’ai oublié le nom et dans le salon assis sur un des sièges son ordi sur les genoux. Je le salue d’un bref signe de la main. Merde je dois être super mal polie. Mais il est super grand et il est dans mon faux salon. La flippe.

Je mange peu le matin et de toutes façons avec le temps que j’ai mis à tergiverser il est déjà 10 h 40. Je sors une pomme de mon sac de voyage restée dans l’entrée. Il m’observe, fronce les sourcils. Si je le snobe complètement il va me laisser tranquille ?

Je remonte manger ma pomme sans toucher à son petit déjeuner ne sachant pas trop ce qui est pour moi ou lui. Ouf. Ça de fait. Mon fils aurait honte c’est sûr.

12 h 00 arrive vite, je me suis apprêté un peu mieux et sans un mot pour mon nouveau voisin qui est dans la cuisine je sors. Talons, manteau rose poudrier, lunettes, sac à main, je suis prête.

Enfin c’était sans compter le trou paumé dans lequel je suis. Franc mets bien dix minutes de plus après son message « J’arrive bientôt » à me trouver. Je monte dans sa voiture, qui ressemble plus à un hors-bord vu de l’intérieur qu’à une voiture.

— T’as de la chance que je passe sur Tours ce week-end.

On se salue, puis mange ensemble. Il est bientôt 14 h 00. En vérité ce que j’ai prévu de faire cette après-midi est un peu particulier et je suis bien contente de ne pas être seule. Depuis ses cinq ans Adams réclame une tortue. Ce que son père et moi on lui a toujours refusé. Et puis il y a quelques mois Franc m’a dit que lui il voulait bien m’accompagner pour faire les démarches. Ça m’a fait réfléchir. Cela serait pas si mal après tout. Donc me voilà, dans une animalerie un week-end avant son anniversaire avec une autorisation légale acquis durement pour avoir une petite tortue Herman mâle d’un an.

Je suis penché sur l’unique cage où se trouve la petite bête toute seule dans son grand enclos. Bon, bah, ce sera celle-là. Je me suis renseigné pendant tout ce mois sachant que je venais en province et que les prix seraient plus abordable. J’ai en tête tous les livres et les sites pour bien s’en occuper. Ne pas la brusquer, ne pas la porter sans quelque chose en dessous, ne pas la secouer et encore moins la retourner. C’est un reptile qui… Mais qu'est-ce qu’il fout lui ??

Le vendeur la secoue à l’envers comme une bouteille de soda avec une clé USB plus grande que sa carapace. Je suis tendu. Ça me stresse qu’il la maltraite comme ça. Tout ça pour biper une puce dans sa patte avant droite. On dirait qu’il la prend pour un ordinateur portatif. Heureusement il finit par trouver le truc qui fait bip sur sa patte arrière gauche et la mets dans une boîte trois fois plus grande qu’elle.

Je paie après avoir rempli une montagne de papier. C’est comme ça que dans la voiture du retour, ma petite bête sur les genoux, dans sa boite que je sens glisser de droite à gauche dans les virages, je suis contente comme si j’avais acheté mon premier animal de compagnie. Dans ma valise, il y a le terrarium choisi avec soin. On profite du retour pour bavarder avec Franc. Heureusement qu’il était là pour parler avec aplomb au vendeur.

— Comment avance ton livre ? Comment vont tes enfants ? Tu vas les voir quand ?

On parle des galères du travail, du beau temps. Ça fait un moment qu’on ne sait pas vu. C’est un ami vraiment précieux. J’aime ses conseils et nos discussions ou même la façon dont il me voit.

7, rue du Pommier Vert. On y est. Je descends toute satisfaite de moi. Adams va l’aimer même si pour le moment la pauvre tortue à la trouille. Je rentre dans la maison et claque la porte mon paquet dans les bras. Quand soudain je me rappelle. Merde. Il doit encore être là. J’avais prévu de mettre le terrarium dans le salon le temps du week-end. Ma chambre est trop petite. Quoi faire ?

Droite, gauche, soupire, il n’est pas là. Sans plus attendre j’installe tous dans le salon près d’un mur. Soulagement. Quand l’escalier craque. Ah, toujours vivant. On se dévisage, lui qui me regarde moi et ma petite bête.

— Vous la mettez là ?

Ah quoi répondre. Peut-être que j’ai fait une erreur. Ah, la la, je sors la première réponse qui me vient :

— Comme j’ai loué le salon aussi, donc je la mets là oui.

Oh la c’est super sec. Trop tard. Je mets la tortue dans la terre trouvé à l’extérieur, un bout de salade du frigo eh hop ni une, ni deux je monte.

Je n’aurais plus qu’à descendre à 20 h 00. Heureusement que j’ai connecté mes appareils à la wifi avant hier. Sur le ventre, sur le lit l’ordinateur déplié à la place de l’oreiller je clique sur le clavier pour finir de trois détails des illustrations devant mes yeux. Pourvus que le rendez-vous de ce soir se passe bien.

Mon petit personnage en vague m’apaise au milieu de ses étoiles.

Mon réveil sonne, Je me prépare d’une tenue plus distinguée. Tousse et mouche. Ça fatigue d’être enrhumé. C’est agaçant. Il va me croire porteuse du virus en plus. Jupe, collants, pull noir, un peu de maquillage aux bords des yeux, un trait noir et une touche de verre claire, un rouge à lèvres Dior super précieux parce que je le trouve jolie et je suis prête. L’ordi sous le coude dans sa pochette je retourne dans l’entrée. Encore là ! Il prépare le repas. Ça sent bon. Je fais un signe vague de la main de dos et part. Ouf j’ai évité la conversation. Je suis super fatiguée, il fait froid. Tant pis, je veux y aller.

Un couple passe me chercher. Je les connais depuis notre dernière réunion. Ils sont sympas. Jusqu’à ce que je me mouche. La conversation dérape sur le corona virus. Zut. En plus ils sont assez âgés pour être à risque. Pourvu que je l’ai pas et que je leur file pas. C’est ma première pensée puis je me gronde moi-même. J’ai des rhumes carabinés à en perdre la voix depuis toute petite. Au boulot personne n’a été détecté positif. Je suis soulagé quand on arrive enfin. C’est une maison en haut d’une côte boueuse faite de cailloux blanc. Une maison troglodyte vraiment jolie encore en travaux. Je m’assois sur la première chaise disponible sans embrasser personne à cause de mon microbe. Ça ne proteste pas. Je suis toute excité que la réunion commence même si je suis crevé. Ça parle, on attend que tout le monde soit là.

Le médiateur principal qui organise l’évènement se lève finalement :

— Bien, ce salon du livre jeunesse est un peu en péril mais on va faire avec…

Ça se coupe, ça se contre dit. Je n’ai pas la force de les couper pour savoir la suite du programme. Entre ceux qui veulent annuler à cause de l’épidémie, ceux qui disent que ça va passer. Ceux qui veulent une tranche de saucisson on ne s’entend plus trop. Finalement ça me lasse. Je me lance sans trop réfléchir :

— Excusez-moi : on peux pas juste tout organiser comme si ça avait lieu ? Si c’est annulé tant pis. Si c’est reporté on aura déjà tout de prévus et si c’est maintenue on ne sera pas dans la panique.

Comme je parle peu ça arrête tout le monde. Le médiateur en profite pour enchaîner :

— Gabrielle nous a gentiment fait une affiche pour l’évènement. Vous l’avez tous reçu. Il y a des remarques ou des questions ?

Une des femmes à mes côtés lève la main :

— Oui, mon nom est mal écrit.

Zut, je pique du nez. J’aurais dû faire attention. Ouvrant aussitôt mon ordinateur je me lance dans la correction. Cela en fait rire un ou deux. Je plaide l’efficacité et ça passe. Concentré à ne pas faire la même bêtise deux fois. J’espère que ça ne l’a pas blessé je lève le nez quand on m’appelle :

— Gaby, moi je la trouve super ton affiche.

Les autres autour de la table renchérissent si bien que je ne sais plus ou me mettre jusqu’à ce que l’un d’eux ajoute :

— Tu sais, tu te débrouilles super bien, tu devrais faire ça comme boulot.

Quoi répondre, je souris. Si je suis là c’est que j’aime faire autre chose non ? Pourquoi on me dit toujours ça. Je suis une bonne graphiste mais aujourd’hui c’est le livre illustrés pour enfant que j’ai dans mes fichiers qui me rends si fière. Je regrette un peu d’avoir fait cette affiche sur un coup de tête du coup.

La soirée se poursuit. J’essaye de me moucher le moins possible. Le couple est sensé me ramener à la fin. L’organisation avec la région, le virus, les places de stands qu’on va prendre, le corona, les éclairages et les impressions de dernières minutes, l’épidémie, les flèches pour diriger les gens et les plans, les masques et le gèles antiseptiques. Ca m’irrite à la longue. Qu’est-ce qu’on peut faire de plus que ne pas tousser sur les gens, ne pas se tripatouiller et se laver les mains, au juste ? En parler ne va rien changer en vérité. Juste de la propreté et de la bienséance de base. Comme quand on a la grippe.

La fin de la réunion arrive sur un délicieux gâteau au fruit. Je monte dans la voiture avec ma réserve presque vide de mouchoirs et un saut de champignon venant du fond des troglos. Je ne sais pas dire non. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire avec ça ?

Ça parle dans la voiture mais je n’écoute pas trop. Mon portable vibre, une photo d’omelette pâtes avec une boite de série sur une table de cuisine. J’en connais un qui en profite. Suivie d’un sms :

«  Tu crois que je devrais aller faire les courses ? »

Je réfléchis à ce qu’on a dans les placards. De toute façon, il ne sait pas trop cuisiner.

« Il y a plein de conserves et de plats tout près. Sauf si tu veux manger quelque chose de spécial non. »

Je lui fais confiance Adams et mature pour son âge. Mon ventre à moi gargouille. La maison est plongée dans le noir. Une vérification sur la tortue. Dans sa carapace. Je n’ose pas toucher au plat que l’homme à laisser c’est peut-être pour demain pour lui. Un boite de conserve d’haricots et des sardines sur place mangé je finis ma journée avec soulagement. Dans la salle de bain il y a des boîtes de mouchoirs par 100. Ouf ! Je monte, propre. Demain c’est un samedi normal. Je souris, mouche et me mets sous la couette. Je pense à mon petit personnage qui pour la première fois va être édité. La fierté au cœur je me laisse aller au sommeil.

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